Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 15 février 2018, n° 15-13088

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Jouets Ecoiffier (SAS)

Défendeur :

Plastiques Eramil (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Saint-Avit, Raitberger, Kaempf

T. com. Lyon du 5 mai 2015

5 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Plastiques Eramil (ci-après " la société Eramil ") exerce une activité de fabrication de produits de consommation courante en matières plastiques. Elle a développé un courant d'affaires avec la société de vente de jouets Établissements Ecoiffier, devenue en 2008 la société Jouets Ecoiffier (ci-après " la société Ecoiffier "), qui lui sous-traitait l'injection plastique et le montage de certains modèles de jouets dans des moules qu'elle lui fournissait, avec des emballages pour le conditionnement.

Les volumes des commandes ont régulièrement augmenté, puis, courant 2012, ils ont connu une nette diminution, la société Eramil soutenant que la société Ecoiffier avait cessé brutalement de lui confier le moulage par injection d'un modèle de cuisine en plastique, et la société Ecoiffier soutenant que la société Eramil avait décidé de cesser le montage et le conditionnement des cuisines fabriquées en matières plastiques et qu'elle avait dès lors dû en reprendre la fabrication.

La société Eramil a envoyé de nombreux courriers à la société Ecoiffier pour lui faire part de ses interrogations concernant la baisse du flux des commandes.

Le 13 mai 2014, la société Eramil a assigné la société Jouets Ecoiffier devant le Tribunal de commerce de Lyon afin de solliciter sa condamnation à lui payer la somme de 209 730,00 euros au titre de la réparation du préjudice qu'elle a subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 5 mai 2015, le Tribunal de commerce de Lyon a :

- jugé que la société Plastiques Eramil et la société Jouets Ecoiffier entretenaient des relations commerciales établies depuis 2008 ;

- jugé que la forte baisse des relations commerciales a le caractère de brutalité au sens de l'article L. 442-6-5° du Code de commerce ;

- condamné la société Jouets Ecoiffier à payer la somme de 73 093 euros à la société Plastiques Eramil ;

- condamné la société Jouets Ecoiffier à payer la somme de 3 000 euros à la société Plastiques Eramil au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de ce jugement ;

- condamné la société Jouets Ecoiffier aux entiers dépens de l'instance ;

- rejeté comme non fondés tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties ;

Vu la déclaration d'appel du 18 juin 2015 de la société Jouets Ecoiffier

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 novembre 2015 par la société Jouets Ecoiffier par lesquelles il est demandé à la cour de :

- réformer le jugement du Tribunal de commerce de Lyon en date du 5 mai 2015 ;

- débouter purement et simplement la société Plastiques Eramil de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

À titre subsidiaire,

- dire et juger que le préjudice subi par la société Plastiques Eramil n'excède pas la somme de 30 467,64 euros ;

- condamner la société Plastiques Eramil à verser à la société Jouets Ecoiffier une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner en tous les dépens.

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 octobre 2015 par la société plastiques Eramil par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

Sur la faute,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société Plastiques

Eramil et la société Jouet Ecoiffier entretenaient des relations commerciales établies depuis 2008 ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la rupture des relations commerciale établies entre la société Plastiques Eramil et la société Jouets Ecoiffier a été brutale ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que la société Jouets Ecoiffier aurait dû respecter un délai de préavis de 6 mois avant de procéder à la rupture des relations commerciales établies ;

Sur le préjudice, A titre principal,

- réformer le jugement entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués à la société Plastiques Eramil ;

- condamner la société Jouets Ecoiffier à payer à la société Plastiques Eramil la somme de 209 730,00 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement entrepris sur le quantum des dommages et intérêts alloués à la société Plastiques Eramil ;

En tout état de cause,

- condamner la société Jouets Ecoiffier à payer à la société Plastiques Eramil la somme de 10 000 euros correspondant aux coûts des licenciements économiques, conséquences directes des agissements de la société Jouets Ecoiffier ;

- condamner la société Jouets Ecoiffier à payer à la société Plastiques Eramil la somme de 5 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

La société Jouets Ecoiffier soutient que c'est la société Plastiques Eramil qui a décidé de cesser l'activité de montage qu'elle n'estimait plus rentable, et de proposer à la société Ecoiffier de la confier à un sous-traitant tout en conservant l'activité d'injection, sans se préoccuper des coûts de transport engendrés par ce changement, ce que la société Ecoiffier n'a pas accepté, qu'elle a dès lors mis un terme à la sous-traitance de l'injection plastique et du montage de la cuisine à la société Eramil et lui a repris les moules, tout en lui laissant d'autres moules pour des productions moins importantes, qu'il en résulte que ce n'est pas elle qui a rompu partiellement la relation commerciale établie, qu'en voulant imposer à la société Ecoiffier de supporter des coûts de transport supplémentaires que celle-ci n'avait aucune raison d'accepter, même pendant la durée d'un préavis, elle s'est privée elle-même du droit d'invoquer l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce puisque c'est elle qui a rompu la relation établie en ne voulant plus exécuter que partiellement le travail qui lui était confié et en ne conservant pas à sa charge l'activité de montage.

Elle indique qu'il n'y a aucun lien de causalité entre le licenciement d'un salarié pour des malversations et la diminution des activités entre les sociétés Ecoiffier et Eramil, qu'au contraire, la société Ecoiffier ne peut qu'être reconnaissante à la société Eramil de lui avoir permis de découvrir les agissements délictueux de son salarié, que le licenciement de M. ..., qui a eu lieu le 8 mars 2011, n'a pas empêché la société Ecoiffier d'augmenter de 9,6 % le volume d'affaires confié à la société Eramil pendant la durée de cette même année.

Subsidiairement sur le préjudice allégué, la société Ecoiffier soutient que la réparation du préjudice doit être limitée à la marge brute (91 %) sur un chiffre d'affaires basé sur un préavis de trois mois et non six (33 346 euros), soit un préjudice de 30 467,64 euros, sous déduction de la marge brute réalisée pendant la même durée, où elle a continué à travailler.

Elle conteste toute demande d'indemnisation pour les licenciements économiques. En réponse, la société Eramil fait valoir que la société Ecoiffier ne conteste pas

l'existence d'une relation commerciale établie, nonobstant l'absence de contrat écrit, que sans aucune mise en demeure ni explication elle a subi une chute brutale du chiffre d'affaires réalisé avec la société Ecoiffier début 2013, suite à la dénonciation par Eramil de malversations commises par un des salariés d'Ecoiffier, que la société Ecoiffier n'a jamais eu à se plaindre de la qualité du travail réalisé par la société Eramil qu'elle ne lui a jamais indiqué que l'arrêt du montage serait une condition déterminante au maintien du contrat, qu'il ne s'agit que d'un prétexte, que la rupture brutale partielle est établie, qu'elle a été placée en situation de dépendance économique vu l'ancienneté de la relation qui remonte à 1998 et la part prépondérante des commandes de la société Ecoiffier dans son chiffre d'affaires, celle-ci représentant près de 80 % de celui-ci, que son préjudice est établi, qu'elle avait procédé à de nombreux investissements tant matériels qu'humains, que la durée du préavis, selon les règles habituelles du commerce et la jurisprudence, aurait dû être de 6 mois, que sur la base d'un chiffre d'affaires moyen pour 12 mois de 419 464 euros, soit de 34 955 euros pour un mois, elle peut prétendre à une indemnité de préavis d'une durée de 6 mois dont le montant correspond à 209 730,00 euros.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce la cour,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure " ;

Considérant que l'article L. 442-6, I, 5° s'applique à toute relation commerciale suivie, stable et habituelle ;

Que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures ;

Que la finalité du délai de préavis est de permettre au partenaire de prendre ses dispositions pour réorienter ses activités en temps utile ou pour rechercher de nouveaux clients ;

Qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que les relations commerciales entre la société Ecoiffier et la société Eramil revêtaient le caractère stable et établi justifiant l'application des dispositions sus rappelées, seule l'ancienneté de la relation étant discutée, la société Eramil invoquant une antériorité remontant à 1998 alors que la société Ecoiffier a fait l'objet d'une cession en 2008 et que cette date seule permettrait de fixer le cadre des relations ;

Que les premiers juges ont relevé à juste titre que les pièces versées aux débats ne permettaient de faire remonter l'ancienneté de la relation que jusqu'à 2008 ;

Que c'est également à juste titre que les premiers juges ont constaté une forte baisse des commandes passées par la société Ecoiffier à la société Eramil et ce à compter de 2012, le chiffre d'affaires réalisé en 2012 passant de 449 803 euros à 143 457 euros, puis 47 981 euros en 2013 ;

Qu'alors que les relations commerciales entre les deux sociétés portaient depuis le début sur les activités de montage et d'injection de plastiques en vue de la confection totale du jouet, la société Ecoiffier n'a plus confié que des travaux d'injection à la société Eramil à compter de mi-2012, rompant ainsi partiellement la relation commerciale, sans préavis écrit ;

Que la brutalité de la rupture résultant de l'absence de toute notification d'un préavis ne peut être écartée que si l'une des deux conditions de dispense de préavis (inexécution, force majeure) est établie ;

Mais considérant que si la rupture a été consécutive à la mise en sous-traitance, par la société Eramil en mai 2012, de l'activité de montage qu'elle indiquait ne plus pouvoir assurer, et qu'à compter de cette décision unilatérale de la société Eramil la société Ecoiffier a décidé de ne plus lui confier l'injection des cuisines en plastiques pour les faire monter et conditionner par un tiers, il appartenait toutefois à la société Ecoiffier en application de l'article L. 442-6,I 5° sus rappelé, de notifier par écrit un préavis à la société Eramil ou de se prévaloir d'une faculté de résiliation sans préavis si elle estimait que les faits constituaient une inexécution de ses obligations ou une force majeure, ce qu'elle n'a pas fait, se bornant à cesser soudainement de lui confier l'injection des cuisines en plastique ;

Que l'échange de correspondances postérieurement à la rupture, permettant d'expliquer la motivation de la société Ecoiffier ne la dispensait pas de notifier un préavis ou, à tout le moins, de notifier les griefs qu'elle estimait suffisamment graves pour constituer une cause de dispense de préavis avant la rupture ;

Que c'est dès lors à juste titre que les premiers juges ont retenu la preuve de la rupture brutale des relations commerciales ;

Qu'il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point ;

Considérant que le préavis fixé par les premiers juges à six mois, compte tenu de l'ancienneté de la relation et de l'importance du chiffre d'affaires réalisé avec la société Ecoiffier (80 %) dont ils ont estimé qu'elle était dans un état de dépendance économique, était toutefois suffisante, au regard de l'activité exercée, pour rechercher de nouveaux clients et se réorienter ;

Qu'il y a lieu de confirmer la décision des premiers juges sur ce point ;

Considérant que la société Eramil verse aux débats ses bilans depuis 2008 et que la société Ecoiffier verse aux débats un tableau non contesté des montants du chiffre d'affaires réalisé par la société Eramil avec la société Ecoiffier tant pour le montage que pour l'injection, et ce pour toutes les années depuis 2008 ;

Que la société Eramil ne conteste pas avoir arrêté l'activité de montage en mai 2012, ainsi que cela ressort de son courrier de refacturation du 19 septembre 2013 ;

Que c'est dès lors à juste titre que l'indemnisation allouée ne doit prendre en compte que la marge brute perdue pendant le préavis pour l'activité injection, et non pour l'activité de montage que la société Eramil a cessée de son propre chef ;

Que les chiffres d'affaires retenus pour cette activité de 2008 à 2011 et le taux de marge brute de 91 %, non contestés par les parties, permettent de retenir une moyenne sur douze mois de 182 625,50 euros de chiffre d'affaires, soit 15 218 euros par mois ;

Que la rupture n'étant que partielle, la société Eramil ayant conservé un part de son chiffre d'affaires provenant de travaux d'injection qu'a continué de lui confier la société Ecoiffier ce chiffre d'affaires doit dès lors être déduit de la base de calcul de la marge brute, à raison d'une moyenne de 4 058 euros par mois ;

Que la perte de chiffre d'affaires sur l'activité de travaux d'injection servant de base de calcul est dès lors de 11 160 euros par mois, soit pour six mois 66 960 euros, montant auquel il convient d'appliquer le taux de marge brute de 91 % soit une indemnisation du préavis à fixer à hauteur de 60 933,60 euros ;

Considérant que ladite indemnité correspondant au préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, il n'y a pas lieu d'allouer une indemnisation complémentaire de 10 000 euros correspondant au coût des licenciements économiques dont au surplus il n'est pas démontré qu'ils aient un lien avec ladite rupture ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande additionnelle d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile formée par la société Eramil ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a fixé à 73 093 euros la somme allouée à la société Eramil, Statuant à nouveau sur ce point, Condamne la société Ecoiffier à payer à la société Eramil la somme de 60 933,60 euros, Y ajoutant, Condamne la société Ecoiffier à payer à la société Eramil la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.