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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 28 février 2018, n° 16-01101

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

GT Procar (SARL)

Défendeur :

Assercar (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mme Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Boccon Gibod, Germain, Guizard, Mattout

T. com. Paris, du 16 nov. 2015

16 novembre 2015

Faits et procédure

La société GT Procar exploite à Basse Terre un garage spécialisé dans l'entretien et la réparation de véhicules automobiles.

La société Assercar société commune regroupant plusieurs compagnies d'assurances, anime un réseau de réparateurs automobiles.

Le 21 juin 2011, la société GT Procar a intégré le réseau de réparateurs de la société Assercar en concluant deux conventions de services à durée indéterminée, l'une relative à la carrosserie et l'autre au vitrage.

Le 25 novembre 2013, la société Assercar en application des stipulations de l'article 9 des conventions liant les parties, a notifié à la société GT Procar la fin de leur relation contractuelle, allouant un préavis de 4 mois pour l'activité de carrosserie et de 2 mois pour l'activité de vitrage.

Par courrier du 28 juillet 2014, le conseil de la société GT Procar a mis en demeure la société Assercar de renoncer à la résiliation des contrats.

Le 27 novembre 2014, estimant la durée des préavis insuffisante, la société GT Procar a assigné la société Assercar devant le Tribunal de commerce de Paris en rupture brutale des relations commerciales établies.

Par jugement du 16 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Paris a, sous le régime de l'exécution provisoire :

- dit que le préavis accordé par la société Assercar pour la relation commerciale liant les parties pour la convention vitrage aurait dû être fixé à 4 mois au lieu des deux mois accordés,

- condamné la société Assercar à payer à la société GT Procar la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts,

- débouté la société GT Procar de sa demande d'anatocisme,

- condamné la société Assercar à payer à la société GT Procar la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,

- condamné la société Assercar aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

LA COUR

Vu l'appel interjeté par la société GT Procar et ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 15 septembre 2016, par lesquelles elle demandé à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et de l'article 1382 du Code civil dans sa version alors en vigueur, de :

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 16 novembre 2015 en ce qu'il a :

* dit que les sociétés GT Procar et Assercar entretenaient des relations commerciales établies depuis plus de 2 ans,

* dit que les modalités de rupture imposées par la société Assercar à la société GT Procar ne respectaient pas les exigences posées par l'article L. 442-6, I, 5º du Code de commerce dont les dispositions sont d'ordre public et qu'un préavis raisonnable aurait dû être octroyé à GT Procar sur l'activité vitrage,

* dit que le préavis octroyé par la société Assercar pour la relation commerciale liant les parties pour l'activité vitrage aurait dû être identique à celui accordé pour l'activité carrosserie,

- l'infirmer en ce qu'il a :

* dit que la société GT Procar ne démontrait pas son état de dépendance économique à l'égard de la société Assercar

* dit qu'un préavis de 4 mois était suffisant au regard des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5º du Code de commerce concernant l'activité de carrosserie,

* débouté la société GT Procar de sa demande d'indemnisation liée aux investissements réalisés, et, statuant de nouveau,

- dire que la société Assercar aurait dû respecter un préavis d'au moins 8 mois tant au titre de l'activité carrosserie que de l'activité vitrage pour lui permettre de se réorganiser et trouver de nouveaux débouchés,

- dire que la société GT Procar se trouvait bien en état de dépendance économique à l'égard de la société Assercar

- dire bien fondée la demande de remboursement formulée par la société GT Procar au titre des investissements réalisés correspondant aux véhicules de remplacement,

en conséquence,

- condamner la société Assercar à verser à la société GT Procar la somme de 53 000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales, avec intérêts au taux légal à compter de la présente et anatocisme,

- condamner la société Assercar à rembourser à GT Procar la somme de 129 080 euros au titre des coûts d'investissements réalisés à perte, sauf à parfaire,

- débouter la société Assercar de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Assercar à verser à GT Procar la somme de 10 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- dire que les dépens pourront être directement recouvrés par la SELARL Lexavoué Paris-Versailles en application de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Assercar intimée, déposées et notifiées le 16 juin 2016, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa de l'article 1134 du Code civil dans sa version alors en vigueur et de l'article 442-6, I, 5° du Code de commerce de :

- infirmer la décision du premier juge en ce qu'elle a retenu partiellement la responsabilité de la société Assercar et l'a condamnée à verser 2 000 euros à titre de dommages et intérêts à la société GT Procar et au versement de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- confirmer la décision du premier juge en ce qu'il a débouté la société GT Procar de l'ensemble de ses autres demandes,

- condamner la société GT Procar à verser à la société Assercar la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société GT Procar aux entiers dépens ;

SUR CE

Si aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable du courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer.

Les deux parties s'opposent sur la durée du préavis et la brutalité de la rupture, la société Assurcar estimant le préavis contractuel octroyé suffisant et la rupture intervenue dépourvue de brutalité.

Il n'est pas contesté que la relation nouée entre les sociétés GT Procar et Assercar présentait un caractère stable et significatif, compte tenu de l'importance et de l'évolution du chiffre d'affaires réalisé entre les deux parties et qu'elle a duré 29 mois, cette durée relativement brève, suffisant à considérer que la relation entre les deux sociétés présentait un caractère établi.

Le délai de préavis suffisant doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause. Le délai de préavis suffisant s'apprécie au moment de la notification de la rupture.

La société GT Procar fait valoir qu'un préavis d'une durée minimum de 8 mois aurait dû être respecté, tant pour les activités de carrosserie que de vitrage, eu égard à l'ancienneté de la relation et aux circonstances de l'espèce, ainsi qu'à son état de dépendance économique compte tenu de la part représentée par la clientèle apportée par le réseau Assercar dans son chiffre d'affaires, soit 20 %.

La société Assercar réplique que les préavis accordés, soit deux mois pour l'activité de vitrage et quatre mois pour l'activité de carrosserie, correspondent à la stricte application des conventions conclues entre les deux sociétés et qu'ils ont tenu compte, d'une part de la durée des relations commerciales ayant existé entre les deux sociétés, et d'autre part du volume d'affaires généré.

La part de chiffres d'affaires représentée par le référencement Assercar dans le chiffre d'affaires global de GT Procar s'élevait à 14,8 % pour l'exercice 2012 et à 19,9 % pour l'exercice 2013.

Par ailleurs, si la société Assercar regroupe d'importantes compagnies d'assurance, se présentant comme leaders du marché de l'assurance et de l'expertise, seul l'assureur partenaire Pacifica utilise Assercar dans le département de la Guadeloupe, les autres compagnies d'assurance n'y ayant pas recours car elles n'y sont pas implantées. Les assureurs non partenaires représentent 80 % du marché, de sorte que la société GT Procar n'est pas dans une situation de dépendance à l'égard d'Assercar.

Il convient de prendre en compte les particularités du marché insulaire, le secteur d'activité de la société GT Procar étant restreint à la réparation automobile dans la zone de Basse Terre.

Par ailleurs, la société GT Procar démontre avoir acquis, en janvier 2013, 10 véhicules de courtoisie pour un montant total de 161 350 euros TTC. S'il n'est pas démontré que ces achats soient exclusivement dédiés au partenariat avec Assercar, il n'en demeure pas moins que la société GT Procar a dû réaliser des investissements afin de se conformer aux exigences du réseau Assercar, et notamment, à l'article 4.1 de la convention carrosserie, l'obligeant à procurer à ses clients, dont les véhicules sont en réparation, des voitures de courtoisie.

Au regard de tous ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a estimé insuffisant le préavis de deux mois octroyé pour l'activité vitrage et suffisant le préavis de quatre mois consenti pour l'activité carrosserie. Dès lors la rupture revêt bien le caractère de brutalité requis par l'article L. 442-6, I, 5 ° du Code de commerce.

La société GT Procar ne verse aux débats aucun élément de nature à calculer le chiffre d'affaires afférent à chacune de ses deux activités, ni à évaluer sa marge sur coûts variables. Cependant, elle évalue elle-même à la somme de 10 600 euros son préjudice pour l'activité de vitrage au titre des 2 mois de préavis manquants par rapport à l'activité de carrosserie (10 600/2 x 2).

Sur la base d'un chiffre d'affaires moyen de 187 677 euros au titre des deux activités réalisées avec Assercar, d'un taux de marge de 53 %, la cour fixera à la somme de 6 000 euros le préjudice subi par la société GT Procar cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, lesdits intérêts capitalisés. Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris sur le quantum.

Aucune allocation de dommages-intérêts supplémentaire ne saurait être allouée à la société GT Procar, pour ses investissements en véhicules, ceux-ci étant d'ores et déjà pris en compte dans l'indemnisation du préavis. Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Succombant au principal, la société Assercar sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société GT Procar la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement sauf sur les dommages-intérêts alloués à la société GT Procar l'infirme sur ce point, et, statuant à nouveau, condamne la société Assercar à payer à la société GT Procar la somme de 6 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, lesdits intérêts capitalisés, la condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, la condamne à payer à la société GT Procar la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.