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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 2 mai 2018, n° 16-02663

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Samsung Electronics France (Sasu)

Défendeur :

International Télé Diffusion (Sté) ; Abbadie (ès qual.), Joblon, Beneteau

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Olivier, Thibault, Boccon Gibod, Mze, Colmet

T. com Bordeaux, du 20 nov. 2015

20 novembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société International Télé Diffusion, ci-après ITD, assurait le négoce de produits Samsung fournis par la société Samsung Electronics France, ci-après SEF, et destinés principalement à la vente en grande surface, notamment via les centres Leclerc.

La relation commerciale entre les deux sociétés a débuté le 1er février 2002.

Il était d'usage entre les parties, durant les dernières années précédant la rupture, de conclure un contrat-cadre annuel, auquel était annexé un plan d'affaires récapitulant les réductions de prix (remises et ristournes).

Le 14 mars 2013, la société ITD a mis en demeure la société SEF de lui maintenir les conditions tarifaires antérieures, celles-ci incluant des commissions et remises trimestrielles et annuelles.

Par jugements des 28 avril et 16 juin 2014 du Tribunal de commerce de Bayonne, la société ITD a été placée en redressement puis en liquidation judiciaire. Me Abbadie a été désigné en qualité de liquidateur.

Les relations commerciales ont cessé entre les parties.

Par exploit d'huissier du 24 septembre 2014, Me Abbadie, ès qualités, et Messieurs Joblon et Beneteau, ex-dirigeants de la société ITD, ont assigné la société Samsung devant le Tribunal de commerce de Bordeaux en indemnisation de la rupture brutale des relations commerciales établies et d'un préjudice complémentaire subi par les anciens associés d'ITD en qualité de victimes par ricochet de la rupture des relations commerciales entre les deux sociétés.

Par jugement du 20 novembre 2015, le Tribunal de commerce de Bordeaux a :

- déclaré irrecevables les demandes de Monsieur Daniel Joblon et Monsieur Christophe Beneteau,

- condamné la société SEF à verser à Me Abbadie, ès qualités de liquidateur de la société ITD, la somme indemnitaire de 172 720,67 euros HT,

- débouté Me Jean-Pierre Abbadie, ès qualités de liquidateur de la société ITD, de ses autres demandes indemnitaires,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société SEF à payer à Me Jean-Pierre Abbadie, ès qualités de liquidateur de la société ITD, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société SEF aux entiers dépens de l'instance, dont frais de greffe liquidés à la somme de 129,24 euros, dont 21,54 euros de TVA.

La société SEF a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 22 janvier 2016.

La procédure devant la cour a été clôturée le 27 février 2018.

LA COUR

Vu les conclusions du 10 août 2016 par lesquelles la société SEF, appelante, invite la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5°, L. 442-6, II, d), L. 420-1 et L. 420-2, 2e alinéa du Code de commerce, 101 du TFUE, 31 du Code de procédure civile, à :

- infirmer le jugement de Tribunal de commerce de Bordeaux rendu le 20 novembre 2015 en ce qu'il l'a condamnée à verser à la société ITD la somme de 172 720,67 euros pour rupture brutale partielle de la relation commerciale,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux pour le surplus en ce qu'il a rejeté l'état de dépendance économique fautive de la société ITD à son encontre et les demandes indemnitaires complémentaires de Me Jean-Pierre Abbadie et de Messieurs Joblon et Beneteau, ancien associé de la société ITD,

et, statuant à nouveau,

- dire que la société ITD a cessé de passer commande auprès d'elle et dès lors, dire qu'il y a absence de rupture de la relation commerciale du fait de la société SEF,

- dire qu'au contraire, la société ITD est à l'initiative de la rupture de la relation commerciale,

en tout état de cause,

- condamner Me Jean-Pierre Abbadie à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de procédure ;

Vu les conclusions du 15 juin 2016 par lesquelles Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, intimé ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants, 1184 du Code civil, et L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, de :

- confirmer la décision déférée en ce qu'elle a retenu que la société SEF était l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies entre celle-ci et la société ITD,

y faisant droit,

- condamner la société SEF à réparer le préjudice subi par la société ITD liquidée au titre de la rupture brutale sans préavis par l'allocation d'une somme de 715 904,22 euros correspondant à la marge brute moyenne multipliée par le chiffre d'affaires moyen sur une durée de préavis 24 mois,

y ajoutant,

- condamner la société SEF à lui payer la somme de 383 185,61 euros sauf à parfaire correspondant au passif de la société ITD, la société SEF se devant de réparer le préjudice par ricochet subi par les créanciers confrontés à la cessation des paiements de la société ITD,

subsidiairement et en tout état de cause,

- confirmer le jugement déféré sur le principe de la condamnation de la société SEF et sur le quantum de la somme indemnitaire allouée,

en tout état de cause,

- confirmer la décision déférée sur l'article 700 octroyé pour les frais irrépétibles de première instance,

y ajoutant,

- condamner la société SEF à lui payer la somme supplémentaire de 7 000 euros pour les frais irrépétibles tels qu'exposés devant la cour,

- condamner la société SEF aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ceux d'appel au profit de Me Boccon-Gibod, avocat aux offres de droit ;

Vu les conclusions du 15 juin 2016 par lesquelles Messieurs Joblon et Beneteau, partie intervenante, demandent à la cour, au visa de l'article 1382 du Code civil, de :

réformant la décision déférée en ce qu'elle a déclaré irrecevables Messieurs Joblon et Beneteau,

- condamner la société SEF à leur payer en qualité d'associés de la société ITD, victimes par ricochet de la rupture de relations commerciales établies, la valeur des parts perdues du fait de la liquidation de la société ITD soit à chacun en proportion des parts détenues au capital d'ITD la somme de 106 865,60 euros,

- dire que l'ensemble de ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation introductive d'instance,

y faisant droit,

- condamner la société SEF à leur payer chacun la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles tels qu'engagés en première instance et en cause d'appel,

y ajoutant,

- condamner la société SEF aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les parties s'accordent sur le point de départ de leur relation commerciale, sur son caractère établi, mais s'opposent sur l'identité de l'auteur de la rupture, la durée du préavis et le préjudice subi.

Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :

" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".

Il n'est pas contesté que la relation commerciale entre les parties a débuté le 1er février 2002.

La société SEF fait valoir qu'elle n'a jamais cessé d'approvisionner la société ITD et conteste dès lors être l'auteur de la rupture. Elle explique qu'en cessant à compter du mois de mars 2014 de lui passer commande, la société ITD a rompu la relation commerciale entre elles. Elle estime par ailleurs que le Tribunal de commerce de Bordeaux s'est mépris en considérant qu'elle était entrée en relation avec la centrale d'achats des magasins Leclerc, la société Galec, seulement en 2013, soit au moment où la société ITD se plaignait des difficultés financières auprès d'elle, alors que sa relation avec la société Galec présente une ancienneté de plus de 15 ans et ne saurait en tout état de cause fonder l'imputabilité de la rupture.

En réplique, la société ITD soutient qu'elle n'a pas cessé de passer commandes mais que c'est la société SEF qui ne lui a pas permis de le faire, et qu'à compter de l'année 2013, la société SEF a créé des difficultés croissantes pour lui communiquer les tarifs des produits Samsung, ne lui permettant pas dans les faits de commander ses produits et la société SFE ne lui accordant pas des conditions tarifaires satisfaisantes tout au long de l'année 2013. Elle excipe que la société SEF est l'auteur de la rupture, qui peut être fixée au 31 décembre 2013 puisqu'à compter de cette date elle n'a pas été en mesure de procéder à des commandes, ne détenant pas de propositions de tarifs particuliers sur une gamme complète de produits.

Il ressort de l'instruction du dossier que :

- pour l'année 2013, les société ITD et SEF ont signé un accord-cadre pour l'année avec en annexe les tarifs applicables au 1er mars 2013, pour l'ensemble de la gamme, et l'annexe 1 bis prévoyait les ristournes (pièce intimés 1),

- par courrier du 14 mars 2013, la société ITD a contesté auprès de la société SEF les tarifs qu'elle pratiquait avec elle, ceux-ci étant en moyenne de 11 à 15 % plus chers (pièce intimés 2),

- par courrier du 15 avril 2013, la société ITD a contesté les nouvelles conditions tarifaires octroyées par la société SEF suite à son courrier du 14 mars 2013 (pièce intimés 3),

- par courriel du 4 octobre 2013, la société SEF a confirmé à la société ITD une commande, les tarifs applicables ainsi que les dates de livraison,

- par courriel du 4 octobre 2013, la société IDT a contesté les tarifs pratiqués sur certains produits,

- des commandes ont été envoyées par la société IDT à la société SEF aux mois de novembre et décembre 2013, mais toutes n'ont pu être intégralement satisfaites, faute de disponibilité au regard de la période (pièces intimées 9 ter à 9-7),

- pour l'année 2014, les société ITD et SEF ont signé le 11 mars 2014 un accord-cadre pour l'année avec en annexe les tarifs applicables au 1er janvier 2014, pour l'ensemble de la gamme, et l'annexe 1 bis prévoyait les ristournes (pièce intimés 10),

- par courriel du 24 janvier 2014, la société ITD a commandé différents produits à la société SEF (pièce 15 appelante),

- par courriel du 25 février 2014 la société ITD a sollicité la société SEF pour une commande de 200 pièces (pièces 8 appelante),

- par courriel du 7 mars 2014, la société SEF a répondu à la société ITD,

- les parties échangent pour déterminer les livraisons de commandes passées par la société ITD auprès de SEF (pièces 8 appelantes).

Ces éléments factuels démontrent que les griefs invoqués par la société ITD pour imputer la responsabilité de la rupture des relations commerciales à la société SEF ne sont pas fondés. En effet, en premier lieu, la signature par la société ITD des accords-cadres pour les années 2013 comme 2014 démontre que les tarifs ont été acceptés par la société ITD. Ainsi, elle ne peut soutenir que les conditions ont été modifiées par la société SEF ; elle ne peut pas plus les remettre en cause durant l'année d'application de l'accord-cadre, ce d'autant qu'elle n'établit pas avoir été contrainte de signer ces accords, la seule part de marché de la société SEF dans son chiffre d'affaires total ne pouvant suffire à caractériser un abus de la part de SEF. De même, la société ITD ne peut reprocher à la société SEF de ne pas lui avoir accordé d'autres prix que ceux sur lesquels elles se sont mises d'accord dans le contrat les liant pour l'année 2013, ayant accepté les prix proposés. Ensuite, il apparaît également que les tarifs pratiqués par la société SEF avec la société ITD sont négociés entre elles au moment de la signature des accords-cadres (pièces 15 et 15 bis intimés). En outre, les retards de livraison invoqués ne peuvent caractériser un acte de rupture des relations commerciales établies, les courriels (pièces intimés 9 ter, 9 quater, 9-7) n'étant pas probants à cet égard, s'agissant d'échanges ponctuels et des commandes ayant été acceptées ultérieurement par la société SEF. En dernier lieu, la société SEF n'a pas refusé de commandes de la société ITD, le contrat d'accord-cadre en 2014 ayant été d'ailleurs signé entre les parties, la société ITD ne peut donc soutenir que la rupture des relations commerciales établie est intervenue le 31 décembre 2013.

Par ailleurs, les échanges commerciaux de la société SEF avec le Galec ne peuvent constituer un acte caractérisant la rupture des relations commerciales avec la société ITD, aucune relation d'exclusivité n'étant souscrite entre les parties.

Dans ces conditions, il ne ressort pas des éléments du dossier que la société SEF soit l'auteur de la rupture des relations commerciales établies avec la société ITD, aucun acte matérialisant son refus de contracter avec la société SEF n'étant prouvé.

Il y a donc lieu de rejeter les demandes formulées par Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, à l'encontre de la société SEF.

Sur les demandes de Messieurs Joblon et Beneteau

Messieurs Joblon et Beneteau, en qualités d'anciens associés de la société ITD, soutiennent avoir subi un préjudice constitué par la perte du prix de cession de leurs actions résultant de la perte brutale du marché important et donc de la liquidation judiciaire induite par le poids représenté par Samsung dans le chiffre d'affaires réalisé par la société ITD. Ils allèguent avoir subi un préjudice par ricochet en raison de la rupture brutale des relations commerciales établies de la société SEF avec la société ITD.

La société SEF conteste toute qualification d'un préjudice distinct et personnel subi par Messieurs Joblon et Beneteau.

La société SEF n'ayant pas été jugée auteur de la rupture des relations commerciales établies avec la société ITD, Messieurs Joblon et Beneteau, en qualité d'anciens associés de la société ITD, ne peuvent soutenir avoir subi un préjudice par ricochet du fait de cette rupture.

Il y a lieu de rejeter leurs demandes.

Le jugement doit donc être infirmé intégralement. Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, ainsi que Messieurs Joblon et Beneteau, parties perdantes en ce que toutes leurs prétentions sont rejetées, doivent être condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, est condamné à payer à la société SEF la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, ainsi que par Messieurs Joblon et Beneteau.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement ; Statuant à nouveau, Rejette toutes les demandes formulées par Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, ainsi que par Messieurs Joblon et Beneteau ; Y ajoutant, Condamne in solidum Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, ainsi que Messieurs Joblon et Beneteau aux dépens de première instance et d'appel ; Condamne Me Abbadie, ès qualités de mandataire liquidateur de la société ITD, à payer à la société SEF la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande.