CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2018, n° 15-07391
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Direction Conseil Objectif (SAS)
Défendeur :
Jean Lain Automobiles (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Defontaine, Buffin, Domain, Cambet
FAITS ET PROCÉDURE
Le 25 janvier 2011, la société Jean Lain Automobile a souscrit auprès de la société DCO Eurodatacar qui commercialise des produits de tatouages automobiles, un contrat d'adhésion intitulé " Marquage systématique rachat de franchises " avec effet au 1er janvier 2011, d'une durée de trois ans reconductible automatiquement par période identique, sauf dénonciation, par lettre recommandée, au moins trois mois avant la date d'anniversaire de sa prise d'effet.
Par courrier du 15 juillet 2013, la société Jean Lain Automobile a notifié à la société DCO Eurodatacar son intention de ne pas renouveler le contrat à l'échéance du 31 décembre 2013.
Le délai de préavis était contesté par la société DCO Eurodatacar. Les parties n'ont pas trouvé d'accord sur la durée du préavis de la société DCO Eurodatacar au regard de l'ancienneté des relations commerciales, que cette dernière évalue à 22 années.
C'est dans ces conditions que par acte du 13 février 2014, la société DCO Eurodatacar a assigné la société Jean Lain Automobile devant le Tribunal de commerce de Lille-Métropole en paiement de la somme de 793 539 euros TTC en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies, outre intérêts au jour de l'assignation et d'une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement du 12 mars 2015, le Tribunal de commerce de Lille-Métropole a :
- débouté la société Jean Lain Automobile de ses demandes,
- condamné la société Jean Lain Automobile à payer à la société DCO Eurodatacar les sommes de :
* 28 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014,
* 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la société DCO Eurodatacar de ses demandes autres, contraire ou complémentaire,
- condamné la société Jean Lain Automobile aux dépens, taxé et liquidé à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de greffe,
La société DCO Eurodatacar a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 3 avril 2015.
La procédure devant la cour a été clôturée le 9 janvier 2018.
LA COUR
Vu les conclusions du 4 janvier 2018 par lesquelles la société DCO Eurodatacar demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :
- confirmer les dispositions du jugement du Tribunal de commerce de Lille condamnant la société Jean Lain Automobile sur le fondement de la rupture brutale et abusive des relations commerciales,
- infirmer les dispositions du Tribunal de commerce de Lille pour le surplus,
à titre principal,
statuant à nouveau,
- fixer la durée de préavis suffisant à une durée de 24 mois compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales,
- calculer le montant de l'indemnité de préavis en tenant compte de la marge brute réalisée au cours des trois exercices précédents la rupture des relations commerciales entre les parties,
- condamner la société Jean Lain Automobile à lui payer la somme de 499 611,56 euros à titre d'indemnité de rupture assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Lille,
- confirmer les dispositions du jugement de première instance pour le surplus,
à titre subsidiaire,
- condamner la société Jean Lain Automobile à lui payer la somme de 256 557,27 euros à titre d'indemnité de rupture assortie des intérêts au taux légal à compter de l'assignation devant le Tribunal de commerce de Lille,
en tout état de cause,
- condamner la société Jean Lain Automobile à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'au paiement des entiers et frais et dépens de première instance et d'appel ;
Elle fait notamment valoir que :
- les parties entretiennent une relation commerciale établie depuis 22 années, la relation d'affaires présente un caractère suivi, stable et habituel,
- les relations ne se sont pas interrompues entre 1995 et 1998, contrairement aux affirmations de la société Jean Lain Automobile
- dans le courrier du 14 février 2013, elle a fait part de sa volonté de pérenniser les relations commerciales avec la société Jean Lain Automobile qui lui a répondu étudier la proposition, et n'a pas émis le souhait de rompre le contrat,
- il s'agit de négociations en vue de l'adaptation tarifaire, conformes et habituelles dans le cadre de la vie d'un contrat,
- son préjudice se calcule en fonction de son taux de marge brut,
- le délai de préavis doit être fixé à 24 mois ;
Vu les conclusions du 21 décembre 2017 par lesquelles la société Jean Lain Automobile invite la cour, au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, L. 442-6 du Code de commerce, de :
- infirmer le jugement,
statuant à nouveau,
- dire irrecevable et mal fondée la demande de la société DCO Eurodatacar contre elle,
- dire que la résiliation du contrat par elle est intervenue de façon régulière dans le cadre contractuel,
- dire que la société DCO Eurodatacar ne rapporte pas la preuve de la rupture brutale et fautive des relations commerciales,
à titre subsidiaire,
- dire que la société DCO Eurodatacar ne démontre pas la réalité du préjudice qu'elle allègue,
en conséquence,
- débouter la société DCO Eurodatacar de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société DCO Eurodatacar à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la société DCO Eurodatacar à lui payer la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, et la condamner enfin en tous les dépens de première instance et d'appel, ces derniers dont distraction au profit de Maître Virginie Domain, avocat, par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Elle explique notamment que :
- la rupture des relations commerciales étant intervenue dans le délai contractuellement fixé, elle n'a commis aucune rupture fautive et abusive, en ce que conformément aux dispositions du contrat, elle avait le droit de mettre fin au contrat à l'issue de la première période de trois ans, soit le 31 décembre 2013, sous réserve de respecter le préavis fixé, ce qu'elle a fait,
- la rupture à cette date était contractuellement prévue et ne peut donc être qualifiée de brusque et soudaine, ce d'autant que depuis le mois de février 2013, les parties négociaient sur les conditions économiques d'un nouveau contrat,
- la société DCO Eurodatacar ne peut donc valablement invoquer les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce,
- la société DCO Eurodatacar ne démontre pas l'existence d'une brusque rupture fautive justifiant l'application des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code du commerce, le délai laissé par elle étant raisonnable et suffisant compte tenu des circonstances dans lesquelles la rupture est intervenue et des relations entre les parties,
- les relations commerciales entre les parties ne sont pas établies de façon stable depuis 22 ans mais seulement depuis 15 ans,
- dès le 14 février 2013, soit neuf mois et demi avant l'expiration du contrat, la société DCO Eurodatacar avait elle-même manifesté son intention de rupture du contrat aux conditions antérieures et son souhait d'imposer une modification substantielle concernant le tarif avec effet rétroactif au 1er janvier 2013,
- elle n'avait aucune obligation d'accepter une modification substantielle des conditions tarifaires ni de renouveler le contrat,
- la société DCO Eurodatacar avait elle-même manifesté son intention de rupture du contrat aux conditions antérieures et son souhait d'imposer une modification substantielle concernant le tarif avec effet rétroactif au 1er janvier 2013,
- le point de départ du préavis se situe au moment où le partenaire commercial a pu savoir que la relation commerciale allait être rompue,
- la société DCO Eurodatacar n'est pas en état de dépendance économique à son égard, la part du chiffre d'affaires réalisé avec elle par la première représentant 1,7 % de son chiffre d'affaires global,
subsidiairement,
- la société DCO Eurodatacar ne démontre pas que le préavis exécuté par elle lui a causé un préjudice justifiant l'indemnité sollicitée,
- pour déterminer l'éventuel préjudice subi par la société DCO Eurodatacar il convient de prendre en compte le coût des prestations et de déduire les sommes versées au titre des remboursements de franchise prévues au contrat,
- la société DCO Eurodatacar avait manqué à ses obligations contractuelles, ce qu'elle lui a rappelé par courrier du 7 novembre 2013, ces manquements répétés ayant altéré sa réputation et sa crédibilité auprès de ses clients envers lesquels elle s'était engagée sur les prestations qui devaient leur être fournies par la société DCO Eurodatacar lui causant ainsi un préjudice important dont elle est bien fondée à solliciter réparation ;
Sur ce
LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur le fondement de la demande et le droit applicable
La société DCO Eurodatacar fonde sa demande sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. La société Jean Lain Automobile conteste l'application de ce texte, au motif qu'elle a respecté les modalités contractuelles de non-renouvellement du contrat et le délai de préavis.
Si aucune faute contractuelle ne peut lui être imputée du fait de la rupture, celle-ci peut néanmoins être brutale au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Dès lors, la société DCO Eurodatacar peut former une demande sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce à l'encontre de la société Jean Lain Automobile à la supposer bien fondée.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société DCO Eurodatacar soutient être victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies imputable à la société Jean Lain Automobile notifiée par courrier du 15 juillet 2013 à effet au 31 décembre 2013, au regard de l'insuffisance de préavis compte-tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, soit 22 années.
La société Jean Lain Automobile conteste être l'auteur de la rupture en expliquant que le courriel du 14 février 2013, envoyé par la société DCO Eurodatacar constitue le point de départ du délai de préavis, celle-ci lui soumettant alors des conditions financières nouvelles qu'elle ne pouvait accepter. Elle explique que la société DCO Eurodatacar était nécessairement consciente qu'elle pouvait ne pas accepter les nouvelles conditions.
Les parties s'opposent sur l'imputabilité de la rupture, sur la durée des relations commerciales établies, la durée du préavis et le préjudice subi.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Le courriel du 14 février 2013 envoyé par la société DCO Eurodatacar à la société Jean Lain Automobile est rédigé comme suit :
" Je vous confirme que votre trend d'activité est arrivé en 2012 à maturité, nous avons aujourd'hui au-delà des projections statistiques un réel recul offrant une parfaite visibilité.
Nous gérons en moyenne pour le compte du Groupe Lain, 150 indemnisations par mois pour un montant annuel de 450 000 euros ; montant auquel il faut encore ajouter 680 000 euros de sinistralité latente (effet mécanique des contrats de 3 ans).
Vos conditions d'achat actuelles ne permettent pas la reconduction du contrat au- delà de notre engagement.
Nous vous proposons toutefois de pérenniser notre partenariat dans les conditions suivantes :
Modification du tarif : 80 euros (garanti sur 36 mois) au lieu de 62 euros ;
Date d'effet : le 1 janvier 2013 ;
Durée du contrat : 36 mois soit une prolongation de 2 ans (...) ".
La société DCO Eurodatacar fait clairement savoir à la société Jean Lain Automobile que le contrat dans les conditions actuelles ne pouvait perdurer et même aller jusqu'à son terme initial, le 31 décembre 2013, en ce qu'elle soumet une nouvelle tarification à effet rétroactif au 1er janvier 2013 et qu'elle propose de modifier le contrat en cours pour faire courir le nouveau contrat de 3 années à compter du 1er janvier 2013. La société DCO Eurodatacar manifeste sans ambiguïté qu'elle n'entend pas poursuivre le contrat en cours dans les conditions actuelles et propose à la société Jean Lain Automobile d'ouvrir des négociations sur les conditions du nouveau contrat.
L'ouverture de négociations implique nécessairement que les parties n'ont aucune garantie quant à la poursuite des relations commerciales et quant à la signature d'un nouveau contrat après accord entre elles sur les nouvelles conditions financières, que la société Jean Lain Automobile considère comme étant substantielles.
C'est donc par courriel du 14 février 2013 que la société DCO Eurodatacar a signifié à la société Jean Lain Automobile d'une part le non-renouvellement du contrat en cours jusqu'au 31 décembre 2011 et d'autre part l'ouverture de négociations commerciales.
Au surplus, les échanges ultérieurs entre les parties confirment l'ouverture de ces négociations et démontrent les intentions respectives de chacune d'elles dans le cadre de ces négociations, dont il apparaît sans ambiguïté que la société Jean Lain Automobile n'a pas accepté les propositions de la société DCO Eurodatacar bien au contraire, en annonçant systématiquement réfléchir aux propositions qui lui sont apportées et qu'elle ne s'est pas engagée à poursuivre des relations contractuelles pérennes.
Dès lors, le courrier du 15 juillet 2013 envoyé par la société Jean Lain Automobile à la société DCO Eurodatacar que cette dernière qualifie de lettre de rupture, constitue en réalité le courrier par lequel la société Jean Lain Automobile signifie à son interlocuteur que les négociations relatives à un nouveau contrat tel que sollicité n'ont pas abouti suite à la rupture initiale du contrat par celui-ci le 14 février précédent.
En conséquence, l'auteur de la rupture des relations commerciales entre les parties est la société DCO Eurodatacar. Elle n'est donc pas bien fondée à formuler des demandes de réparation de son préjudice à la société Jean Lain Automobile. La société DCO Eurodatacar doit être déboutée de l'ensemble de ses demandes.
Ainsi, il y a lieu d'infirmer le jugement sur ce point, en ce qu'il a condamné la société Jean Lain Automobile à payer à la société DCO Eurodatacar la somme de 28 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts
La société Jean Lain Automobile soutient que la société DCO Eurodatacar n'a pas respecté ses obligations contractuelles à la fin de l'exécution du contrat et qu'elle a subi de ce fait une altération de sa réputation et de sa crédibilité.
La société DCO Eurodatacar conteste les faits qui lui sont reprochés.
Le seul courrier du 7 novembre 2013 adressé par la société Jean Lain Automobile à la société DCO Eurodatacar ne peut caractériser la faute de cette dernière et encore moins le préjudice invoqué par la société Jean Lain Automobile.
Il y a donc lieu de débouter la société Jean Lain Automobile de sa demande de ce chef.
Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Sur les dépens et application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement déféré sur le sort des dépens et des frais irrépétibles.
La société DCO Eurodatacar partie perdante en ce que toutes ses prétentions sont rejetées, doit être condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Jean Lain Automobile les sommes de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et de 5 000 euros au titre de ceux d'appel, par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il y a lieu de rejeter la demande formulée par la société DCO Eurodatacar au titre des frais irrépétibles.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement sauf en ce qu'il a : - condamné la société Jean Lain Automobile à payer à la société DCO Eurodatacar les sommes de * 28 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 13 février 2014, * 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, - condamné la société Jean Lain Automobile aux dépens, taxé et liquidé à la somme de 81,12 euros en ce qui concerne les frais de greffe ; L'infirmant sur ces points, Statuant à nouveau, Déboute la société DCO Eurodatacar de l'ensemble de ses demandes ; Condamne la société DCO Eurodatacar aux dépens de première instance ainsi qu'à payer à la société Jean Lain Automobile aux sommes de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ; Y ajoutant, Condamne la société DCO Eurodatacar aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Jean Lain Automobile la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.