Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 7 mars 2018, n° 15-11696

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Equipements de Boulangerie Pâtisserie (SAS)

Défendeur :

Guyomar Equipement Tradition Fours et Machines pour l'Alimentation (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Guerre, Henry, Predour

T. com. Lorient, du 6 mai 2015

6 mai 2015

FAITS ET PROCÉDURE

Vu le jugement assorti de l'exécution provisoire rendu le 6 mai 2015 par le Tribunal de commerce de Lorient qui a :

- condamné la société SEBP à payer à la société GET la somme de 153 036 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice lié à la rupture brutale de la relation commerciale,

- débouté la société GET de sa demande tendant à l'allocation de dommages-intérêts pour préjudice moral,

- condamné la société SEBP aux dépens et à payer à la société GET la somme de 4 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé le 4 juin 2015 par la Société équipements de boulangerie pâtisserie (SEBP) ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 28 décembre 2015 par la Société équipements de boulangerie pâtisserie (SEBP) qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ainsi que des articles 1134 et suivants, 1315 et suivants du Code civil :

- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf celle relative à la demande de GET pour préjudice moral,

- statuant à nouveau :

* à titre principal, de rejeter l'ensemble des demandes de la société GET,

* à titre subsidiaire, de réduire substantiellement sa condamnation,

- en tout état de cause, de rejeter l'ensemble des demandes de la société GET en ce compris son appel incident,

- de condamner la société GET à lui payer la somme de 15 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- de la condamner aux dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 12 février 2016 par la société Guyomar équipements tradition fours et machines pour l'alimentation (GET), intimée ayant formé appel incident, qui demande à la cour, au visa de l'article L. 442-6 du Code de commerce ainsi que des articles 1134 et suivants,1315 et suivants du Code civil, de :

- débouter la société SEBP de toutes ses demandes,

- confirmer le jugement en ce qu'il l'a déclarée recevable en sa demande d'indemnisation suite à la rupture brutale de la relation commerciale par la société SEBP,

- réformant le jugement sur le montant des réparations allouées, condamner la société SEBP à lui payer :

* la somme de 200 000 €, à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice commercial,

* la somme de 15 000 € en réparation de son préjudice moral,

* la somme de 15 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société SEBP aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris le constat d'huissier établi par Maître Diridollou le 20 octobre 2015 ;

SUR CE

M. Guyomar a été salarié au sein de la société Pavailler équipement - dont l'activité était la fabrication et la vente de machines et matériels alimentaires - du 16 mars 1970 au 6 septembre 1996, date à laquelle il a fait l'objet d'un licenciement économique. Par lettre du 22 décembre 1998, la société Pavailler BVP lui a proposé son aide pour démarrer l'activité de revendeur de matériel de boulangerie et pour créer sa société, lui garantissant pendant la première année une commission brute égale à 30 % du prix de vente facturé au client. M. Guyomar, le 20 janvier 1999, lui a confirmé son accord sur les termes de cette lettre et a créé la société GET, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 31 mars 1999, afin d'exercer l'activité de distribution de biens d'équipement en boulangerie pâtisserie.

Le 1er juillet 1999, la société Pavailler BVP et la société GET ont signé un document intitulé " Convention de distribution avenant n° 1 rectificatif " modifiant à compter de cette date le mode de calcul de la commission et supprimant le minimum garanti.

Le secteur géographique accordé à la société GET couvrait alors les départements 22, 29 et certains cantons du Morbihan (56) ; par lettre du 9 mars 2001, la société Pavailler BVP a confirmé ce secteur en précisant à la société GET : " pour le Sud Est du 29, vous risquez de vous retrouver quelques fois avec M. Treanton, nous comptons sur votre professionnalisme ainsi que sur l'estime que vous portez à M. Treanton pour ne pas vous concurrencer ".

Puis, aux termes d'une lettre du 15 décembre 2004, la société SEBP, venant aux droits de la société Pavailler BVP, a confirmé à la société GET son accord pour lui confier l'exclusivité de la distribution des produits Pavailler auprès des boulangers artisans, cette exclusivité réciproque s'appliquant au département 56 et valant tant pour les matériels que pour les pièces détachées.

En novembre 2009, la société SEBP a envoyé à la société GET un contrat de distribution non exclusive prévoyant une zone territoriale de responsabilité principale sur le département 56 et une partie du département 22 ; aucune des parties n'a signé ce contrat.

Reprochant à la société SEBP d'avoir, à compter de 2012, violé la clause d'exclusivité dont elle bénéficiait, la société GET l'a faite assigner, le 7 mars 2014, afin d'obtenir réparation de son préjudice. Le tribunal, par le jugement déféré, lui a accordé des dommages-intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Devant la cour, la société GET entend rechercher la responsabilité de la société SEBP pour violation de la clause d'exclusivité, faute qu'elle considère comme une rupture brutale partielle de la relation commerciale établie et, si la cour ne retenait pas cette analyse, comme un manquement aux obligations contractuelles.

La société SEBP, appelante, qui conteste toute mise en jeu de sa responsabilité, fait valoir en premier lieu que la société GET ne démontre aucune exclusivité avant 2004. Elle expose en ce sens que l'exclusivité ne se présume pas, que la société GET ne la démontre pas et que la détermination d'un secteur géographique ne peut être assimilée à une exclusivité réciproque.

Mais la société GET verse aux débats l'attestation, non critiquée, de M. Margirier, responsable du service après-vente de la société SEBP de mars 1973 à mars 2005, qui déclare que M. Guyomar était le seul distributeur Pavailler sur le secteur référencé département 56 de mars 1999 jusqu'à mars 2005.

De même, par attestation non critiquée, Mme Agier-Kovalesky, assistante de direction au sein du groupe Pavailler, certifie qu'à compter de 1999, les distributeurs du réseau commercial France de Pavailler BVP bénéficiaient d'une exclusivité de distribution des gammes fours, froid, fermentation, machines fabriquées par Pavailler équipement sur la zone géographique déterminée qui leur était confiée, la société GET, dont le gérant était M. Guyomar bénéficiant de cette exclusivité sur la zone géographique : département 56. De plus, des boulangers artisans de ce département attestent que seule la société GET leur proposait les matériels de la gamme Pavailler.

La société GET rapporte ainsi la preuve d'une exclusivité accordée depuis 1999 par la société SEBP pour la vente de ses produits dans le département du Morbihan.

L'appelante allègue, en second lieu, qu'elle a notifié un préavis par écrit à la société GET en 2009 et a maintenu ensuite les relations commerciales en l'état pendant près de deux ans. Elle ajoute qu'elle n'a pas modifié substantiellement le contrat au détriment de la société GET puisque la fin de l'exclusivité n'était pas sans contrepartie pour les distributeurs, à savoir des remises et l'ouverture à ses autres marques.

Mais la société GET réplique à juste raison que l'envoi d'un projet de contrat, sans aucune lettre par laquelle la société SEBP aurait expliqué clairement ses intentions sur les modalités de la poursuite de la relation commerciale établie, ne constitue pas le préavis écrit exigé par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

La société SEBP ne conteste pas qu'à partir de 2012, l'exclusivité consentie à la société GET n'a plus été respectée. Ce non-respect est d'ailleurs démontré par le fait que la société Fournil concept équipement boulangerie pâtisserie, sise à Plougoumelen dans le Morbihan, a alors distribué les produits Pavailler. Si l'appelante était libre de réorganiser son système de distribution, elle ne peut valablement prétendre qu'il n'y a pas eu une modification substantielle du contrat, alors que la suppression de l'exclusivité a eu pour conséquence de faire subir à la société GET une mise en concurrence directe.

Il résulte de l'ensemble de ces circonstances qu'une rupture brutale partielle de la relation commerciale établie est intervenue à compter de 2012. Eu égard à l'ancienneté des relations qui remontaient à 1999 et à l'exclusivité qui n'autorisait pas la société GET à diversifier ses fournisseurs, un préavis de 24 mois aurait dû être respecté pour lui permettre de trouver d'autres fournisseurs et de développer sa compétence technique sur d'autres produits que ceux de la gamme Pavailler.

Pour demander la somme de 200 000 € en réparation de son préjudice commercial résultant selon elle des divers manquements de la société SEBP, la société GET précise :

- que depuis la rupture de l'exclusivité, son chiffre d'affaires moyen qui était de 343 656 € sur les trois exercices précédents d'avril 2008 à mars 2011 est tombé à 141 133 € pour l'exercice avril 2012 à mars 2013,

- que son taux de marge réalisé avec la société SEBP étant de 39 % sur les années 2009 à 2011, son préjudice annuel a été de 79 000 €, soit 158 000 € sur deux ans,

- que contrairement à ce que prétend la société SEBP, son action n'est pas diligentée en raison du souci de voir M. Guyomar se constituer une retraite,

- que contrairement encore à ce que la société SEBP allègue, elle n'a jamais vendu d'autres produits que ceux de cette société, la gamme Pavailler englobant l'ensemble des marques qu'elle exploite telles que CFI, Bertand et Puma,

- que ses achats effectués auprès de la société SEBP ont représenté un pourcentage moyen de 77 % au cours des exercices 2018 à 2012, le reliquat correspondant à des achats de produits non commercialisés par Pavailler,

- qu'elle n'a pas été invitée par son fournisseur au salon Serbotel qui s'est tenu à Nantes du 18 au 21 octobre 2015 et que le directeur des ventes de la société SEBP lui a interdit de prendre place parmi les autres distributeurs au stand Pavailler,

- qu'elle n'a pas reçu non plus d'invitation de son fournisseur pour le salon Europain et Intersuc se déroulant à Villepinte du 5 au 9 février et que son avenir professionnel est mis en cause par la société SEBP.

La société SEBP s'oppose à cette demande aux motifs :

- que la baisse du chiffre d'affaires de la société GET est en grande partie imputable à elle-même alors qu'elle a toujours acheté les volumes qu'elle déterminait et continue à le faire sans se heurter à aucun refus et que l'ouverture à la concurrence lui permettrait de redresser son chiffre d'affaires mais M. Guyomar, son associé unique âgé de 70 ans, ne le souhaite pas,

- que 23 % de son chiffre d'affaires ne peut servir de base à sa demande indemnitaire, que le taux de marge brute invoqué est un taux moyen qui prend en compte aussi bien la marge brute obtenue avec les produits Pavailler que celles obtenues avec d'autres produits,

- que les accords initiaux des parties, concrétisés par la lettre de 2004, concernaient exclusivement les produits de la gamme Pavailler alors qu'elle commercialise d'autres marques telles que CFI, Bertrand et Puma,

- que la société GET est mal fondée en sa demande d'indemnisation complémentaire à hauteur de 42 000 €, l'insuffisance du préavis étant déjà été prise en compte pour la détermination du préjudice résultant de la brutalité de la rupture.

Mais c'est en vain que la société SEBP prétend que les accords commerciaux noués avec la société GET ne concerneraient que la marque Pavailler. En effet, il ressort des pièces produites, notamment des attestations concordantes de Messieurs Lukowski, Robo, Le Gosles et Pengam, artisans boulangers dans le Morbihan, que la société GET distribuait non seulement la marque Pavailler, mais aussi à compter de 2004 les marques CFI et Bertrand Puma. La société SEBP ne conteste pas qu'elle exploite ces dernières marques en sus de la marque Pavailler. D'ailleurs l'en-tête de son document relatif aux services après-vente sur le secteur 44, émanant de son responsable commercial Ouest et faisant référence à M. Guyomar, mentionne bien " SEBP Pavailler Bertand Puma CFI ".

Aucun élément ne démontre que la baisse du chiffre d'affaires de la société GET après la suppression de son exclusivité serait imputable à son dirigeant, étant observé que celui-ci, s'il souhaitait céder son entreprise, avait tout intérêt à maintenir le chiffre d'affaires en vue de sa valorisation. Cependant la société GET, qui assurait aussi le service après-vente auprès de ses clients, précise elle-même qu'elle ne réalisait en moyenne que 77 % de son chiffre d'affaires avec la société SEBP. Au regard de l'ensemble de ces éléments et de leur incidence sur la marge perdue pendant la durée de préavis qui aurait dû être respectée, il convient d'allouer la somme de 120 000 € à la société GET en réparation de son entier préjudice résultant de la rupture brutale partielle de la relation commerciale établie.

La société GET demande aussi la somme de 15 000 € pour préjudice moral, ce à quoi s'oppose la société SEBP.

Il ressort du constat dressé le 20 octobre 2015 par Maître Diridollou, huissier de justice, qu'à cette date M. Guyomar s'est vu refuser l'accès au stand Pavailler lors du salon Serbotel de Nantes, le directeur des ventes de la société SEBP déclarant alors : " je suis ici chez moi, je fais ce que je veux " et ajoutant, en regardant M. Guyomar : " tu vas voir, toi... ".

Par ce comportement fautif ayant consisté à exclure de son stand - publiquement et de façon menaçante - le gérant de l'EURL GET qui était l'un de ses distributeurs, la société SEBP a causé à sa cocontractante un préjudice moral qui sera indemnisé par la somme de 8 000 €.

La société SEBP sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme de 10 000 € à la société GET et de rejeter la demande de ce chef de la société SEBP.

Il n'y a pas lieu d'inclure dans les dépens le coût du constat de Maître Diridollou, lequel a été pris en considération pour fixer le montant de l'indemnité accordée à la société GET au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, statuant à nouveau : Condamne la Société équipements de boulangerie pâtisserie (SEBP) à payer à la société Guyomar équipements tradition fours et machines pour l'alimentation (GET) : - la somme de 120 000 €, à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies - la somme de 8 000 €, à titre de dommages-intérêts, pour préjudice moral, - la somme de 10 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes ; Condamne la Société équipements de boulangerie pâtisserie (SEBP) aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.