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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 5 mars 2018, n° 16-08689

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Manis (SNC)

Défendeur :

Koelam (SNC) ; Koegler (ès qual.) ; Lamotte (ès qual.) , Sodexo Justice Services (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mmes Castermans, Simon-Rossenthal

Avocats :

Mes Dauchel, David-Godignon, Negrevergne, Minotte, Favaro, Lebault

T. com. Meaux, du 9 févr. 2016

9 février 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Sodexo Justice Services assure la gestion des services délégués pour le compte de l'administration pénitentiaire et notamment pour le centre pénitentiaire de Chauconin-Neufmontiers situé rue du Lycée à Chauconin-Neufmontiers (77351).

Dans le cadre de cette gestion, Sodexo Justice Services est notamment en charge de l'approvisionnement du centre pénitentiaire en tabac.

Cet approvisionnement est régi par les dispositions de l'article 47 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010, aux termes duquel le revendeur s'approvisionne en tabacs manufacturés exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche de son établissement dénommé débit de rattachement.

Estimant que le débit de tabac sis 39 rue Emile Zola à Crégy-lès-Meaux, exploité d'abord par la SNC les 4B puis par la SNC Manis, était le plus proche du centre pénitentiaire et donc le débit de rattachement, un contrat de gérance d'un débit de tabac ordinaire permanent, avec les déclarations d'engagement du revendeur, était conclu entre les sociétés Manis et Sodexo Justice Services.

La SNC Koelam exploitait quant à elle un débit de tabac sis 25 rue Louis Braille à Meaux. Estimant que son débit de tabac était plus proche du centre pénitentiaire que celui de la SNC Manis, elle a, par exploit d'huissier en date du 27 juin 2012, assigné la société Sodexo Justice Services devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Meaux aux fins de condamnation de la défenderesse, sous astreinte, à s'approvisionner en cigarettes et cigares auprès d'elle.

Sur assignation de la SNC Koelam du 27 juin 2015 pour une audience du 6 juillet 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce de Meaux a, par ordonnance du 27 juillet 2012, constaté que la société Sodexo Justice Services ne rapportait pas la preuve que son débit de rattachement de Crégy-lès-Meaux était le plus proche de son établissement ; que le débit de rattachement le plus proche de son établissement était celui situé sis 25 rue Louis Braille à Meaux, exploité par la société SNC Koelam et, en conséquence, condamné la société Sodexo Justice Services à s'approvisionner en cigares et cigarettes auprès de la société SNC Koelam, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du 10e jour suivant le prononcé de la présente ordonnance.

La SNC Manis qui n'avait pas été appelée en la cause a formé tierce opposition aux fins de rétractation de l'ordonnance le 11 septembre 2012.

Par ordonnance du 19 octobre 2012, le juge des référés a confirmé l'ordonnance critiquée. Sur appel de la société Manis en date du 25 octobre 2012, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 12 septembre 2013, infirmé l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle avait déclaré la SNC Manis recevable en sa tierce opposition et débouté la SNC Koelam de l'intégralité de ses demandes. Elle a condamné la SNC Koelam à verser à la SNC Manis une indemnité de procédure de 3 000 euros ainsi qu'aux entiers dépens.

La SNC Koelam a cédé son fonds de commerce à la société Clerisseau le 17 mars 2014 et la SNC Manis a formé opposition sur le prix de vente du fonds de commerce le 27 mars 2014.

Par exploit d'huissier en date des 17 et 18 juin 2014, la SNC Manis a assigné la SNC Koelam, ses associés en nom collectif et la société Sodexo Justice Services devant le Tribunal de commerce de Meaux aux fins de condamnation solidaire des défendeurs à lui verser une somme de 215 000 euros en réparation du préjudice subi.

Par jugement rendu le 9 février 2016, le Tribunal de commerce de Meaux a :

- déclaré irrecevable l'action de la société Manis à l'égard de la société Koelam laquelle a fait l'objet d'une radiation au registre du commerce et des sociétés de Meaux en date du 5 juin 2014,

- reçu la société SNC Manis en sa demande à l'encontre de Madame Sophie Koegler, de Madame Emilie Lamotte et de la société Sodexo Justice Services, au fond la dit mal fondée et l'en a déboutée,

- reçu la société Sodexo Justice Services en sa demande reconventionnelle, au fond la dit bien fondée,

- reçu Madame Sophie Koegler en sa demande reconventionnelle, au fond la dit en partie mal fondée,

- condamné la société SNC Manis à payer à la société Sodexo Justice Services la somme de 3 000 euros TTC sur le fondement de la procédure abusive,

- débouté Madame Sophie Koegler de sa demande de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive,

- condamné la société SNC Manis à payer à la société Sodexo Justice Services la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société SNC Manis à payer à Madame Sophie Koegler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire de la présente décision,

- dit que tous les dépens, qui comprendront le coût de l'assignation qui s'élève à 258,19 euros ainsi que les frais du greffe liquidés à 151,32 euros en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du présent jugement, resterons à la charge de la société Manis.

Le tribunal de commerce a considéré que la responsabilité solidaire de la SNC Koelam, de ses associés et de la société Sodexo Justice Services n'était pas engagée en raison de l'absence de faute, ces derniers n'ayant fait qu'appliquer une décision de justice.

La société Manis a relevé appel de ce jugement le 13 avril 2016.

Par conclusions signifiées le 17 décembre 2017, la SNC Manis demande à la cour, au visa des articles 1382 du Code civil, 32-1 du Code de procédure civile et L. 221-1, L. 237-12, L. 442-6 et suivants du Code de commerce, d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de la déclarer recevable et bien fondée en son appel et de :

- juger que Madame Sophie Koegler, ès qualités de liquidateur de la société Koelam a commis une faute dans l'exercice de sa mission, causant préjudice à la société Manis ;

- déclarer Madame Sophie Koegler et Madame Emilie Lamotte, solidairement responsables de la SNC Koelam ;

- juger que la SNC Koelam, Madame Sophie Koegler et Madame Emilie Lamotte et la société Sodexo Justice Services ont commis une faute ayant causé un préjudice à la SNC Manis ;

- condamné solidairement la société Sodexo Justice Services, de Madame Sophie Koegler, de Madame Emilie Lamotte et de la SNC Koelam au paiement de la somme de 165 000 euros à titre de réparation du préjudice subi par la SNC Manis ;

- débouter la SNC Koelam, Madame Sophie Koegler et Madame Emilie Lamotte et la société Sodexo Justice Services de l'ensemble de leurs demandes.

A titre subsidiaire, elle prie la cour de :

- condamner la société Sodexo Justice Services au paiement de la somme de 165 000 euros à titre de réparation du préjudice subi par la SNC Manis ;

A titre infiniment subsidiaire, elle prie la cour de :

- condamner la société Sodexo Justice Services au paiement de la somme de 40 000 euros à titre de réparation du préjudice subi par la SNC Manis ;

En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la société Sodexo Justice Services, Madame Sophie Koegler, de Madame Emilie Lamotte et de la SNC Koelam à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 12 septembre 2016, la SNC Koelam prise en la personne de son liquidateur amiable, Madame Sophie Koegler, Madame Sophie Koegler, Madame Emilie Lamotte, la société Sodexo Justice Services demandent à la cour, au visa des articles 1315 et 1382 du Code civil, 47 du décret du 28 juin 2010 et 32-1 du Code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- jugé que la société Sodexo Justice Services n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité solidaire à l'égard de la SNC Manis,

- débouté en conséquence la SNC Manis de l'intégralité de ses demandes,

- jugé que la SNC Manis a commis un abus de droit en engageant la présente procédure contre la société Sodexo Justice Services.

Ils prient la cour d'infirmer le jugement déféré sur quantum et de condamner la SNC Manis à verser à la société Sodexo Justice Services la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, celle de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la première instance et celle de 3 000 euros en cause d'appel.

Ils sollicitent, en tout état de cause, la condamnation de la SNC Manis aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La clôture de l'instruction est intervenue par ordonnance du 15 janvier 2018.

SUR CE,

Sur la recevabilité de l'action de la société Manis à l'encontre de la SNC Koelam

Aux termes de ses écritures, la SNC Koelam indique que l'action de la SNC Manis est irrecevable à son encontre en raison de sa radiation.

Il résulte des pièces produites par les consorts Koegler - Lamotte que les associés lors de l'assemblée générale du 5 mai 2014, dont décidé de la dissolution anticipée de la société et nommé Mme Sophie Koegler en qualité de liquidatrice. L'assemblée générale du 20 mai 2014 a clôturé les opérations de liquidation et donné quitus à la liquidatrice de sa gestion. La société a fait l'objet d'une radiation du registre du commerce et des sociétés le 5 juin 2014.

La SNC Koelam qui avait été dissoute et fait l'objet d'une radiation du registre du commerce et des sociétés de Meaux au 5 juin 2014 n'avait donc plus de personnalité morale au jour elle a été assignée le 17 juin 2014.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a déclaré la société Manis irrecevable en son action contre la société Koelam.

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité contre le liquidateur amiable

A hauteur d'appel, la société Manis sollicite la condamnation de Madame Sophie Koegler en sa qualité de liquidateur amiable sur le fondement de l'article 237-12 du Code de commerce, c'est à dire pour faute commise dans le cadre de ses fonctions de liquidateur. Or cette demande non présentée en première instance est nouvelle et doit donc, comme le soutient Mme Koegler ès qualités, être déclarée irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile.

Sur la recevabilité de l'action en responsabilité contre les associés de la SNC Koelam

En application de l'article L. 221-1 du Code de commerce, les associés en nom collectif, qui ont tous la qualité de commerçant, répondent indéfiniment et solidairement des dettes sociales. Les créanciers de la société ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir mis en demeure la société par acte extra-judiciaire.

Ainsi la responsabilité solidaire des associés d'une société en nom collectif suppose l'existence d'une dette sociale d'une part et d'une mise en demeure de la société d'autre part.

En l'absence de mise en mise en demeure de la société Koelam par acte extra judiciaire, l'assignation ayant en outre été délivrée à la société alors qu'elle n'avait plus la personnalité morale, l'action de la société Manis à l'encontre de ses associés est irrecevable.

Sur la responsabilité de la société Sodexo Justice Services

- le manquement à l'obligation d'information

La société Manis soutient que la société Sodexo Justice Services a engagé sa responsabilité pour ne pas l'avoir avisée des demandes de la société Koelam et s'est contentée d'adopter une attitude neutre, voire négligente, faisant fi des conséquences " colossales " de ses actions pour la société Manis. Elle lui reproche un manquement à son obligation d'information dans l'exécution du contrat.

Elle invoque l'article 47 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 qui dispose que :

" Le revendeur s'approvisionne en tabacs manufacturés exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche de son établissement, ci-après dénommé débit de rattachement.

(...) Le revendeur doit être en mesure de justifier à tout moment que son débit de rattachement est le plus proche de son établissement, la distance prise en compte étant celle séparant l'entrée principale de celui-ci de l'entrée du débit de rattachement, par l'itinéraire le plus court en empruntant toute voie de circulation, y compris celles accessibles uniquement aux piétons. Les voies privées ne peuvent être incluses dans l'itinéraire que si elles sont ouvertes au public pendant la journée " ;

Elle soutient que la décision d'approvisionnement et le choix du débit de tabac est opéré sous la seule responsabilité de la société Sodexo Justice Services, étant précisé que le revendeur calcule la distance exacte en mètres entre l'entrée principale de l'établissement de revente et celle du débit de rattachement. Elle souligne que la société Koelam a repris le débit de tabac précédent et commencé son activité en décembre 2010 et que la société Manis a commencé son activité en mai 2011 ; que lorsque le 19 mai 2011, la société Sodexo Justice Services certifie dans sa déclaration d'engagement que la société Manis est l'établissement le plus proche, la société Koelam était donc déjà en activité au sein de son débit de tabac. Elle indique que la société Sodexo Justice Service n'a fourni aucune réponse ferme et catégorique à la société Koelam lors du rendez-vous de décembre 2011 ni répondu aux différentes correspondances d'avril 2012 de la SNC Koelam la poussant ainsi à introduire une action en justice dont la conséquence a été la privation pour la SNC Manis d'une de ses sources de revenus.

Elle soutient que la société Sodexo Justice Service a violé son obligation de renseignement et de conseil ; qu'il appartenait à la société Sodexo d'informer la société Manis de l'action intentée par la société Koelam afin de lui permettre, d'une part de se préparer à l'éventualité de perdre son marché, mais surtout afin de lui permettre d'intervenir volontairement à la procédure en cours.

Elle ajoute que même si la société Sodexo Justice Services s'est conformée à l'ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Meaux du 27 juillet 2012, elle a violé les dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce du fait de la rupture brutale de ses relations commerciales avec la société Manis, engageant ainsi sa responsabilité puisqu'aucun préavis n'a été laissé à la société Manis.

Elle indique que la société Sodexo Justice Service n'a pas répondu au courrier officiel du 2 juin 2014 que son conseil lui a adressé, lui causant un préjudice supplémentaire qui vient s'ajouter à l'approvisionnement pendant un an par Sodexo Justice Services auprès du mauvais débit de tabac.

La société Sodexo expose qu'elle a reçu la gérante de la SNC Koelam le 22 décembre 2011 lors d'un entretien amiable ; qu'à la suite de cet entretien, la SNC Koelam a adressé à la société Sodexo Justice Services un constat d'huissier en date du 14 décembre 2011 ; qu'elle a tenu la société Manis informée de cette démarche et a tenu à rassurer son co-contractant en procédant à la réalisation d'un constat d'huissier, démontrant :

- d'une part que la distance en voiture séparant le siège de la SNC Manis au centre pénitentiaire était de 3,2 km, tandis que la distance séparant le siège la SNC Koelam au centre pénitentiaire était de 3,5 km ;

- d'autre part, que l'itinéraire emprunté par l'huissier mandaté par la SNC Koelam était largement contestable.

Elle soutient qu'elle s'est défendue devant le juge des référés ; qu'elle a sollicité le renvoi de l'audience afin d'attraire à la cause la SNC Manis, ce qui lui a été refusé ; qu'elle n'a fait qu'appliquer une décision de justice, exonératoire de toute faute.

La société Manis réplique que la société Sodexo n'a rien fait pour remettre en cause cette décision, ce qu'elle n'aurait pas manqué de faire si elle considérait effectivement la société Manis comme le débit de tabac le plus proche.

La société Sodexo indique qu'en l'absence de toute décision de justice le lui enjoignant ou à tout le moins de toute procédure pendante, elle n'était tenue par aucune disposition de fournir des éléments relatifs à ses relations contractuelles avec la SNC Koelam, à un tiers au contrat, tel que la SNC Manis ; que cette abstention tient à son souci de préserver les éléments de la relation contractuelle, par nature confidentiels, à l'égard des tiers. Elle souligne qu'elle a, dans le cadre de la présente instance, produit les factures émises par la SNC Koelam pour la période concernée et le compte fournisseur de cette dernière, faisant apparaitre un montant total brut des commandes de 449 048 euros sur la période du 18 septembre 2012 au 23 septembre 2013.

Ceci étant exposé, il résulte des écritures et des pièces produites par les parties qu'en application de l'article 47 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010, il appartient au revendeur qui s'approvisionne en tabacs manufacturés exclusivement auprès du débit de tabac ordinaire permanent le plus proche de l'établissement pénitentiaire, de justifier à tout moment que son débit de rattachement est le plus proche de son établissement et donc de s'assurer qu'il est bien l'établissement le plus proche de l'établissement pénitentiaire.

En l'espèce, la société Manis a été présentée au service des douanes par la société Sodexo en mai 2011.

Sodexo indique avoir tenu la société Manis informée de la démarche entreprise par la société Koelam et a tenu à rassurer son co-contractant en procédant à la réalisation d'un constat d'huissier.

Or, la société Sodexo ne justifie pas avoir répondu au courrier ni à la mise en demeure que lui a adressés la société Koelam respectivement les 27 décembre 2011 et le 19 mai 2011 d'avoir à justifier que la société Manis était le tabac le plus proche de l'établissement pénitentiaire et ne justifie pas avoir averti son cocontractant la société Manis de cette demande susceptible d'être préjudiciable pour cette dernière et alors même que d'une part, elle indique avoir reçu la gérante de la SNC Koelam le 22 décembre 2011 lors d'un entretien amiable à la suite duquel cette dernière lui a adressé un constat d'huissier en date du 14 décembre 2011 et que d'autre part, elle n'a fait réaliser le constat d'huissier pour vérifier les distances existant entre l'établissement pénitentiaire et les deux tabacs que le 3 juillet 2012, soit postérieurement à l'assignation en référé et plus de six mois après le rendez-vous du 22 décembre 2011.

Elle n'a pas non plus averti la société Manis de l'assignation en référé dont elle faisait l'objet empêchant cette dernière de comparaitre volontairement à l'instance alors qu'elle avait le plus grand intérêt à intervenir à l'instance pour sauvegarder ses droits. Cette omission ne saurait être excusée par le rejet de la demande de renvoi qu'elle a formée pour mise en cause de la société Manis et qui a été refusée par le juge des référés.

En n'avertissant pas son cocontractant de la contestation par la société Koelam du critère de rattachement, susceptible d'être préjudiciable aux intérêts de la société Manis, la société Sodexo a manqué à son obligation de loyauté qui doit présider à l'exécution du contrat telle que prévue par l'article 1104 du Code civil ; le fait que la société Koelam ait agi de manière déloyale en assignant la seule société Sodexo ne saurait faire disparaître la faute ainsi commise par la société Sodexo.

- Sur l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce

La société Manis évoque un second fondement à sa demande de dommages et intérêts, l'article L. 552-6[sic] du Code de commerce, à savoir la rupture brutale d'un relation commerciale établie, faisant valoir que peu importe le motif de rupture et souligne qu'elle n'avait bénéficié d'aucun préavis.

Or, la rupture des relations commerciales par la société Sodexo, sans préavis, résulte de l'exécution de l'ordonnance de référé du 27 juillet 2012, donc d'une décision de justice exécutoire. Elle n'est donc pas imputable à cette dernière. Au surplus force est de constater que la société Manis n'invoque pas avoir subi un préjudice qui serait constitué par la perte de marge brute liée à la rupture brutale de la relation commerciale.

En conséquence, le moyen tiré de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce sera écarté.

- Le préjudice subi par la SNC Manis

La SNC Manis expose avoir acquis son fonds de commerce de la société SNC les 4B, aux termes d'un acte sous seing privé du 17 mai 2011, pour un prix de 450 000 euros ; que, préalablement, une promesse avait été signée le 12 janvier 2011, assortie de différentes conditions suspensives dont l'obtention de l'agrément par la Direction générale des douanes en qualité de gérant du débit de tabac qui a été reçu le 7 avril 2011 ; qu'un contrat de gérance a été signé entre l'Etat représenté par le Directeur des douanes et droits indirects de Paris Est et la SNC Manis ; que par la suite, une déclaration d'approvisionnement en tabacs à établissement revendeur catégorie établissement pénitentiaire a été signée le 19 mai 2011 ; qu'elle poursuivait l'approvisionnement en tabacs de l'établissement pénitentiaire, qui était effectué au préalable par son prédécesseur, la société SNC Les 4 B ; que la présence de l'établissement exploité par la SNC Koelam, a nécessairement été prise en compte dans le cadre de l'étude du dossier présenté par la SNC Manis, puisque la SNC Koelam a acquis son fonds de commerce le 31 mai 2010, soit antérieurement à l'acquisition par la SNC Manis du fonds de commerce de la SNC les 4B ; que si elle n'avait pas obtenu son agrément, elle n'aurait pas acquis le fonds de commerce puisqu'elle avait pris soin de solliciter que son agrément soit érigé en condition suspensive ; que le prix de cession du fonds de commerce négocié entre la SNC Manis et la SNC les 4B a été fixé en tenant compte des chiffres d'affaires réalisés par la SNC les 4B qui était constitué, pour une très large partie, par les ventes effectuées avec l'établissement pénitentiaire.

Elle expose qu'entre l'ordonnance de référé rendue le 27 juillet 2012 et la signification de l'arrêt de la cour d'appel le 30 octobre 2013, Sodexo s'est approvisionnée auprès de la SNC Koelam et non plus auprès de la SNC Manis ; que pour apprécier le manque à gagner, elle a pris le chiffre d'affaires qui avait été réalisé avec Sodexo pour la période du 18 mai au 31 décembre 2011, soit une somme de 215 000 euros.

Elle précise que le débitant de tabac est rémunéré par une remise brute sur le prix de vente égale à 9 % pour les cigares et cigarillos et 8,84 % pour les autres produits du tabac ; quelle a perçu de la Direction générale des douanes et droits indirects la somme de 83 926,27 euros en 2011, 129 701,13 euros en 2012 et 108 653,87 euros en 2013 ; qu'à la remise brute s'ajoute la remise additionnelle, dont les conditions d'application sont fixées par le décret n° 2011-2081 du 30 décembre 2011 et que seuls les débits de tabac ordinaires (permanents et saisonniers) perçoivent ; qu'elle résulte de l'application d'un taux sur les 130 000 premiers euros de chiffre d'affaires qu'elle s'est élevée en 2013 à la somme de 1 560 euros.

Elle indique sur l'année 2013, le montant mensuel moyen des remises s'élève donc à la somme de 9 184,50 euros. (10 8653,87 euros + 1 560 euros) / 12 = 9 184,50 euros ; sur l'année 2012, elle s'élève à la somme de 10 808 euros, et pour les mois de janvier à juin 2012 ; que la moyenne de la remise s'élève à la somme de 12 286,41 euros ; qu'il convient donc de retenir une rémunération mensuelle moyenne de 11 000 euros ; qu'en l'espèce, la société Sodexo Justice Services s'est injustement approvisionnée auprès de la société Koelam pendant 15 mois, soit d'août 2012 à octobre 2013 ; que le manque à gagner de la société Manis s'élève donc à la somme de 165 000 euros.

A titre subsidiaire, elle soutient que son préjudice devra être évalué à la somme de 40 000 euros puisque la société Sodexo indique qu'au cours de la période durant laquelle la société Koelam a été son fournisseur, elle lui a passé des commandes à hauteur de 449 048 euros.

La société Sodexo indique que le préjudice de la SNC Manis n'a été créé que par la décision rendue par le président du Tribunal de commerce de Meaux le 27 juillet 2012 en dépit des éléments probants qu'elle a produits et dans les recours judiciaires divers de la SNC Koelam tendant à l'évincer à son profit du bénéfice des dispositions de l'article 47 du décret n° 2010-720 du 28 juin 2010 ; que la société Manis ne démontre pas la réalité du préjudice subi.

Elle expose que les taux du DCT, variables selon la catégorie de produits, sont les suivantes :

- 64,70 % pour les cigarettes,

- 28 % pour les cigares et cigarillos,

- 62 % pour le tabac à rouler, etc. ;

Qu'environ 80 % des recettes de vente de tabac sont reversées à l'Etat (DCT+TVA), les commandes de la société Sodexo Justice Services ne concernant majoritairement les cigarettes et un peu de tabac à rouler ; que le montant total brut des commandes passées par la société Sodexo Justice Services auprès de la SNC Koelam est égal à 449 048 euros et s'étend sur la période du 18 septembre 2012 au 23 septembre 2013 ; que ce montant doit être réduit des taxes diverses, ce qui le réduit considérablement (moins de 90 000 euros) ; qu'il convient de retirer le montant dû aux fabricants, soit environ 10 % du prix de vente ; que le buraliste perçoit, in fine, moins de 10 % du prix de vente.

Ceci étant exposé, le préjudice invoqué par la société Manis est la perte de chiffre d'affaire qu'elle dit avoir subi pendant la période où la société Sodexo s'est approvisionnée auprès de la SNC Koelam.

La faute commise par la société Sodexo a entraîné pour la société Manis la perte de chance d'avoir pu faire valoir ses droits dès avant l'audience des référés du 6 juillet 2017 en faisant notamment réaliser un constat d'huissier (qu'elle a d'ailleurs produit à hauteur d'appel) d'une part et d'intervenir à l'audience de référés du 6 juillet 2012 pour faire valoir ses droits, d'autre part. Elle sera déclarée responsable du préjudice subi par la société Manis.

Il convient de tenir compte tenu du fait que si la société Manis n'a pu faire valoir ses droits devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Meaux qui a rendu son ordonnance le 27 juillet 2012, ce même juge des référés a, sur tierce opposition de la société Manis à l'ordonnance du 27 juillet 2012, rendu une seconde ordonnance le 19 octobre 2012 qui débouté la société Manis de ses demandes, même si cette ordonnance a été infirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 12 septembre 2013.

La perte de chance doit donc être limitée à la période de juillet à octobre 2012, période couverte par la première ordonnance de référé et non au-delà de la seconde ordonnance rendue le 19 octobre 2012 alors que la société Koelam avait pu faire valoir ses droits.

Il ne saurait être fait grief à Sodexo de n'avoir pas relevé appel de la première ordonnance ni à la société Manis de n'avoir pas saisi le premier président d'une demande de suspension de l'exécution provisoire.

Les pièces produites par Sodexo établissent que que le montant total brut des commandes passées par la société Sodexo Justice Services auprès de la SNC Koelam est égal à 449 048 euros pour la période du 18 septembre 2012 au 23 septembre 2013 ce qui n'est pas contesté par la société Manis.

Contrairement à ce que soutient la société Manis le préjudice ne peut être égal au chiffre d'affaires réalisé par la SNC Koelam. En effet compte tenu des taxes diverses, environ 10 % du prix de vente revient au buraliste ce qui représente une somme de 440 028 euros x 10 % = 44 904,80 euros, arrondie à 44 905 euros.

La perte de chance subie sera limitée à 30 % du préjudice subi du fait de la rupture contractuelle du contrat d'approvisionnement de tabac.

Ainsi la société Sodexo sera condamnée à payer à la société Manis la somme de 44 905 euros x 30 % = 13 471,5, arrondie à 13 472 euros en réparation du préjudice subi.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive

Les consorts Koegler et Lamotte ne rapportent pas la preuve que la société Manis ait commis un abus de procédure qui ne peut découler du seul rejet des demandes de cette dernières à leur encontre. Il seront seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.

La société Sodexo qui succombe en ses demandes sera déboutée de sa demande de dommages intérêts pour procédure abusive.

La société Sodexo partie perdante au sens de l'article 696 du Code de procédure civile sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et déboutée de sa demande d'indemnité de procédure. Elle sera condamnée, sur ce même fondement, à payer à la société Manis, la somme de 4 000 euros.

Les circonstances de la cause et l'équité commandent ne de pas faire droit aux demandes d'indemnités de procédure des consort Koegler Lamotte.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Meaux le 9 février 2016 en toutes ses dispositions à l'exception de celle relative à l'irrecevabilité de l'action de la société Manis à l'égard de la société Koelam ; Statuant à nouveau, Déclare irrecevable l'action de la société Manis à l'encontre de Madame Sophie Koegler ès qualités de liquidateur amiable de la SNC Koelam, de Madame Sophie Koegler et de Madame Emilie Lamotte ; Dit que la société Sodexo Justice Services a engagé sa responsabilité contractuelle envers la société Manis ; Condamne la société Sodexo Justice Services à payer à la société Manis la somme de 13 472 euros en réparation du préjudice subi, outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Déboute Madame Sophie Koegler ès qualités de liquidateur amiable de la SNC Koelam, Madame Sophie Koegler et Madame Emilie Lamotte de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Déboute la société Sodexo Justice Services de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne la société Sodexo Justice Services aux dépens de première instance et d'appel ; Déboute la société Sodexo Justice Services de sa demande d'indemnité de procédure ; Condamne La société Sodexo Justice Services à payer à la société Manis la somme de 4 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déboute Madame Sophie Koegler ès qualités de liquidateur amiable de la SNC Koelam, Madame Sophie Koegler et Madame Emilie Lamotte de leur demande d'indemnité de procédure.