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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 3 mai 2018, n° 15-24157

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Nouvelle SBTT (SAS)

Défendeur :

Maris

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Ziberlin, Feraud, Ranlin

T. mixte com. Fort-de-France, du 3 juill…

3 juillet 2014

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Nouvelle SBTT (ci-après " la société SBTT ") est une agence de voyage installée sur l'île de Saint-Barthélemy depuis 2006. Elle est sollicitée par des compagnies qui exploitent des bateaux de croisière faisant escale à Saint-Barthélemy pour fournir à leur clientèle diverses prestations et notamment des excursions nautiques. Dans le cadre de ces excursions nautiques, la société SBTT soumet aux différentes compagnies la liste des entreprises locales susceptibles de fournir une telle prestation puis, selon les demandes, se charge de les contacter.

Monsieur Philippe Maris était skipper sur un voilier (" Nuage III ") appartenant à Monsieur Laurent Benoit, gérant de la société Lexcat " Côté Mer ", avec laquelle la société SBTT était en relations pour fournir lesdites prestations nautiques. A compter de novembre 2011 jusqu'à mars 2012, Monsieur Maris, inscrit au RCS depuis le 20 octobre 2011 sous l'enseigne " Sur un nuage ", a facturé à la société SBTT diverses prestations d'excursions nautiques pour les clients des bateaux de croisière faisant escale à Saint-Barthélemy.

A la reprise de la saison en novembre 2012, Monsieur Maris ne s'est vu proposer aucune prestation par la société SBTT.

S'estimant victime d'une rupture brutale des relations commerciales établies, par exploit d'huissier en date du 6 décembre 2012, Monsieur Maris a assigné la société Nouvelle SBTT devant le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce aux fins d'obtenir réparation de son préjudice.

Par jugement rendu le 3 juillet 2014, le Tribunal mixte de commerce de Fort-de-France a :

- condamné la société Nouvelle SBTT à verser à Monsieur Philippe Maris une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice matériel subi par lui du fait de la brusque rupture de leur relation commerciale ;

- condamné la société Nouvelle SBTT à verser à Monsieur Philippe Maris la somme de 10 000 euros en indemnisation de son préjudice moral ;

- condamné la société Nouvelle SBTT à verser à Monsieur Philippe Maris une somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté chaque partie des conclusions plus amples ou contraires ;

- dit n'y avoir lieu à l'exécution provisoire ;

- condamné la société Nouvelle SBTT aux entiers dépens ;

Vu l'appel interjeté le 30 novembre 2015 par la société Nouvelle SBTT à l'encontre de cette décision

Vu les dernières conclusions signifiées le 17 mars 2016 par la société Nouvelle SBTT, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

Vu les pièces,

- déclarer recevable l'appel interjeté par la société Nouvelle SBTT à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal mixte de commerce de Basse-Terre le 3 juillet 2014 ;

- le dire bien fondé ;

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau,

- débouter Monsieur Philippe Maris de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Monsieur Philippe Maris à payer à la société Nouvelle SBTT la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- le condamner aux entiers dépends de première instance et d'appel.

Vu les dernières conclusions signifiées le 20 avril 2016 par Monsieur Philippe Maris, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009,

Vu l'article 1134 du Code civil,

- débouter la société Nouvelle SBTT en son appel ;

- dire et juger que la société Nouvelle SBTT est responsable d'une brusque rupture de convention au préjudice de Monsieur Philippe Maris ;

- la condamner à payer 45 000 euros à Monsieur Philippe Maris de ce chef ;

- dire et juger qu'elle a manqué à l'obligation de loyauté dans l'exécution des conventions ;

- la condamner, à ce titre, à payer 15 000 euros à Monsieur Philippe Maris ;

- débouter la société Nouvelle SBTT en son appel ;

- la condamner à payer 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens.

La société SBTT conteste l'existence de toute relation commerciale établie avec Monsieur Maris dont elle estime qu'il n'en rapporte pas la preuve. Elle précise qu'il n'était que skipper sur un bateau qui ne lui appartenait pas, que certaines des factures présentées par Monsieur Maris émanent d'une société dont Monsieur Maris n'était ni associé ni gérant, que Monsieur Maris ne peut se prévaloir de la qualité de sous-traitant de la société SBTT, qu'il n'établit pas une stabilité prévisible des relations avec la société SBTT, compte tenu de la nature de la prestation fournie.

Elle rappelle qu'aucun accord particulier n'était passé par la société SBTT avec les entreprises de nautisme puisque le choix de ces dernières dépendait principalement des clients des bateaux de croisière, de sorte que la société SBTT n'était pas donneur d'ordre mais intermédiaire et ne pouvait donc garantir un volume d'affaires à l'une quelconque de ces sociétés.

A supposer qu'une relation commerciale soit établie, la société SBTT conteste le fait qu'elle ait manifesté sa volonté de ne plus adresser aucun client à Monsieur Maris ou d'avoir réservé la totalité des excursions demandées à l'un de ses concurrents, la société Saint Barth Sailor, qui n'est en réalité qu'un service de billetterie. Elle rappelle que le choix du prestataire ne lui incombe pas et qu'elle ne peut prendre aucun engagement d'exclusivité.

La société SBTT indique que Monsieur Maris, qui savait que le bateau " Nuage III " allait être vendu, tente de lui faire supporter les conséquences d'une situation à laquelle elle est totalement étrangère, qu'il n'y a aucun caractère brutal à la rupture, de sorte que Monsieur Maris n'est pas fondé à recevoir une indemnisation, que la perte de son chiffre d'affaire, sur laquelle il base sa demande d'indemnisation, n'est pas la conséquence d'une rupture brutale mais de la perte du bateau.

Elle conteste toute déloyauté et rappelle qu'elle n'a jamais eu l'intention d'interdire à la clientèle des bateaux de croisière de faire appel aux services de Monsieur Maris.

En réponse, Monsieur Maris rappelle que l'absence de contrat écrit importe peu pour prouver l'existence d'une relation commerciale établie, que le fait d'avoir exercé par le truchement de sociétés interposées est sans incidence quant à la durée réelle de la prestation effectuée pour la société SBTT qui est en réalité de 3 ans, même s'il n'a créé sa société " Sur un Nuage " qu'en octobre 2011, qu'il n'a jamais prétendu bénéficier d'une exclusivité de la part de la société Nouvelle SBTT mais précise qu'il devait réserver une priorité absolue aux clients de cette société par préférence à sa clientèle personnelle, qu'à compter du 1er novembre 2012, la société Saint Barth Sailor a pris sa place en tant que prestataire, que la société SBTT a cessé brutalement de lui confier toute activité à compter du 1er novembre 2012.

Monsieur Maris explique que, concernant la vente du bateau qu'il exploitait, il n'avait aucun moyen de savoir si le nouveau propriétaire allait poursuivre le contrat de gestion et estime que cette vente n'a aucune incidence sur la brusque rupture, qu'en tout état de cause la société Nouvelle SBTT est mal venue à se prévaloir de la faute commise par Monsieur Benoit à l'occasion de la vente du navire, que certes Monsieur Benoit aurait dû informer le nouveau propriétaire du bateau, Monsieur Bucceri, de l'existence de la relation commerciale établie au profit de Monsieur Maris, ce qui n'a pas été fait, mais que cette faute ne peut exonérer la société SBTT de sa propre responsabilité.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

... 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) " ;

Considérant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses ;

Qu'ainsi la notion de relation commerciale établie peut exister en l'absence de signature de tout contrat, dès lors que la relation d'affaires s'inscrit dans la durée, la continuité et dans une certaine intensité ;

Qu'elle peut également prendre en compte plusieurs périodes successives, lorsqu'il y a poursuite de la même activité ;

Considérant qu'en l'espèce, aucun contrat ne liait la société SBTT et Monsieur Maris ;

Mais considérant que l'existence de relations commerciales stables et établie, dans une certaine continuité, entre Monsieur Maris et la société SBTT n'est pas établie ;

Qu'en effet, la société SBTT n'a payé des prestations à Monsieur Maris que de novembre 2011 à mars 2012 et non depuis 2008, rien ne justifiant d'un tel paiement auparavant et ne permettant de dire, comme l'a retenu à tort le tribunal, que Monsieur Maris aurait réalisé ses prestations par l'intermédiaire de la société Lexcat ;

Qu'en effet, il résulte des pièces versées aux débats que pour la période 2008-2011, Monsieur Maris n'apparaît sur aucune facture ni sur aucune demande de prestations, qu'il n'y a aucune commande à son nom et que c'est la société Lexcat " Côté Mer ", dont Monsieur Benoit était le gérant et propriétaire du bateau " Nuage III ", non appelé dans la cause, qui a facturé des prestations à une société Masterski Pilou SARL dont le Kbis n'a été fourni par aucune des parties, et non à la société SBTT ;

Qu'une éventuelle succession de personnes sous des entités juridiques ou personnes distinctes n'est nullement établie ;

Qu'il n'est par conséquent justifié d'aucune relation commerciale entre Monsieur Maris et la société SBTT avant le mois de novembre 2011, ni au regard des dispositions de l'article 1134 (ancien) du Code civil, ni au regard de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce invoqué, en l'absence de toute réalité juridique d'un quelconque lien de droit entre les parties, Monsieur Maris n'ayant commencé à facturer à la société SBTT des prestations sous son nom d'exploitant " Sur un nuage " qu'à compter de son enregistrement au registre du commerce et des sociétés ;

Qu'une relation commerciale s'est nouée entre Monsieur Maris et la société SBTT uniquement pour la saison d'hiver 2011-2012, aucune autre prestation n'ayant été facturée au-delà ;

Considérant que la durée et la stabilité desdites relations commerciales n'est dès lors pas établie, une seule saison d'hiver ne permettant pas de considérer qu'une quelconque pérennité des relations s'était instaurée, ce d'autant que la société SBTT n'avait aucun engagement d'exclusivité avec l'un quelconque des prestataires auxquels elle faisait appel en diffusant les propositions de prestations nautiques des compagnies maritimes, que par ailleurs Monsieur Maris n'était pas propriétaire du voilier " Nuage III " et que ce dernier a d'ailleurs été vendu le 17 décembre 2012, ce que Monsieur Maris a vraisemblablement anticipé en assignant la société SBTT en paiement d'une indemnité pour rupture brutale dès le 6 décembre 2012 alors que la saison 2012-2013 venait à peine de commencer et que rien ne permettait au surplus d'établir que la société SBTT ne lui proposerait plus de prestations ;

Qu'en l'absence de relations commerciales établies, les demandes de Monsieur Maris sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5° devront être rejetées ;

Considérant qu'aucun comportement déloyal dans le cadre de l'exécution des relations commerciales au regard des prestations exécutées depuis novembre 2011 entre la société SBTT et Monsieur Maris n'est établi ;

Que par voie de conséquence, et en l'absence de tout autre élément probant, les deux attestations versées aux débats étant dénuées de tout élément précis en rapport avec le litige, les demandes d'indemnisation pour préjudice moral en application de l'article 1134 (ancien) du Code civil devront également être rejetées ;

Que la décision des premiers juges sera infirmée en toutes ses dispositions, y compris sur l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Que l'équité commande d'allouer à la société SBTT la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Déboute Monsieur Philippe Maris de toutes ses demandes, Condamne Monsieur Philippe Maris à payer à la société Nouvelle SBTT la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toutes autres demandes, Condamne Monsieur Philippe Maris aux dépens de première instance et d'appel.