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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 février 2018, n° 15-05499

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Cabinet d'Expertise Gossart (Sasu)

Défendeur :

Macif

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Regnier, Guillin, Ribaut, Ducroux Soubry

T. com. Paris, du 26 janv. 2015

26 janvier 2015

Faits et procédure

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 26 janvier 2015 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :

- débouté la Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (Macif) de sa demande relative à la compétence du tribunal, celle-ci ayant déjà été rejetée par un jugement précédent du 8 juillet 2013,

- débouté la société Cabinet d'expertise Gossart de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la Macif de ses demandes reconventionnelles,

- condamné la société Cabinet d'expertise Gossart aux dépens et à payer à la Macif la somme de 5 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé par la société Cabinet d'expertise Gossart et ses dernières conclusions notifiées le 1er décembre 2017 par lesquelles elle demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes,

- dire que la Macif a rompu sans préavis suffisant la relation commerciale poursuivie avec elle, par lettre du 1er décembre 2009 à effet au 31 décembre 2010,

- condamner la Macif à lui payer, à titre de dommages-intérêts, les sommes de 218 208 €, 89 304 € et 112 676 €,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la Macif de l'intégralité de ses demandes reconventionnelles,

- condamner la Macif à lui payer la somme de 10 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2017 par la Macif qui demande à la cour, au visa des articles L. 322-26-1 et suivants du Code des assurances, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la durée du préavis - 24 mois - était suffisante au regard des échanges précédant la lettre de rupture du mois de décembre 2009, et en ce qu'il a débouté de leurs demandes " le Cabinet Gossart, la SARL Gossart et Pascale Gossart ",

- réformer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes reconventionnelles et, statuant à nouveau, condamner in solidum la société Cabinet d'expertise Gossart et M. Gossart à lui payer, au titre des surcoûts par elle subis, les sommes de 76 756,12 € et 16 609,42 €,

- les condamner in solidum à lui payer la somme de 10 000 €, à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive et celle de 15 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les condamner in solidum aux dépens de première instance et d'appel ;

SUR CE

La Macif entretenait des relations commerciales avec la société Cabinet d'expertise Gossart à laquelle elle confiait des missions d'expertise de véhicules automobiles.

Le 15 mars 2008, elle lui a adressé une convocation pour le 27 mars suivant afin d'évoquer les résultats de son cabinet pour la période des quatre premiers mois de l'année 2008. Dans le compte rendu d'entretien envoyé le 2 juin 2008, elle lui a demandé d'améliorer ses résultats sous peine de voir mettre en place l'article 2 du protocole signé entre elle et l'Amicale des experts.

Le 24 juin 2008, la Macif a, de nouveau, convoqué la société Cabinet d'expertise Gossart à une réunion le 4 juillet suivant.

Par lettre du 20 octobre 2008, se référant à la mise en place le 4 juillet dernier d'une période d'observation pour permettre à la société Cabinet d'expertise Gossart d'améliorer ses résultats afin que ceux-ci reviennent au niveau des moyennes régionales, la Macif a convoqué cette société pour un entretien fixé au 6 novembre 2008 afin de faire le bilan et d'en tirer les conséquences. Le 18 novembre 2008, elle lui a signifié qu'elle n'était toujours pas satisfaite de ses résultats et a retiré la commune de Joinville de son secteur.

Au cours de l'année 2009, la société Cabinet d'expertise Gossart a été convoquée à plusieurs reprises par la Macif, toujours insatisfaite de ses résultats, pour des entretiens qui ont eu lieu les 17 février 2009, 12 mai 2009 et le 8 octobre 2009.

Puis le 1er décembre 2009, la Macif a envoyé à la société Cabinet d'expertise Gossart une lettre ainsi libellée :

" Je fais suite à notre rencontre de ce jour et vous confirme, par la présente, la volonté de la Macif Ile-de-France de cesser sa collaboration avec votre Cabinet d'expertise. Compte tenu de la durée passée de cette collaboration, le préavis est fixé à 12 mois à compter de ce jour, soit jusqu'au 1er décembre 2010, date à laquelle cesseront définitivement nos relations ".

C'est dans ces circonstances que le 7 novembre 2012, la société Cabinet d'expertise Gossart a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une demande de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Par le jugement déféré, le tribunal l'a déboutée de ses demandes en retenant qu'au vu des échanges intervenus et au plus tard à compter du 18 novembre 2008, celle-ci " ne pouvait légitiment plus croire à la pérennité de ses relations avec la Macif et, en conséquence, considérer que sa relation avec cette dernière était devenue précaire ", ajoutant qu'un délai de 24 mois s'était écoulé entre cette date et le 1er décembre 2010 et que ce préavis ne permettait pas de considérer la rupture comme brutale. Par ailleurs, le tribunal a débouté la Macif de ses demandes reconventionnelles.

Sur les demandes de la société Cabinet d'expertise Gossart

La société Cabinet d'expertise Gossart, appelante, fonde ses prétentions sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et soutient que la Macif aurait dû respecter un préavis de 24 mois avant de rompre leurs relations. Elle expose en ce sens que :

- leurs relations remontaient à 1982, soit 28 ans en décembre 2010,

- sur les trois dernières années ayant précédé la notification de la rupture, elle réalisait plus de 55 % de son chiffre d'affaires avec la Macif et se trouvait donc dans une relation de dépendance économique à son égard,

- cet état ne résulte pas d'un choix stratégique de sa part mais du fait que le marché de l'expertise collision est très concentré en raison de la mise en place par les compagnies d'assurance de groupements de moyens gérant leurs réseaux d'experts et de réparateurs agréés,

- le marché est dominé par 7 acteurs, les deux principaux regroupant plusieurs mutuelles au sein de sociétés de groupe d'assurance mutuelle, la Macif, la Maif et la Matmut étant regroupées au sein de la Sefren,

- elle effectuait des missions d'expertise non seulement pour la Macif (51 %) mais aussi pour la Maif (17 %), Axa (27 % ) et d'autres mandataires (5%),

- elle n'a pu diversifier davantage son activité dans la mesure où chaque assureur et/ou groupement de mutuelles disposait déjà de son propre réseau d'experts,

- la rupture de ses relations avec la Macif l'a contrainte à céder son portefeuille Maif, le regroupement, au sein de la Sefren, de la Maif avec la Macif, qui voulaient constituer à terme un réseau commun d'experts et de réparateurs agréés, rendant impossible la poursuite de ses relations avec la Maif,

- la perte de la Macif et de la Maif l'a contrainte à renoncer aux missions d'expertise collision pour Axa afin de développer une activité nouvelle d'expertise responsabilité civile.

L'appelante conteste le raisonnement du tribunal sur la précarité des relations et souligne qu'à aucun moment, avant le 1er décembre 2009, la Macif n'a manifesté l'intention de rompre la relation commerciale.

Elle ajoute que :

- la Macif a elle-même fixé le point de départ du préavis à la date du 1er décembre 2009,

- elle n'a pas rompu leur relation commerciale pour faute,

- les griefs qu'elle a formulés à son encontre avant la rupture ne sont pas justifiés.

La Macif réplique que :

- en 1982, elle n'avait de relation qu'avec M. Thouviot,

- elle est une mutuelle dont les clients ne peuvent être cédés, seuls les dossiers l'étant, et elle conclut des relations " intuitu personae " avec des experts-personnes physiques,

- c'est seulement à compter de 1997 que M. Gossart s'est associé à M. Thouviot et qu'il est devenu l'interlocuteur de la Macif, la rupture est intervenue le 1er décembre 2009 et leurs relations n'ont duré que 12 ans,

- il n'existait pas de dépendance économique, le Cabinet Gossart pouvant diversifier sa clientèle et devant assumer ses choix stratégiques,

- les deux mutuelles Macif et Maif n'ont pas développé de réseaux d'experts malgré les annonces faites en début de création de leur groupement,

- le préavis d'un an accordé était suffisant, d'autant qu'il s'avère que M. Gossart a bénéficié en fait de deux ans au cours desquels elle a attendu des améliorations et a pris patience,

- la teneur des échanges en 2008 et 2009 montre que M. Gossart ne pouvait penser que leurs relations seraient pérennes et il ne peut être sérieusement prétendu que la rupture a été brutale.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose : " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant ou industriel ou personne immatriculée au registre des métiers... de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis, déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels... ".

Il en ressort que le préavis doit être donné par écrit. En l'espèce, si au cours des années 2008 et 2009 la Macif a demandé à la société Cabinet d'expertise Gossart d'améliorer ses résultats et si elle lui a retiré la commune de Joinville de son secteur le 18 novembre 2008, à aucun moment avant le 1er décembre 2009, elle ne lui a notifié par écrit un préavis, ni signifié son intention de rompre en raison de son insatisfaction sur les résultats. Il convient, en cet état, de rechercher si le préavis de 12 mois accordé par la Macif le 1er décembre 2009 était suffisant.

Il apparaît des pièces versées aux débats par l'appelante :

- que le 22 avril 1982, M. Thouviot a cédé son portefeuille d'expertises automobiles exploité dans la région parisienne, incluant la Macif, à la société Cabinet M. Thouviot, dont la dénomination est devenue ultérieurement Thouviot-Gossart, puis Cabinet d'expertise Gossart, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Meaux,

- que la société également dénommée Cabinet d'expertise Gossart (initialement Cabinet Pascal Gossart), constituée en 1998 et immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Compiègne, a acquis la totalité des actions de la société Cabinet M. Thouviot avant de l'absorber en 2003 en bénéficiant de la transmission universelle de son patrimoine.

Il en résulte que les relations existant avec la Macif en 1982 ont perduré, au travers des sociétés qui se sont succédées, indépendamment de leurs associés, et qui ont continué à traiter des dossiers d'expertise confiés par cette mutuelle jusqu'en décembre 2009, date à laquelle est intervenue la rupture à effet au 1er décembre 2010. Les arguments et moyens contraires opposés par l'intimée doivent donc être écartés.

En dépit de ce qu'elle affirme, la société Cabinet d'expertise Gossart ne se trouvait pas dans une situation de dépendance économique. En effet, elle pouvait diversifier sa clientèle auprès d'autres assureurs. A cet égard, M. Chaillié, directeur général de la Sferen, atteste que le réseau d'experts automobile Sferen est indépendant de celui de la Macif qui conserve le pilotage de son propre réseau d'experts et que, structurellement, le réseau d'experts automobile Sferen réparation résulte de l'agrégation des réseaux en cours de la Maif et de la Matmut en mars 2014 sans que soit prise en compte l'intégration ou non du réseau de la Macif. Dès lors, l'appelante est mal fondée à soutenir que la rupture de ses relations avec la Macif l'aurait contrainte à rompre celles entretenues avec la Maif.

Au regard de l'ancienneté des relations et du temps nécessaire à la société Cabinet d'expertise Gossart pour redéployer son activité et pouvoir affecter ses salariés à la gestion d'autres dossiers que ceux de la Macif, le préavis aurait dû être de 18 mois et non de 12 mois comme accordé par la Macif.

La société Cabinet d'expert Gossart demande les sommes de 218 208 € pour perte de marge brute pendant un an, 83 904 € pour surcoûts correspondants à la rémunération des salariés antérieurement affectés à l'exécution des missions confiées par la Macif et 112 676 € correspondant à la perte de valeur de son cabinet liée au portefeuille d'expertises de la Macif.

La Macif conteste ces demandes en objectant contre la première :

- que le chiffre d'affaires réalisé par l'appelante avec elle a baissé de 10 % entre 2009 et 2010, alors que son chiffre d'affaires global continuait à croître, ce qui démontre que le cabinet d'expertise s'était diversifié comme il le devait,

- que sa marge brute était en baisse constante, passant sous la barre de 200 000 € pour être de 196 097 € en 2009 et 159 165 € en 2010 et qu'elle n'aurait pu remonter à 218 208 € supposant la réalisation d'un chiffre d'affaires avec elle en augmentation de 37 %,

- que l'appelante explique elle-même qu'à compter de 2009, différents facteurs tels l'entrée en service de radars et l'augmentation des prix des carburants ont provoqué une baisse de la circulation et donc de la sinistralité et que la Macif ne peut être condamnée à compenser la diminution de chiffre d'affaires qui en est résultée,

- qu'à supposer le préjudice avéré, il ne pourrait être supérieur à 110 000 €.

L'expert-comptable de l'appelante indique que la marge brute moyenne calculée à partir des chiffres d'affaires réalisés avec la Macif au cours des années 2007, 2008, 2009 et 2010 est de 218 208 €.

S'il est constant que ces chiffres d'affaires et les marges en découlant sont marqués par une baisse en 2009 et 2010, l'appelante l'explique aussi pour partie par la baisse du volume des missions qui lui ont été confiées à la suite du retrait de la commune de Joinville en novembre 2008 et de certains assurés sur le Val de Marne en mai 2009, sans compensation suffisante. Au regard de l'ensemble de ces éléments, la perte de marge de la société Cabinet d'expertise Gossart subie pendant les six mois correspondant à l'insuffisance de préavis, sera indemnisée par la somme de 100 000 €.

Sur les deux autres demandes, la Macif fait justement valoir que les préjudices invoqués ne sont pas indemnisables comme résultant de la rupture des relations qui n'est pas fautive. En effet, la société Cabinet d'expertise Gossart ne peut obtenir que l'indemnisation du préjudice résultant de la brutalité de la rupture. Elle ne démontre en aucune façon que les surcoûts de salaires et la perte de valeur de son cabinet seraient en relation directe de cause à effet avec la brutalité de la rupture. En conséquence, ses demandes à ce titre seront rejetées.

Sur les demandes de la Macif

La Macif forme ses demandes à la fois contre la société Cabinet d'expertise Gossart et M. Gossart.

La cour constate que M. Gossart n'est pas partie à l'instance et qu'elle n'est pas valablement saisie des demandes formées à son encontre.

Au soutien de ses prétentions, l'intimée expose :

- que concernant le coût moyen sinistre collision, l'appelante avait un résultat bien supérieur à ses confrères, ce qui a représenté un surcoût final de 76 0756,12 €,

- que ses honoraires ont 'flambé' pendant la période de préavis et qu'elle a subi de ce chef un surcoût de 16 609,54 €.

Elle verse aux débats des tableaux de bord établis par ses soins ainsi qu'une lettre du 19 avril 2010 qui précise à la société Cabinet d'expertise Gossart que le coût moyen de ses honoraires est de 109,86€ alors que l'honoraire moyen de la région Ile de France est de 108,38 € (le moins coûteux étant de 91,25 € et le plus coûteux de 124,43 €), l'invitant à ramener son coût moyen d'honoraires en dessous de la moyenne régionale.

Mais la société Cabinet d'expertise Gossart réplique à juste raison :

- que la Macif ne met pas en cause la qualité de ses prestations,

- qu'elle ne démontre pas qu'elle aurait préconisé des réparations non justifiées par une remise en état des véhicules conformément aux règles de l'art, ni qu'elle aurait facturé des honoraires indus dans le cadre de l'exécution des missions qui lui avaient été confiées.

En conséquence, la Macif, qui ne rapporte pas la preuve d'un comportement fautif de la société Cabinet d'expert Gossart, sera déboutée de ses demandes.

La société d'expertise Gossart n'ayant pas fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice, la demande de dommages-intérêts de la Macif pour procédure abusive sera rejetée.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

La Macif, qui succombe, doit supporter les dépens.

En application de l'article 700 du Code de procédure civile, sa demande à ce titre sera rejetée et il sera alloué la somme de 8 000 € à la société Cabinet d'expertise Gossart.

Par ces motifs, LA COUR, se déclare non valablement saisie des demandes formées contre M. Gossart ; infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la Mutuelle Assurance des Commerçants et Industriels de France et des Cadres et Salariés de l'industrie et du Commerce, Macif, de toutes ses demandes ; et statuant à nouveau : condamne la Mutuelle Assurance des Commerçants et Industriels de France et des Cadres et Salariés de l'Industrie et du Commerce, Macif, à payer à la société Cabinet d'expertise Gossart : - la somme de 100 000 €, à titre de dommages-intérêts, - la somme de 8 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; condamne la Mutuelle Assurance des Commerçants et Industriels de France et des Cadres et Salariés de l'Industrie et du Commerce, Macif, aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.