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Décisions

CA Pau, 2e ch. sect. 1, 30 avril 2018, n° 16-00765

PAU

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Foncia Boussard MCI (SAS)

Défendeur :

Cimes Evasion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Legrand

Conseillers :

Mme Morillon, M. Darracq

T. com. Pau, du 8 févr. 2016

8 février 2016

Exposé des faits et procédure :

La SAS Foncia Boussard MCI qui a pour activité principale l'administration de biens, achat, vente et locations dispose d'une succursale dénommée Foncia Oranovsky à Orolon Sainte-Marie, laquelle a une agence dans la station de ski de la Pierre Saint Martin.

Madame Chantal M., salariée dans cette agence depuis le 29 septembre 2003, en qualité d'attachée commerciale, a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave le 2 janvier 2013.

Le 17 juillet 2013, elle a créé une société concurrente à Arette dénommée " Cimes d'Evasion 64 ".

Invoquant l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par son ancienne collaboratrice, la SAS Foncia Boussard MCI a fait désigner un huissier le 17 janvier 2014 pour obtenir la liste des nouveaux mandats obtenus par Madame Chantal M. pour le compte de la SARL Cimes d'Evasion 64.

Par acte du 6 août 2014, la SAS Foncia Boussard MCI a fait assigner la SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M. devant le Tribunal de commerce de PAU, aux fins de voir :

- constater que les actes de détournement de clientèle et de démarchage illicite sont établis,

- dire et juger que ces actes sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale,

- ordonner la cessation sans délai de ces agissements déloyaux sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

-condamner solidairement Madame Chantal M. et la SARL Cimes d'Evasion 64 à lui payer à titre de dommages et intérêts :

- 43 677,78 € HT, soit 52 413,336 € TTC en réparation du préjudice financier

- 20 000 € en réparation du préjudice lié à la désorganisation du réseau et du trouble commercial,

- 20 000 € en réparation de l'atteinte portée à son image et sa réputation professionnelle,

- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation,

- ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la SARL Cimes d'Evasion 64 dans deux journaux locaux, en l'occurrence l'Eclair et la République des Pyrénées,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- condamner les mêmes au paiement de 3 000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 et les dépens.

Par jugement du 2 février 2016, le Tribunal de commerce de PAU a :

- constaté le caractère mal fondé des prétentions de la SAS Foncia Boussard MCI,

- constaté l'absence de déloyauté, de préjudice financier, de trouble commercial, d'atteinte à l'image ou à la réputation professionnelle dans l'action de concurrence de Madame Chantal M. et de sa SARL Cimes d'Evasion 64,

- débouté la SAS Foncia Boussard MCI de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouté Madame Chantal M. et sa SARL Cimes d'Evasion 64 de toutes leurs demandes reconventionnelles au titre du préjudice de parasitisme, dénigrement et diffamation,

- condamné la SAS Foncia Boussard MCI à payer 500 € à la SARL Cimes d'Evasion 64 et 500 € à Madame Chantal M. sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Foncia Boussard MCI aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration en date du 4 mars 2016, la SAS Foncia Boussard MCI a relevé appel du jugement.

La clôture est intervenue le 7 février 2018.

Prétentions et moyens des parties :

Par conclusions notifiées le 5 février 2018, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS Foncia Boussard MCI demande de :

- réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

- constater que les actes de détournement de clientèle et de démarchage illicite sont établis,

- dire et juger que ces actes sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale,

En conséquence,

- statuer ce que de droit sur la demande de cessation sans délai des agissements déloyaux et sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir,

- condamner in solidum Madame Chantal M. et la SARL Cimes d'Evasion 64 à lui payer à titre de dommages et intérêts :

- 43 677,78 € HT, soit 52 413,336 € TTC en réparation du préjudice financier résultant de la perte d'honoraires,

- 20 000 € en réparation du préjudice résultant de la désorganisation de son réseau et du trouble commercial,

- 20 000 € en réparation du préjudice résultant de l'atteinte portée à son image et sa réputation professionnelle,

- dire et juger que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 6 août 2014, date d'introduction de la demande,

- ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la SARL Cimes d'Evasion 64 dans deux journaux locaux, en l'occurrence l'Eclair et la République des Pyrénées,

- débouter Madame Chantal M. et la SARL Cimes d'Evasion 64 de leurs demandes reconventionnelles et incidentes,

- condamner in solidum Madame M. et la SARL Cimes d'Evasion 64 à lui payer une somme de 4 000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- les condamner in solidum aux entiers dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 7 février 2018 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M. demandent de :

à titre principal,

- constater le caractère mal fondé des prétentions de la Sas Foncia Boussard MCI,

- constater l'absence de déloyauté dans la concurrence pratiquée par elle et sa société,

en conséquence,

- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté la SAS Foncia Boussard MCI de l'ensemble de ses demandes et qu'il l'a condamnée au titre de l'article 700 code de procédure civile et des dépens,

à titre subsidiaire,

- constater le caractère non justifié et abusif des demandes formées par la SAS Foncia Boussard MCI,

en conséquence,

- débouter la SAS Foncia Boussard MCI de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

en tout état de cause,

- constater l'existence d'actes de parasitisme et de dénigrement, voire de diffamation, de la part de la SAS Foncia Boussard MCI à l'encontre de Madame Chantal M. et de la SARL Cimes d'Evasion 64,

en conséquence,

- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté Madame Chantal M. et la SARL Cimes d'Evasion 64 de leurs demandes indemnitaires et, statuant à nouveau,

- condamner la SAS Foncia Boussard MCI à payer à Madame Chantal M. la somme de 5 000 € en indemnisation du préjudice subi du fait du parasitisme accompli,

- condamner la SAS Foncia Boussard MCI à payer à Madame Chantal M. et à la SARL Cimes d'Evasion 64 la somme de 5 000 € pour dénigrement, diffamation,

- condamner la SAS Foncia Boussard MCI à payer à Madame Chantal M. et à la SARL Cimes d'Evasion 64 la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Foncia Boussard MCI aux entiers dépens de l'instance.

Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessus.

MOTIFS DE LA DECISION :

A l'appui de ses demandes, la SAS Foncia Boussard MCI entend caractériser des faits de concurrence déloyale commis par la SARL Cimes d'Evasion 64 et sa gérante par détournement de clientèle et démarchage abusif. Elle estime en particulier que le détournement du fichier client constitue une faute sanctionnable et qu'elle a été victime de dénigrement auprès de ses clients.

La SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M., pour leur part, soutiennent que la SAS Foncia Boussard MCI ne démontre pas le détournement du fichier de clientèle ni le démarchage abusif de clientèle et par conséquent l'existence d'actes de concurrence déloyale, ajoutant que le simple départ de plusieurs clients dans un délai proche du licenciement de Madame Chantal M. n'était pas suffisant, à défaut de démontrer l'usage complémentaire de procédés déloyaux.

Il convient de rappeler qu'en l'absence de clause de non-concurrence dans son ancien contrat de travail, le salarié licencié est parfaitement libre de se réinstaller et de développer une activité concurrente, la liberté étant la règle en la matière, sauf à démontrer l'existence de procédés fautifs mis en œuvre dans le seul but de s'approprier de manière déloyale une partie de la clientèle de l'ancien employeur.

A cet égard, la SAS Foncia Boussard MCI affirme sans en rapporter la preuve que Madame Chantal M. a nécessairement conservé le listing informatique de sa clientèle, du seul fait qu'elle " n'a pas pu se souvenir des noms et adresses postales de tous les clients ". Elle procède ainsi par simple supposition sans aucune démonstration, alors que Madame Chantal M. avait géré pendant 10 ans le portefeuille de clients de la station, qu'elle avait noué des liens privilégiés avec certains compte-tenu de sa présence constante sur place, et que le nombre des clients concernés était faible.

En effet, sur les 26 noms figurant sur la requête saisissant le président du Tribunal de Grande Instance de Pau pour obtenir l'autorisation de mandater un expert chargé de rechercher des documents à l'agence de Madame Chantal M., seuls 19 clients ont, de l'aveu même de cette dernière, été destinataires de deux courriers datés des 14 mai et 20 juillet 2013, aux termes desquels elle les informait de la création de sa propre agence et leur proposait ses services.

Au surplus, ainsi que l'a souligné le premier juge, Madame Chantal M. n'a pas eu le temps matériel de s'emparer du listing professionnel de la clientèle puisqu'elle a été immédiatement mise à pied à titre conservatoire et qu'elle n'a pas ensuite été autorisée à revenir dans l'entreprise.

Contrairement à ce que soutient la SAS Foncia Boussard MCI, les propriétaires qui n'ont pas voulu renouveler leur mandat courant 2013 et qui ont pu être sollicités par Madame Chantal M. étaient pour l'essentiel résidant dans la région sud-ouest, ainsi que cela résulte des courriers de résiliation versés aux débats par l'appelante, et avaient l'habitude de séjourner personnellement dans les appartements en-dehors des périodes de location.

La SAS Foncia Boussard MCI ne rapporte donc pas la preuve que Madame Chantal M. s'est procurée par des manœuvres fautives et déloyales le listing des clients de l'agence pour ensuite opérer un démarchage frauduleux. Si tel avait été le cas d'ailleurs, les lettres circulaires litigieuses auraient été adressées à l'ensemble des clients (57 selon le propre listing de l'appelante) et non 19 comme cela a été le cas.

Au surplus, le simple envoi de lettres circulaires à une clientèle potentielle ne peut être considéré comme un moyen déloyal d'attirer les clients dans le cadre du jeu normal de la libre concurrence. Si les termes employés dans ces courriers peuvent apparaître naïfs et maladroits à certains égards, ils ne peuvent s'analyser comme des faits de dénigrement ou de parasitisme de nature à justifier l'engagement de la responsabilité de la SARL Cimes d'Evasion 64 et de Madame Chantal M. dans le cadre d'une action en concurrence déloyale. En effet, dans la lettre du 14 mai 2013, elle fait état de son départ précipité de Foncia en raison d'une faute professionnelle, de son souhait de porter à la connaissance du client ses coordonnées personnelles et de son projet professionnel de créer sa propre structure. Dans le courrier du 20 juillet 2013, elle confirme l'avancement de son projet, son installation sur la station et détaille une proposition de gestion des biens qui pourraient lui être confiés. Si elle fait référence à deux reprises à son ancien employeur, aucun des termes employés ne peuvent être reconnus comme constituant un dénigrement, l'interprétation qu'en fait la SAS Foncia Boussard MCI ne pouvant être suivie par la cour.

Par ailleurs, l'envoi de ces courriers, après la fin de la période hivernale démontre suffisamment l'absence de malice de Madame Chantal M. qui n'a pas entrepris ces démarches dans le but de désorganiser l'activité de son ancien employeur.

Enfin, le simple fait de proposer des tarifs plus attractifs ou des services innovants n'est pas constitutif d'une concurrence déloyale, alors au surplus que de nombreux clients expliquent le non renouvellement du mandat par des résultats financiers décevants, un taux d'occupation trop faible, un suivi déficient des biens loués. Les lettres de résiliation sont rédigées de manière très diverses et invoquent des motifs également variés. Rien ne permet d'en déduire que Madame Chantal M. a encouragé ces démarches ou leur a prêté une quelconque assistance.

Contrairement aux affirmations de la SAS Foncia Boussard MCI, une partie des clients de la SARL Cimes d'Evasion 64 ne sont pas des anciens clients de l'agence et une partie des clients perdus ne se retrouvent pas dans le fichier clients de l'agence créée par Madame Chantal M.. La démonstration que tente de faire la SAS Foncia Boussard MCI de ce que Madame Chantal M. aurait mis en œuvre des moyens déloyaux pour capter la clientèle ou se serait placée dans le sillage de son ancien employeur ne repose sur aucun élément tangible.

Par conséquent, en l'absence de démonstration d'un comportement fautif de la SARL Cimes d'Evasion 64 et de Madame Chantal M. dans l'exercice du libre jeu de la concurrence, la SAS Foncia Boussard MCI sera déboutée de l'intégralité de ses demandes.

Sur les demandes reconventionnelles d'indemnisation présentées par la SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M. :

Au soutien de leurs demandes reconventionnelles, les intimées reprochent à la SAS Foncia Boussard MCI de s'être livrée à du parasitisme et à du dénigrement. Pour cela, Madame Chantal M. invoque l'existence de plusieurs courriers adressés courant janvier 2013 aux clients de l'agence Foncia sur lesquels figurait encore son nom.

Cependant dès lors qu'à cette époque, Madame Chantal M. n'avait pas encore créé d'activité concurrente, il ne peut être question d'un quelconque parasitisme.

S'agissant du dénigrement invoqué, sa preuve résulte selon les intimées d'une lettre adressée par Monsieur et Madame L., client de l'agence Foncia, au sujet de la disparition de couettes dans leur appartement, l'employé qui les a reçus leur ayant dit que " l'ancienne gestionnaire les aurait peut-être emporté chez elle ". Il n'est pas invoqué d'autres faits.

Or, ce courrier ne comporte aucun terme dénigrant ou diffamant le comportement de Madame Chantal M., les déclarations faites par son successeur dans l'agence pouvant aussi bien s'analyser comme la démonstration de l'attention qu'elle porte à la mise en sécurité du bien d'un de ses clients.

Aucun agissement fautif de la SAS Foncia Boussard MCI n'est donc caractérisé et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M. de leurs demandes reconventionnelles d'indemnisation.

Sur les frais et dépens :

La SAS Foncia Boussard MCI qui succombe doit supporter les dépens de l'instance d'appel, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SARL Cimes d'Evasion 64 et de Madame Chantal M. les frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel. Aussi, il convient de leur allouer la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement en toutes ses dispositions, Et y ajoutant, Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires, Condamne la SAS Foncia Boussard MCI aux dépens d'appel, Condamne la SAS Foncia Boussard MCI à payer à la SARL Cimes d'Evasion 64 et Madame Chantal M. la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement ceux de dépens d'appel dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.