CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 9 mai 2018, n° 16-02810
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Transca (SARL)
Défendeur :
Scarmor (SCA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Sauvage, Boccon Gibod, Rineau
FAITS ET PROCÉDURE
La société Transca, créée en 2004, a pour activité le transport routier de marchandises, agissant plus particulièrement en qualité de tractionnaire.
La société centrale d'approvisionnement de l'Armorique, ci-après Scarmor, est la centrale d'achat des magasins Leclerc pour la région Bretagne.
Par acte sous seing privé du 5 janvier 2005, la société Transca a acquis le fonds de commerce de transport de M. Balcon qui travaillait exclusivement pour la Scarmor. La société Transca a poursuivi cette activité, ayant pour unique client la société Scarmor.
Aux termes de quatre contrats de location, la société Transca a loué à la société Scarmor ses camions avec chauffeurs, soit la totalité de son parc constitué de 4 véhicules.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 décembre 2010, la société Scarmor a résilié l'un des quatre contrats de location en accordant à la société Transca, conformément aux stipulations contractuelles, un préavis de 3 mois prenant effet à compter du 17 mars 2011.
Le 3 avril 2012, M. Abiven, gérant de la société Transca, a signé avec M. Quellec, chauffeur-routier salarié de la société Scarmor, une promesse de cession de fonds de commerce, le prix ayant été négocié sur la base de trois camions en activité.
Par courrier du 23 mai 2012, la société Scarmor a résilié un second contrat de location.
La cession de fonds de commerce ne s'est pas concrétisée.
Le 20 juillet 2012, la société Scarmor est revenue sur sa décision du 23 mai 2012 et a annulé la résiliation de ce second contrat.
Au mois d'août 2012, la société Scarmor a proposé à la société Transca la ratification d'un avenant, aux termes duquel elle prévoyait d'interdire, sans son accord préalable, toute forme de cession, ce qu'a refusé la société Transca.
Par exploit d'huissier du 28 décembre 2012, la société Transca a assigné la société Scarmor devant le Tribunal de commerce de Rennes afin d'obtenir notamment réparation du préjudice subi du fait d'un abus de situation de dépendance économique et de rupture partielle des relations commerciales établies sans préavis suffisant.
Par courrier du 29 novembre 2013, la société Scarmor a notifié à la société Transca la résiliation du contrat afférent au tracteur n° 959 BBC 35, avec effet au 1er juin 2014.
Par courrier du 31 décembre 2013, la société Scarmor a notifié à la société Transca la résiliation du contrat afférent au tracteur n° BP 432 VP, avec effet au 30 juin 2014.
Le 1er juin 2014, la société Scarmor a résilié le dernier contrat qui la liait à la société Transca, relatif au tracteur n° 538 AFV 29, avec effet au 31 décembre 2014.
Par jugement du 22 décembre 2015, le Tribunal de commerce de Rennes a :
- débouté la société Transca de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la Scarmor de sa demande au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouté la Scarmor de sa demande au titre des dommages et intérêts pour réparation du préjudice,
- dit qu'il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile, et a débouté les partes de leurs demandes formées sur ce chef,
- dit qu'il n'y a pas lieu à exécution provisoire du jugement,
- condamné la société Transca aux dépens,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 70,20 euros tels que prévu aux articles 695 et 701 du Code de procédure civile.
La société Transca a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 26 janvier 2016.
La procédure devant la cour a été clôturée le 27 février 2018.
LA COUR
Vu les conclusions du 22 avril 2016 et du 4 août 2016 par lesquelles la société Transca, appelante, invite la cour, au visa des articles 1134, 1147, 1382, 1383 du Code civil, L. 420-2 alinéa 2, L. 442-6, D. 442-3, D. 442-4 du Code de commerce, et des dispositions de la loi d'orientation des transports du 30 décembre 1982, à :
- réformer dans son intégralité la décision entreprise,
- déclarer recevable et bien fondée l'action entreprise,
- dire que la société Scarmor a notamment :
* abusé de la situation de dépendance économique de la société Transca en menaçant sa survie,
* obtenu de multiples avantages sans contrepartie,
* soumis la société Transca à des obligations génératrices de déséquilibres,
* obtenu de multiples avantages sans écrit,
* obtenu sous la menace de rupture des conditions manifestement léonines,
* rompu partiellement à deux reprises les relations commerciales établies sans motif réel et sans tenir compte d'un préavis suffisant,
- dire que la société Scarmor a engagé sa responsabilité,
en conséquence,
- condamner la société Scarmor à réparer le préjudice subi, savoir :
* 1 562 000 euros au titre du préjudice matériel,
* 70 000 euros au titre du préjudice moral,
- condamner la société Scarmor au paiement de la somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Scarmor en tous les dépens ;
Vu les conclusions du 14 février 2018 par lesquelles la société Scarmor, intimée ayant formé appel incident, demande à la cour, au visa des articles L. 133-6, L. 420-2 et L. 442-6 du Code de commerce, 1150, 1151 et 1382 du Code civil, 6, 32-1, 122 et 515 du Code de procédure civile, de :
1. s'agissant de l'action toute entière de la société Transca, à l'exception de ses demandes fondées sur l'article L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce,
- constater l'imprécision du fondement juridique des demandes de la société Transca, ainsi que son incapacité à alléguer des faits propres à fonder ses prétentions,
2. en tout état de cause,
a. s'agissant des griefs imaginés par la société Transca,
- constater qu'aucune preuve d'une quelconque atteinte au jeu de la concurrence n'est apportée par la société Transca, de sorte qu'aucune condamnation à son encontre ne saurait intervenir sur le fondement de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce,
- constater qu'aucune preuve de l'existence d'un état de dépendance économique n'est apportée par la société Transca, de sorte qu'aucune condamnation à son encontre ne saurait intervenir sur le fondement de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce,
- juger que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'un quelconque abus commis par elle dans la fixation des prix et les conditions de paiement des prestations de services fournies, en son temps, par la société Transca,
- juger que l'appelante ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle aurait bénéficié " d'avantages indus " de la part de la société Transca, pas plus qu'elle ne démontre l'existence d'une contrainte qui auraitvicié le consentement de l'appelante, dans le cadre de la négociation et de l'exécution des contrats conclus avec elle,
- juger que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'une quelconque fraude commise par elle dans le cadre du service de fourniture de carburant à ses tractionnaires,
- juger que l'appelante ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute commise par elle, à l'occasion de la résiliation des différents contrats qui la liait avec la société Transca,
- juger, en particulier, que les préavis octroyés par elle à la société Transca étaient conformes aux stipulations contractuelles, et, en tout état de cause, très largement suffisants au regard de la jurisprudence, des usages de la profession, et des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
b. S'agissant des préjudices allégués par M. Patrick Abiven et la société Transca,
- constater que M. Patrick Abiven n'est pas partie à la procédure, et, par voie de conséquence, que sa demande formée au titre d'un prétendu préjudice moral est irrecevable,
- juger que, s'agissant de toutes les " factures " arrivant à échéance avant le 12 mars 2014, la demande de la société Transca est irrecevable car prescrite,
- juger qu'en tout état de cause, le préjudice allégué par la société Transca au titre d'un prétendu manque à gagner n'est pas réparable, et qu'au surplus ni l'existence ni le chiffrage de ce poste de préjudice ne sont prouvés,
- juger que le préjudice allégué par la société Transca au titre d'une prétendue perte de valeur est non seulement irréparable car notamment incertain, indirect, et impersonnel, mais encore que son chiffrage est fantaisiste,
- juger que le préjudice allégué par la société Transca au titre de son grief fondé sur la rupture brutale des relations commerciales n'est pas chiffré, et qu'en tout état de cause il est irréparable,
- juger, de manière générale, que pour chacun des postes de préjudice qu'elle allègue, la société Transca n'a pas pris la peine de démontrer la réunion des conditions posées par la loi et nécessaires à la reconnaissance d'un préjudice réparable (préjudice certain, direct, personnel, actuel et prévisible, et démonstration de lien de causalité avec les fautes alléguées),
c. s'agissant de ses demandes reconventionnelles,
- juger que l'action indemnitaire initiée par la société Transca à l'encontre de la société Scarmor ne repose sur aucun fondement sérieux, et, à tout le moins, a été engagée avec une légèreté blâmable, dans le but de s'enrichir à son détriment, de sorte que cette action est constitutive d'un abus du droit d'agir,
- juger, à tous le moins, qu'elle a été contrainte d'exposer de très importants frais de défense, compte tenu notamment du caractère général des accusations portées contre elle, et du montant déraisonnable des demandes formées à son encontre,
en conséquence,
- confirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes le 22 décembre 2015, en ce qu'il a débouté la société Transca de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- infirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a débouté la société Scarmor de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
- infirmer partiellement le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Rennes en ce qu'il a débouté la société Scarmor de ses demandes fondées sur les dispositions de l'article 1382 du Code de procédure civile, et, jugeant à nouveau sur ces points,
- recevoir ses demandes reconventionnelles,
- condamner la société Transca à une amende civile pour procédure abusive, ainsi qu'au versement d'une somme de 15 000 euros à la société Scarmor, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la société Transca à 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, au regard du préjudice subi par elle et résultant des autres agissements fautifs de la société Transca,
en tout état de cause,
- condamner la société Transca au paiement de la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 Code de procédure civile,
- condamner la société Transca aux entiers dépens ;
Sur ce
LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Sur les demandes de la société Transca
La société Transca fonde ses demandes sur les dispositions des articles L. 442-6, I, 1°, 2°, 3°, 4°, 5°, L. 441-7 ancien du Code de commerce, 1147 ancien du Code civil à titre principal et 1382 ancien du Code civil à titre subsidiaire et de la loi des transports du 30 décembre 1982, en reprochant à la société Scarmor les éléments suivants :
- la société Scarmor lui a imposé de se fournir en carburant exclusivement dans ses entrepôts, fixant ainsi unilatéralement les prix,
- la société Scarmor lui imposait de travailler exclusivement avec elle,
- les tractionnaires ayant une obligation de charger et de décharger, lui imposant des obligations, constituant des avantages à son profit, sans aucune contrepartie envers elle,
- la société Scarmor est à l'origine de la rupture des pourparlers de cession de fonds de commerce, utilisant la résiliation du contrat pour imposer sa volonté.
La société Transca précise que le grief relatif à la fixation des prix est fondé sur les articles L. 442-6, I, 1°, 2° b, L. 441-7 ancien du Code de commerce, et sur les dispositions de la loi des transports du 30 décembre 1982, que celui relatif aux avantages obtenus sans contreparties est fondé sur les articles L. 442-6, I, 1°, 2° a et b, 4°, et sur les dispositions de la loi des transports du 30 décembre 1982, que celui concernant l'utilisation de la résiliation comme " arme de dissuasion et de mise au pas " est fondé sur les articles L. 442-6, I, 2° b du Code de commerce, et enfin que celui relatif au préavis de rupture insuffisant est fondé sur les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
La société Scarmor relève le caractère très général des fondements utilisés.
Il convient toutefois de relever que chaque grief est lié spécifiquement à un ou plusieurs fondements juridiques précis. La cour ne répondra donc qu'au regard des fondements spécifiés et développés par la société Transca dans ses conclusions.
Il y a lieu de préciser que la société Transca ne relie pas les différents griefs aux dispositions de l'article L. 420-2 alinéa 2 du Code de commerce et ne précise pas ce qu'elle invoque sur ce fondement qu'elle vise dans le dispositif de ses conclusions.
Sur la recevabilité des demandes en paiement de factures antérieures au 12 mars 2014
La société Scarmor ne développe pas cette demande, ne l'explicite pas. La cour, n'étant saisie d'aucun moyen à ce titre, elle n'est donc pas en mesure de statuer sur ce point.
Il y a donc lieu de rejeter cette demande.
Sur le grief relatif à la fixation unilatérale des prix par la société Scarmor
La société Transca fonde ses demandes de ce chef sur les articles L. 442-6, I, 1°, 2° b, L. 441-7 ancien du Code de commerce, et sur les dispositions de la loi des transports du 30 décembre 1982. Elle explique que même si le contrat les liant précise que le coût fixé doit couvrir le coût réel du service rendu, il n'est à aucun moment fait référence à une étude même approximative des coûts pour fixer le prix de ses prestations. Elle soutient qu'aucune négociation annuelle n'a été menée avec la société Scarmor au moment de la signature du contrat-cadre annuel. Elle explique ainsi qu'il n'existe aucune possibilité de révision, sauf cas exceptionnel. Elle souligne que la société Scarmor calcule seule l'indexation des prix et qu'elle l'oblige à se fournir auprès d'elle en carburant alors que la pompe n'est pas réglementaire. Elle relève également que les contrats ne prévoient pas les exigences en matière de paiement, de pénalités ni l'interdiction d'une compensation. Elle explique aussi que seule la société Scarmor pouvait calculer ce qui était dû, celle-ci validant les kilomètres parcourus facturés et calculant l'indexation.
La société Scarmor excipe au contraire que l'article L. 441-7 du Code de commerce ne peut être visé en l'espèce, seules les conventions à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs relevant de ce texte, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, s'agissant de contrats de location. Elle souligne également que les dispositions de la loi des transports du 30 décembre 1982 ne prévoient pas un régime de responsabilité. Plus précisément, elle conteste avoir eu une obligation de négocier les prix avec la société Transca, et indique que dans les faits les prix étaient négociés entre les parties. Elle soutient que la DIRECCTE n'a pas relevé de fraude par l'utilisation d'une pompe non conforme, aucune fraude à l'étalonnage n'ayant été relevée. Elle conteste également avoir imposé aux tractionnaires de se fournir en carburant auprès d'elle, aucune preuve n'étant rapportée.
Sur le droit applicable
L'article L. 441-7 du Code de commerce ne s'applique pas aux rapports entre les parties, la société Transca comme la société Scarmor ayant signé un contrat en application des dispositions du décret n° 2002-566 du 17 avril 2002 portant approbation du contrat-type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises, contrat à durée indéterminée, et les deux parties revendiquant son application. Ainsi, la société Transca ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 447-1 précité à l'encontre de la société Scarmor quant à la rédaction du contrat les liant, les parties ayant choisi un autre cadre juridique.
S'agissant des dispositions de la loi du 30 décembre 1982, la société Transca ne précise pas quels articles elle invoque. La seule référence de manière générale aux dispositions d'une loi aux multiples dispositions, sans préciser le lien entre les griefs invoqués et des dispositions particulières de ce texte, ne peut suffire pour mettre en jeu la responsabilité de la société Scarmor.
Enfin, la société Transca reproduit dans ses conclusions l'article L. 442-6, I du Code de commerce, dans sa version actuellement en vigueur, mais invoque l'application de l'article L. 442-6, I, 1°, 2° b, et donc des textes antérieurs à la loi 2008-776 du 4 août 2008 dont est issu l'article précité.
Il convient donc de déterminer quelle est la loi applicable aux contrats dont il est question.
En l'espèce, quatre contrats ont été signés entre les parties le 23 février 2005 à durée indéterminée.
Il est de principe que la loi applicable à ces contrats est celle en vigueur au moment de leurs signatures.
Ainsi, l'article L. 442-6 du Code de commerce dans sa version applicable au 23 février 2005 est rédigé notamment comme suit :
" I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
1° De pratiquer, à l'égard d'un partenaire économique, ou d'obtenir de lui des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles en créant, de ce fait, pour ce partenaire, un désavantage ou un avantage dans la concurrence ;
2° a) D'obtenir ou de tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu. Un tel avantage peut notamment consister en la participation, non justifiée par un intérêt commun et sans contrepartie proportionnée, au financement d'une opération d'animation commerciale, d'une acquisition ou d'un investissement, en particulier dans le cadre de la rénovation de magasins ou encore du rapprochement d'enseignes ou de centrales de référencement ou d'achat ;
b) D'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente en le soumettant à des conditions commerciales ou obligations injustifiées ".
Sur les griefs
Il convient d'abord de relever que les pièces visées par la société Transca dans ses conclusions portant sur le rapport établi par la DIRECCTE ne figurent pas dans son bordereau de communication de pièces. Par suite, faute d'avoir été communiquées, il ne peut en être tenu compte.
* la fixation des prix
Si l'article 14 de l'annexe du décret n° 2002-566 du 17 avril 2002 portant approbation du contrat-type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandise prévoit que " le prix de location est établi de façon à assurer la couverture des coûts réels du service rendu par le loueur dans des conditions normales d'organisation et de productivité ", cet article n'impose pas la réalisation formelle d'une étude préalable entre les parties afin de déterminer le prix des prestations. Par ailleurs, il n'est pas démontré par la société Transca que les prix de ses prestations lui ont été imposés par la société Scarmor, ce d'autant que, par courrier du 21 juillet 2006, il apparaît que la société Scarmor, après communication d'éléments par la société Transca, a proposé une augmentation de la rémunération de 0,03 euros supplémentaire par kilomètre pour le mois de juin dernier ainsi qu'un nouveau tableau d'indexation à compter du 1er juillet 2006 (pièce 7 appelante).
En outre, la pièce 19 communiquée par l'appelante n'est pas datée, son origine n'est pas établie et il n'est pas possible de déterminer que la société Transca en a été destinataire. Cette pièce n'est donc pas probante et ne peut ainsi être prise en considération. Enfin, les courriels des 5 décembre 2011 et 28 novembre 2012 (pièces appelantes 33 et 39) sont insuffisants à établir la manière dont étaient établis les prix des prestations entre les parties, les échanges antérieurs et postérieurs n'étant pas communiqués. Ce grief n'est pas démontré.
En outre, les accords-cadres annuels invoqués par la société Transca ne sont pas établis.
De même, les contrats litigieux fixent le prix de la prestation selon un "terme fixe" défini au contrat mais aussi en fonction d'un "terme kilométrage", et prévoient qu'en raison de la forte fluctuation du gazole, le locataire propose d'indexer la rémunération kilométrique sur le prix d'achat moyen mensuel, et un tableau mensuel est annexé pour déterminer chaque mois l'indexation kilométrique. La société Transca ne prouve pas avoir soumis à la société Scarmor le tableau d'indexation ni que la société Scarmor l'ait refusé. Ce grief n'est donc pas établi.
* l'obligation de se fournir en carburant auprès de la société Scarmor et la surfacturation
Aucune pièce ne démontre que la société Scarmor imposait à la société Transca de se fournir en carburant ni qu'elle lui surfacturait l'essence ; le caractère non conforme de la pompe à essence en terme administratif n'implique pas que la société Scarmor fraudait et surfacturait le prix du carburant à la société Transca. Ce grief n'est pas fondé.
* le contrôle des factures
Le contrôle par la société Scarmor des factures envoyées par la société Transca ne peut lui être reproché, tout comme le signalement d'une erreur de kilométrage facturé par cette dernière. Ce grief ne peut être retenu.
* le silence du contrat
La société Transca ne démontre pas en quoi les griefs relatifs à l'absence de la mention relative au délai de paiement, aux pénalités et à l'interdiction de la compensation dans les contrats engagent la responsabilité de la société Scarmor sur le fondement des articles précités.
De manière générale, la société Transca ne caractérise pas en quoi les griefs invoqués, à les supposer établis, engagent la responsabilité de la société Scarmor en vertu de l'article L. 442-6, I, 1° et 2° b du Code de commerce, la société Transca ne prouvant pas sur ce point que la société Scarmor a pratiqué, à son égard, ou obtenu d'elle des prix, des délais de paiement, des conditions de vente ou des modalités de vente ou d'achat discriminatoires et non justifiés par des contreparties réelles, ni que la société Scamor a abusé d'une relation de dépendance, étant relevé au surplus que l'assignation par la société Transca de la société Scarmor le 28 décembre 2012 n'a pas empêché la poursuite des relations commerciales entre les parties jusqu'au 31 décembre 2014 pour le dernier camion.
Sur le grief relatif aux avantages obtenus sans contrepartie
La société Transca fonde sa demande sur les articles L. 442-6, I, 1°, L. 442-6, I, 2° a et b, L. 442-6, I, 4°, et sur les dispositions de la loi des transports du 30 décembre 1982. Elle explique qu'elle a fourni à la société Scarmor des avantages sans contreparties de sa part, à savoir d'une part la mise à disposition d'un chauffeur et demi et non pas d'un chauffeur comme le prévoit la convention, alors qu'elle ne paie qu'un seul terme fixe, ensuite, d'autre part, la réalisation de prestations non décrites dans le contrat-type et non rémunérées, comme les prestations de chargement et déchargement des camions, de désinfection des frigos, de nettoyage des remorques, de contrôle des consignations des numéros de palettes à la livraison, de reprise des emballages, de distribution de courrier, et enfin, la prise en charge par elle de la réparation des dommages qui sont pourtant sous la responsabilité de la société Scarmor, et de l'assurance, qui est normalement à la charge du locataire.
La société Scarmor explique que les griefs invoqués correspondent aux usages en la matière et que la preuve de la contrainte n'est pas rapportée par la société Transca. Elle soutient que les contrats ne prévoient pas l'affectation d'un seul et unique conducteur à chaque tracteur et qu'en tout état de cause elle n'a jamais imposé à la société Transca des plannings l'obligeant à avoir recours à plusieurs chauffeurs sur une tournée. Elle indique également que le gérant de la société Transca, alors salarié en son sein, avait mis en place les usages concernant le chargement et le déchargement des camions par les chauffeurs. Elle invoque aussi le principe de la liberté contractuelle, aucun texte n'imposant de lister spécialement les prestations à réaliser au sein d'un contrat. Enfin, sur ce point, elle indique ne pas être responsable, seuls les magasins l'étant s'agissant des opérations de déchargements.
S'agissant de l'obligation de souscrire une assurance, elle explique que la preuve d'un abus comme de l'illégalité n'est pas rapportée.
Les dispositions des articles L. 442-6, I, 1°, L. 442-6, I, 2° a et b du Code de commerce applicables sont celles reprises ci-dessus pour les motifs déjà exposés.
Aux termes de l'article L. 442-6 I du Code de commerce applicable en l'espèce :
" engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)
4° D'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ".
Le nombre de chauffeurs nécessaire à une tournée
L'article 1er du contrat-type en annexe du décret n° 2002-566 du 17 avril 2002, tout comme celui des contrats liant les parties stipulent notamment que " le loueur s'engage à mettre à la disposition exclusive du locataire un véhicule industriel avec personnel de conduite ". Il apparaît donc que le contrat n'imposait pas un seul conducteur par trajet. Par ailleurs, aucune pièce du dossier n'établit que la société Scarmor imposait à la société Transca des tournées à plusieurs conducteurs. Ce grief est donc inopérant.
La réalisation par le personnel de la société Transca d'opérations de transport
La société Scarmor ne conteste pas que les opérations de transports aient été réalisées par le personnel de conduite de la société Transca.
L'article 2 du contrat prévoit notamment que " ce document mentionne, le cas échéant, l'accord du loueur pour que le personnel de conduite participe à tout ou partie des opérations de transport telles que définies à l'article 6 ci-dessous ". L'article 6 relatif aux opérations de transport prévoit notamment que " la maîtrise des opérations de transport implique notamment que le locataire, ayant la charge des marchandises transportées (...) assure ou fait assurer le chargement, l'arrimage et le déchargement ". Ces dispositions contractuelles apparaissent donc conformes à l'article 8 II de la loi du 30 décembre 1982 visé par la société Transca. Il apparaît d'ailleurs que les parties ont convenu le 20 juillet 2006 d'un protocole de sécurité concernant les opérations de chargement et de déchargement, qui précise notamment que la procédure a été validée entre le réceptionnaire et le chauffeur.
Toutefois, il ne ressort pas des éléments du dossier que la société Scamor a obtenu ou tenté d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives à l'égard de la société Transca, ni des avantages manifestement disproportionnés ni qu'elle l'a soumise ou qu'elle a tenté de la soumettre, ce d'autant qu'il apparaît que la société Transca ne conteste pas qu'elle savait que ses conducteurs procédaient à des opérations de transports et qu'elle ne démontre pas s'y être opposée avant l'année 2013, soit postérieurement à l'assignation. Ce grief ne peut donc être valablement opposé à la société Transca.
Les contrats d'assurance
S'agissant de la souscription d'un contrat d'assurance et de la prise en charge de la réparation de dommages, là encore, la société Transca ne démontre pas que les conditions des articles précités sont réunies, pour les raisons précitées.
Sur la résiliation d'un contrat
La société Transca fonde sa demande sur l'article L. 442-6, I, 2° b du Code de commerce et reproche à la société Scarmor d'avoir résilié sans motif un des contrats le 17 décembre 2010, portant sur un camion qu'elle venait d'acquérir, ce que la société Scarmor savait, un avenant ayant été signé sur ce point entre les parties, puis, d'avoir résilié un second contrat le 23 mai 2012 alors qu'une opération de cession du fonds de commerce, dont avait connaissance la société Scarmor, était en cours et qu'elle n'a pas abouti en raison de cette résiliation, et qu'enfin cette résiliation a été annulée le 20 juillet 2012 par cette dernière. Elle considère qu'un contrat-cadre oral avait été signé entre les parties.
La société Scarmor relève que la société Transca doit démontrer avoir subi une contrainte de sa part, et considère que cette preuve n'est pas rapportée. Elle explique qu'un contrat à durée indéterminée peut être résilié unilatéralement et sans motifs, et qu'en l'espèce s'agissant de la résiliation du 17 décembre 2010, elle avait respecté le délai de préavis contractuel. Elle conteste l'existence d'un contrat-cadre oral entre elles et avoir résilié le contrat qui portait sur un camion nouvellement acquis.
Elle soutient que si la cession de parts sociales projetée n'a pas eu lieu c'est en raison du défaut de financement du projet par les banques.
S'agissant de la résiliation intervenue le 17 décembre 2010, il convient de relever que celle-ci est intervenue conformément aux dispositions contractuelles, le contrat ayant été signé à durée indéterminée et le préavis ayant été respecté. En outre, la preuve d'un accord-cadre oral entre les parties n'est pas rapportée. Il n'est également pas démontré que cette résiliation ait été utilisée par la société Scarmor comme une contrainte à l'égard de la société Transca et la seule circonstance que cette résiliation porte sur un camion nouvellement acquis ne peut suffire à caractériser une contrainte. La preuve de l'abus par la société Scarmor du droit de résilier ce contrat n'est pas donc rapportée par la société Transca.
Concernant la résiliation intervenue le 23 mai 2012, finalement annulée le 20 juillet 2012 par la société Scarmor suite à la demande de l'appelante, tel qu'il ressort des pièces du dossier, cette dernière ne démontre pas que la société Scarmor a abusé de la relation de dépendance dans laquelle elle tient un partenaire ou de sa puissance d'achat ou de vente pour la soumettre à des conditions commerciales ou obligations injustifiées, ce notamment alors que le lien entre l'échec de la cession de fonds de commerce et la résiliation n'est pas établi, aucune pièce n'étant produite sur ce point. Il convient de relever que la proposition de la société Scarmor au mois d'août 2012 à la société Transca d'un avenant, aux termes duquel elle prévoyait d'interdire, sans son accord préalable, toute forme de cession, a été refusée par la société Transca sans conséquence et que les relations entre les parties se sont poursuivies et n'ont cessé définitivement que bien ultérieurement.
Ces griefs ne sont pas établis.
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
La société Transca reproche à la société Scarmor d'avoir résilié le 17 décembre 2010 un des contrats qui la liait avec elle sans lui octroyer un délai de préavis de 12 mois, au regard de l'exclusivité qui lui était imposée, de l'ancienneté de leurs rapports à savoir 8 années, et du détournement du droit du travail par la société Scarmor.
La société Scarmor indique que le délai de préavis contractuel de 3 mois était conforme aux usages du secteur et au délai fixé dans le contrat-type.
Aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce :
" Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre unilatéralement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ".
Il ressort de cet article que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures. L'évaluation de la durée du préavis à accorder est fonction de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé avec l'auteur de la rupture, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables dédiées à la relation et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire sur le marché de rang équivalent.
Il convient de relever que le décret n° 2014-644 du 19 juin 2014, invoqué par la société Scarmor, portant approbation du contrat-type de location d'un véhicule industriel avec conducteur pour le transport routier de marchandises, qui a abrogé les dispositions du décret 2002-566 du 17 avril 2002, n'est pas applicable en l'espèce, le contrat ayant été signé et résilié antérieurement à son entrée en vigueur et que le décret 2002-566 du 17 avril 2002 ne fixe aucun délai de préavis.
En l'espèce, il ressort des éléments du dossier qu'au 17 décembre 2010, date de la rupture litigieuse, les relations commerciales avaient débuté le 23 février 2005, date de la signature des 4 contrats liant les parties. Ainsi, au jour de la rupture, les relations commerciales avaient duré 5 années et 10 mois et il n'est pas contesté que ces relations commerciales ont un caractère établi, ni que les camions faisant l'objet des contrats sont exclusivement affectés à la société Scarmor.
Les autres circonstances invoquées par la société Transca ne sont pas établies.
Compte-tenu de ces éléments, il apparaît que la durée du préavis de 3 mois qui a été octroyée par la société Scarmor est suffisante à la société Transca pour lui permettre de se ré-orienter et ré-organiser son activité.
Dès lors, la rupture des relations commerciales établies entre les parties portant sur un des 4 contrats n'est pas brutale.
En conséquence, il y a lieu de débouter la société Transca de l'ensemble de ses demandes de dommages et intérêts au titre de son préjudice matériel à l'encontre de la société Scarmor. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
Sur la demande en réparation du préjudice moral de M. Abiven par la société Transca
La société Transca sollicite la réparation du préjudice moral de M. Abiven, son gérant, pour avoir subi des actes de tromperie, l'inquiétude, les pressions permanentes quant à la survie de la société, des humiliations, et avoir géré une situation sans avenir.
La société Scarmor soulève à juste titre l'irrecevabilité de la demande sur le fondement de l'article 122 du Code de procédure civile, au motif que la société Transca ne peut former de demande pour le compte de M. Abiven, qui n'est pas partie à l'instance.
Il y a donc lieu de déclarer irrecevable la demande au titre du préjudice moral.
Sur la demande reconventionnelle de la société Scarmor de dommages-intérêts et de condamnation à une amende civile pour procédure abusive
En application des dispositions de l'article 32-1 du Code de procédure civile, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol. L'appréciation inexacte qu'une partie se fait de ses droits n'est pas constitutive en soi d'une faute.
La société Scarmor ne rapporte pas la preuve de ce que l'action de la société Transca aurait dégénéré en abus et que donc elle a commis une faute à son égard. Elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
En outre, il n'y a pas lieu à condamner la société Transca au paiement d'une amende civile.
Les demandes de la société Scarmor doivent être rejetées sur ce point. Il y a donc lieu de confirmer le jugement.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Transca, partie perdante, doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Scarmor la somme supplémentaire de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Le sens du présent arrêt conduit à rejeter la demande par application de l'article 700 du Code de procédure civile formulée par la société Transca.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement ; Y ajoutant, Déclare irrecevable la demande au titre du préjudice moral formée par la société Transca, Condamne la société Transca aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Scarmor la somme supplémentaire de 20 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ; Rejette toute autre demande.