CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 21 mars 2018, n° 16-05253
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
JCA Pressing (SARL), PB Invest (SARL)
Défendeur :
Suzanne Caoutchouc (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mme Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Cohen, Vignes, Kremer
Faits et procédure
La SARL JCA Pressing (ci-après, " JCAP ") qui est spécialisée dans le domaine de l'entretien des vêtements en cuir, daim et fourrure, exploite 5 établissements ayant une activité de pressing à destination des particuliers. La SARL PB Invest (ci-après " PBI ") qui a le même gérant, M. Y, exploite 12 établissements qui ont, soit une activité de pressing, soit une activité de réparation de chaussures et d'articles en cuir.
Depuis plusieurs années, les cinq établissements de la société JCAP ainsi que neuf des douze établissements de la société PBI sont en relation d'affaire avec la SARL Suzanne Caoutchouc (ci-après " SC ") qui est spécialisée dans le domaine de la blanchisserie-teinturerie de gros à destination des professionnels.
Les sociétés PBI et JCAP sous-traitent à la société SC le nettoyage de leurs vêtements en cuir et en daim, ainsi que les tapis qui leurs sont confiés par leur clientèle.
Les relations se sont poursuivies pendant plus de huit ans entre la société JCAP et la société SC, et pendant près de onze ans entre la société PBI et la société SC.
Le 19 mars 2014, la société JCAP a mis fin à la collaboration avec la société SC pour trois des pressings et le 21 mars 2014, la société PBI a mis fin à la collaboration avec la société SC pour cinq des pressings.
Par exploits des 2 et 3 juin 2014, la société SC a assigné les sociétés JCAP et PBI en paiement de factures impayées à hauteur respectivement de 8 819, 37 euros et de 10 990,08 euros et en indemnisation pour rupture brutale des relations commerciales établies devant le Tribunal de commerce de Paris. Les sociétés JCAP et PBI ont réglé les sommes dues au titre des factures et reconventionnellement, ont sollicité la condamnation de la société SC pour rupture brutale des relations commerciales établies.
Par jugement du 15 février 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :
- joint les causes enrôlées sous les numéros de RG 2014034323 et 2014034612 en une seule et même cause sous le numéro de RG: J2016000023,
- condamné la SARL JCAP à payer à la société SC la somme de 6 136 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamné la SARL PBI à payer à la SARL SC la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement, nonobstant toute voie de recours et sans constitution de garantie, sur le fondement de l'article 515 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,
- condamné la SARL JCAP et la SARL PBI aux dépens chacune pour moitié, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 105,84 dont 17,42 euros de TVA.
Le tribunal de commerce a considéré, en substance, que les sociétés JCAP et PBI avaient pris l'initiative de la rupture partielle de leurs relations commerciales avec la société SC, que les motifs qu'elles invoquaient (concurrence déloyale ou mauvaise qualité des prestations) n'étaient pas avérés et qu'elles auraient dû respecter un préavis de 9 mois.
En cours de délibéré devant le tribunal de commerce, est intervenue une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Suzanne Caoutchouc, convertie en liquidation de biens par jugement du 11 janvier 2016, Maître X étant désigné en qualité de liquidateur.
Par déclaration du 26 février 2016, la société JCA Pressing et la société PB Invest ont interjeté appel du jugement du 15 février 2016, intimant la société Suzanne Caoutchouc. Invitées par le greffier à procéder par voie de signification dans le mois, conformément à l'article 902 du Code de procédure civile, en l'absence de constitution d'avocat par la société Suzanne Caoutchouc, la société JCA Pressing et la société PB Invest ont dénoncé à Maître X, ès qualités de liquidateur de la société Suzanne Caoutchouc la déclaration d'appel et les conclusions, par exploit du 24 juin 2016. Maître X, ès qualités de liquidateur de la société Suzanne Caoutchouc, a constitué avocat le 3 août 2016.
Par ordonnance du 13 décembre 2016, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de caducité de la déclaration d'appel formée par Maître X, ès qualités de liquidateur de la société Suzanne Caoutchouc.
LA COUR
Vu la déclaration d'appel et les dernières conclusions déposées et notifiées le 29 janvier 2018 par lesquelles les sociétés JCA Pressing et PB Invest, appelantes, invitent la cour, au visa des articles 7 et 16 du Code de procédure civile, L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 du Code civil, à :
- les déclarer recevables et bien fondées en leurs présentes écritures et pièces,
y faisant droit, à titre principal,
sur la rupture des relations commerciales établies entre les sociétés PBI et JCAP, et la société SC
- constater l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés PBI et SC,
- constater l'existence d'une relation commerciale établie entre les sociétés JCAP et SC,
- constater que la société SC a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre des sociétés PBI et JCAP,
- constater que la société SC a accepté de reprendre sans condition sa relation commerciale avec la société PBI de sorte qu'elle n'a subi aucun préjudice du fait de l'absence de rupture,
- dire que postérieurement à son acceptation, la société SC a rompu, brutalement et à sa seule initiative, sa relation commerciale avec l'ensemble des établissements exploités par la société PBI,
- constater que la relation commerciale entre la société SC et la société JCP a perduré postérieurement au 19 mars 2014,
- dire qu'un préavis minimum de 6 mois aurait dû être laissé à la société PBI ainsi qu'à la société JCAP avant la rupture de toute relation commerciale,
en conséquence,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société PBI à verser à la société SC la somme de 9 424 euros à titre de dommages et intérêts,
- infirmer le jugement dont appel ce qu'il a condamné la société JCAP à verser à la société SC la somme de 6 136 euros à titre dommage et intérêts,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société PBI à verser à la société SC la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société JCAP à verser à la société SC la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- condamner la société SC à verser à la société PBI, la somme de 5 235 euros, à titre de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale qui les unissait,
- condamner la société SC à verser à la société JCAP, la somme de 3 737 euros de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale de la relation commerciale qui les unissait,
- débouter la société SC de l'ensemble de ses demandes formulées au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
sur le paiement de la somme de 861,82 euros réclamée à la société PBI au titre des factures émises par la société SC
- constater que la société PBI a payé à la société SC l'intégralité des sommes réclamées à cette dernière depuis son assignation du 3 juin 2014,
- constater que la somme de 861,82 euros réclamée par la société SC est due par la société Pressing d'Ivry et non par la société PBI lesquelles n'ont aucun lien entre elles,
en conséquence,
- confirmer que le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société SC de sa demande de paiement de la somme de 861,82 euros formulée à l'encontre de la société PBI,
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait considérer que les sociétés PBI et JCAP ont rompu brutalement les relations commerciales établies qui les liaient à la société SC :
- constater que le courant d'affaires réalisé avec la société PBI, est, pour la société SC, extrêmement faible compte tenu de son chiffre d'affaires total et de l'absence d'exclusivité de cette relation commerciale,
- constater que le courant d'affaires réalisé avec la société JCAP, est, pour la société SC, extrêmement faible compte tenu de son chiffre d'affaires totale et de l'absence d'exclusivité de cette relation commerciale,
- constater qu'un délai de préavis de 9 mois, tel que fixé par le Tribunal de commerce de Paris est disproportionné,
- constater que la société SC ne démontre pas le quantum de son préjudice,
- constater que le Tribunal de commerce de Paris s'est fondé sur des éléments non soumis aux débats tirés des investigations personnelles du juge,
en conséquence,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société PBI à verser à la société SC la somme de 9 424 euros à titre de dommages et intérêts,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société JCAP à verser à la société SC la somme de 6 136 euros à titre de dommages et intérêts,
statuant à nouveau,
- débouter la société SC de l'ensemble de ses demandes formulées au titre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
à titre infiniment subsidiaire,
- constater que le montant alloué par le Tribunal de commerce de Paris au titre de l'article 700 du Code de procédure civile est excessif,
en conséquence,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société PBI à verser à la société SC la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société JCAP à verser à la société SC la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- débouter la société SC de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
en tout état de cause,
- condamner la société SC à verser à la société PBI et à la société JCAP la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonner la capitalisation des intérêts sur l'ensemble des sommes allouées aux sociétés PBI et JCAP,
- condamner la société SC aux entiers dépens de la présente instance ;
Vu les dernières conclusions déposées et notifiées le 23 août 2016 par lesquelles Maître X, ès qualités de liquidateur de la société Suzanne Caoutchouc, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, 1184 du Code civil, 515 et 700 du Code de procédure civile, de :
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 15 février 2016, en toutes ses dispositions,
en conséquence,
à titre principal
- débouter les sociétés JCAP et PBI de leur appel,
- constater que les sociétés JCAP et PBI n'ont pas déclaré leurs créances alléguées sur la société SC dans les formes et les délais impartis,
- déclarer par conséquent inopposables et en tout cas irrecevables et à tout le moins mal fondées les demandes de condamnation des sociétés JCAP et PBI à l'encontre de Maître X ès qualités de mandataire-liquidateur judiciaire de la société SC,
à titre subsidiaire
- constater l'application du principe d'exception d'inexécution par la société SC et débouter les sociétés JCAP et PBI de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions,
en tout état de cause
- condamner la société JCAP au paiement de 6 000 euros en faveur de Maître X ès qualités de liquidateur de la société SC, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
- condamner la société PBI au paiement de 6 000 euros en faveur de Maître X ès qualité de liquidateur de la société SC, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
SUR CE
Les parties s'accordent à reconnaître que la société JCA Pressing et la société PB Invest ont notifié, chacune, à la société Suzanne Caoutchouc la rupture partielle de leurs relations commerciales, respectivement par lettre recommandée du 19 mars 2014 à effet au 1er avril 2014 pour 3 pressings (Villebon-sur-Yvette, Aubervilliers et Soisy-sous-Montmorency) sur 5 et par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2014 à effet immédiat pour 5 pressings (Bonneuil- sur-Marne, Arcueil, Lieusant, Rosny sous Bois et Bagnolet) sur 9 et qu'à ces dates, elles entretenaient des relations commerciales établies depuis respectivement 11 ans et 8 ans, sans qu'aucun contrat écrit ne soit formalisé.
Mais chacune des trois sociétés en cause soutient avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, la société SC invoquant une rupture partielle en suite des deux lettres de rupture et les sociétés appelantes, prétendant que malgré les lettres de rupture pour 8 magasins qu'elles ont envoyées et qui étaient justifiées par des manquements graves, les relations concernant ces magasins ont été reprises jusqu'au 13 mai 2014 date à laquelle le livreur de la société SC a refusé d'emporter les articles du magasin d'Arcueil et au 22 mai 2014, date à laquelle la société SC a cessé de fournir ses services pour l'ensemble des établissements, en ce compris ceux qui n'étaient pas concernés par les lettres de rupture de sorte qu'elles ont été victimes d'une rupture brutale totale des relations commerciales établies dont elles demandent reconventionnellement réparation.
L'instruction du dossier fait notamment apparaître les éléments suivants :
- de 2003 à janvier 2014, aucune pièce n'atteste d'une quelconque récrimination de la société JCA Pressing et de la société PB Invest envers leur sous-traitant, la société SC,
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 janvier 2014, la société PB Invest a reproché à la société SC l'intervention d'un livreur " vêtu d'une tenue professionnelle logotée au nom d'une société spécialisée dans le nettoyage des tapis, cuirs, daims réservés aux particuliers avec comme moyen de transport un camion reprenant les mêmes inscriptions plus le tarif sur tapis (8,50 euros) " (pièce appelantes n° 3) - le 24 janvier 2014, la société SC lui a répondu que son chauffeur habituel avait été obligé d'interrompre sa tournée à la suite d'un décès et qu'il avait été remplacé " sur le champ " par une autre personne, lui a confirmé que cet incident ne se reproduirait plus et lui a rappelé qu'il lui restait due la somme totale de 16 800,94 euros qu'il convenait de régulariser dans l'urgence (pièce intimée 1 bis),
- antérieurement, par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 janvier 2014 (pièce intimée n° 1), réitérée les 2 février, 3 mars, 18 mars et 25 mars 2014 (pièces intimée n° 2, 2 bis, 3, 3 bis, 5 et 5 bis), la société SC a mis en demeure la société PB Invest et la société JCA Pressing d'avoir à lui régler les factures impayées de juillet à décembre 2013 ainsi que des factures d'avril à juillet 2012,
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 mars 2014, exposant avoir constaté depuis quelques temps un grand nombre de litiges concernant les cuirs et daims dans ses magasins et un mécontentement de la clientèle, la société JCA Pressing a notifié à la société SC sa décision d'arrêter de recourir à ses services dans les magasins de Villebon-sur-Yvette, Aubervilliers et Soisy-sous-Montmorency, soit 3 pressings sur 5 (pièce intimée n° 7),
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 mars 2014, exposant avoir constaté depuis quelques temps un grand nombre de litiges concernant les cuirs et daims dans ses magasins et un mécontentement de la clientèle, la société PB Invest a notifié à la société SC sa décision d'arrêter de recourir à ses services dans les magasins de Bonneuil-sur-Marne, Arcueil, Lieusant, Rosny-sous-bois et Bagnolet, soit 5 pressings sur 9 (pièce intimée n° 7 bis),
- par lettres recommandées avec accusé de réception du 28 mars 2014, la société SC leur a répondu que ces ruptures étaient brutales et injustifiées (pièces intimée n° 8 et 8 bis) dès lors qu'au cours de l'année 2013, aucun dossier litige client n'a été ouvert, qu'aucune réclamation ne lui a jamais été adressée et qu'aucune des ruptures n'a été assortie d'un préavis alors qu'elles entretenaient des relations commerciales établies depuis plus de 8 et 10 ans, leur rappelant qu'elle émettrait des factures pour les dernières prestations qu'elle avait réalisées pour les magasins visés pour lesquelles elle ne tolérerait aucun retard de paiement,
- par emails du 29 avril 2014, la société PB Invest a demandé à la société SC de reprendre les livraisons sur les magasins de Bagnolet et de Rosny, (pièces appelantes n° 8-1 et 8-2),
- par email du 30 avril 2014, la société SC a accepté d'envoyer un livreur le 6 mai 2014 au seul magasin de Bagnolet,
- le 13 mai 2014, le livreur de la société SC a livré des articles au magasin d'Arcueil mais a refusé d'en emporter (pièce appelantes n° 10),
- le 23 mai 2014, la société SC a cessé de procéder à l'enlèvement d'articles dans tous les établissements.
Sur la demande d'indemnisation de la société SC pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies
La rupture partielle
La société SC entend rechercher la responsabilité de la société JCA Pressing et de la société PB Invest sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce pour rupture brutale partielle des relations commerciales établies, par lettres des 19 et 21 mars 2014.
Les sociétés JCA Pressing et PB Invest réfutent toute rupture brutale partielle des relations commerciales de leur part en se prévalant d'inexécutions de la société SC à ses obligations justifiant une rupture sans préavis. Elles soutiennent qu'au cours de l'année 2013, elles n'ont pu que constater que les prestations réalisées par la société SC n'étaient pas de qualité suffisante et ne satisfaisaient plus au niveau d'exigence attendu, ce qu'elles ont dénoncé par lettre du 23 janvier 2014 à laquelle la société SC n'a pas répondu. Elles font également état du fait qu'au cours de ses livraisons, la société SC s'est autorisée à utiliser des équipements permettant de l'identifier et à afficher les tarifs qu'elle réserve aux particuliers, bénéficiant ainsi d'une visibilité sans frais auprès de la clientèle de son partenaire commercial, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale. Elles considèrent que la société SC a reconnu la réalité des griefs de sorte que c'est à tort que le tribunal a jugé qu'aucune faute n'avait été commise. Elles ajoutent que postérieurement aux notifications qu'elles ont adressées à la société SC, celle-ci a continué à fournir ses prestations en mars et avril 2014 de telle sorte qu'elles considèrent que la relation commerciale n'a pas été interrompue en fait.
La société SC réplique que ce n'est qu'à la date de la notification de leur décision de rupture que la société JCA Pressing et la société PBI ont, pour la première fois, fait état d'un " grand nombre de litiges concernant les cuirs et daims dans nos magasins et un mécontentement de notre clientèle ". Elle affirme qu'aucun litige client n'a été ouvert. Elle ajoute que le simple fait qu'une seule et unique livraison ait été effectuée par la société SC par une personne " vêtue d'une tenue professionnelle logotée au nom d'une société spécialisée dans le nettoyage des tapis, cuirs, daims réservés aux particuliers avec comme moyen de transport un camion reprenant les mêmes inscriptions plus le tarif sur tapis " ne saurait constituer un agissement susceptible d'établir un démarchage de clientèle. Enfin, elle soutient qu'il ne ressort d'aucun courrier que les sociétés JCA et PB Invest aient renoncé totalement et de manière non équivoque aux ruptures brutales partielles qu'elles ont notifiées.
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu' " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait par tout producteur, commerçant industriel ou personne immatriculée au registre des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement une relation commerciale établie sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce par des accords interprofessionnels .... Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Cet article prévoit in fine que ces dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles. Ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.
Comme l'ont retenu, à juste titre, les premiers juges, la livraison reprochée effectuée par un livreur vêtu d'une tenue professionnelle logotée au nom de la société SC et arrivant à bord d'un camion reprenant les mêmes inscriptions, a été un incident unique dont la société SC a justifié les raisons. Il ne saurait dès lors constituer un manquement grave justifiant la rupture partielle de relations commerciales établies depuis de nombreuses années. Par ailleurs, les sociétés appelantes ne justifient de l'existence d'aucun litige les ayant opposées à leurs clients sur la qualité des prestations prodiguées par la société SC et les quelques retours de vêtements reconnus sont de très faible importance eu égard au nombre important de prestations effectuées et n'ont, de surcroît, fait l'objet d'aucune mise en demeure. Par suite, les appelantes ne démontrent aucun manquement grave justifiant une rupture partielle des relations commerciales sans préavis.
Les sociétés appelantes soutiennent que postérieurement aux 19 et 21 mars 2014, la société SC a continué à fournir ses prestations jusqu'au mois d'avril 2014 pour 6 magasins (Villebon-sur-Yvette, Aubervilliers, Soisy-sous-Montmorency, Arcueil, Lieusant et Rosny sous-bois) de sorte que la relation commerciale n'aurait pas été interrompue en fait. Elles se prévalent, à cet égard, de factures du 31 mars 2014 (pièces appelantes n° 7-1, 7-2, 19 et 23) et d'un échange d'emails des 29 et 30 avril 2014 (pièces appelantes n° 8-1 et 8-2).
Mais, étant rappelé que la renonciation à un droit ou à une action ne se présume pas et que pour être utilement opposée par celui qui s'en prévaut, elle doit être certaine, expresse et non équivoque, il apparaît en l'espèce que la preuve d'une acceptation commune de reprendre les relations commerciales et par suite, de renoncer à leur rupture, n'est pas rapportée.
En effet, d'une part, il ne ressort aucunement des factures invoquées qu'elles soient afférentes à des prestations commandées par les sociétés appelantes et délivrées par la société SC postérieurement aux lettres de ruptures. D'autre part, il résulte des emails échangés les 29 et 30 avril 2014 entre la seule société PB Invest et la société SC que la demande de reprise des livraisons formulée par la première ne concerne que deux magasins (Rosny et Bagnolet) et que la seconde a limité son intervention au seul magasin de Bagnolet, pour l'unique journée du 6 mai 2014. Par suite, la rupture partielle des relations commerciales à l'initiative des sociétés PB Invest et JCA Pressing les 19 et 21 mars 2014 est avérée.
Le préavis suffisant
La société SC relève que la société JCAP ne lui a accordé qu'un préavis de 12 jours et la société PBI aucun préavis. Elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a évalué à 9 mois la durée du préavis suffisant. Les sociétés PBI et JCAP considèrent que la durée du préavis retenu par le tribunal est manifestement excessive compte tenu du préjudice limité eu égard au volume d'affaires existant entre les parties et entendent le voir fixer à 1 mois.
Il ressort de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant au regard des relations commerciales antérieures. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une autre solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, la dépendance économique, le volume d'affaires réalisé et la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.
La société PB Invest :
Compte tenu des pièces produites et eu égard à l'ancienneté des relations commerciales d'une durée de 11 ans, au volume d'affaires, à la part de la société PB Invest dans le chiffre d'affaires total de la société Suzanne Caoutchouc (1,02 %), à la nature de l'activité considérée, à la réalité du marché concerné, et à défaut de la justification d'une dépendance économique, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que la société SC aurait dû bénéficier d'un préavis de 9 mois afin de pallier les incidences de la perte des prestations qu'elle prodiguait à la société PBI. Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
La société JCA Pressing
Compte tenu des mêmes critères et sachant que l'ancienneté des relations commerciales a été d'une durée de 8 ans et que la part de la société PBI dans le chiffre d'affaires total de la société Suzanne Caoutchouc représentait 0,61 %, le préavis suffisant doit être évalué à 7 mois. Le jugement entrepris qui a retenu 9 mois, sera donc infirmé sur ce point.
Le préjudice
Les sociétés appelantes sollicitent l'infirmation du jugement concernant les sommes allouées à la société SC en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité au motif que leur quantum n'est pas justifié.
La société SC réplique qu'elle a évalué son préjudice eu égard à la moyenne de la marge brute qu'elle a réalisée avec les pressings concernés par les ruptures partielles au titre des 3 dernières années (2011 à 2013), et que l'exactitude de ces montants est attestée par les expert-comptables.
Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.
La société PB Invest
Compte tenu des éléments versés aux débats par l'intimée et non sérieusement contestés par l'appelante, dont des extraits des grands livres clients de 2011 à 2013 et l'attestation de l'expert-comptable qui a vérifié les pourcentages de marges qu'a réalisés la société SC au titre des trois dernières années avec les 5 pressings concernés (pièce intimée n° 21 bis), il y a lieu d'évaluer la moyenne de la marge réalisée par la société SC au titre des années 2011 à 2013 à la somme de 12 564,50 euros. Dès lors, le manque à gagner de la société SC pendant les 9 mois de préavis qui aurait dû lui être accordé s'établit à la somme de 9 423 euros (12 564,50/12 x 9). Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.
La société JCA Pressing
Compte tenu des éléments versés aux débats par l'intimée et non sérieusement contestés par l'appelante, dont des extraits des grands livres clients de 2011 à 2013 et l'attestation de l'expert-comptable qui a vérifié les pourcentages de marges brutes qu'a réalisés la société SC au titre des trois dernières années avec les 3 pressings concernés (pièce intimée n° 21), il y a lieu d'évaluer la moyenne de la marge réalisée par la société SC au titre des années 2011 à 2013 à la somme de 8 181,93 euros. Dès lors, le manque à gagner de la société SC pendant les 7 mois de préavis qui aurait dû lui être accordé s'établit à la somme de 4 772 euros (8 181,93/12 x 7). Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef.
Sur les demandes d'indemnisation par les sociétés JCA Pressing et PB Invest pour rupture totale brutale des relations commerciales
Les sociétés JCAP et PBI soutiennent qu'elles n'ont pu que constater et surtout subir la décision prise par la société SC de rompre totalement leurs relations commerciales sans préavis, ni notification préalable. Elles indiquent que cette rupture s'est tout d'abord caractérisée par un refus de prise en charge des articles de l'établissement d'Arcueil exploité par la société PBI le 13 mai 2014, et qu'à partir du jeudi 22 mai 2014, la société SC a définitivement cessé de fournir ses services, sur l'ensemble des établissements dont ceux non visés par les courriers des 19 et 21 mars 2014. Elles sollicitent, à ce titre, la condamnation de la société SC à leur verser respectivement la somme de 5 235 euros et celle de 3 737 euros.
Mais, l'article L. 622-26 du Code de commerce disposant, qu'à défaut de relevé de forclusion, une créance non déclarée dans les délais n'est pas éteinte mais est inopposable à la liquidation judiciaire, ces demandes sont irrecevables faute pour les sociétés JCA Pressing et PB Invest de justifier de leur déclaration de créance respective au passif de la liquidation judiciaire de la société SC.
Sur les autres demandes
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a condamné les sociétés JCAP et PBI aux dépens de première instance et à verser chacune à la société SC, la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Succombant essentiellement en appel, elles devront en supporter les dépens et verser, chacune, à Maître X, ès qualités de liquidateur de la société SC, la somme supplémentaire de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la société JCA Pressing à verser à la société Suzanne Caoutchouc la somme de 6 136 euros ; l'infirme sur ce point ; statuant à nouveau, condamne la société JCA Pressing à verser à la société Suzanne Caoutchouc la somme de 4 772 euros ; et y ajoutant, déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; condamne les sociétés JCA Pressing et PB Invest aux dépens de l'appel ; condamne les sociétés JCA Pressing et PB Invest à verser, chacune, à Maître X, ès qualités de liquidateur de la société Suzanne Caoutchouc la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.