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Décisions

CA Rouen, ch. de la proximite, 5 avril 2018, n° 17-03620

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Digital Crown Holding Limited (Sté)

Défendeur :

Produits Berger (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lepeltier-Durel

Conseillers :

Mmes Labaye, Delahaye

CA Rouen n° 17-03620

5 avril 2018

Faits, procédure et prétentions des parties

La société Digital Crown Holding Limited (DCHL), basée à Singapour, exerce une activité de distribution sur l'ensemble du territoire asiatique et commercialise essentiellement des produits européens, particulièrement français. La société DCHL était, suivant contrat signé le 22 novembre 2001, le distributeur exclusif sur plusieurs pays du continent asiatique, en Australie et Nouvelle Zélande des produits conçus et fabriqués par la société Produits Berger sous la marque Lampe Berger. Les parties ont redéfini leurs relations contractuelles par un contrat de distribution exclusive du 30 mai 2007 pour une durée de 5 années à effet du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2011. Compte tenu de l'étendue du territoire concédé, la SAS Produits Berger a négocié des minima de commandes annuelles jusqu'en 2011 liés au maintien de cette exclusivité territoriale.

Faute d'atteindre les minima fixés, la SAS Produits Berger a suspendu l'exclusivité territoriale puis a pris acte de la résiliation du contrat de distribution par DCHL.

Par jugement du 2 avril 2014, sur l'assignation de DCHL, le Tribunal de commerce de Paris a rejeté la demande d'indemnité formée par cette société, condamné la SAS Produits Berger à reprendre les stocks de produits Berger relatifs aux commandes passées entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2007 et condamné DCHL à fournir l'inventaire des stocks concernés et à payer la somme de 20 000 euros à la SAS Produits Berger sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La société Produits Berger a exécuté cette décision en reprenant les dits produits et en payant à la société DCHL la somme de 1 544 487,92 euros.

Par arrêt du 29 juin 2016 signifié le 21 février 2017, sur appel de DCHL, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement sur la résiliation du contrat mais, statuant à nouveau sur la reprise des stocks et leur paiement, a condamné la société Produits Berger à reprendre les stocks estampillés Lampe Berger "encore détenus" par la société DCHL au prix global de 1 500 000 euros, dit que le remboursement devrait intervenir par virement dans un délai de 90 jours à compter de la signification de l'arrêt et avant l'enlèvement effectué aux frais de la SAS Produits Berger et condamné DCHL à payer la somme de 25 000 euros à la SAS Produits Berger sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par arrêt interprétatif du 25 janvier 2017, la Cour d'appel de Paris a dit que la société Produits Berger devait verser à la société DCHL la somme de 1 500 000 euros au titre des stocks encore détenus par cette dernière en ce non compris les stocks relatifs aux commandes de l'année 2007, nonobstant la somme de 1 544 487,92 euros qu'elle lui avait déjà versée au titre des produits déjà retournés en exécution du jugement du Tribunal de commerce de Paris.

Par actes des 21 et 23 février 2017, la société DCHL a fait signifier à la SAS Produits Berger un commandement de payer la somme de 111 509 588,66 euros en exécution des arrêts de la Cour d'appel de Paris.

Par acte du 8 mars 2017, la SAS Produits Berger a fait assigner la société DCHL devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance d'Evreux en annulation du commandement de payer du 23 février 2017 avec injonction à l'huissier de placer sous séquestre la somme de 1 500 000 euros versée par elle, dans l'attente de la communication par DCHL d'un inventaire des stocks de produits invendus, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard pendant soixante jours et avec désignation d'un commissaire priseur, les sommes séquestrées devant être conservées le temps qu'il soit statué sur cette difficulté par une juridiction compétente.

Par jugement du 27 juin 2017, le juge de l'exécution a annulé le commandement de payer délivré le 23 février 2017, rejeté toutes les autres demandes de la SAS Produits Berger ainsi que celle de la société DCHL tendant à voir verser à son profit les fonds détenus par l'huissier de justice et condamné la société DCHL à payer à la SAS Produits Berger la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, outre dépens.

La société DCHL a interjeté appel de cette décision par déclaration reçue au greffe le 13 juillet 2017.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées le 29 septembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle conclut à la réformation en toutes ses dispositions du jugement dont appel et sollicite la condamnation de la société Produits Berger à lui payer les sommes de 1 500 000 euros en exécution de l'arrêt du 25 janvier 2017 rendu par la Cour d'appel de Paris et de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, outre dépens.

La société Produits Berger, par dernières conclusions notifiées le 24 novembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, demande à la cour de :

- dire l'appel et les conclusions de DCHL irrecevables,

- dire qu'il n'est pas de la compétence du juge de l'exécution de la condamner à verser la somme de 1,5 million d'euros, condamnation qui a déjà été prononcée par la Cour d'appel de Paris dans son arrêt du 29 juin 2016,

- dire que les conclusions d'appel de DCHL ne visent aucune pièce ni dans leur corps ni dans un bordereau annexé et qu'en conséquence le rejet de son appel est acquis, faute d'éléments de fait venant les étayer,

- constater que les conclusions d'appel de DCHL ne critiquent pas la décision en ce qu'elle a annulé le commandement délivré le 23 février 2017 au motif qu'il était prématuré, le délai de 90 jours à compter de la signification de l'arrêt n'étant pas écoulé,

- constater que ces mêmes conclusions reconnaissent que le commandement litigieux n'aurait pas dû mentionner des intérêts de retard pour un montant de 9 019,19 euros, qui n'étaient pas dus puisque le délai de 90 jours à compter de la signification de l'arrêt qui marquait le début éventuel de l'exigibilité du principal n'avait pas commencé à courir au jour de la notification,

- constater que DCHL n'a jamais modifié l'inventaire des stocks qu'elle prétendait détenir, d'une valeur d'acquisition de 10 572 933,24 euros selon sa lettre du 27 février 2012 et dont elle demandait la reprise par elle ni n'a signalé leur vente au Tribunal de commerce de Paris et à la Cour d'appel de Paris,

- dire que les agissements et prétentions de la société DCHL devant le juge de l'exécution sont constitutifs de fraude et en tirer toutes conséquences de droit,

- dire qu'en tout état de cause la société DCHL ne peut se prévaloir d'aucune créance liquide et exigible, faute de justifier de la contrepartie en marchandises du versement de la somme de 1,5 million d'euros dans les termes des arrêts de la Cour d'appel de Paris des 29 juin 2016 et 25 janvier 2017,

- confirmer en conséquence la décision dont appel en ce qu'elle a annulé le commandement délivré le 23 février 2017,

- débouter DCHL de ses demandes,

- condamner DCHL au paiement de la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner DCHL aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2018.

Motifs de la décision

Sur l'irrecevabilité de l'appel et des conclusions de l'appelante

La SAS Produits Berger fait valoir, sur le fondement des articles 960 et 961 du Code de procédure civile, que les conclusions d'appel de DCHL seraient irrecevables pour ne pas comporter l'adresse du siège social de la société. Elle produit la photocopie d'un courrier adressé à l'adresse indiquée dans les conclusions et revenu avec l'indication portée par la poste de Singapour " No such name/company ".

Il résulte cependant du contrat de distribution exclusive signé le 31 mai 2007 et de certains des courriers échangés entre les parties, produits au débat, ainsi que des indications d'adresse figurant sur les décisions du tribunal de commerce et de la Cour d'appel de Paris et encore sur les commandements délivrés que l'adresse contenue dans les conclusions a déjà été utilisée à de nombreuses reprises au fil des années sans poser de problème.

Aussi, le courrier rejeté avec la mention ci-dessus reproduite (pièce 38 de la SAS Produits Berger) apparaît insuffisant pour mettre en cause la validité du siège social indiqué depuis de nombreuses années.

Cette fin de non-recevoir sera rejetée.

Sur l'absence de communication de pièces

En disposant que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ses prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et qu'un bordereau récapitulatif des pièces est annexé, l'article 954 du Code de procédure civile n'exige pas, comme le soutient la SAS Produits Berger, que des pièces soient nécessairement communiquées.

En d'autres termes, le défaut de communication de pièces par une partie n'entraîne pas à elle seule le rejet des prétentions.

Ce moyen sera rejeté.

Sur la nullité du commandement de payer délivré le 23 février 2017

Le premier juge a rappelé les dispositions de l'article L. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution selon lesquelles tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, après signification d'un commandement, faire procéder à la saisie et à la vente des biens meubles corporels appartenant à son débiteur.

L'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 juin 2016 a condamné la société Produits Berger à reprendre les stocks estampillés Lampe Berger encore détenus par la société DCHL au prix global de 1 500 000 euros et dit que le remboursement devrait intervenir par virement dans un délai de 90 jours à compter de la signification de l'arrêt.

L'arrêt ayant été signifié le 21 février 2017 ne pouvait pas faire l'objet d'un commandement avant l'expiration du délai de 90 jours soit avant le 23 mai 2017.

En délivrant un commandement le 23 février 2017, DCHL demandait le paiement d'une créance non encore exigible.

L'annulation de ce commandement par le juge de l'exécution ne peut donc qu'être confirmé.

Sur la demande en paiement de la somme de 1 500 000 euros

Ainsi que le fait valoir la SAS Produits Berger, la condamnation à remboursement de la somme de 1 500 000 euros a déjà été prise par la Cour d'appel de Paris et ne ressortit pas en elle-même de la compétence du juge de l'exécution.

Seule la question de l'exécution de cette décision est désormais soumise à la cour statuant sur l'appel de la décision du juge de l'exécution.

La SAS Produits Berger n'accepte de remettre la somme de 1 500 000 euros qu'en contrepartie de la reprise du stock de marchandises tel que résultant de l'inventaire établi par DCHL le 27 février 2012 d'une valeur au coût d'acquisition de 10 572 933 euros, soit de 9 028 445,32 euros après déduction des marchandises commandées en 2007 et déjà remises à leur valeur d'acquisition de 1 544 487,92 euros en exécution du jugement du tribunal de commerce.

La société DCHL soutient que, la SAS Produits Berger n'ayant pas procédé au remboursement des marchandises à l'issue de la période de 6 mois suivant la résiliation anticipée du contrat de distribution exclusive et à leur reprise, elle était en droit de disposer de ces marchandises soit en les vendant soit en les mettant au rebut et entend percevoir la somme de 1 500 000 euros en contrepartie de la remise d'un stock résiduel d'une valeur d'acquisition de 1 560 709 euros.

L'article 16 du contrat de distribution exclusive liant les parties stipule :

" Effets de la résiliation : [...] dans les cas de résiliation anticipée visés aux articles 6 § 3 (non atteinte des objectifs de commande) et 12 du contrat (désaccord sur les prix), ou à l'arrivée du terme du contrat, le distributeur aurait la possibilité de continuer de vendre les produits du fournisseur en sa possession à cette date, pendant un délai de 6 mois à compter de la date de formalisation de la rupture par lettre recommandée avec AR, ou de celle du terme du contrat. A l'issue de cette période de six mois, le distributeur retournera la totalité des stocks de produits invendus au fournisseur, à la condition qu'ils soient remboursés au prix d'acquisition des marchandises avant l'enlèvement. "

Sur la base de cette stipulation, d'une résiliation du contrat notifiée le 22 juillet 2010, du droit de DCHL de demander la reprise des marchandises par la SAS Produits Berger alors évaluées selon leur coût d'acquisition par DCHL à la somme de 10 572 933 euros en ce compris les marchandises commandées en 2007, mais prenant en considération le fait que DCHL avait formé sa demande de reprise tardivement, laissant ainsi le stock s'accumuler, vieillir (certains produits datant de 2001), se déprécier et même se périmer (s'agissant des parfums), la Cour d'appel de Paris a ordonné le retour des stocks encore détenus par DCHL (c'est-à-dire selon l'arrêt interprétatif du 25 janvier 2017, la totalité du stock alors évoqué par DCHL moins les marchandises commandées en 2007 dont le sort avait été traité par le tribunal de commerce) non à leur valeur d'acquisition mais à la valeur forfaitaire de 1 500 000 euros.

C'est donc bien seulement en contrepartie de la reprise d'un stock de marchandises d'une valeur d'acquisition de 9 028 445,32 euros que la somme de 1 500 000 euros doit être versée par la SAS Produits Berger à la société DCHL.

En appliquant le rapport retenu par la Cour d'appel de Paris, soit de 16,6 %, le stock proposé à la restitution par DCHL n'aurait au mieux qu'une valeur de 312 141,80 euros. Cependant, sur l'inventaire des produits totalisés pour 1 502 530,94 euros selon leur valeur d'acquisition présenté par DCHL à la date du 27 avril 2017 (pièce n° 41), n'apparaissent que des parfums dont la SAS Produits Berger indique, sans être utilement contredite sur ce point, qu'ils se périment en deux ans alors qu'il s'agit nécessairement de produits datant d'au moins 2010.

La disparition du stock de la valeur retenue par la Cour d'appel de Paris, l'impossibilité pour la société DCHL de le remettre et l'absence de valeur du stock proposé à la restitution par DCHL conduisent à constater que sa créance n'est pas exigible faute de la contrepartie prévue par la décision à exécuter et à confirmer le jugement entrepris.

Sur les autres demandes

Les dispositions du jugement entrepris relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront confirmées.

La société DCHL succombe en appel et aura la charge des dépens d'appel. Elle devra en outre payer une indemnité de 5 000 euros à la SAS Produits Berger au titre des frais non compris dans les dépens que cette société a dû exposer devant la cour.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, Confirme le jugement rendu le 27 juin 2017 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Evreux, Y ajoutant, Condamne la société Digital Crown Holding Limited à payer à la SAS Produits Berger la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Digital Crown Holding Limited aux dépens d'appel.