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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 22 mars 2018, n° 15-24108

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Atou'Services Inc. (Sté)

Défendeur :

Coop Atlantique (SCA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Katz, Lallement, Brossy

T. com. Rennes, du 2 juin 2015

2 juin 2015

Faits et procédure

La société Coop Atlantique exploite des centres commerciaux et en particulier des magasins ED et Eco Frais situés en Charente Maritime (17).

La société Le 32, gérée par M. Sébastien Chanuaud, exploitait un fonds de commerce de boulangerie pâtisserie sis 32 rue de la République, 17110 Saint-Georges-de-Didonne, sous l'enseigne " Boulangerie Le 32 ".

Selon contrat du 26 février 2008 prenant effet le 1er mars 2008, elle a donné son fonds de commerce en location-gérance à la société Atou'Services Inc. (ci-après Atou'Services), gérée par Madame Salera Bouchikh ayant pour nom d'usage Favreau.

Selon courrier recommandé AR daté du 26 novembre 2012, reçu le 17 décembre 2012, la société Coop Atlantique a notifié à M. Sébastien Chanuaud, Boulangerie Le 32, à l'adresse sis 32 rue de la République, 17110 Saint-Georges-de-Didonne, que son établissement Eco Frais de Saint Georges de Didonne cesserait de s'approvisionner auprès d'elle en pains et viennoiseries à compter du 12 décembre 2012, en raison du changement d'enseigne de cet établissement au profit d'U Express.

Selon courrier daté du 24 décembre 2012 à entête " Boulangerie Le 32 ", M. Chanuaud a répondu à la société Coop Atlantique qu'il estimait avoir droit à un préavis compte tenu de l'ancienneté de leur relation (5 ans).

Puis, par courrier recommandé AR du 21 janvier 2013, la société " Atou'Services - Boulangerie Le 32 ", par la voix de son conseil, a indiqué à la société Coop Atlantique que la résiliation des relations commerciales était abusive et qu'elle évaluait son préjudice à la somme de 40 000 euros.

Par courrier du 25 février 2013, la société Coop Atlantique a indiqué au conseil de la société Atou'Services qu'elle proposait de verser à celle-ci la somme de 4 700 euros correspondant à 3 mois de préavis pour mettre fin à leur différend, proposition portée à 5 500 euros par courriel du 15 juillet 2013, que la société Atou'Services Inc. a refusé.

C'est dans ce contexte que le 22 janvier 2014, la société Atou'Services a assigné la société Coop Atlantique en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales.

Par jugement du 2 juin 2015, le Tribunal de commerce de Rennes a :

- Déclaré irrecevable la demande de la société Atou'Services Inc.,

- Débouté la société Atou'Services Inc. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Condamné la société Atou'Services Inc. à payer à la société Coop Atlantique la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et débouté Coop Atlantique du surplus de sa demande,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné la société Atou'Services Inc. aux entiers dépens.

Vu la déclaration d'appel du 30 novembre 2015 de la société Atou'Services ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 16 mai 2016 par la société Atou'Services Inc. (ci-après Atou'Services) dans lesquelles il est demandé à la cour de :

- Déclarer tout aussi recevable que bien fondé l'appel interjeté par la société Atou'Services à l'encontre du jugement ;

- Infirmer purement et simplement le jugement, déclarant irrecevable la demande de la société Atou'Services ;

Statuant à nouveau,

- Constater que par le contrat de location gérance du 1er mars 2008, la société Atou'Services exerçait son activité sous le nom commercial " Boulangerie Le 32 " ;

- Constater que par courrier du 25 février 2013, la société Coop Atlantique a reconnu l'existence de ses relations contractuelles avec la société Atou'Services ;

- Dire et juger que la société Coop Atlantique et la société Atou'Services entretenaient des relations commerciales suivies ;

- Dire et juger que la résiliation de leurs relations commerciales était brutale.

En conséquence,

- Condamner la Société Coop Atlantique à payer à la société Atou'Services les sommes de :

* 3 875,78 euros au titre de la rupture abusive du contrat ;

* 20 332,92 euros au titre des salaires et charges du boulanger ;

* 15 000 euros à titre de dommages intérêts pour indemnisation de préjudice moral.

- Condamner la Société Coop Atlantique au paiement d'une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 14 avril 2016 par la société Coop Atlantique dans lesquelles il est demandé à la cour de :

- Confirmer le jugement,

A titre subsidiaire, en cas de réformation,

- Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Atou Services Inc.,

Y ajoutant,

- Condamner la société Atou'Services Inc. à verser à la société Coop Atlantique une somme de 8 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société Atou'Services Inc. aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux-là concernant au profit de la SCP Bolling Durand Lallement, société d'avocats, en application des dispositions de l'article 699 du CPC.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2018.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose notamment qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale s'entend d'un courant d'affaires entre des partenaires et, pour être établie au sens de ces dispositions, elle doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, le jugement entrepris doit être réformé en ce qu'il a déclaré Atou'Services irrecevable en son action faute de qualité, au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de l'existence d'une relation contractuelle entre elle et Coop Atlantique.

En effet, au vu des pièces du dossier, Atou'Services rapporte bien la preuve de l'existence d'une relation commerciale entre elle et l'intimée à compter du 1er mars 2008, date à laquelle elle a pris en location-gérance le fonds de commerce de boulangerie pâtisserie dont était propriétaire la société Le 32, et utilisé alors l'enseigne de celle-ci " Boulangerie Le 32 ", la dite enseigne faisant expressément partie des éléments incorporels du fonds donné à bail selon les stipulations du contrat de location-gérance.

En outre, il est établi et d'ailleurs non contesté par Coop Atlantique que celle-ci :

- d'une part, a reçu livraison de toutes ses commandes de pains de la part du fonds de commerce de boulangerie exploité au 32 rue de la République à Saint Georges de Didonne, objet de la location-gérance, ce, pour alimenter l'établissement Eco frais qu'elle exploitait dans cette même commune,

- et, d'autre part, a effectivement réglé l'ensemble de ces commandes, en adressant ses paiements à l'adresse de ce même fonds de commerce de boulangerie sur présentation des factures émises par " Boulangerie Le 32 ".

Par suite, Coop Atlantique qui reconnaît expressément avoir eu connaissance de l'existence de la location-gérance consentie sur ce fonds à Atou'Services, location-gérance régulièrement publiée et reconduite expressément puis tacitement d'année en année, ne peut prétendre sans contradiction avoir ignoré que le courant d'affaires ainsi instauré la liait à Atou'Services, laquelle était parfaitement autorisée à se servir de l'enseigne du fonds " Boulangerie Le 32 " notamment pour établir ses factures, dont certaines portaient d'ailleurs en outre son tampon " Atou'Services Inc. ", avec l'adresse du fonds et le numéro SIRET idoine.

Il est donc indifférent que ce soit M. Chanuaud, gérant de la société bailleresse, Le 32, qui ait répondu le 24 décembre 2012 au courrier de notification de rupture, rien ne venant d'ailleurs démentir l'affirmation de l'appelante selon laquelle l'intéressé aurait continué à travailler dans le fonds après sa mise en location-gérance comme directeur administratif.

Par ailleurs, il est rappelé que la mise en liquidation judiciaire le 4 juillet 2013 de la société bailleresse Le 32, au surplus intervenue après la rupture de relation par Coop Atlantique, est sans incidence sur la location-gérance, en application de l'article [sic] du Code de commerce.

Au demeurant, ainsi que l'observe avec justesse l'appelante, Coop Atlantique a clairement reconnu dans son courrier du 25 février 2013 l'existence d'une relation de commerce entre elle-même et Atou'Services, ainsi que sa durée et l'insuffisance du préavis octroyé, indiquant alors en effet :

" Nous pouvons comprendre que la société Atou'Services aurait préféré disposer d'un peu plus de temps pour s'organiser, c'est pourquoi nous sommes disposés à lui verser l'équivalent de ce qui aurait été un préavis raisonnable, compte tenu de nos relations commerciales assez récentes (5 ans), soit 3 mois du chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé la dernière année. Ainsi, nous proposons de mettre fin à notre différend par le versement de la somme de 4 700 euros ", peu important à cet égard que ces propos aient été tenus dans une optique de dénouement amiable du litige.

En conséquence, Atou'Services, qui justifie avoir été partie à la relation commerciale instaurée, peu important l'absence de contrat écrit, sera déclarée recevable en son action.

Sur le fond, il est rappelé que la brutalité de la rupture se caractérise par l'absence ou l'insuffisance de préavis écrit. S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, il est admis que celui-ci peut être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période d'insuffisance du préavis.

Or, en l'espèce, le préavis octroyé par Coop Atlantique (le 26 novembre 2012 pour le 12 décembre 2012) apparaît insuffisant, au regard de l'ancienneté de la relation (5 ans) et n'a pas d'ailleurs pu être exécuté, le courrier de rupture n'ayant été réceptionné qu'après sa date de prise d'effet (le 17 décembre 2012) ; pour autant, la demande tendant à le voir estimer à 8 mois paraît excessive, compte tenu de l'ancienneté de la relation et de la nature de l'activité ; par suite, il sera fixé à 6 mois, cette durée étant suffisante pour permettre à l'appelante de se ré-organiser.

Le chiffre d'affaires annuel moyen de 19 378,89 euros et le taux de marge brute de 30 % invoqués par Aout'Services n'étant pas utilement critiqués par l'intimée, l'indemnité compensatrice de la brutalité de la rupture sera fixée à ((19 378,89 x 30 %) : 2 = 2 906,83 euros.

En revanche, l'appelante sera déboutée de sa demande de prise en charge pour 20 332,92 euros des salaires et charges de son employé, faute de justifier qu'il s'agit d'un poste de préjudice imputable à la rupture, et, ainsi, que l'intéressé aurait été licencié suite à la dite rupture.

Elle sera également déboutée de sa demande indemnitaire pour préjudice moral, faute de justifier d'un préjudice distinct indépendant de celui qui est réparé par l'indemnité de rupture et compte tenu de la proposition amiable d'indemnisation qui lui avait été faite (pour 5 500 euros) et qu'elle a refusée, avant d'introduire l'instance. Par ailleurs, le caractère abusif de la rupture n'est pas établi, étant rappelé que toute partie à une relation commerciale à durée indéterminée peut y mettre fin librement, à charge pour elle de respecter un préavis suffisant.

Coop Atlantique qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel. L'équité commande d'allouer à l'appelante la somme qu'elle demande en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Statuant de nouveau, déclare recevable l'action de la société Atou'Services Inc. ; condamne la société Coop Atlantique à payer à la société Atou'Services Inc. les sommes de : 2 906,83 euros, à titre d'indemnité de rupture ; 4 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; rejette le surplus des demandes ; condamne la société Coop Atlantique aux dépens.