CA Rouen, ch. civ. et com., 17 mai 2018, n° 16-04493
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Défendeur :
Axecibles (SAS), Locam (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brylinski
Conseillers :
Mmes Bertoux, Mantion
Avocats :
Mes Haussetete, Roger, Peugniez, Schreiber, Bart
FAITS ET PROCEDURE
Mme Emilie B. est graphiste designer et a créé une entreprise de communication visuelle le 1er juin 2011.
Le 7 mars 2013, Mme B. a été démarchée par la société Axecibles, auprès de laquelle elle a signé le même jour un contrat d'abonnement et de location de solution internet et un contrat de location de site web prévoyant la mise en place d'une solution internet, la création et la mise en place d'un site internet, sa mise à jour, son hébergement, son référencement ainsi que le suivi de ce référencement.
Ce contrat d'une durée déterminée de 48 mois prévoyait le paiement de mensualités d'un montant de 273,88 TTC pour l'ensemble des prestations, un plan de financement partiel ayant été souscrit auprès de la société Locam, par contrat du même jour.
Par courrier recommandé en date du 11 mars 2013, Mme B. a notifié sa rétractation à la société Axecibles, qui l'a acceptée ; un nouveau contrat d'abonnement et de location de solution internet a été conclu le 28 mars 2013, moyennant des mensualités de 200.
Des difficultés dans l'exécution du contrat sont apparues. Mme B. a alors saisi le tribunal d'instance du Havre qui, par jugement en date du 1er juillet 2016 a :
- rejeté le fin de non recevoir opposée par Mme B. ;
- constaté la résolution du contrat souscrit le 7 mars 2013 entre Mme B. et la SAS Axecibles ;
- débouté Mme B. de sa demande de caducité du contrat souscrit auprès de la SAS Locam le 7 mars 2013 ;
- débouté Mme B. de sa demande de nullité du contrat souscrit le 28 mars 2013 auprès de la SAS Axecibles ;
- débouté Mme B. de sa demande de résiliation du contrat souscrit le 28 mars 2013 auprès de la SAS Axecibles ;
- condamné Mme B. à poursuivre l'exécution du contrat du 7 mars 2013 auprès de la SAS Locam et le contrat du 28 mars 2013 auprès de la SAS Axecibles selon les dispositions contractuelles desdits contrats ;
- condamné Mme B. à payer à la SAS Locam et à la SAS Axecibles la somme de 200 chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné Mme B. aux dépens de l'instance ;
- débouté les parties de toute autre demande ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Mme B. a interjeté appel de ce jugement le 1er septembre 2016 et, aux termes de ses dernières conclusions en date du 27 février 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, elle demande à la cour, au visa des articles 122 du Code de procédure civile, 1116 et 1184 du Code civil et L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, de :
- recevoir son appel, débouter la société Axecibles et la société Locam de leurs demandes, fins et conclusions et infirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué, en conséquence,
- déclarer nul et de nul effet le contrat conclu le 7 mars 2013 entre Mme B. et la société Axecibles et caduc le contrat de location financière Locam qui en dépend ;
- en conséquence, ordonner le remboursement des loyers versés par Mme B. depuis le mois de mars 2013 ;
- déclarer la société Locam irrecevable sur le fondement de l'article 122 du Code de procédure civile en sa demande reconventionnelle ;
Sur le contrat d'abonnement en date du 28 mars 2013,
A titre principal,
- prononcer la nullité du contrat conclu le 28 mars 2013 entre Mme B. et la société Axecibles ;
- condamner les sociétés intimées à rembourser à Mme B. les loyers payés depuis le mois de mars 2013 ;
titre subsidiaire,
- constater que la société Axecibles a gravement manqué à ses obligations contractuelles ;
- prononcer la résiliation du contrat du 28 mars 2013 à ses torts exclusifs;
- prononcer la résiliation du contrat de location de site web du 7 mars 2013 conformément à l'adage l'accessoire suit le régime juridique du principal;
En tout état de cause,
- débouter la société Axecibles et la société Locam de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 1 500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- les condamner solidairement aux dépens.
Par conclusions en date du 20 janvier 2017, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la société Locam demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants et 1149 anciens du Code civil et des articles L. 121-21 et suivants du Code de la consommation, de :
- dire non fondé l'appel de Mme B. ;
- la débouter de toutes ses demandes, au moins en ce qu'elles sont dirigées contre la société Locam ;
- la condamner à payer à la société Locam la somme de 7 063,23 au titre des loyers échus et impayés à la date de notification des conclusions et des 3 loyers restants à échoir d'ici le 30 mars 2017, outre clause pénale de 10 % ;
- condamner Mme B. à régler à l la société Locam une indemnité de 1500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Mme B. en tous les dépens, ces derniers distraits au profit de la Selarl Emmanuel B. Céline Bart, sur son affirmation de droit.
Par conclusions en date du 1er mars 2018 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé des moyens développés, la SAS Axecibles demande à la cour, au visa notamment de l'article 1134 du Code civil et 9 du Code de procédure civile, de:
- dire et juger la société Axecibles recevable et bien fondée en ses écritures ;
En conséquence,
- confirmer le jugement déféré ;
- débouter Mme B. de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la SAS Axecibles ;
- condamner Mme B. à verser à la société Axecibles la somme de 2000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner Mme B. aux entiers dépens.
DISCUSSION
Au soutien de son appel, Mme B. fait valoir pour l'essentiel que le contrat de location souscrit le 7 mars 2013 a été annulé par suite de la rétractation acceptée par la société Axecibles du contrat du même jour d'abonnement et de location de solutions internet ; que la société Locam avec laquelle elle n'a pas conclu de nouveau contrat, n'a pas qualité pour agir à son encontre ; que le 28 mars 2013 elle a subi un nouveau démarchage de la part de la société Axecibles avec laquelle elle a conclu un nouveau contrat, cette dernière ayant abusé de sa faiblesse alors qu'elle était fragilisée par un état dépressif pour lequel elle était soignée ; ainsi, le contrat est nul comme ne respectant pas les dispositions relatives au démarchage à domicile, les mentions relatives à la faculté de rétractation ayant été omises, de même que les précisions sur les délais de livraison; dans tous les cas l'opération a été présentée comme relevant des dispositions du code de la consommation , le comportement de la société Axecibles étant assimilable au dol, sachant qu'elle n'a par ailleurs jamais eu l'information selon laquelle elle aurait contracté avec une société tierce, ayant été trompée sur l'étendue et les conséquences de son engagement ; que la société Axecibles n'a pas vérifié en outre l'adéquation entre le contrat et ses possibilités financières, sachant qu'à l'époque de la souscription du contrat elle était bénéficiaire du revenu de solidarité active ; que le nouveau contrat passé avec la société Axecibles doit donc être considéré comme nul ; qu'à défaut il sera résilié aux torts de la société Axecibles qui n'a pas respecté ses obligations s'agissant de la mise en forme du site internet dédié et ce malgré ses demandes de modifications; que la résolution du contrat principal a entraîné la résolution du contrat conclu pour son financement, à le supposer valable.
La société Locam fait valoir que Mme B. a contracté dans le cadre de l'exercice de son activité professionnelle et ne peut donc se prévaloir des dispositions du Code de la consommation ; que le contrat du 7 mars 2013 a été remplacé par un nouveau contrat en date du 23 mars 2013 prévoyant des conditions financières plus avantageuses pour Mme B. ; que la prestation fournie étant la même, elle ne peut sérieusement prétendre que le contrat de location financière serait caduc ou nul et ce d'autant plus que la société Locam n'était pas présente lors de la signature et ne peut donc se voir imputer un quelconque dol ; que l'attitude de Mme B. atteste de ce qu'elle a souhaité poursuivre le contrat, ayant accepté sans réserve la livraison et attesté de la conformité de la prestation de la société Axecibles, de telle sorte qu'elle a réglé entre ses mains le coût du site ; que dans tous les cas, elle ne peut être tenue pour responsable de manquements éventuels de la société Axecibles ; que les griefs invoqués ne reposent que sur de simples allégations et ne sont dans tous les cas pas suffisamment sérieux pour justifier la résiliation du contrat.
Pour sa part, la société Axecibles indique que les dispositions du Code de la consommation ne sont pas applicables ; que Mme B. n'a pu se méprendre sur la portée de ses obligations, puisqu'elle s'est engagée par la signature de deux contrats distincts ; que le contrat passé le 7 mars 2013 avec la société Axecibles a été remplacé à sa demande par un nouveau contrat en date du 23 mars 2013 qui a reçu exécution; qu'antérieurement à l'assignation délivrée par Mme B., elle n'avait pas formulé de griefs ayant seulement demandé des modifications de pure forme, demandes qui ont été satisfaites.
Aux termes de l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au premier octobre 2016, " les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorisent. Elles doivent être exécutées de bonne foi ".
Par acte sous seing privé en date du 7 mars 2013, Mme B. a conclu avec la société Axecibles un contrat d'abonnement et de location de solution internet ayant pour objet la mise en place d'une solution internet globale et comprenant notamment la création et la mise en place d'un site internet, sa mise à jour, son hébergement, son référencement ainsi que le suivi de ce référencement, l'abonné reconnaissant qu'il contracte pour les besoins de son entreprise et qu'il souscrit le contrat à titre commercial.
Un second contrat daté du même jour prévoyait le financement de l'opération par la société Locam auprès du fournisseur, ce contrat reproduisant les dispositions du Code de la consommation applicables au démarchage à domicile, étant indiqué en gras que ces dispositions ne s'appliquent pas aux professionnels dans le cadre de leur activité, ainsi qu'aux sociétés et administrations.
Or, Mme B., qui a pris connaissance du contrat, a fait figurer à la suite de sa signature le n° siret sous lequel elle exerce l'activité de graphiste designer dans le cadre d'une entreprise de communication visuelle sous l'enseigne " L'onde graphique ". Elle ne conteste pas en outre l'usage professionnel de la location de site internet et des prestations fournies par la société Axecibles.
Ainsi, l'objet du contrat de prestation de services informatiques et le contrat de location destiné à son financement sont attachés à la promotion de l'entreprise de Mme B., ce qui exclut de faire applications des dispositions du Code de la consommation, s'agissant particulièrement des règles relatives au démarchage à domicile.
Par ailleurs, si Mme B. justifie avoir été suivie médicalement et psychologiquement pour des problèmes de dépression, ce fait ne suffit pas à démontrer que la société Axecibles aurait pu en avoir connaissance ni qu'elle aurait développé des manœuvres dolosives de nature à emporter son consentement, l'erreur de droit éventuellement commise quant aux règles applicables au contrat n'étant en outre pas suffisante pour établir le vice du consentement qui justifierait la nullité du contrat.
Sur ce point, il convient de souligner que si les dispositions du Code de la consommation sont reproduites au contrat conclu avec la société Axecibles qui comporte un formulaire détachable pour l'exercice du droit de rétractation par le client, ce fait ne suffit pas à caractériser une manœuvre tendant à faire croire à l'application de ces dispositions protectrices, dans la mesure où il apparaît clairement que celles-ci ne sont pas applicables aux professionnels dans le cadre de leur activité.
En conséquence, il y a lieu de débouter Mme B. de sa demande tendant à voir déclarer nul et de nul effet le contrat conclu le 7 mars 2013. De plus et pour les mêmes motifs, il y a lieu de la débouter de sa demande de nullité du contrat conclu entre les parties le 28 mars 2013.
En effet, il est constant que la relation contractuelle entre Mme B. et la société Axecibles a évolué en ce que les parties ont convenu d'une modification substantielle du contrat de prestation de services s'agissant du coût mensuel des prestations sur 48 mois, le contrat du 7 mars 2013 prévoyant une mensualité de 273,88 TTC ramenée à 199,99 suivant contrat renégocié en date du 28 mars 2013.
En outre, la relation contractuelle ne saurait être remise en cause à raison de faits antérieurs connus de l'appelante et ce d'autant que le contrat de prestation de services conclu avec la société Axecibles, fournisseur de services internet, prévoit que celui-ci se réserve la possibilité, soit de soumettre à une société de location la mise à disposition des produits objets du contrat, soit de les louer directement à l'abonné, seule l'absence de livraison dans le délai de 120 jours après la signature du contrat valant notification implicite à l'abonné du refus de financement et entraînant la caducité du contrat principal, sans indemnité (article 16 des conditions générales du contrat d'abonnement et de location de solution internet).
Dès lors, Mme B. qui a signé le procès-verbal de réception en date du 4 avril 2013 ne peut pas plus se prévaloir de la caducité du contrat à l'égard de la société Axecibles qu'à l'égard de la société Locam qui apparaît en tête du " procès-verbal de livraison et de conformité " en date du 9 avril 2013 portant la signature sans réserve de Mme B., cette dernière ayant réglé les mensualités jusqu'au 30 août 2014, ainsi qu'il ressort du décompte produit par la société Locam, non contesté par l'appelante.
Dans ces conditions, il y a lieu de débouter Mme B. de sa demande tendant à voir déclarer caduc le contrat de location financière conclu avec la société Locam et de sa demande tendant à voir déclarer cette dernière irrecevable en application des dispositions de l'article 122 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire, Mme B. estime que la résiliation du contrat est encourue en raison de l'inexécution des obligations de la société Axecibles et fait valoir que cette dernière n'a effectué que tardivement les modifications qui lui étaient demandées, ou qu'elle ne les a pas effectuées, la mise en forme de certains textes étant mauvaise et les mots se chevauchant.
Pour justifier des faits qu'elle allègue, Mme B. verse aux débats des captures d'écran et des échanges de mails. Toutefois, il ne ressort pas de ces pièces que la société Axecibles n'a pas donné suite aux demandes de Mme B. s'agissant des modifications demandées dont il n'est pas démontré qu'elles sont le fait d'une mauvaise exécution de ses obligations par le prestataire de service, les modifications de forme portant sur des éléments peu signifiants.
En conséquence, il y a lieu de débouter Mme B. de sa demande de résiliation du contrat conclu avec la société Axecibles et du contrat accessoire relatif au financement par la société Locam.
Il ressort des dispositions de l'article 18-3 du contrat de location de site Web que le locataire est tenu en cas de résiliation au versement d'une somme égale au montant des loyers échus et à échoir augmentés d'une pénalité de 10%.
Le premier juge a condamné Mme B. à poursuivre l'exécution du contrat du 7 mars 2013 auprès de la société Locam et du 28 mars 2013 auprès de la société Axecibles, selon les dispositions contractuelles applicables.
Or le contrat de location passé avec la société Axecibles étant parvenu à échéance en mars 2017, il y a lieu de constater qu'il ne s'est pas renouvelé et qu'elle a normalement été remplie de ses droits par la société Locam, qui reste seule créancière de la somme de 7063,23 TTC au titre des loyers échus impayés et de l'indemnité de 10% due à titre de clause pénale.
L'équité ne commande pas qu'il soit fait droit à la demande d'indemnité par application de l'article 700 du Code de procédure civile, les frais irrépétibles étant partiellement couverts par l'indemnité ci-dessus.
L'appelante qui succombe sera tenue aux entiers dépens de première instance et d'appel.