CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 4 mai 2018, n° 16-22055
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
RS Inspire (SAS)
Défendeur :
Ucopia Communications (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis Schaal
Conseillers :
Mme Bel, M. Picque
Avocats :
Mes Fromantin, Gauclère, Vichatzky
Faits et procédure
Le 2 mai 2014, la société Ucopia Communications a conclu avec la société RS Inspire un contrat de prestations de service pour une durée d'un an renouvelable par tacite reconduction. Par ce contrat, la société RS Inspire s'est engagée à assister la direction commerciale de la société Ucopia Communications et à développer le canal de vente indirecte de cette dernière. Dans le cadre du développement de la société Ucopia Communications, les parties ont également envisagé de faire venir M. Bollini, dirigeant de la société RS Inspire, aux Etats-Unis.
Par lettre du 13 février 2015, la société Ucopia Communications a informé la société RS Inspire qu'elle entendait résilier le contrat de prestation de services après un délai de préavis de huit mois. La société Ucopia Communications indiquait à ce propos qu'elle continuerait de rémunérer la société RS Inspire pendant le délai de préavis mais qu'elle ne souhaitait pas que celle-ci poursuive les prestations.
Par assignation délivrée le 6 juillet 2015 à la société Ucopia Communications, la société RS Inspire a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une demande visant à faire condamner la société Ucopia Communications au paiement de la somme de 275 400 euros à titre de dommages et intérêts pour avoir rompu brutalement les relations commerciales établies entre elles.
Par jugement rendu le 12 octobre 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la rupture entre la société Ucopia Communications et la société RS Inspire n'a été ni brutale ni abusive ;
- débouté la société RS Inspire de ses demandes de dommages et intérêts ;
- condamné la société RS Inspire à payer à la société Ucopia Communications la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Le Tribunal de commerce de Paris a jugé que les société Ucopia Communications et RS Inspire entretenaient une relation commerciale établie depuis 2006. Les premiers juges ont en effet constaté que chaque année depuis 2006, la société Ucopia Communications avait régularisé des contrats avec M. Bollini. Ils ont également constaté l'identité d'objet entre ces contrats et le contrat conclu avec la société RS Inspire le 2 mai 2014. Ils ont enfin constaté que dans les contrats conclus avec M. Bollini comme dans le contrat conclu avec la société RS Inspire, c'est la personne de M. Bollini qui a été mise à contribution pour exécuter les prestations.
Le Tribunal de commerce de Paris a ensuite estimé que la société RS Inspire ne se trouvait pas, au moment de la rupture, en état de dépendance économique à l'égard de la société Ucopia Communications. Les premiers juges ont effet remarqué que le contrat conclu le 2 mai 2014 ne comportait pas une clause d'exclusivité mais une clause de non-concurrence à effet limité. Ils ont également indiqué que la société Ucopia Communications avait laissé la possibilité à la société RS Inspire de rechercher d'autres partenaires pendant le délai de préavis de huit mois.
Le Tribunal de commerce de Paris a enfin jugé que la rupture menée par la société Ucopia Communications n'avait pas été brutale mais qu'elle ne faisait que consacrer un désaccord existant entre M. Bollini et M. Plateau, dirigeant de la société Ucopia Communications. Les premiers juges ont constaté que la rupture avait été la fin malheureuse d'une négociation qui n'a pas réussi à aboutir entre les deux partenaires concernant les conditions de travail et de rémunération de M. Bollini. Ils ont indiqué que les échanges de mails intervenus entre la société Ucopia Communications et M. Bollini attestaient que la confiance entre les deux partenaires était perdue, si bien que la société RS Inspire ne pouvait donc arguer du caractère imprévisible de la rupture. Les premiers juges ont estimé raisonnable la somme de 160.250 euros HT correspondant à huit mois de préavis versés à la société RS Inspire, compte tenu du fait que le contrat prévoyait lui-même un tel préavis et que M. Bollini en avait accepté le principe. Ils ont ajouté que la société RS Inspire ne démontrait pas la réalité de son préjudice puisque M. Bollini a finalement retrouvé un poste de directeur commercial dès avril 2015.
La société RS Inspire a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration du 4 novembre 2016.
Prétentions des parties
Par ses conclusions signifiées par RPVA le 21 février 2018, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des motifs, de leurs moyens et de leur argumentation, la société RS Inspire, sollicite de la Cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
Vu l'article 1382 du Code civil,
recevoir la société RS Inspire en ses demandes et l'y déclarer bien fondée,
infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 12 octobre 2016,
juger que la société Ucopia Communications a entretenu avec la société RS Inspire et précédemment avec M. Bollini une relation commerciale établie d'une durée de 9 ans,
juger qu'au regard d'une ancienneté de la relation de 9 ans, la société RS Inspire aurait du bénéficier d'un préavis d'un an,
juger qu'en rompant la relation sans aucun préavis effectif la société Ucopia Communications a procédé à une rupture brutale des relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société RS Inspire,
condamner en conséquence la société Ucopia Communications à régler à la société RS Inspire la somme de 275 400 euros à titre de dommages et intérêts, en principal, outre les intérêts au taux légal à compter du courrier du 16 mars 2015, date de la dernière mise en demeure,
condamner la société Ucopia Communications à verser à la société RS Inspire la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamner la société Ucopia Communications aux entiers dépens,
Sur la rupture brutale des relations commerciales,
Concernant le caractère établi des relations commerciales, la société RS Inspire soutient que la continuité du courant d'affaires entre les parties est caractérisée par la fourniture d'une même prestation par M. Bollini à la société Ucopia Communications pendant 9 ans. Elle rappelle en effet que depuis 2006, les contrats régularisés par la société Ucopia Communications ont tous pour objet son développement commercial par M. Bollini, tout comme le contrat conclu le 2 mai 2014.
Concernant le caractère brutal de la rupture, la société RS Inspire soutient que la société Ucopia Communications n'a respecté aucun préavis avant de rompre leurs relations commerciales. Elle explique que le courrier de rupture envoyé par la société Ucopia Communications a en effet été suivi d'une injonction faite à M. Bollini de ne plus se rendre dans les locaux de cette dernière.
Elle affirme donc que ses missions ont été immédiatement interrompues. Elle ajoute que M. Bollini n'a jamais rédigé aucun discours à destination des clients et partenaires concernant son départ immédiat de la société Ucopia Communications et qu'elle n'a donc pas accepté le principe d'une rupture sans préavis. Elle prétend en outre qu'elle se trouvait en situation de dépendance économique à l'égard de la société Ucopia Communications. Elle explique que les chiffres d'affaires réalisés par M. Bollini puis par elle-même de 2007 à 2014 sont exclusivement constitués par les rémunérations versées par la société Ucopia Communications. Elle rappelle que dès 2007, les contrats conclus avec la société Ucopia Communications comportaient une clause d'exclusivité qui a été remplacée par une clause de non-concurrence dans le contrat du 2 mai 2014. Elle cite cette clause de non-concurrence qui stipule que " pendant la durée du présent contrat, le prestataire ne pourra pas effectuer de prestations de développement/accompagnement commercial pour une société autre qu'Ucopia et exerçant une activité concurrente à Ucopia ". Elle en déduit que la clause de non-concurrence n'avait pas un effet plus limité que les clauses d'exclusivité précédentes.
Concernant le préavis, la société RS Inspire soutient qu'au vu de l'ancienneté de leurs relations commerciales, la société Ucopia Communications aurait dû respecter un préavis d'un an. Elle affirme que la somme versée par la société Ucopia Communications correspond à une simple indemnité de fin de contrat et que cette dernière ne peut prétendre qu'il s'agit d'une prétendue compensation du préavis contractuel non effectué. Elle explique que la société Ucopia Communications et M. Bollini avaient en effet négocié une indemnité de fin de contrat correspondante aux indemnités de congés payés et de licenciement qui auraient été accordées à ce dernier s'il avait été embauché en qualité de salarié. Elle en déduit que cette indemnité est sans rapport avec l'exécution du préavis de rupture et qu'elle ne saurait exonérer la société Ucopia Communications de son obligation légale de respecter un préavis déterminé en fonction de l'ancienneté de la relation commerciale.
Sur le préjudice de la société RS Inspire,
La société RS Inspire soutient que la rupture de la relation commerciale par la société Ucopia Communications l'a empêché d'organiser sa reconversion et lui a donc causé un préjudice certain.
Elle explique que le montant de son préjudice est évalué à la marge brute qu'elle aurait réalisé pendant la durée du préavis dont elle a été privée, c'est à dire pendant 12 mois. Elle précise que sa marge brute est équivalente à son chiffre d'affaires.
Par ses conclusions signifiées par RPVA le 23 mars 2017, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des motifs, de leurs moyens et de leur argumentation, la société Ucopia Communications, sollicite de la cour de :
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
recevoir la société Ucopia Communications en ses présentes écritures et l'y déclarer bien fondée,
confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
juger que la rupture des relations commerciales n'était en rien brutale,
juger que le préavis de 8 mois était satisfaisant,
débouter la société RS Inspire de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
condamner la société RS Inspire à verser à la société Ucopia Communications la somme de 5 000 EUROS au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamner la société RS Inspire aux entiers dépens,
Sur la prétendue rupture des relations contractuelles,
Concernant le caractère établi des relations commerciales, la société Ucopia Communications soutient que l'objet du contrat conclu le 2 mai 2014 ne fait pas référence à la prolongation des missions de M. Bollini ayant débutées en 2006. Elle soutient qu'elle n'avait auparavant jamais conclu de contrat avec la société RS Inspire nouvellement créée et qu'il n'est pas possible d'évoquer la continuité d'un courant d'affaire entre des opérateurs économiques différents.
Concernant le caractère brutal de la rupture, la société Ucopia Communications rappelle que de nombreuses divergences sont apparues entre les parties dans le courant de l'année 2014 et que la rupture n'était donc pas imprévisible. Elle explique que M. Bollini ne montrait plus la motivation nécessaire pour s'installer aux Etats-Unis et participer au projet de développement de l'entreprise.
Elle cite un échange de mail intervenu au début de l'année 2015 dans lequel les parties conclut qu'elles ne sont " d'accord sur rien ". Elle ajoute que la société RS Inspire n'était pas en situation de dépendance économique car le contrat du 2 mai 2014 ne prévoyait qu'une clause de non-concurrence et que la société RS Inspire a eu toute la liberté de rechercher de nouveaux partenaires pendant le préavis de huit mois.
Concernant le préavis, la société Ucopia Communications affirme qu'un préavis de huit mois était largement suffisant au regard de l'ancienneté de la relation commerciale qu'elle entretenait depuis peu avec la société RS Inspire. Elle rappelle que même si M. Bollini ne pouvait plus accéder à ses locaux, il était rémunéré pendant toute la durée du préavis. Elle ajoute que M. Bollini a pu conserver son téléphone et son ordinateur de travail afin d'être en mesure de rechercher de nouveaux partenaires. Elle soutient qu'elle s'était accordée avec la société RS Inspire sur le montant de l'indemnité due au titre du préavis. Elle explique que cette indemnité n'est pas une indemnité de fin de contrat comme le prétend la société RS Inspire. Elle constate que cette dernière cite à l'appui de son argumentaire des courriels datant de 2011 relatif à la conclusion d'un contrat antérieur au contrat du 2 mai 2014. Elle demande donc à la Cour d'écarter ces éléments et de considérer que l'indemnité versée à la société RS Inspire consécutivement à la résiliation du contrat est bien une indemnité de préavis.
Sur le préjudice de la société RS Inspire,
La société Ucopia Communications soutient que le délai de préavis de huit mois laissé à la société RS Inspire lui a permis de se reconvertir rapidement puisque dès avril 2015, M. Bollini a retrouvé un emploi.
Sur ce ;
Considérant que l'article L. 442-6 I du Code de commerce stipule : " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel...
5) De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ",
que les dispositions susvisées ont vocation à s'appliquer lorsqu'il existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux,
qu'il convient donc d'examiner si la rupture de la relation commerciale directe était établie et a été brutale ;
Considérant qu'en l'espèce, il est établi que depuis 2006, la société Ucopia Communications a régularisé chaque année des contrats avec M. Bollini, ces contrats étant identiques à celui conclu avec la société RS Inspire le 2 mai 2014,
que dans les contrats conclus avec M. Bollini comme dans le contrat conclu avec la société RS Inspire, c'est la personne de M. Bollini qui a été mise à contribution pour exécuter les prestations,
qu'il y avait donc une continuité du courant d'affaires entre les parties caractérisée par la fourniture d'une même prestation par M. Bollini à la société Ucopia Communications pendant 9 ans, que cette collaboration de neuf années a d'ailleurs été reconnue par Ucopia (courriel du 12 février 2015) " Je tenais à vous informer du départ de Marc-Albert qui après 9 ans de collaboration fructueuse a décidé de se consacrer à des projets personnels. ",
qu'ainsi les parties entretenaient des échanges commerciaux directs caractérisant une relation commerciale établie au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I du Code de commerce;
Considérant que par lettre recommandée avec AR du 13 février 2015, la société Ucopia Communications a informé la société RS Inspire qu'elle entendait résilier le contrat de prestation de services après un délai de préavis de huit mois., la rémunération de la société RS Inspire étant maintenue pendant le préavis sans qu'elle ne fournisse de prestations,
que cette lettre est rédigée de la manière suivante : " Je vous signifie par la présente la dénonciation ce jour du contrat de prestation de service entre RS Inspire et Ucopia Communications signé le 2 mai 2014. Le délai énoncé à l'article 4 de ce contrat commence donc à partir de ce jour. ",
que l'article 4 du contrat stipule : " A son expiration, le présent contrat se renouvellera d'année en année par tacite reconduction pour des périodes de même durée, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, et moyennant un préavis de huit mois. ",
qu'il convient de rechercher si le délai de préavis prévu par l'article susvisé, a, compte tenu de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties, été respecté,
qu'en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée au moment de la notification de la rupture et en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire,
que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise,
qu'en l'espèce la société RS Inspire n'établit pas avoir été en situation de dépendance économique vis-à-vis de Ucopia Communications,
que la rupture est en fait le résultat d'un échec de négociations entre les parties concernant les conditions de travail et de rémunération de M. Bollini aux Etats-Unis ce qui rendait la rupture inéluctable et non imprévisible, la société RS Inspire ne pouvant se prévaloir de sa croyance en une continuité du flux d'affaires avec Ucopia Communications,
qu'ainsi, au vu de ces éléments, la rupture ne revêt pas le caractère de brutalité, un préavis huit mois (qui correspondait au contrat) apparaît comme suffisant pour une relation commerciale de 9 années, d'autant plus que M. Bollini avait toute faculté de chercher d'autres partenaires n'ayant plus à fournir de prestations à Ucopia,
qu'un montant de 160 250 euros HT qui correspondant à huit mois de préavis, a été versé à la société RS Inspire apparaît suffisant pour répondre au préjudice subi par la société RS Inspire,
qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris ;
Considérant que l'équité impose de condamner la société RS Inspire à verser à la société Ucopia Communications la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Condamne la société RS Inspire à verser à la société Ucopia Communications la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens.