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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2018, n° 15-05324

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

LEM Equipement (SAS)

Défendeur :

Bomag France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Regnier, Guillin, Boccon Gibod, Delesalle

T. com. Paris, du 26 janv. 2015

26 janvier 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société LEM Équipement ci-après la société LEM distribue des matériels de travaux publics sur les départements de l'ouest de la France. Depuis sa création en 1982, elle est concessionnaire des matériels Liebherr.

La société Bomag France ci-après la société Bomag commercialise en France des machines pour le compactage des sols, des enrobés et des déchets, des stabilisateurs recycleurs ainsi que des fraiseuses à froid et des finisseurs.

A compter de l'année 1995, la société LEM s'est également approvisionnée en un certain type de matériels auprès de la société Bomag. Progressivement, le secteur géographique mais aussi le type de prestations confiées à la société LEM par la société Bomag se sont étendus.

La société Bomag a décidé d'assurer la distribution directe de ses produits dans les régions de l'ouest et du sud-ouest, et a informé le 2 avril 2012 la société LEM de la fin de leurs relations contractuelles en lui accordant un préavis de neuf mois.

Suite au désaccord de la société LEM sur la durée du préavis, la société Bomag a finalement porté le préavis à 12 mois dans son courrier du 6 août 2012.

Par acte du 3 octobre 2013, estimant que la durée du préavis de 12 mois accordé pour la résiliation du contrat était insuffisante, la société LEM a assigné la société Bomag en rupture brutale des relations commerciales établies devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement du 26 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société LEM Équipement à payer à la société Bomag France la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la société LEM Équipement aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

La société LEM a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 10 mars 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 9 janvier 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 1er décembre 2017 par lesquelles, la société LEM appelante, invite la cour, à :

- infirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris,

- dire que la société Bomag France a rompu sans préavis suffisant et effectif sa relation commerciale avec elle,

- condamner la société Bomag France à lui payer à titre de dommages et intérêts les sommes de :

* 425 452 euros en contrepartie de l'absence de préavis suffisant,

* 48 355 euros en contrepartie de l'absence de préavis effectif sur le premier trimestre 2013,

- condamner à la société Bomag France au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Bomag France en tous les dépens ;

Elle fait notamment valoir que :

- la relation commerciale nouée avec la société Bomag a débuté en 1995, caractérisant une durée de presque 18 ans au mois d'avril 2012, date à la laquelle la société Bomag a notifié sa décision d'y mettre un terme,

- sa relation commerciale avec la société Bomag a toujours été continue, stable et établie depuis 1995,

- un préavis de 21 mois aurait dû être respecté eu égard à l'ancienneté de la relation et aux circonstances de l'espèce,

- la part des machines neuves et pièces de rechange Bomag représentait 17,5 % de ses achats globaux de matériels neuf et pièces de rechange sur l'exercice 2011-2012,

- nonobstant l'absence d'un engagement formel d'exclusivité à l'égard de la société Bomag elle n'avait pas la possibilité réelle de distribuer des matériels concurrents des gammes de compacteurs Bomag,

- ses autres fournisseurs exigent tous de sa part en qualité de distributeur un engagement de non-concurrence,

- si la distribution des gammes de produits Liebherr constitue son activité principale, les produits commercialisés par la société Bomag leur sont toutefois complémentaires,

- pour distribuer les produits Bomag aux sociétés de location implantées sur son secteur d'activité à partir de l'année 2009, elle a dû renforcer les moyens techniques et commerciaux mis en œuvre, ayant dû pourvoir au recrutement d'un responsable commercial,

- sur le marché des compacteurs, un nombre très limité de solutions de substitution aux produits Bomag pouvait s'offrir à elle, eu égard à sa qualité de concessionnaire de la société Liebherr

- ce n'est qu'au mois d'octobre 2013, soit six mois après l'expiration du préavis de rupture, qu'elle a trouvé un fournisseur de substitution aux produits Bomag et qu'elle est entrée en relation commerciale avec la société Wirtgen France distributeur des compacteurs Hamm pour la France,

- les 3 derniers mois de préavis n'ont pas été effectifs, en ce que dès le mois de janvier 2013, la société Bomag a prospecté directement la clientèle du secteur dont elle avait en principe la responsabilité jusqu'au 31 mars 2013 ;

Vu les conclusions du 22 décembre 2017 par lesquelles la société Bomag intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

à titre principal,

- confirmer le jugement déféré et partant de :

* dire que le préavis de 12 mois accordé par elle à la société LEM Équipement est raisonnable compte tenu de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances de l'espèce au moment de la notification de la rupture,

* dire qu'elle n'a commis aucune faute dans l'exécution de ce préavis de 12 mois,

* dire qu'elle n'a commis aucune faute au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

en conséquence,

- débouter la société LEM Équipement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

à titre subsidiaire,

- dire que la société LEM Équipement ne rapporte pas la preuve d'une relation commerciale établie depuis 1995 avec elle,

- dire que le préavis complémentaire de 9 mois réclamé par la société LEM Équipement est en tout état de cause disproportionné eu égard aux circonstances de l'espèce, à la jurisprudence rendue sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et au fait qu'elle a accordé un préavis effectif de 12 mois à LEM Équipement,

- constater et dire que la société LEM Équipement ne rapporte pas la preuve du préjudice qu'elle invoque,

en conséquence,

- débouter la société LEM Équipement de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et confirmer le jugement déféré,

en tout état de cause,

- condamner la société LEM Équipement à lui payer une somme complémentaire de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société LEM Équipement aux entiers frais et dépens et admettre la SELARL Lexavoué Paris-Versailles au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Elle explique notamment que :

- à la date de notification de la rupture, la relation commerciale entre les deux sociétés durait tout plus depuis 16 ans et onze mois et demi, la relation commerciale entre les parties ayant ainsi duré 17 ans,

- le délai de préavis de 12 mois accordé à la société LEM est suffisant, au regard de l'ancienneté des relations entre les deux sociétés et des circonstances de l'espèce,

- l'activité de la société LEM est principalement axée sur la relation commerciale nouée avec la société Liebherr

- la relation établie entre les deux sociétés présentait un caractère limité et secondaire pour la société LEM

- elle conteste que la commercialisation des produits Bomag par la société LEM ait pu représenter 17,15 % de son chiffre d'affaires, estimant que la pièce n° 40 produite par la société LEM pour justifier ce pourcentage est imprécise et injustifiée,

- en tout état de cause, au regard du caractère limité et minoritaire de la part du chiffre d'affaires réalisé par la société LEM avec ses produits, de l'existence sur le marché des compacteurs, de plusieurs constructeurs de produits équivalents, et de l'absence d'engagement d'exclusivité de la société LEM à son égard, le délai de préavis de 12 mois qu'elle a accordé à la société LEM est suffisant,

- elle n'a jamais exigé de la part de la société LEM qu'elle réalise des investissements spécifiques, contestant la réalisation par la société LEM de tels investissements,

- à la lecture du contrat de travail, il est expressément mentionné que la personne recrutée ne s'occupe pas spécifiquement de ses produits,

- l'inertie et/ou le retard pris par la société LEM pour trouver un nouveau fournisseur de substitution en remplacement de ses produits ne peut lui être reproché et ne justifie aucunement un allongement du préavis de 12 mois,

- le préavis accordé a été effectif, la société LEM n'apportant par la preuve qu'elle effectuait une démarche commerciale fautive ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales :

La société LEM soutient que ses relations commerciales avec la société Bomag ont cessé le 31 mars 2013, après avoir débuté au mois d'avril 1995. Elle excipe que le préavis qui lui a été accordé de 12 mois n'est pas suffisant au regard de la part de chiffre d'affaires de la société Bomag sur son activité totale, soit 17,5 %. Elle relève qu'elle n'avait pas de possibilité réelle de distribuer des matériels concurrents des gammes de compacteurs Bomag, les solutions de substitution aux compacteurs Bomag étant limitées. Elle souligne également qu'elle a engagé des investissements suite à la demande de la société Bomag de prendre en charge la location de ses compacteurs.

La société Bomag explique que le préavis de 12 mois accordé après 17 ans de relations commerciales établies est suffisant, les premiers contacts étant ponctuels et limités. Elle relève également que l'activité principale de la société LEM concerne les produits Liebherr, l'activité de cette dernière avec elle n'étant que limitée et secondaire, cette part s'élevant à 15 % du chiffre d'affaires de l'appelante, tel que soutenu en première instance. Elle indique qu'il existe suffisamment de fournisseurs de compacteurs en France permettant ainsi à la société LEM de distribuer des produits concurrents au sien à l'expiration du préavis. Elle précise que la société LEM n'était juridiquement tenue vis-à-vis d'elle par aucune clause de non-concurrence contractuelle ou post-contractuelle, ni aucune clause d'exclusivité et/ou quotas minimums d'achat. Elle conteste la réalité des moyens techniques et commerciaux mis en place par la société LEM en 2009.

Les parties s'accordent sur le caractère établi de leurs relations commerciales et sur la durée du préavis accordé par la société Bomag à la société LEM soit 12 mois. Elles s'opposent en revanche sur la durée de leurs relations commerciales, sur la brutalité de la rupture et sur le caractère suffisant du délai de 12 mois ainsi que sur le préjudice subi.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Sur la durée de la relation commerciale établie entre les parties

Il est constant que les relations commerciales entre les parties ont débuté au mois d'avril 1995. Ainsi, le 2 avril 2012, date à laquelle la société LEM a été avertie de la rupture des relations commerciales avec la société Bomag la durée des relations commerciales établies entre les parties était de 17 ans.

Sur la brutalité de la rupture

Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.

Compte tenu de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, les chiffres afférents aux seules premières années ne peuvent être isolés du flux d'affaires sur toute la période temporelle. L'ensemble du flux d'affaires sur toute la durée de la relation commerciale doit être pris en compte.

Les parties s'opposent sur le volume d'affaires entre elles. La société LEM fait état de chiffres donnés en pièce 40 nouvelle uniquement pour l'exercice 2011/2012. Ces chiffres sont corroborés par la pièce 22, correspondant à une attestation comptable de son commissaire aux comptes, hormis le chiffre de 461 895 euros, contesté et non repris dans la pièce n° 22 exhaustive.

Il ressort de cette pièce n° 22, dont le contenu n'est pas contesté par la société Bomag que le chiffre d'affaires global de la société LEM est de 17 471 571 euros sur l'exercice 2009/2010, de 22 950 265 euros sur l'exercice 2010/2011, de 25 647 340 euros sur l'exercice 2011/2012, et que le volume d'affaires avec la société Bomag correspondant à la vente de pièces Bomag et de matériels neufs ou d'occasion, s'élève sur les mêmes périodes aux sommes de 2 037 892 euros, de 3 720 430 euros et de 3 947 820 euros. Ces chiffres, qu'il y a lieu de retenir, correspondent à un pourcentage de près de 15 % du chiffres d'affaires total de la société LEM ce que retient la société Bomag dans ses conclusions.

Les parties sont également en désaccord sur la substituabilité des compacteurs de la société Bomag à des compacteurs d'autres marques. Si certains concurrents directs de la société Liebherr commercialisent des compacteurs auxquels la société LEM ne peut faire appel, en raison des clauses de non-concurrence de l'ensemble de ces sociétés et de son lien avec la société Liebherr la liste de constructeurs de compacteurs de terrassement produite par la société Bomag en pièce n° 15, dont la valeur probante et le contenu ne sont pas contestés par la société LEM démontre que d'autres sociétés, dont il n'est pas établi qu'elles sont des concurrentes directes de la société Liebherr commercialisent des compacteurs de terrassement et pouvaient être le nouveau fournisseur de la société LEM. En effet, elle ne justifie pas de l'impossibilité de ces autres sociétés de lui fournir le matériel de remplacement aux équipements Bomag qu'elle commercialisait. Dès lors, la spécificité du marché et l'absence de solution de substitution de la société LEM aux produits de la société Bomag ne sont pas établies.

Enfin, la société LEM soutient avoir engagé des investissements sur demande de la société Bomag en 2009, de lui confier le secteur de la location de ses équipements, et notamment l'embauche d'un nouveau salarié, ce que conteste cette dernière. Toutefois, il convient de relever que ce nouvel embauché au 1er septembre 2009 avait notamment pour mission de représenter tous les produits des gammes Bomag et Takeuchi et qu'il est précisé dans ce contrat que les contrats de distribution dont il est question sont précaires. La société LEM ne démontre pas avoir engagé, suite à cette nouvelle mission, des investissements particuliers, ce commercial ayant pour fonction de s'occuper également d'un autre fournisseur. Ce moyen est donc inopérant.

Dès lors, eu égard à l'ensemble de ces éléments et du temps nécessaire pour que la société LEM puisse se ré-organiser et re-déployer son activité, il apparaît que le délai de préavis nécessaire était de 12 mois.

Dans ces conditions, le délai accordé par la société Bomag à la société LEM est suffisant.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement, en ce qu'il a dit que le préavis accordé était suffisant.

Sur l'effectivité du préavis accordé

La société LEM explique que la société Bomag n'a pas respecté les 3 derniers mois de préavis, pour avoir prospecté ses clients avant la fin du préavis, n'ayant commandé que pour 830 000 euros au 1er trimestre 2013, ce que conteste cette dernière.

Les deux courriels invoqués par la société LEM ne font pas état de commandes prises avant la fin de préavis ni de démarchage auprès de clients de la société LEM Il ressort de ces pièces que les personnels de la société Bomag ne font état que de la date du 1er mai 2013, soit postérieurement à la fin des relations commerciales, à compter de laquelle ils informent les clients de ce qu'ils reprennent directement la distribution de ses produits.

La baisse alléguée des commandes ne peut caractériser la violation du préavis par la société Bomag en ce que les commandes étaient passées par la société LEM auprès d'elle, suite aux demandes des propres clients de la société LEM. Or, la société LEM ne justifie pas que les commandes auraient baissé en raison de prospections, par ailleurs non établies, de la société Bomag.

A défaut de prouver que la société Bomag aurait refusé d'honorer des commandes passées par la société LEM pendant le préavis, il n'est pas établi que le préavis de la société LEM n'a pas été effectif.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société LEM de sa demande d'indemnisation pour rupture brutale et pour absence d'effectivité du préavis.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société LEM partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Bomag la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société LEM.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant, Condamne la société LEM aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer à la société Bomag la somme supplémentaire de 15 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.