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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 13 octobre 2017, n° 15-04294

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Garage Datez Père et Fils (SARL)

Défendeur :

New PLV (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mme Lis Schaal, M. Thomas

T. com. Paris, du 21 janv. 2015

21 janvier 2015

Faits et procédure

La société Garage Datez Père et Fils (Garage Datez), ayant pour activité la vente et la réparation de véhicules automobiles, a conclu, le 14 novembre 2008, avec la société New PLV, un contrat de publicité prévoyant la diffusion, dans un hypermarché exploité sous l'enseigne Leclerc, d'annonces sur écran LCD, moyennant une redevance annuelle de 4 200 euros.

Par courrier en date du 4 septembre 2012, la société Garage Datez a notifié à la société New PLV sa décision de ne pas reconduire le contrat à l'échéance, soit le 10 décembre 2012. La société New PLV a refusé la résiliation et a, le 4 avril 2013, mis en demeure la société Garage Datez de lui régler la somme de 6 139,60 euros.

La société New PLV a assigné en référé la société Garage Datez devant le Tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir le paiement de cette somme. Par ordonnance du 26 novembre 2013, le président du Tribunal de commerce a rejeté sa demande en l'invitant à se pourvoir au fond.

Par assignation délivrée le 19 février 2014, la société New PLV a assigné au fond la société Garage Datez devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de la voir condamner au paiement de la somme de 18 815,96 euros correspondant aux factures des deux premières années de diffusion des spots publicitaires.

Par jugement rendu le 21 janvier 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Garage Datez à payer à la société New PLV la somme de 11 503,63 euros, assortie d'intérêts calculés à un taux égal au taux d'intérêt appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 % à compter de :

- la date de la mise en demeure, soit le 4 avril 2013, pour 5 066,73 euros ;

- la date de l'assignation, soit le 19 février 2014, pour 6 436,87 euros ;

- condamné la société Garage Datez à payer à la société New PLV la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;

- débouté les parties de leur demande autres plus amples ou contraires ;

- condamné la société Garage Datez aux entiers dépens.

La société Garage Datez a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La société Garage Datez, par conclusions signifiées le 10 août 2015, demande à la cour de :

- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Garage Datez Père et Fils et y faire droit ;

- débouter en revanche la société New PLV de son appel incident ;

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 21 janvier 2015 en toutes ses dispositions ;

statuant à nouveau,

- débouter la société New PLV de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner la société New PLV à payer à la société Garage Datez la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouter la société New PLV de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires ;

- condamner la société New PLV aux entiers dépens.

Elle invoque l'application de la loi Sapin ; elle soutient que la société New PLV est un intermédiaire au sens de l'article 20 de la loi Sapin puisqu'elle met en relation le client annonceur et l'hypermarché dans lequel la publicité doit être diffusée, que la société New PLV a ainsi conclu en qualité de mandataire avec la société Leclerc un contrat pour placer un écran publicitaire dans le magasin. Elle prétend que la position d'intermédiaire de la société New PLV ne saurait être remise en cause par le fait que cette dernière a la propriété des supports lumineux ayant permis la diffusion du message publicitaire. Elle en déduit que la société New PLV aurait dû établir un contrat de mandat et qu'en l'absence d'un tel contrat, elle ne peut se prévaloir de l'ordre de publicité.

La société Garage Datez soutient subsidiairement que le préavis stipulé dans le contrat du 14 novembre 2008 est anormalement long et qu'il doit être réduit judiciairement. Elle explique que la société New PLV, en imposant un préavis de quatre mois par année d'ancienneté, entend empêcher toute résiliation du contrat. Elle prétend en effet qu'il est impossible de prévoir un an et demi à l'avance si un contrat conclu pour quatre ans nécessite ou non un renouvellement. Elle s'appuie sur la jurisprudence applicable en matière de rupture brutale des relations commerciales établies pour affirmer que le juge peut décider de réduire la durée manifestement excessive d'un préavis contractuel. Elle explique notamment qu'il est usuel, en matière de contrat à durée indéterminée, que le préavis soit égal ou inférieur à six mois ; or, elle rappelle justement qu'elle a sollicité la résiliation du contrat en septembre 2012 et qu'elle a cessé de régler la société New PLV en février 2013. Elle en déduit qu'elle a matériellement respecté un préavis de six mois.

La société New PLV, appelante à titre incident, par conclusions signifiées le 19 octobre 2015, demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris ;

- constater que la société New PLV assure elle-même les prestations publicitaires commandées par la société Garage Datez sans l'intervention d'une société tierce qui n'est pas rémunérée par l'annonceur, et qu'elle est en outre propriétaire des supports de diffusion;

- juger que le contrat du 14 novembre 2008 n'est pas soumis à l'obligation d'un contrat écrit de mandat entre la société New PLV en qualité de mandataire et la société Garage Datez en qualité de mandant, au sens de l'article 20 de la loi Sapin du 29 janvier 1993 ;

- dire que l'ordre de publicité du 14 novembre 2008 fait la loi des parties et ne peut être modifié par le juge ;

- juger que l'ordre de publicité liant les parties a été valablement conclu pour une durée déterminée assortie d'une clause de tacite reconduction ;

- juger que l'ordre de publicité d'une durée initiale de 48 mois a été reconduit pour une même durée jusqu'au 10 décembre 2016, à défaut pour l'annonceur d'avoir respecté le délai de préavis contractuel de non-renouvellement ;

- rejeter l'intégralité des demandes de la société Garage Datez ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Garage Datez au paiement de la somme de 25 513,56 euros TTC correspondant au montant des factures actuellement exigibles en exécution du contrat reconduit ;

- condamner la société Garage Datez au paiement de pénalités de retard de droit calculées à un taux égal au taux d'intérêt appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 % ;

- condamner la société Garage Datez au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle conteste l'application, en l'espèce, de la loi Sapin ; elle prétend que la convention conclue avec la société Garage Datez le 14 novembre 2008 est soumise au droit commun des contrats. Elle souligne qu'elle ne remplit en effet pas les missions habituelles d'une agence de publicité. Elle explique ainsi qu'elle ne définit pas de stratégie publicitaire, qu'elle n'élabore pas de politique marketing pour ses clients et qu'elle ne recommande pas à ces derniers de supports de publicité particuliers. Elle soutient en outre qu'une entreprise de publicité n'est contrainte de travailler sous le régime du mandat de la loi Sapin que si elle a recourt à un prestataire extérieur qui réalise le service publicitaire commandé par l'annonceur. Or, elle explique qu'elle est propriétaire des écrans diffusant les messages publicitaires et qu'elle a contracté avec la société Garage Datez sans avoir recours à une société tierce qui exécuterait les ordres de publicité commandés. Elle affirme donc qu'elle fournit elle-même les prestations publicitaires et que la société Garage Datez la rémunère directement et exclusivement.

La société New PLV indique que le contrat a été tacitement reconduit conformément aux conditions générales ; elle rappelle que la société Garage Datez a pris connaissance des conditions générales de vente par le biais de son représentant qui y a apposé sa signature. Elle soutient donc que la société Garage Datez était informée de la durée de 48 mois du contrat et qu'elle avait également accepté le préavis de quatre mois par année de contrat. Elle prétend que la société Garage Datez a fait preuve de négligence en attendant le 4 septembre 2012, soit trois mois avant le terme du contrat, pour dénoncer celui-ci.

Elle soutient qu'en tout état de cause le délai total de préavis d'une durée de 16 mois laissait à la société Garage Datez plus de 2 ans et demi pour vérifier l'impact de ses spots publicitaires et décider de mettre fin au contrat.

Elle souligne en outre que la société Garage Datez ne respecte même pas le délai de préavis de six mois qu'elle juge raisonnable puisqu'elle a envoyé son courrier de non-renouvellement le 4 septembre 2012.

La société New PLV soutient par conséquent qu'elle est fondée à demander le paiement du prix de l'intégralité des prestations publicitaires exécutées pour le compte de la société Garage Datez.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS

Sur l'opposabilité des stipulations de l'ordre de publicité

Considérant que la société Garage Datez conclut à l'inopposabilité des stipulations de l'ordre de publicité ;

Considérant que l'article 20 de la loi 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (loi Sapin) dispose que " tout achat d'espace publicitaire ou de prestation ayant pour objet l'édition ou la distribution d'imprimés publicitaires ne peut être réalisé par un intermédiaire que pour le compte d'un annonceur et dans le cadre d'un contrat écrit de mandat (...) " ; que, conformément à cette disposition, seules les entreprises de publicité agissant en tant qu'intermédiaires au sens de ce texte sont soumises au mandat obligatoire;

Considérant que l'intermédiaire est la personne qui sert de lien entre plusieurs autres ; que la circulaire du 19 septembre 1994 prise pour l'application de la loi du 29 janvier 1993 précise que :

- " Pour l'espace publicitaire, la relation à trois - support, annonceur, intermédiaire - a conduit à un dispositif particulier destiné à assurer la transparence de l'intermédiaire ";

- sera considérée comme intermédiaire l'agence qui fait réaliser une prestation par une autre entreprise pour la diffusion de publicités ;

Considérant qu'en l'espèce, la société Leclerc ne réalise pas les spots commandés par l'annonceur et n'assure pas les prestations de diffusion sur les écrans qui appartiennent à la société New PLV ; que New PLV ne se positionne pas en tant que lien entre un annonceur et un support dès lors que, créant le message publicitaire et assurant la diffusion, elle est elle-même le support, ce qu'admet au demeurant l'appelante (page 5 de ses conclusions) ; que New PLV n'est donc pas un intermédiaire au sens de la loi du 29 janvier 1993 ; que c'est donc à tort que la société Garage Datez invoque la loi Sapin pour dire inopposables les stipulations de l'ordre de publicité ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;

Sur le renouvellement du contrat du 14 novembre 2008

Considérant qu'aux termes de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faîtes ;

Considérant que l'article 3 des conditions générales de vente du contrat du 14 novembre 2008, ratifiées par l'annonceur, stipule que "Le présent ordre de publicité est établi pour une durée déterminée au recto. Il sera renouvelé par tacite reconduction pour une période de même durée. Toutefois, l'annonceur pourra dénoncer le présent ordre, avec un préavis minimum égal au tiers de la durée totale du contrat, soit quatre mois par année de contrat, par lettre recommandée avec accusé de réception au siège social de la société New PLV, avant la fin de la période initiale ou renouvelée. La société New PLV aura la même faculté de résiliation que l'annonceur avec les conditions ci-dessus précitées" ; qu'au recto du contrat, la durée de celui-ci est expressément prévu pour quatre ans ;

Considérant que les conventions stipulées à durée déterminée doivent s'exécuter jusqu'à leur terme ;

Considérant que l'appelante ne conteste pas que seule est ouverte la possibilité de résiliation du contrat à son terme contractuel de quatre ans ; que, conformément à l'article 3 précité du contrat, celui-ci ne pouvait être dénoncé qu'avec un préavis minimum égal au tiers de la durée totale du contrat, soit 16 mois ; que, le contrat expirant le 10 décembre 2012, la résiliation du contrat aurait dû être notifiée avant le 10 août 2011 ; que l'envoi du courrier de non-renouvellement du contrat en date du 4 septembre 2012 est tardif comme ne respectant pas le délai de préavis contractuel ;

Considérant qu'en application du principe de l'intangibilité du contrat, il n'entre pas dans les pouvoirs du juge de modifier la clause de renouvellement tacite quant à la durée du préavis contractuel ; qu'il s'en suit que, comme l'a retenu le tribunal de commerce, l'ordre de publicité du 14 novembre 2008 a été tacitement reconduit pour une nouvelle période de 48 mois prenant fin le 10 décembre 2016 ;

Considérant que New PLV est fondée à demander l'exécution du contrat reconduit pour une nouvelle pèriode de quatre ans ; que la société Garage Datez ne conteste pas les sommes réclamées par New PLV :

- 5 900,40 euros, au titre du solde de la facture du 27 septembre 2012 (pièce New PLV n° 6 bis) ;

- 6 458,40 euros, selon facture du 8 novembre 2013 au titre de la deuxième année du contrat renouvelé (pièce New PLV n° 15 bis) ;

- 6 478,69 euros, selon facture du 22 octobre 2014 au titre de la troisième année du contrat renouvelé (pièce New PLV n° 29 bis) ;

- 6 458,40 euros, selon facture du 15 septembre 2015 au titre de la quatrième année du contrat renouvelé (pièce New PLV n° 30 bis) ;

soit au total 25 274,36 euros TTC ; que New PLV est, en outre, fondée à obtenir, en application de l'article 14 des conditions générales de vente, le paiement des frais de rejet de deux prélèvements et de mise en demeure, soit 200 euros HT, New PLV ne rapportant pas la preuve que ces frais, d'un montant forfaitaire correspondant à la réparation d'un préjudice, sont soumis à la TVA (pièce n° 8 bis) ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que les prestations contractuelles ont été exécutées par New PLV ; qu'en conséquence, la cour condamnera la société Garage Datez au paiement de la somme de 25 474,36 euros TTC, avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 % en application de l'article L. 441-6 du Code de commerce, et réformera en ce sens le jugement entrepris ;

Considérant que l'équité commande de condamner la société Garage Datez à payer à New PLV la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, confirme le jugement entrepris, sauf sur le montant de la condamnation prononcée en principal à l'encontre de la SARL Garage Datez Père et Fils ; statuant à nouveau du chef infirmé ; condamne la SARL Garage Datez Père et Fils à payer à la SAS New PLV la somme de 25 474,36 euros TTC, avec intérêts au taux appliqué par la banque centrale européenne à son opération de refinancement la plus récente, majoré de 10 % ; condamne la SARL Garage Datez Père et Fils à payer à la SAS New PLV la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; condamne la SARL Garage Datez Père et Fils aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.