CA Riom, 1re ch. civ., 7 mai 2018, n° 16-01890
RIOM
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Straudo
Conseillers :
M. Acquarone, Mme Seguin
Exposé du litige
Le 22 janvier 2014 M. Bruno R. a commandé auprès de la Sas P. M.A. un tracteur d'occasion de marque Massey Fergusson.
Le bon de commande signé par les parties prévoyait la révision du véhicule avant sa livraison et une garantie de six mois.
Le prix de vente a été fixé à 14 400 euros TTC.
Le 24 mai 2014 la Sas P. M.A. a livré le tracteur à M. R..
Ce dernier s'est alors plaint de dysfonctionnements entraînant des interventions de la venderesse durant la période de garantie.
Dénonçant de nouveaux dysfonctionnements au début de l'année 2015, M. R. a obtenu de son assureur protection juridique l'organisation d'une mesure d'expertise amiable.
Commis pour y procéder le cabinet A. Auto Expertise a déposé un rapport le 15 juin 2015.
Par exploit délivré le 25 août 2015 M. R. a fait assigner la Sas P. M.A. en résolution de la vente sur le fondement des vices cachés, et à défaut sur le fondement de la responsabilité contractuelle en sollicitant l'allocation de diverses sommes.
La défenderesse a conclu au débouté, et subsidiairement à l'organisation d'une mesure d'expertise.
Par jugement rendu le 13 juin 2016 le Tribunal de grande instance d'A. a débouté M. R. de ses demandes, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné le demandeur aux dépens.
Dans des conditions de forme et de délais non contestées M. R. a relevé appel de cette décision le 25 juillet 2016.
Par ordonnance rendue le 15 décembre 2016 le conseiller de la mise en état a ordonné une expertise du tracteur et désigné M.Jean-Paul D. d'A. pour y procéder.
L'expert a déposé son rapport le 6 octobre 2017.
La clôture de la procédure a été prononcée le 8 mars 2018.
PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et signifiées le 18 décembre 2017 M. R. demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et sous le visa des anciens articles 1134, 1146,1147, 1603, 1604 et 1615 du Code civil de :
- prononcer la résolution de la vente pour manquement de la Sas P. MA à son obligation de résultat et au titre de la garantie de délivrance ;
- condamner la Sas P. MA à lui payer et porter la somme de 14 400 euros au titre de la restitution du prix de vente outre celle de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
- condamner la Sas P. MA à lui payer et porter la somme 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
En l'état de ses dernières écritures déposées et signifiées le 28 février 2018 la Sas P. M.A. demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf à condamner M. R. à lui verser une somme de 3 200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance.
Elle sollicite en outre l'allocation d'une somme de 3 000 euros en application de ce texte au titre des frais irrépétibles exposés en appel en sus des dépens de la présente instance.
La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fera expressément référence à la décision entreprise ainsi qu'aux dernières conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'à titre préliminaire il convient de relever que M. R. fonde désormais son action devant la cour exclusivement sur les manquements de la Sas P. MA à ses obligations contractuelles et n'entend plus se prévaloir de la garantie des vices cachés, laquelle avait été écartée par le premier juge ;
Qu'au soutien de ses prétentions il expose en premier lieu que la Sas P. MA a manqué à son obligation de délivrance ;
Qu'il fait valoir à ce titre :
- qu'il a acquis un tracteur d'occasion qui devait avoir subi une remise en état complète avant sa mise en vente et être immédiatement utilisable ;
- que deux jours après sa livraison le véhicule est tombé en panne entraînant une première intervention de la Sas P. MA au titre de sa garantie contractuelle ;
- que de nouvelles pannes sont apparues régulièrement entre le 11 juin et le 1er octobre 2014 nécessitant quatre ordres de réparation l'empêchant d'utiliser le véhicule pour les besoins journaliers de son exploitation ;
- que l'expert amiable mandaté par son assureur protection juridique a pu relever dans un rapport dressé le 15 juin 2015 que le tracteur avait été vendu avec un moteur usé et vétuste ;
Qu'il précise par ailleurs que la Sas P. MA, en tant que réparateur professionnel, a également manqué à son obligation de résultat dans la mesure où elle n'a jamais été en mesure après ses multiples interventions de rendre le tracteur en état de marche et utilisable pour les besoins de l'exploitation ;
Qu'il ajoute qu'à ce jour le véhicule n'est toujours pas utilisable en raison d'une surconsommation d'huile ;
Qu'il expose enfin que la Sas P. MA a manqué à son obligation de conseil et d'information lors de la vente, en sachant pertinemment que le véhicule ne pouvait servir à la tâche qu'il lui réservait, et notamment une utilisation quotidienne ;
Attendu qu'en vertu des articles 1603 et suivants du Code civil dans leur rédaction applicable au litige, le vendeur est tenu d'une obligation de délivrance de la chose vendue, c'est-à-dire de délivrer à l'acquéreur une chose conforme aux stipulations contractuelles ;
Que la livraison d'une chose conforme à la chose convenue mais atteinte de défauts la rendant impropre à l'usage auquel elle est destinée ne constitue pas un manquement du vendeur à l'obligation de délivrance sanctionnée par l'action en responsabilité contractuelle de droit commun mais un manquement à son obligation de garantie ouvrant droit à l'action en garantie des vices cachés ;
Qu'ainsi lorsque la chose est affectée de tels vices, seule l'action régie par les articles 1641 et suivants du Code civil est applicable ;
Attendu par ailleurs que la responsabilité de plein droit qui pèse sur le garagiste réparateur ne s'étend qu'aux dommages causés par le manquement à son obligation de résultat ;
Qu'il appartient en conséquence au client de démontrer que le dommage subi par son véhicule trouve son origine dans l'organe sur lequel le garagiste est intervenu ;
Qu'enfin il incombe au vendeur professionnel, tenu envers l'acquéreur d'une obligation d'information, de prouver qu'il a délivré cette information ;
Attendu qu'en l'espèce il ressort des pièces produites aux débats que M. R. a commandé le 22 janvier 2014 un tracteur Massey Fergusson 3060 mis en circulation en 1991 et totalisant 9603 heures de travail ;
Qu'avant de livrer le véhicule le 24 mai 2014 la venderesse a réalisé une révision complète et procédé à diverses interventions (remise à neuf de l'embrayage et de la pompe hydraulique, remplacement des quatre pneumatiques...) pour un montant total de 8.100 euros ;
Qu'il n'est pas contesté que le tracteur livré était celui commandé par M. R. et correspondait en tous points aux caractéristiques techniques, d'identification et d'utilisation figurant tant dans le bon commande que dans la facture d'achat ;
Qu'il ressort toutefois des éléments non critiqués de l'expertise amiable réalisée par le cabinet A. Auto Expertise que le véhicule a connu peu après sa livraison des dysfonctionnements entraînant plusieurs interventions de la Sas P. MA ;
Que le 11 juin 2014 un ordre de réparations interne a ainsi été établi concernant notamment la fourniture de plusieurs bidons d'huile, le remplacement d'un vérin amortisseur de toit, de la pompe à eau, d'ampoules et d'un amortisseur glace panneau pour un montant de 1 343,40 euros ;
Que le 21 juin 2014 la Sas P. MA a réalisé une nouvelle intervention au titre du remplacement d'un flexible hydraulique pour un montant de 126,26 euros ;
Que le 1er septembre 2014 la venderesse a établi un nouvel ordre de réparations interne pour la fourniture d'un bidon de cinq litres de " L.T.S. Areca -35° Jaune " et d'un bidon de 20 litres d'huile BF16 pour un montant de 56,35 euros ;
Que le 1er octobre 2014 un nouvel ordre de réparations interne a été établi par la venderesse au titre du remplacement d'un joint torique pour un montant de 243,95 euros ;
Qu'il est constant que ces interventions ont été réalisées et prises en charge financièrement par la venderesse dans le cadre de sa garantie occasion pour un montant de plus de 1 700 euros ;
Qu'il ne ressort d'aucun élément suffisamment probant que le tracteur ait été, comme le soutient M. R., totalement immobilisé entre les mois de juin et d'octobre 2014 ;
Que la seule référence à un horométrage identique dans les ordres de réparation précités, lequel peut résulter d'une simple réédition de saisies antérieures sans réactualisation, est en effet insuffisante à le démontrer alors qu'il est établi que M. R. n'a formulé auprès de la Sas P. MA aucune réclamation durant cette période et déclaré un sinistre à son assureur protection juridique qu'en mars 2015 sans évoquer la moindre immobilisation de son tracteur entre les mois de juin et d'octobre 2014 ;
Que le témoignage de M. V. établi en mars 2015 n'évoque par ailleurs aucune immobilisation sur cette période de près de cinq mois ;
Que la cour constate en outre que lors de l'expertise amiable réalisée en avril 2015 l'horométrage du tracteur était de 10.258 heures, soit 655 heures de plus qu'à la date de son acquisition, ce qui représente une utilisation moyenne sur la période considérée (incluant la saison hivernale) de près de deux heures par jour ;
Que l'expertise judiciaire ordonnée dans le cadre de la mise en état démontre pour sa part que le tracteur affichait en mai 2017 un horométrage de 11.066 heures, soit plus de 800 heures que lors de l'expertise amiable ;
Que l'expert, après avoir effectué des relevés précis, lesquels ne peuvent être utilement être remis en cause par le seul constat d'huissier produit par M. R., a clairement indiqué n'avoir relevé aucune anomalie, et notamment une consommation anormale d'huile ;
Attendu que M. R. est dès lors défaillant, alors qu'il a pris livraison du véhicule sans émettre la moindre réserve et l'a utilisé plus de 1.400 heures depuis son acquisition, à rapporter la preuve d'une non conformité de la chose vendue aux spécifications contractuelles ;
Attendu que s'agissant du manquement de la Sas P. MA à ses obligations de résultat dans le cadre des interventions postérieures à la vente, il ne démontre pas que les dysfonctionnements ayant donné lieu aux ordres de réparation précités soient dus à des défectuosités existantes au jour des interventions successives ou reliées à celles-ci ;
Qu'en effet les simples examens de ces documents démontrent que les opérations effectuées les 11 juin 2014, 21 juin 2014, 1er septembre 2014 et 1er octobre 2014 sont parfaitement distinctes et concernent des organes différents du véhicule ;
Qu'elles peuvent en outre être imputables à la simple utilisation du tracteur depuis la date de son acquisition, laquelle peut entraîner la casse d'un vérin amortisseur de toit, d'une pompe à eau, d'un amortisseur glace panneau, d'un flexible hydraulique ou d'un joint torique ;
Que rien ne permet par ailleurs d'établir que ces dysfonctionnements auraient pu être décelés lors de la révision complète du véhicule réalisée précédemment par la Sas P. MA, d'autant qu'il n'a jamais été démontré une problématique de consommation anormale d'huile ;
Que surtout M. R. ne démontre pas qu'après lesdites interventions le tracteur n'ait pas été en état de marche ou utilisable pour les besoins de son exploitation ;
Qu'enfin certaines constatations réalisées lors de l'expertise amiable permettent de constater un défaut flagrant d'entretien du véhicule à l'issue de son utilisation (radiateur partiellement obstrué par la saleté, jauge à huile moteur sèche) ;
Que s'agissant de l'obligation d'information et de conseil la cour relève que M. R., agriculteur de profession et rompu à l'utilisation de matériel agricole, ne conteste avoir essayé le tracteur au début de l'année 2014 en présence d'un salarié de la Sas P. MA ;
Qu'il ressort des pièces produites aux débats, et notamment du bon de commande et de la facture d'achat, que la venderesse l'a clairement informé de la première date de mise en circulation du véhicule, de son nombre d'heures d'utilisation et de ses caractéristiques techniques ;
Qu'elle lui a communiqué le détail des travaux de remise en état réalisés dont le montant s'est élevé à 8 100 euros pour un prix de vente fixé à 14 400 euros ;
Qu'il n'est nullement allégué que le tracteur vendu ne correspondait pas aux besoins de l'exploitation de M. R. ;
Que les éléments précités permettent d'établir que le véhicule a été utilisé plus de 1.400 heures depuis son acquisition permettant son usage quotidien ;
Attendu qu'en l'état de ces éléments il ne saurait être retenu que la Sas P. MA a manqué à son obligation d'information et de conseil ;
Attendu qu'en considération de ce qui précède M. R. sera en conséquence débouté de l'ensemble de ses demandes ;
Que succombant en son action et son recours, il supportera par ailleurs les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire, ce qui exclut qu'il puisse bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que si des considérations d'équité commandaient en première instance de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au bénéfice de l'intimée, de telles considérations commandent en revanche de le faire en cause d'appel ;
Que M. R. sera en conséquence condamné à verser à la Sas P. MA une somme de 2.000 euros sur le fondement de ce texte.
Par ces motifs, LA COUR, Statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire, Confirme le jugement déféré, Y ajoutant, Déboute M. Bruno R. de ses demandes plus amples ou contraires, Condamne M. Bruno R. à verser à la Sas P. MA une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, Condamne M. Bruno R. aux dépens d'appel, comprenant les frais d'expertise de M. Jean-Paul D. d'A., qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.