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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 février 2018, n° 17-08991

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laure (ès qual.), Transports Goichot (SARL)

Défendeur :

Valgra Sud (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Duval, Schreck, Fromantin, Laure

T. com. Marseille, du 29 mars 2017

29 mars 2017

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Valgra Sud (ci-après Valgra), située au Thor (Vaucluse), exploite une activité de marbrerie, granit et quartz, matériaux de construction qu'elle commercialise.

A compter de 2012, sans contrat écrit, elle a confié le transport routier de ses marchandises à la société Transports J Goichot (ci-après Goichot), située à La Crau (Var).

Courant 2015, le flux de marchandises ainsi confiées à ce transporteur s'est réduit, puis interrompu.

Par jugement du 22 septembre 2015, le Tribunal de commerce de Toulon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Transports J Goichot, avec une période d'observation jusqu'au 22 mars 2016, renouvelée jusqu'au 22 septembre 2016, et désigné Me Simon Laure mandataire judiciaire.

Par suite, le 25 avril 2016, Me Laure, ès qualités de mandataire judiciaire de la société Transports J Goichot, a assigné devant le Tribunal de commerce de Marseille la société Valgra Sud en responsabilité, au titre de la rupture brutale de leur relation commerciale établie sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Par jugement du 14 février 2017 du Tribunal de commerce de Toulon, la procédure de redressement judiciaire de la société Goichot a été convertie en liquidation judiciaire, Me Laure étant désigné liquidateur.

Par jugement du 29 mars 2017, le Tribunal de commerce de Marseille a :

- débouté la société Transports Goichot de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamné la société Transports J Goichot à payer à la société Valgra Sud la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;

- laissé à la charge de la société Transports J Goichot les dépens toutes taxes comprises ;

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.

Vu la déclaration d'appel du 3 mai 2017 de Me Laure, ès qualités de liquidateur de la société Transport J Goichot ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 27 juin 2017 par Maître Laure, mandataire liquidateur, ès qualités de liquidateur de la société Transports J Goichot, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

- reformer le jugement dont appel ;

- constater que la société Valgra Sud a rompu brutalement les relations commerciales entre les parties ;

- condamner la société Valgra Sud à payer à la société Transports J Goichot représentée par son liquidateur les sommes suivantes :

* 207 666 euros de dommages et intérêts (représentant 18 mois de préavis), au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie,

* 10 000 euros de dommages et intérêts,

* 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- la condamner aux entiers dépens en ceux compris le coût du timbre fiscal, lesquels pourront être recouvrés par Maître Nicolas Duval dans les formes de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions signifiées le 9 août 2017 par la société Valgra Sud, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

Vu les pièces versées aux débats,

- débouter purement et simplement Me Simon Laure agissant ès qualités de mandataire liquidateur de la société Transports J Goichot, des fins de son appel ;

- confirmer le jugement entrepris qui a débouté la société Transports J Goichot de toutes ses demandes, fins et conclusions et l'a condamnée à payer à la société Valgra Sud la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'article 700 du Code de procédure civile ;

A titre subsidiaire, et si, par impossible, il était fait droit aux prétentions de la partie appelante,

- ramener le montant de l'indemnité réclamée à une somme qui ne saurait être supérieure à 3 mois de préavis ;

- condamner, la partie appelante à la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, outre à celle de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles rendus nécessaires en cause d'appel, ainsi qu'en tous les dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût du timbre fiscal.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 30 novembre 2017.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS :

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...)

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, l'existence d'une relation commerciale établie au sens de ce texte entre les parties de 2012 à 2015 n'est pas contestée.

Or, il s'évince des pièces du dossier, ainsi que le soutient à bon droit et le démontre le liquidateur de Goichot, que cette relation a été rompue brutalement par Valgra en septembre 2015 (le dernier transport effectué datant du 4 septembre 2015, d'après les factures produites), la rupture se caractérisant par la cessation des ordres de transport à compter de cette date et la brutalité, par l'absence de préavis écrit, alors que cette dernière n'excipe aucunement d'une faute grave de son partenaire justifiant l'absence de préavis.

Par suite, c'est vainement que Valgra soutient qu'elle n'a jamais entendu mettre fin à ses relations commerciales avec Goichot, puisque de fait, elle y a mis un terme en arrêtant alors de lui confier l'acheminement de ses marchandises sans motif, ni explication (conformément aux chiffres retenus à juste titre par les premiers juges).

Par ailleurs, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire n'est pas une cause de suspension ou d'interruption ni des contrats, ni des relations commerciales en cours, ce qui n'est pas au demeurant contesté par Valgra.

De plus, même si le propre chiffre d'affaires de Valgra et le poste représenté par ses dépenses de transport ont certes accusé une évolution à la baisse entre 2012 et 2015, au surplus de façon non drastique, cela ne l'empêchait nullement d'octroyer un préavis à Goichot, ce, d'autant que la part de transport qu'elle confiait à celle-ci jusqu'à 2014 a connu une baisse moindre, donc non exactement corrélée à la baisse de sa propre activité de matériaux de construction.

Enfin, Goichot, compte tenu précisément du caractère " établi " du courant d'affaires, était en droit d'escompter une certaine pérennité de ce courant, de sorte qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir interrogé son partenaire sur la baisse, puis l'interruption des ordres de transports, laquelle interruption devait au contraire être notifiée par son auteur, Valgra.

S'agissant de la durée du préavis indûment manqué, il doit être fixé à 3 mois, eu égard aux circonstances de l'affaire et notamment de la durée de la relation (moins de 4 ans), du caractère fluide du secteur d'activité concerné (le transport routier), ainsi que de la baisse progressive du volume transporté au cours des 9 premiers mois de l'année 2015, ce, conformément à la proposition subsidiaire maximale formulée par Valgra.

Il est observé, d'ailleurs, que cette dernière ne conteste pas que le contrat-type relatif à la sous-traitance dans le domaine du transport routier est inapplicable à l'espèce, faute de sous-traitance, celle-ci faisant seulement valoir " à titre indicatif " (sic), que le préavis en résultant serait ici de 3 mois, ce qui est effectivement un élément de comparaison intéressant.

Enfin, le fait que Goichot - qui n'excipe pas pour autant d'une dépendance économique - ait effectué une part prépondérante de son chiffre d'affaires avec Valgra (selon elle de 50 % en 2013 et de près des 2/3 en 2014), ne saurait constituer un critère d'allongement de la durée du préavis, dès lors que ce transporteur sur qui pèse la charge de diversifier sa clientèle afin d'assurer la pérennité de son activité, n'établit - ni n'allègue - que cette situation lui aurait été imposée par Valgra.

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, il est admis que celui-ci peut être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

En l'espèce, le calcul de la marge brute (avec un taux de 67,25 %) manquée effectué par Goichot sur une période de 18 mois n'est pas contesté par Valgra ; par suite, la demande indemnitaire au titre de l'insuffisance du préavis sera accueillie à hauteur de (207 666 euros : 18 mois) x 3 mois = 34 611 euros, le jugement entrepris étant infirmé.

Goichot ne justifie d'aucun préjudice distinct imputable à Valgra, et notamment pas que les deux tracteurs vendus étaient dédiés à celle-ci et non réutilisables pour d'autres clients, et que celle-ci serait responsable de l'ouverture de la procédure collective à son encontre, les pièces versées étant insuffisantes à cet égard. Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Goichot de sa demande indemnitaire formée à hauteur de 10 000 euros.

Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de Valgra, qui, par équité, sera condamnée à payer la somme de 3 000 euros au liquidateur de Goichot, ès qualités, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a débouté Me Simon Laure, ès qualités, de sa demande de dommages intérêts pour préjudice distinct, Statuant de nouveau, Dit que la société Valgra Sud a rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties ; Condamne en conséquence la société Valgra Sud à payer à Me Laure, ès qualités de liquidateur de la société Transport J Goichot, la somme de 34.611 euros, à titre d'indemnité compensatrice de l'absence de préavis ; Condamne la société Valgra Sud à payer à Me Laure, ès qualités de liquidateur de la société Transport J Goichot, la somme de 3 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Valgra Sud aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Me Nicolas Duval, avocat, en application de l'article 699 du Code de procédure civile.