Cass. com., 5 avril 2018, n° 13-21.001
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Artprice.com (SA)
Défendeur :
Briolant, Camard et associés (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Riffault-Silk
Rapporteur :
M. Sémériva
Avocat général :
M. Debacq
Avocats :
SCP Bénabent, SCP Hémery, Thomas-Raquin
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Artprice.com que sur le pourvoi incident relevé par la société Camard et associés ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Briolant, photographe, et la société Camard et associés, maison de vente volontaires aux enchères, titulaire de la marque française "Camard" n° 3 172 502, estimant que la société Artprice.com, qui exploite une base de données en ligne constituée à partir de catalogues de maisons de ventes aux enchères, numérisés par ses soins, portait atteinte aux droits d'auteur dont ils se disent respectivement investis sur des photographies et des catalogues, et aux droits de marque de la société Camard, ont assigné la société Artprice.com en contrefaçon ainsi qu'en concurrence déloyale et parasitaire ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Délibéré par la première chambre civile de la Cour de cassation après débats à l'audience publique du 10 mai 2017, où étaient présents : Mme Batut, président, M. Girardet, conseiller rapporteur, Mme Kamara, conseiller doyen, Mme Randouin, greffier de chambre ; - Attendu que la société Artprice.com fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la société Camard et associés la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation d'actes de contrefaçon de droits d'auteur par reproduction des catalogues alors, selon le moyen : 1°) qu'une œuvre n'est originale que lorsqu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que l'originalité ne peut être déduite des seuls choix opérés par l'auteur afin de répondre à des impératifs d'ordre purement fonctionnel ; que, pour retenir le caractère original des catalogues revendiqués par la société Camard, la cour d'appel a affirmé que les objets qui y étaient présentés étaient accompagnés d'une description tendant à les replacer dans leur " contexte historique, culturel et social " et que les catalogues d'affiches présentaient celles-ci " par périodes, par écoles ou régions ", qu'en se fondant ainsi sur les choix de présentation des catalogues opérés par la société Camard liés à la nécessité de délivrer à ses clients une information exhaustive quant à l'origine des objets vendus, la cour d'appel, qui n'a pas expliqué en quoi, au-delà de leur aspect fonctionnel, les catalogues litigieux auraient été empreints de la personnalité de leur auteur, a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) qu'une œuvre n'est originale que lorsqu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que l'originalité ne peut être déduite du seul fait que sa réalisation a nécessité des choix, aussi arbitraires soient-ils, de la part de l'auteur ; qu'en retenant que l'originalité des catalogues revendiqués par la société Camard se manifestait "par le choix de la photographie" et de la "mise en page" de leur couverture, l'ordre de présentation des lots selon "un certain ordre" ou encore par le "choix des citations, des notices biographiques et leur rédaction", sans expliquer en quoi ces choix, pour arbitraires qu'ils soient, manifesteraient l'empreinte de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel a, derechef, privé sa décision de base légale au regard des articles L. 111-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 3°) qu'une œuvre n'est originale que lorsqu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur indépendamment de son caractère nouveau ; qu'en déduisant l'originalité des catalogues revendiqués par la société Camard du fait qu'ils présentaient "une physionomie propre qui les distingu[aient] des autres catalogues de vente aux enchères", la cour d'appel, qui a fondé sa décision sur l'aspect nouveau desdits catalogues quand il lui appartenait de caractériser en quoi ils aurait été empreints de la personnalité de leur auteur, a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 4°) qu'une contradiction entre les motifs équivaut à une absence de motifs ; qu'en affirmant tout à la fois que le catalogue correspondant à la pièce adverse n° 71 b présentait des caractéristiques propres lui permettant de bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur et que ce même catalogue ne présentait aucune originalité de sorte qu'il n'était pas protégeable au titre du droit d'auteur, la cour d'appel entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève que chaque catalogue comprend, outre une présentation méthodique et ordonnée des lots, une notice biographique des auteurs des œuvres et une description de celles-ci qui les replace dans leur contexte historique, culturel ou social ; qu'il ajoute que les catalogues d'objets d'art décoratif donnent à voir les mobiliers in situ, à l'aide de photographies anciennes des salles où ils étaient exposés, que les catalogues d'affiches en donnent une présentation organisée par motifs, périodes, écoles ou régions, et que le choix de la photographie de l'objet illustrant la couverture dont la mise en page s'étend à la tranche et au dos reflète une recherche esthétique ; que la cour d'appel a ainsi, sans se contredire, la pièce 71 b étant composée de deux catalogues, estimé que l'ensemble de ces caractéristiques traduisait un parti pris esthétique empreint de la personnalité des auteurs des catalogues, justifiant ainsi légalement sa décision ;
Sur le quatrième moyen du même pourvoi : - Délibéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans les mêmes conditions ; - Attendu que la société Artprice.com fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme en réparation du préjudice subi du fait des actes de parasitisme et de lui faire interdiction de procéder à toute reproduction des catalogues, en entier ou par extraits, sur son site internet ;
Attendu que la société Artprice.com n'ayant pas fait valoir devant la cour d'appel que les actes allégués de parasitisme n'étaient pas distincts de ceux incriminés au titre de la contrefaçon, le moyen est nouveau, mélangé de fait et de droit, et partant, irrecevable ;
Sur le cinquième moyen du même pourvoi : - Délibéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans les mêmes conditions ; - Attendu que la société Artprice.com fait grief à l'arrêt de retenir que huit mille sept cent soixante-dix-neuf photographies dont M. Briolant est l'auteur, telles que mentionnées et reproduites à la pièce 129 de son dossier, sont éligibles à la protection conférée par le droit d'auteur et, en conséquence, de dire qu'elle s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon en les reproduisant sans autorisation sur son site internet <artprice.com> alors, selon le moyen : 1°) que, pour déterminer le caractère protégeable de plusieurs œuvres au titre du droit d'auteur, les juges du fond sont tenus de rechercher si et en quoi chacune des œuvres porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; qu'en se livrant à une appréciation globale des huit mille sept cent soixante-dix-neuf photographies revendiquées par M. Briolant dont l'originalité était contestée par la demanderesse, sans procéder à un examen détaillé, photographie par photographie, de leurs caractéristiques propres afin de préciser en quoi chacune d'entre elles porterait l'empreinte de la personnalité de son auteur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) qu'une œuvre n'est originale que lorsqu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur ; que l'originalité ne peut être déduite des seuls choix opérés par l'auteur pour répondre à des impératifs d'ordre purement fonctionnel ou traduisant un savoir-faire ; que, pour retenir l'originalité des photographies revendiquées par M. Briolant, la cour d'appel a affirmé que ce dernier avait procédé à des recherches de "positionnement" et de "cadrage" en retenant, notamment pour les sculptures, un "détail particulier", que le "cadrage" et "l'angle de prise de vue" résultaient de choix "arbitraires" ; qu'elle a également relevé que l'usage du flash créait des jeux d'ombres et lumière afin de souligner l'objet photographié, que certains clichés avaient été réalisés sur un fond neutre dégradé "destiné à distinguer et à mettre en valeur l'objet photographié" et qu'ils étaient réalisés à l'aide de logiciels spécialisés afin de "calibrer les couleurs et les contrastes" ; qu'en se fondant ainsi sur des choix exclusivement fonctionnels et sur le savoir-faire technique du photographe quand il lui appartenait d'expliquer en quoi les photographies litigieuses auraient été empreintes de la personnalité de leur auteur, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser l'originalité de ces photographies, a violé les articles L. 111-1 et L. 112-2 du Code de propriété intellectuelle ; 3°) que le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que la photographie de M. Briolant intitulée "Roger Tallon, escalier M 400, 1965" était protégeable au titre du droit d'auteur dès lors qu'elle faisait partie des huit mille sept cent soixante-dix-neuf photographies, reproduites à la pièce 129 du dossier des appelants qui bénéficieraient de la protection au titre du droit d'auteur, cependant que cette photographie, correspondant à la pièce n° 88 c, n'était pas reproduite à la pièce 129, la cour d'appel a dénaturé celle-ci par addition et violé l'article 1134 du Code civil ainsi que l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer les éléments de la cause ;
Mais attendu que l'arrêt relève que les œuvres photographiques considérées se caractérisent par une recherche esthétique de positionnement de chacun des objets représentés et, pour certains d'entre eux, par un cadrage sur un détail, ou encore par le positionnement de plusieurs objets sur la même photographie, en opposition ou en complémentarité les uns par rapport aux autres, notamment pour les meubles ou les ensembles de tables, créant ainsi une "dynamique particulière" ; qu'il ajoute que, pareillement, le cadrage et l'angle de prise de vue des objets, tels que les meubles et les accessoires de la maison, reflètent des choix esthétiques arbitraires, les objets étant photographiés en studio, parfois de biais ou à distance, avec une utilisation recherchée des jeux d'ombres et de lumières par le recours à un flash pour créer des ombres portées mettant en valeur l'objet photographié comme le fait le choix des dégradés particuliers du fond des photographies ; que l'arrêt retient encore que M. Briolant justifie d'un travail particulier de post-production à l'aide de logiciels spécialisés afin, notamment, de calibrer les couleurs et les contrastes ; que, procédant à l'examen de chacune des photographies en cause, sans dénaturer la pièces n° 129, laquelle comprenait celle visée par la troisième branche, la cour d'appel a ainsi identifié la combinaison des caractéristiques, commune à ces œuvres, qui traduisait un parti pris esthétique empreint de la personnalité de l'auteur ; qu'elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Mais sur le sixième moyen du même pourvoi : - Délibéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans les mêmes conditions ; - Vu les articles L. 121-1 et L. 313-1-3 du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que, pour condamner la société Artprice.com à payer à M. Briolant la somme de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral, l'arrêt retient que le nom de l'auteur n'est pas mentionné sur un grand nombre de photographies reproduites et que des modifications ont été opérées sur certaines d'entre elles, notamment pour présenter séparément les objets ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser le nombre de photographies non créditées et modifiées prises en compte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
Sur le moyen unique du pourvoi incident : - Délibéré par la première chambre civile de la Cour de cassation dans les mêmes conditions ; - Vu l'article 455 du Code procédure civile ; - Attendu que, pour rejeter sa demande en réparation d'actes de parasitisme, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. Briolant a cédé ses clichés, non protégés par le droit d'auteur, à la société Camard qui en est devenue propriétaire et que, dès lors, il ne peut justifier d'un préjudice ;
Qu'en statuant ainsi, sans indiquer les éléments sur lesquels elle se fondait pour retenir l'existence d'un transfert de propriété et sans s'expliquer sur les conclusions de M. Briolant qui faisait valoir qu'il ne cédait pas la propriété de ses clichés aux maisons de ventes et qu'il s'en réservait l'exploitation, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
Et sur le deuxième moyen du pourvoi principal : - Vu l'article L. 713-4, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle ; - Attendu que pour dire que la société Artprice.com a commis des actes de contrefaçon de la marque française "Camard" n° 3 172 502, l'arrêt retient qu'il résulte de constats d'huissier que la marque est reproduite sur le site internet artprice.com, dans les mêmes formes et sur les mêmes produits, à savoir la couverture des catalogues illustrant les ventes organisées par la société Camard et associés, que cette reproduction a pour but de garantir la provenance des produits, que la fonction essentielle de la marque est ainsi remplie, que, s'agissant d'une reproduction de la marque le risque de confusion est sans incidence sur l'appréciation de la contrefaçon et que, dans la mesure où la mise en ligne des catalogues de la société Camard constitue une contrefaçon des droits d'auteurs de celle-ci sur ces catalogues, la reproduction de la marque figurant sur les couvertures des catalogues contrefaisants n'est pas faite à titre informatif mais constitue également un acte de contrefaçon de cette marque ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si le droit exclusif du propriétaire de la marque n'avait pas été épuisé par la mise sur le marché dans l'Union européenne des produits revêtus de cette marque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Artprice.com à payer à M. Briolant la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, en ce qu'il rejette la demande de M. Briolant de réparation d'actes de parasitisme, en ce qu'il dit qu'en reproduisant sans autorisation la marque française "Camard" déposée le 4 juillet 2002 et enregistrée le 9 août 2002 sous le numéro 3 172 502, la société Artprice.com a commis des actes de contrefaçon de cette marque, et en ce qu'il condamne cette société à payer à la société Camard et associés la somme de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de ces actes de contrefaçon, l'arrêt rendu le 26 juin 2013, entre les parties, par la Cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Paris, autrement composée.