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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 28 mars 2018, n° 16-05390

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

M. Sport (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beneix-Bacher

Conseillers :

M. Beauclair, Mme Blanque-Jean

TGI Toulouse 19 oct. 2016

19 octobre 2016

Faits et procédure

Le 7 mai 2014, M. Alain B. a signé un bon de commande avec la société M. Sport, qui propose à la vente et à la location des voitures de luxe, afin d'acquérir au prix de 105 770 € un véhicule Morgan Plus 8 sous condition de reprise de son véhicule pour un montant de 38 768 € ; il finançait d'autre part son achat par un crédit.

Un litige est né sur la nature du véhicule repris et le règlement des comptes entre les parties.

Par acte du 24 décembre 2014, M. B. a fait assigner la Sarl M. Sport pour obtenir l'annulation de factures afférentes au véhicule repris, le remboursement de la somme de 7038,59 € versée pour l'immatriculation du nouveau véhicule, et le paiement de la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral.

Par jugement du 19 octobre 2016, le Tribunal de grande instance de Toulouse a :

- condamné la Sarl M. Sport à rembourser à M. B. la somme de 7 038,59 € avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2014,

- condamné la Sarl M. Sport à payer à M. B. la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts,

- condamné la Sarl M. Sport à payer à M. B. la somme de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté sa propre demande à ce titre,

- condamné la Sarl M. Sport à payer les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration d'appel du 4 novembre 2016, dont la régularité et la recevabilité ne sont pas contestées, la Sarl M. Sport a interjeté appel général.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par conclusions du 6 juin 2017, au visa des articles 1116, 1315 alinéa 1 du Code civil, 6 et 9 du Code de procédure civile, 1103, 1104 et 1193 du Code civil, la Sarl M. Sport demande à la Cour de :

- la déclarer recevable et bien-fondé en son appel ;

- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- débouter M. B. de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

En conséquence,

- condamner M. B. à lui verser la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner M. B. aux entiers dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Elle expose que :

- les prétendus faits constitutifs du dol allégué par M. B. sont postérieurs à la conclusion du contrat critiqué,

- si le bon de commande comporte une erreur sur le modèle du véhicule objet de la reprise, c'est parce que M. B. avait indiqué qu'il était en possession d'un autre véhicule que celui qu'il possédait réellement, aucune carte grise n'ayant été transmise au garage M. avant la rédaction du dit bon,

- il n'y a pas de manœuvres illicites;

- M. B. ne caractérise pas le prétendu caractère déterminant du dol invoqué

- il ne prouve pas son préjudice ni le moindre manquement contractuel imputable à la Sarl M. Sport, car :

a) c'est lui qui l'a induite en erreur sur le modèle de son véhicule proposé pour la reprise

b) il y a eu une mauvaise interprétation par le tribunal de la mention " Sous réserve de déduction de frais de remise en état "

c) la Sarl M. a envoyé tous les documents nécessaires pour l'immatriculation du véhicule Morgan Plus 8, M. B. s'est chargé de son immatriculation et naturellement, la Sarl M. Sport a procédé à un avoir sur la facture émise pour l'immatriculation du véhicule,

- les demandes reconventionnelles concernent un préjudice moral imaginaire.

Par conclusions 4 avril 2017, au visa des articles 1116 et suivants et 1134 et suivants du Code civil, dans sa rédaction à la date de conclusion du contrat, M. B. demande à la Cour de confirmer la décision et

- constater l'annulation unilatérale par la Sarl M. Sport de sa facture 201410128 d'un montant de 9 498 €,

- constater le caractère infondé des factures 201410126, 201410127, 201410129 et 201410130 du 3 novembre 2014 établies par la Sarl M. Sport,

- condamner la Sarl M. Sport à lui rembourser la somme de 7 038,59 € correspondant aux sommes indûment détournées de leur finalité, avec intérêt au taux légal à compter du 18 octobre 2014,

- condamner la Sarl M. Sport aux entiers dépens d'instance,

réformer le jugement et statuer à nouveau comme suit :

- condamner la Sarl M. Sport à lui payer la somme de 5 000 € en raison du préjudice financier et moral subi par ce dernier,

- condamner la Sarl M. Sport à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

A titre principal, sur le dol, il expose :

- il est inexact de dire que les faits allégués sont postérieurs à la vente car il a accepté de conclure le contrat d'achat de son véhicule dans des conditions précises, formalisées dans un document écrit

- le problème résulte du fait que dans le bon de commande ainsi que dans la déclaration d'achat du véhicule (tous deux remplis par M. Sport elle-même) il est fait mention d'une " +4 " alors que la déclaration de cession du véhicule remplie par lui le 28 juin 2014 et les documents relatifs au véhicule (dont le certificat d'immatriculation) mentionnent, eux, une " 4/4 ", correspondant au véhicule vu par M. Sport et sur lequel il a basé son offre de reprise,

- la déclaration d'achat du véhicule d'occasion remplie par M. Sport a été faite en présence du certificat d'immatriculation, comme cela est expressément mentionné sur le formulaire ;

- M. Sport est un professionnel du commerce de l'automobile, spécialisé et concessionnaire de la marque Morgan, ayant vu le véhicule et en possession du certificat d'immatriculation, elle a cependant reporté une dénomination erronée du véhicule,

- c'est sur la base de cette mention erronée que la Sarl M. Sport a, ensuite, tenté d'obtenir un supplément de prix de la part de M. B.,

- il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté et M. B. a proposé, quand il a découvert la situation d'annuler la vente.

À titre subsidiaire, il invoque des inexécutions contractuelles résultant à l'évidence de la chronologie et du contenu des échanges.

MOTIFS

Sur le dol

Le tribunal a examiné le bien-fondé des factures émises jusqu'au mois de novembre 2012 en considérant qu'il n'y avait pas lieu d'examiner le dol.

Néanmoins, le dol était invoqué à titre principal comme vice du consentement s'appréciant au moment de la formation du contrat et il convient de l'examiner en premier lieu.

Selon l'article 1116 du Code Civil, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, il doit être prouvé par celui qui l'invoque.

Pour que le dol existe, doivent être réunis un élément moral, l'intention frauduleuse, et un élément matériel constitué par des manœuvres déloyales émanant du contractant, déterminantes du consentement de l'acquéreur. Le dol peut également être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter, le silence devant être analysé notamment au regard de l'obligation générale de loyauté entre cocontractants édictée par l'article 1134 alinéa 2 (aujourd'hui 1104) du Code civil.

Si Alain B. prétend que son véhicule avait été vu à Paris en 2012 par la Sarl M. Sport à laquelle il avait adressé les informations demandées sur l'immatriculation, la date de mise en circulation, le kilométrage du véhicule repris et son numéro de série, la pièce 27 (e-mail du 3 avril 2012) qu'il vise à ses écritures n'est pas produite aux débats.

A la lecture des autres pièces datées de 2014, la chronologie est la suivante :

- le 7 mai, les parties signent un bon de commande prévoyant l'achat d'un véhicule Morgan + 8 Speedster au prix de 115 268 € composé de 105 770 € pour le véhicule et de 9 498 € pour la carte grise et frais annexes avec :

* reprise d'un véhicule Morgan + 4 Duratec, n° de châssis SA94418004D11764 de 18 000 km, immatriculé AY-062-SN

* un prix de reprise de 38 768 € " Sous condition de mise à disposition à la commande, transport vers Toulouse à vos frais. Sous réserve de déduction de frais de remise en état ",

* un solde dû de 76 500 €,

- le 28 juin, la Sarl M. Sport établit une déclaration d'achat d'un véhicule d'occasion, reprenant le même numéro de châssis pour une dénomination commerciale Plus 4 et à l'exception du terme Duractec,

- le même jour, M. B. signe une déclaration de cession avec des numéros de châssis et d'immatriculation similaires à ceux de la déclaration d'achat, mais mentionnant une dénomination commerciale 4/4,

- le 2 juillet, M. B. demande à la Sarl M. Sport les documents de cession de la Plus 4 scannés et ceux-ci lui étaient envoyés le jour même avec la mention " Cession Plus 4 ",

- le 11 juillet 2014, M. Sport envoie à M. B. un courriel (pièce n°7) dans les termes suivants (sic) " Votre Morgan est bien arrivé aujourd'hui. Tout va bien sauf un détail. Votre voiture est un 4/4 et non pas une plus 4. Pour moi ça présente un problème car mes chiffres était basée sur l'assomption (voir bon de commande) que votre voiture était une Plus 4 Duratec en 2 litres et non pas une 1800 Zetec. Le prix de revente n'est pas bien entendu le même. Il faut qu'on trouve une solution à ce problème il me semble ".

Les parties sont contraires sur le fait que la Sarl M. Sport a eu en sa possession, lors de la rédaction du bon de commande, la carte grise du véhicule repris. Les copies qui en sont produites aux débats sont difficilement lisibles de sorte que la cour ne peut affirmer, ainsi que le fait M. B., que la Sarl M. Sport a eu en main cette carte grise, laquelle ne figure pas au dossier.

En toute hypothèse, il se déduit des pièces susvisées que les parties ont signé le même jour deux documents contradictoires sur la dénomination commerciale du véhicule vendu.

Certes, M. B. a mentionné la cession d'une 4/4 alors qu'il se réfère à une Plus 4 dans son mail du 2 juillet ; il est toutefois un non-professionnel à la différence de la Sarl M. Sport et celle-ci ne remet pas en question ses dires selon lesquels elle aurait pu, au mois de mai 2012 soit deux ans avant la vente, voir et identifier le véhicule repris ainsi que l'indique M. B. dans un mail postérieur. Ainsi, en cette qualité, elle ne peut se prévaloir d'une erreur matérielle, même si sur les photos produites par M. B., figuraient deux véhicules ; en effet, le véhicule repris était facilement identifiable à la lecture de la plaque d'immatriculation tout à fait visible.

Fixant le prix de reprise au mois d'avril, la Sarl M. Sport était censée en avoir vérifié les caractéristiques techniques au moment de la conclusion du contrat et de la rencontre des volontés des parties.

La lecture du certificat provisoire d'immatriculation du véhicule neuf Morgan Plus 8 (pièce 26) établit que la dénomination commerciale figure sur la carte grise. La dénomination commerciale du véhicule repris devait donc figurer sur la carte grise.

Ainsi, soit la Sarl M. Sport n'a pas eu cette carte grise en mains et, en tant que professionnel, elle a pris un risque en fixant un prix de reprise sur la base d'informations verbales, soit elle l'a eu en mains et elle s'est trompée en retranscrivant une mauvaise dénomination commerciale. Son comportement fautif en tant que professionnel est caractérisé dans les deux hypothèses.

En toute hypothèse, rien ne permet d'affirmer que son erreur serait volontaire et rentrerait dans le cadre de manœuvres dolosives. Enfin, le dol ne peut se fonder sur des éléments postérieurs de cinq mois au bon de commande à la vente comme le soutient M. B., de sorte que le vice du consentement n'est pas prouvé de même qu'il n'est pas plus établi par la Sarl M. Sport que son client l'a volontairement induite en erreur.

Sur l'exécution de bonne foi du contrat

Elle est imposée par les articles 1134 ancien et 1104 nouveau du Code civil.

Il ressort des pièces du débat que les parties ont tenté de trouver une solution au problème identifié dès le 11 juillet.

En effet, les 15 et 18 juillet, M. B., constatant que les parties n'étaient plus d'accord sur le prix de la cession ni sur l'objet de la reprise, proposait l'annulation de la commande et offrait la mise en dépôt de sa Morgan actuelle.

Le 22 juillet 2014, la Sarl M. Sport proposait que Monsieur B. ajoute 5 000 € au montant initialement prévu, puis limitait la somme à 4 000 € le 28 juillet, rappelant que l'annulation de la commande entraînait la perte de l'acompte (20 000 pounds) et les frais de la 4/4. la Sarl M. Sport admet que cette proposition a été refusée (concluions appelant p.3), M. B. exposant que le financement complémentaire avait été refusé par l'organisme de crédit.

Néanmoins, le véhicule commandé ayant été livré le 18 octobre, à défaut de nouvel accord formalisé par les parties ou à déduire des pièces produites, la livraison n'a pu se faire que dans les termes du bon de commande initial.

Or, les suites de cette livraison donnait lieu à de nouveaux échanges et à l'édition de diverses factures.

La Sarl M. Sport établissait successivement :

le 17 octobre 2014

- une facture 201 410 070 de 106 235 € pour le véhicule neuf, type Plus 8, avec un solde de 39 233 € tenant compte d'un règlement de 67 002 €,

- une facture 201 410 071 de 9 498 € pour carte grise, plaques minéralogiques et frais de mise à la route,

le 3 novembre 2014

- un avoir 201 410 128 de 9 498 € pour les mêmes prestations,

- une facture 201 410 126 de 1 299,54 € pour les frais de remise en état du véhicule Morgan 4/4,

- une facture 201 410 127 de 911,05 € pour la préparation à la livraison de cette voiture,

- une facture 201 410 129 de 330 € pour les frais de carte grise provisoire de la Morgan Plus 8,

- une facture 201 410 130 de 5 000 € pour l'écart de valeur minoré entre la reprise et le modèle annoncé,

soit des factures pour un montant total de 7 540,59 €

- un courrier indiquant qu'après compensation entre les travaux de remise en état du véhicule repris et de l'écart entre les valeurs du modèle annoncé lors de la conclusion de la vente et le modèle effectivement vendu, elle était redevable d'une somme de 2 459,41 € qu'elle réglait par chèque, ajoutant " pour que vous soyez en règle jusqu'à l'établissement de votre carte grise, nous nous sommes permis d'immatriculer provisoirement votre véhicule en préfecture ".

La facture du 17 octobre 2014 porte sur une somme de 106 235 € limitée au véhicule. Selon le bon de commande, la voiture valait 105 770 € et M. B. ne conteste pas la différence de prix de 465 €.

A cette somme, doit s'ajouter, toujours en conformité avec le bon de commande, celle de 9 498 € pour la carte grise et les frais annexes.

Ces sommes ont été payées, ainsi qu'en atteste la mention 'payé' figurant sur les deux factures du 17 octobre et c'est à juste titre que le tribunal a considéré que par l'émission de ces factures acquittées et la livraison concomitante de la Morgan, la relation contractuelle avait pris fin.

Sur le bien-fondé des factures postérieures du 3 novembre, le premier juge a tout aussi justement considéré qu'elles n'étaient pas dues.

En effet, comme indiqué ci-dessus, l'erreur sur le modèle du véhicule repris n'est imputable qu'à la Sarl M. et les parties n'ont pu s'entendre sur les conséquences de cette erreur. En outre, comme l'a retenu le tribunal, si le bon de commande a prévu l'hypothèse d'une déduction du prix de reprise des frais de remise en état, la Sarl M. Sport n'en a pas soumis le montant à M. B. et ce, alors même qu'existait un différend sur la nature du modèle repris. Elle n'en a pas plus fait état lors de la livraison du véhicule neuf. Aucun accord des parties ne figure sur ce montant à déduire. La déduction de la somme de 5 000 € n'est pas fondée.

Pour ce qui est de la somme de 911,05 €, présentée comme des frais de préparation à la livraison, leur nature (bougie, filtre à huile, filtre à air, huile, main-d'œuvre) est celle de frais d'entretien courant et elle sera écartée pour les mêmes motifs, étant précisé à titre surabondant que les usages commerciaux mettent à la charge de l'acquéreur, et non du vendeur du véhicule d'occasion, ce qu'il est convenu d'appeler les frais de préparation.

Quant aux frais d'immatriculation provisoire, ils procèdent d'une initiative de la Sarl M. Sport qui n'a pas été en mesure de fournir une immatriculation définitive à la livraison et ils doivent rester à sa charge.

Ayant restitué un solde de 2 549,41 € sur 9 498 €, la Sarl M. Sport a gardé par devers elle une somme de 7 038,59 € dont elle ne justifie pas du bien-fondé et le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée à la restituer.

Le tribunal a enfin relevé que M. B. avait dû faire procéder lui-même à l'immatriculation de son véhicule, ce qui lui a imposé de nombreuses démarches en préfecture. En effet, il n'a pu faire immatriculer définitivement son véhicule que le 11 mars 2015, la Préfecture de Police de Paris lui ayant opposé le 22 janvier 2015 que le dossier était incomplet en l'absence de fourniture des divers certificats de vente ou des factures entre professionnels de l'automobile depuis le dernier propriétaire à l'étranger. Enfin, il a subi un préjudice moral du fait de l'attitude déloyale de la Sarl M. Sport qui a tenté de lui faire supporter les conséquences financières de son propre manque de rigueur et de professionnalisme. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à M. B. une somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts, de même qu'en ce qui concerne la condamnation aux dépens et pour frais irrépétibles.

Sur les autres demandes

La Sarl M. Sport qui succombe devra verser à M. B. une somme de 2 000 € pour les frais supplémentaires exposés en cause d'appel et elle supportera les dépens de la présente procédure.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement, Y ajoutant Condamne la Sarl M. Sport à verser à M. B. la somme de 2 000 € en application de l'article 700 1° du Code de procédure civile ; Condamne la Sarl M. Sport au paiement des dépens d'appel.