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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 17 mai 2018, n° 17-01227

ORLÉANS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Olivet Distribution (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hours

Conseillers :

M. Bersch, Mme Renault-Malignac

T. com. Blois, du 10 mars 2017

10 mars 2017

Exposé du litige :

La SAS Olivet Distribution, qui exerce son activité commerciale sous l'enseigne Leclerc, a, le 22 janvier 2016 assigné Madame X devant le Tribunal de commerce de Blois en sollicitant sa condamnation à lui verser un euro de dommages et intérêts et 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle a réclamé la publication du jugement à intervenir dans plusieurs journaux et sur les ondes des radios locales.

A l'appui de cette demande, elle s'est plainte d'une campagne de dénigrement réalisée par Madame X sur Facebook et a fait valoir que les déclarations de la défenderesse constituaient des pratiques déloyales et anticoncurrentielles puisque Madame X, elle-même éleveur canin, critique son animalerie.

Madame X s'est opposée à ces demandes en soutenant qu'elle n'est pas l'auteur de la pétition diffusée sur Facebook qu'elle s'est bornée à faire circuler et a accusé la demanderesse d'exercer contre elle des mesures de rétorsion parce qu'elle a accompagné un huissier de justice dans les locaux de l'animalerie de la SAS pour faire procéder à diverses constatations à l'initiative du syndicat national des professions du chien et du chat dont elle est membre et a été secrétaire.

Par jugement en date du 10 mars 2017, le tribunal a débouté la SAS de toutes ses prétentions et l'a condamnée aux dépens. Pour statuer ainsi il a retenu que Madame X n'avait pas agi en son nom personnel mais en sa qualité de membre d'un syndicat et n'avait commis aucun acte déloyal ou anti-concurrentiel ;

La SAS Olivet Distribution a relevé appel de cette décision.

Les dernières écritures des parties, prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du Code de procédure civile, ont été déposées :

- le 10 juillet 2017 par l'appelante

- le 8 septembre 2017 par l'intimée.

La SAS Olivet Distribution, qui conclut à l'infirmation du jugement déféré, demande à la cour de condamner Madame X à lui verser un euro de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d'image, d'ordonner la publication du présent arrêt dans deux journaux écrits ainsi que la diffusion d'un communiqué radiophonique sur les radios locales de Blois et Orléans, de condamner Madame X aux dépens dont distraction au profit de la Selarl Y et de lui allouer une indemnité de procédure de 3 000 euros.

Elle fait valoir que, depuis septembre 2015, l'intimée mène une campagne de dénigrement systématique de son enseigne en l'accusant de ne pas respecter la législation en matière d'élevage canin, de ne pas avoir de personnel qualifié pour s'occuper des animaux et de mettre à mort les chiots invendus ; qu'elle appelle au boycott de l'enseigne, a frauduleusement filmé un chiot dans son box et diffusé largement la vidéo sur le réseau social Facebook en l'accompagnant de commentaires dénigrants et sans fondement.

Madame X conclut à l'irrecevabilité des demandes formées à son encontre et demande subsidiairement à la cour de les déclarer mal fondées. Elle sollicite la confirmation du jugement déféré et la condamnation de l'appelante à supporter les dépens qui seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle.

Elle soutient que les faits qui lui sont reprochés relèvent de la diffamation et que l'action est prescrite comme n'ayant pas été introduite dans le délai de 3 mois prévu par la loi du 29 juillet 1881. Elle prétend ensuite qu'il n'y a eu aucune pratique trompeuse de nature à induire en erreur les consommateurs, qu'elle n'a pas cherché à créer la moindre confusion mais a seulement dénoncé des agissements en tournant une vidéo dans un espace ouvert au public ; qu'elle est un lanceur d'alerte et a transmis un simple appel à la vigilance adressé aux défenseurs de la cause animale ; qu'elle n'a pas mis en ligne la pétition dont se plaint l'appelante et qu'elle n'en est pas l'auteur ; qu'en tout état de cause, une pétition est un mode d'expression libre qui a pour seule limite la diffamation et l'injure. Elle affirme que c'est l'appelante qui se livrait à des pratiques anticoncurrentielles et qui a fini par se mettre en conformité sous la pression. Elle précise enfin qu'elle a cessé ses messages depuis cette mise en conformité.

Cela étant exposé, LA COUR :

Attendu que la SAS ne fondant aucunement son action sur l'existence d'une diffamation ou d'une injure, les développements de Madame X sur ce point n'ont pas à être examinés par la cour ;

Attendu que, pour débouter la SAS Olivet Distribution, le tribunal a retenu que Madame X avait agi en qualité de secrétaire d'un syndicat et que la demanderesse ne justifiait pas avoir subi un préjudice ;

Mais attendu que Madame X a diffusé les messages litigieux, non sur le site de son syndicat mais en son nom personnel, sans jamais indiquer qu'elle agissait au nom d'une quelconque organisation ;

Qu'aux termes de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, sont des pratiques commerciales déloyales celles qui sont contraires aux exigences de la diligence professionnelle et altèrent ou sont susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à l'égard d'un bien ou d'un service ;

Que l'article L. 121-2 du même code précise qu'une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent et lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur ;

Attendu que, s'il n'est aucunement démontré que Madame X a entendu créer une confusion entre son élevage canin et l'animalerie du centre Leclerc d'Olivet ou entendu induire en erreur les consommateurs, il est constant qu'elle a eu un comportement susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur décrit à l'article L. 121-1 susvisé ;

Qu'elle a en effet posté sur son site une vidéo prise dans l'animalerie de l'appelante en indiquant que le chiot filmé présentait un trouble compulsif du comportement dû à l'enfermement ;

Qu'il ne lui est pas reproché, comme elle feint de le croire, d'avoir filmé dans un espace ouvert au public mais bien d'avoir publié son film en l'assortissant de commentaires que sa qualité d'éleveur canin et non de vétérinaire, ne lui permettait pas de présenter comme étant une vérité alors qu'elle aurait au moins dû prendre l'élémentaire précaution de les présenter comme une simple hypothèse ;

Qu'elle a appelé le 17 septembre 2015 à boycotter les magasins Leclerc "qui se mettent à vendre des êtres vivants. Ils doivent penser que les SPA ne sont pas assez surchargés. Honte à vous" ;

Qu'elle a publié le 18 septembre 2015 le message suivant "un animal non vendu sera 'soldé' puis sinon assassiné tout comme les stocks de nourriture invendus seront détruits", affirmation purement gratuite dont elle ne soutient pas, devant cette cour, qu'elle est l'expression de la vérité ;

Qu'elle fait certes aujourd'hui valoir qu'elle n'était pas l'auteur de ce dernier message pas plus que de la pétition appelant au boycott des animaleries mais qu'il n'en demeure pas moins qu'elle les a diffusés sur son propre site en les reprenant à son compte et en invitant ses lecteurs à signer la pétition et à se référer au site change.org qui organisait ce boycott ;

Qu'elle a elle-même directement incité toute personne regardant sa vidéo à " pilonner le magasin Leclerc d'Olivet " ;

Attendu que Madame X ne saurait aujourd'hui justifier son comportement par des pratiques anticoncurrentielles de l'appelante qui ne se serait mise en conformité avec la législation applicable que sous la pression ;

Qu'elle ne pouvait en effet se faire justice à elle-même en employant des manœuvres déloyales et qu'il sera observé que ses propres textes, comme ceux du site change.org qu'elle diffuse largement, ne font pas la moindre allusion à des pratiques anticoncurrentielles de Leclerc qui lui permettraient, ainsi que le soutient aujourd'hui Madame X, de proposer des animaux en vente à des prix ridiculement bas, mais visaient à émouvoir ses lecteurs sur les conditions de vie des animaux enfermés dans des cages inadaptées et mal soignés par du personnel peu compétent ;

Qu'en agissant ainsi Madame X ne s'est pas conduite en lanceur d'alerte mais a manipulé les personnes consultant son site pour les convaincre de ne pas fréquenter une animalerie concurrente ;

Attendu que toute concurrence déloyale cause nécessairement un préjudice à celui qui en est victime et que les actes de dénigrement ainsi commis ont atteint l'image de la société appelante puisque le site de Madame X a été consulté par 18 000 personnes ;

Qu'il sera en conséquence fait droit à la demande de la SAS tendant au paiement d'une somme d'un euro à titre de dommages et intérêts ;

Attendu que les derniers messages dénigrants communiqués par l'appelante sont datés de décembre 2015 et qu'il n'est pas soutenu que Madame X persiste dans ses pratiques déloyales, l'intimée affirmant sans être contredite avoir cessé ses messages dès que Leclerc s'est mis en conformité avec la législation en vigueur ;

Qu'il convient en conséquence de limiter la diffusion du dispositif du présent arrêt dans les pages de la République du Centre édition Orléans, et ce dans la limite de la somme de 1 000 euros qui sera supportée par Madame X ;

Attendu que l'intimée succombant à l'instance devra en supporter les dépens et qu'il sera fait application, au profit de la SAS, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs, Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort, infirme la décision entreprise, statuant à nouveau, dit que Madame X a commis des actes de concurrence déloyale en tenant sur son site Internet des propos non vérifiés visant à émouvoir ses lecteurs sur les conditions de vie et d'élevage des animaux vendus par le Centre Leclerc d'Olivet, condamne Madame X à payer à la SAS Olivet Distribution la somme d'un euro à titre de dommages et intérêts et celle de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ordonne la publication, dans la limite de la somme de 1 000 euros, du présent arrêt ou des passages du choix de l'appelante dans les pages de la République du Centre édition Orléans, condamne Madame X aux dépens de première instance et d'appel, accorde à la Selarl Y, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.