Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 25 mai 2018, n° 17-20855

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Co and Co (SARL)

Défendeur :

Montres Tudor (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lis Schaal

Conseillers :

Mme Bel, M. Picque

Avocats :

Mes Mckay, Nataf, Bettati

T. com. Paris, du 7 nov. 2017

7 novembre 2017

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

La société Co and Co est une agence de publicité définissant son activité comme visant la réalisation de campagnes de communication de prestige pour des marques de luxe au niveau national et international.

La société Montres Tudor (ci-après Tudor), est une société suisse filiale du groupe Rolex Tudor spécialisée dans l'horlogerie de luxe dont le siège est situé à Genève.

Faisant valoir une rupture brutale de relations commerciales établies, entamées en 2008 et formalisées par un contrat-cadre le 27 mars 2012, la société Co and Co a fait délivrer assignation à la société Tudor devant le Tribunal de commerce de Paris par acte du 13 décembre 2016 en payement de sommes, et soutenu le rejet de l'exception d'incompétence soulevée par Tudor et le rejet de l'application du droit suisse, en ce que les dispositions de l'article XIX ("Droit applicable et For") du contrat-cadre numéro 12020528, signé par les parties à Genève, le 27 mars 2012, ne visaient nullement les cas de de rupture brutale des relations commerciales au titre de l'attribution de compétence faite aux Tribunaux du canton de Genève et que la " responsabilité extracontractuelle " de l'auteur de la rupture excluait l'application du droit suisse.

La société Tudor a demandé au tribunal de se déclarer incompétent en application du contrat-cadre conforme à la Convention de Lugano et de renvoyer la société Co and Co à mieux se pourvoir.

Par jugement contradictoire en date du 7 novembre 2017 le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent, a invité la société Co and Co à mieux se pourvoir et a condamné la société Co and Co à payer à la société Tudor la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, aux dépens.

Le tribunal énonce que la volonté commune des parties a bien été de soumettre toute contestation les opposant au droit suisse, en application de l'article 29 du contrat-cadre signé entre elles le 27 mars 2012 intitulé " Droit applicable et for "stipulant que " le présent contrat est soumis au droit suisse ; tout litige résultant de l'interprétation ou de l'exécution du présent contrat est soumis à la compétence exclusive des Tribunaux du canton de Genève, Suisse ", lequel est appliqué par une juridiction du ressort du canton de Genève.

Il souligne que le terme " d'exécution du présent contrat " inclut nécessairement les conditions dans lesquelles ladite exécution cesse quelles qu'en soient les circonstances, et ce y compris les faits d'espèce

La société Co and Co a relevé appel le 17 novembre 2017.

Vu l'autorisation à assigner à jour fixe sur requête du 17 novembre 2017,

Vu l'assignation délivrée le 26 janvier 2018, déposée au greffe de la cour le 19 mars 2018,

Vu les dernières conclusions notifiées et signifiées par la société Co and Co le 19 mars 2018 aux fins de voir la cour :

Vu l'article L. 442-6 I 5èmement du Code de commerce et l'article 1382 (ancien) du Code civil,

Vu l'article 46 du Code de procédure civile,

Vu l'article 5.3 de la Convention de Lugano,

Infirmer le jugement d'incompétence rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 7 novembre 2017,

Déclarer le Tribunal de commerce de Paris compétent pour juger le litige relatif à la rupture brutale par la société Montres Tudor SA des relations commerciales établies avec la société Co and Co,

Débouter la société Montres Tudor SA de ses demandes liées à l'article 700 du CPC,

Condamner la société Montres Tudor SA à payer à la société Co and Co la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'appelante fait valoir que faute pour la clause attributive de juridiction du contrat-cadre visant " tout litige résultant de l'interprétation ou de l'exécution du présent contrat " d'être suffisamment large pour englober le présent litige de nature délictuelle, elle est fondée à demander l'application de l'article 46 du Code de procédure civile, qui dispose que la juridiction compétente pour juger ce litige fondé sur la responsabilité délictuelle est celle du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi, en l'espèce le tribunal de commerce situé à Paris, lieu du siège social de Co and Co, ce que confirme l'article 5.3 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 érigeant la compétence du tribunal du lieu du fait dommageable.

Vu les dernières conclusions notifiées et signifiées par la société Montres Tudor le 1er mars 2018 tendant à voir la cour :

Vu la Convention de Lugano du 30 octobre 2007,

Vu l'article 1134 (ancien) du Code civil,

Vu l'article 1103 (nouveau) du Code civil,

Vu l'article 1104 (nouveau) du Code civil,

Vu les articles 73 et 74 du Code de procédure civile,

Vu les articles 84 et suivants du Code de procédure civile,

Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile,

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 novembre 2017 par le Tribunal de commerce de Paris ;

En conséquence,

Déclarer le Tribunal de commerce de Paris incompétent pour connaitre du présent litige ;

Renvoyer la société Co and Co à se pourvoir devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, sis Place du Bourg de Four 1, 1204 Genève ;

Faisant droit à la demande de la société Montres Tudor SA :

Condamner la société Co and Co à verser à la société Montres Tudor SA, en cause d'appel, la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la société Co and Co aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Nataf Fajgenbaum & Associés, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'intimée fait valoir que l'appelante ne conteste plus l'application du droit suisse en appel, conformément à la volonté commune, de sorte que la clause d'élection de for ne peut être interprétée qu'au regard de ce dernier, que la stipulation constitue la loi des parties conformément aux dispositions de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qu'elle rappelle.

Elle conteste l'application des dispositions de l'article 5.3 (" Compétences spéciales ") de la Convention selon lesquelles " Une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par la présente Convention peut être attraite, dans un autre Etat lié par la présente convention :

[...]

3. En matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s'est produit ou risque de se produire " (Convention de Lugano du 30 octobre 2007. Section 2, art. 5.3), ainsi que l'interprétation de la clause litigieuse par l'appelante en ce que celle-ci ne serait pas " suffisamment large pour englober le présent litige de nature délictuelle (brutalité de la rupture des relations commerciales établies) " , exposant que seules les dispositions relatives à la " prorogation de compétence " de la Convention de Lugano) doivent être appliquées et non celles visées de façon erronée par l'appelante et concernant les " compétences spéciales " (Section 2, art. 5).

La détermination de la clause de for en droit international dans le cadre de l'action en rupture brutale d'une relation commerciale établie impose de tenir compte de la volonté des parties, laquelle est de faire application du droit Suisse et de la compétence des Tribunaux du canton de Genève, dont ne tient pas compte l'appelante en soutenant l'application de la responsabilité extracontractuelle et du Tribunal de commerce de Paris, la 1re Chambre civile de la Cour de cassation rappelant que seuls les termes d'une clause attributive de compétence (et éventuellement les règles de conflit de juridiction) doivent être pris en considération pour déterminer la juridiction compétente et ce, alors même qu'il existerait des " dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige "

La Cour de justice a jugé dans un arrêt du 14 juillet 2016 que l'action en rupture brutale des relations commerciales établies de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce relevait de la matière contractuelle, pour autant qu'il existe effectivement un contrat entre les parties.

Selon l'avis rendu le 4 septembre 2017 par Maître Philippe Muller, membre de l'Ordre des Avocats de Genève et de la Fédération suisse des Avocats, " en application du droit suisse, l'article XIX du Contrat dispose une prorogation de for exclusive en faveur des Tribunaux du canton de Genève, y compris en ce qui concerne l'action en dommages intérêts d'une partie fondée sur la résiliation du Contrat ". De plus, cet article stipule clairement l'attribution de compétence de juridiction dans l'interprétation de ses clauses.

MOTIFS ;

LA COUR renvoie, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, à leurs écritures précitées.

Les dispositions de l'article XIX " droit applicable et for " du contrat-cadre signé le 27 mars 2012 énoncent que " Tout litige résultant de l'interprétation ou de l'exécution du contrat est soumis à la compétence exclusive des Tribunaux du canton de Genève, Suisse ".

Aux termes du Code suisse des Obligations, (article 18 alinéa 1) " pour apprécier la forme et les clauses d'un contrat il y a lieu de rechercher la commune intention des parties, sans s'arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir... "

Aux termes d'un avis éclairé versé aux débats par l'intimée, dont la pertinence n'est pas contestée, la clause litigieuse doit être comprise au regard du droit suisse, comme s'appliquant notamment à une action en dommages et intérêts d'une partie, liée à la résiliation du contrat.

Les parties ont bien entendu soumettre au droit suisse et aux juridictions suisses le litige né entre elles, la clause qu'elles ont introduite au contrat étant rédigée en des termes suffisamment généraux pour englober les litiges résultant d'une rupture de relations commerciales établies.

La nature contractuelle de l'action en droit suisse conduit au rejet de la revendication de compétence de la juridiction du lieu du fait dommageable tant sur le fondement de l'article 46 du Code de procédure civile qu'au visa de l'article 5.3 de la Convention de Lugano.

Les parties étant convenues d'une clause de for, la société Tudor soutient à bon droit l'application de l'article 23.1 (section 7) de la Convention de Lugano relatif à la prorogation de compétence , selon lequel " Si les parties, dont l'une au moins à son domicile sur le territoire d'un Etat lié par la présente Convention, sont convenues d'un tribunal ou de Tribunaux d'un Etat lié par la présente Convention pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les Tribunaux de cet Etat sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue : a) par écrit... "

L'action introduite par Co and Co est bien fondée sur l'existence d'un différend né à l'occasion d'un rapport de droit déterminé entretenu avec Tudor dans lequel s'inscrit la rupture des relations commerciales entre les parties.

Les parties étant convenues d'une prorogation de compétence exclusive au profit des juridictions de Genève, les dispositions impératives constitutives de lois de police françaises fussent-elles applicables au fond du litige ne pouvant valablement combattre la clause attributive de compétence applicable au présent litige, c'est exactement que le tribunal s'est déclaré incompétent.

Le jugement dont appel est confirmé en toutes ses dispositions.

Il appartiendra à la société Co and Co de se pourvoir devant le Tribunal de première instance du canton de Genève, sis Place du Bourg de Four 1, 1204 Genève sans que la cour n'ait à prononcer spécialement de ce chef par application de l'article 81 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement dont appel en toutes ses dispositions ; Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Co and Co à payer à la société Montres Tudor SA la somme de 2 000 euros ; Rejette toute demande autre ou plus ample ; Condamne la société Co and Co aux entiers dépens recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.