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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 18 mai 2018, n° 17-09176

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Tools Galerie (SARL)

Défendeur :

Domestic (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Renard, Lehmann

Avocats :

Mes Chardin, Lautier, Greffe

TGI Paris, du 21 avril 2017

21 avril 2017

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Tools Galerie qui indique avoir une grande renommée dans le domaine des objets de design et de meubles contemporains, ayant pour gérant monsieur Loïc B., a pour activité l'exposition d'objets d'art, de décoration et de mobilier de design et la présentation des travaux de designers dans le cadre d'expositions monographiques et thématiques ainsi que l'édition de mobilier et d'objets de design contemporains.

Elle expose avoir fait appel, dans le cadre de son activité d'édition d'objets de design, à madame I., designer de nationalité française, en vue de l'élaboration d'une création commune, inspirée d'un vase que monsieur B. indique avoir découvert à la Foire de Milan, afin de le transformer en lampadaire décliné en une collection de luminaires à poser ou à suspendre établie à partir de cinq formes différentes dénommée " Moaïs ".

La lampe 'Moaïs' est constituée de dix feuilles de polycarbonate et de dix " peignes " en aluminium peint ou anodisé et aurait rencontré un vif succès depuis son acquisition par le Fonds National d'Art Contemporain (FNAC), lequel aurait contribué à la notoriété de madame I.

La société Tools Galerie explique avoir contribué à l'élaboration de cette œuvre par son initiative, son apport matériel et financier et avoir permis la connaissance de celle-ci, grâce à l'exposition de l'objet en janvier 2010 au sein de sa galerie. Elle expose avoir eu un rôle d'éditeur dans la conception de l'œuvre, avec la société Leolo, qui est intervenue comme producteur exécutif, prenant en charge les aspects techniques et gérant directement les relations avec les fournisseurs.

Elle indique avoir toutefois appris que madame I. avait sollicité une autre maison d'édition d'objets et de mobiliers, la société Domestic, exploitant sous l'enseigne Moustache, pour présenter au salon Maison & Objets de septembre 2015, des lampadaires sous la référence " Zeppelin ", et ce aux mépris de ses droits sur la collection " Moaïs ".

Après une mise en demeure du 28 septembre 2015 restée infructueuse, la société Tools Galerie a, selon actes du 23 décembre 2015, fait assigner madame I. et la société Domestic devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et subsidiairement en concurrence déloyale.

Par jugement contradictoire en date du 21 avril 2017, le Tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré irrecevable la société Tools Galerie en ses prétentions au titre de l'œuvre collective et au titre de la contrefaçon de droits d'auteur,

- débouté la société Tools Galerie de ses prétentions au titre de la concurrence déloyale et parasitaire,

- dit que madame I. est l'auteur des lampes Moaïs,

- condamné la société Tools Galerie à payer à madame I. la somme de 1 000 euros et à la société Domestic la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- débouté madame I. de sa demande de dommages et intérêt pour atteinte à son image,

- dit n'être saisi d'aucune prétention, par la société Domestic au titre du manque à gagner,

- débouté les parties de leurs plus amples ou contraires prétentions,

- condamné la société Tools Galerie aux dépens,

- condamné la société Tools Galerie à payer à madame I. et à la société Domestic, à chacune d'entre elles, la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

La société Tools Galerie a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe en date du 4 mai 2017.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 novembre 2017, auxquelles il est expressément renvoyé, la société Tools Galerie demande à la cour, au visa des articles L. 113-2 à L. 113-5 et L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle, ainsi que 1382 du Code civil de :

- constater que madame I. et la société Domestic se rendent coupables de multiples actes de contrefaçon à l'égard des œuvres éditées par la société Tools Galerie,

Subsidiairement,

- constater que la société Domestic a commis à son encontre des manœuvres correspondant à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

Par conséquent,

- ordonner la destruction du stock d'œuvre (s) de madame I. détenu par la société Domestic,

- ordonner que la société Domestic s'engage fermement à ne plus commercialiser les lampes issues de la collection " Zeppelin " de madame I., et constituant des copies de la collection " Moaïs ",

- ordonner la publication du jugement (sic) à intervenir dans la presse spécialisée incluant 2 magazines à choisir entre les titres " AD ", " Ideat ", ou " Elle Déco " et sur les réseaux sociaux gérés par l'enseigne Moustache d'un communiqué relatant l'arrêt de la production de la collection " Zeppelin ",

- condamner madame I. ainsi que la société Domestic, conjointement et solidairement, à lui payer à la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel subi en raison des actes de contrefaçon commis,

- condamner madame I. ainsi que la société Domestic, conjointement et solidairement, à lui payer à la somme de 10 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice d'image et de notoriété subi en raison des actes de contrefaçon commis,

Subsidiairement,

- condamner Madame I. ainsi que la société Domestic, conjointement et solidairement, à lui payer à la somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice matériel subi en raison des actes de concurrence déloyale et de parasitisme accomplis,

- la condamner aux entiers dépens de la présente instance,

- condamner madame I. ainsi que la société Domestic, conjointement et solidairement, à payer à la société Tools Galerie la somme de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles engendrés par la présente instance en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2017, auxquelles il est également expressément renvoyé, madame I. et la société Domestic demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevable la société Tools Galerie en ses prétentions au titre de l'œuvre collective et au titre de la contrefaçon au titre des droits d'auteur, débouté la société Tools Galerie de ses prétentions au titre de la concurrence déloyale,

- dit que Ionna V. est l'auteur des lampes 'Moaïs', condamné la société Tools Galerie pour procédure abusive mais l'infirmer sur le montant des dommages et intérêts qui ont été alloués à Madame V. et à la société Domestic à ce titre et condamner l'appelante à verser la somme de 5 000 euros au profit de Madame V. et 5 000 euros au profit de la société Domestic, condamné la société Tools Galerie à régler à chacune des défenderesses la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- l'infirmer en ce qu'il a débouté madame I. de sa demande en dommages et intérêts pour atteinte à son image et condamner à ce titre la société Tools Galerie à lui régler la somme de 10000 euros,

- condamner la société Tools Galerie à verser à la société Domestic la somme de 77 325,50 euros à titre de dommages et intérêts en raison du manque à gagner qu'elle a subi du fait de cette procédure,

- condamner la société Tools Galerie à régler à chacune des intimées la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Tools Galerie aux entiers dépens de la présente instance dont distraction au profit de son conseil, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 février 2018.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la titularité des droits d'auteur

Considérant que la société Tools Galerie se prévaut de droits patrimoniaux d'auteur sur l'œuvre 'Moaïs' en faisant valoir qu'il s'agit d'une œuvre collective créée à son initiative et sous sa direction ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé ;

Que l'article L. 113-5 du même code ajoute que l'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée, cette personne étant investie des droits d'auteur ;

Considérant en l'espèce qu'il résulte des pièces produites aux débats par l'appelante elle-même, que contrairement à ses affirmations, la lampe " Moais " a été présentée au public notamment lors du vernissage du 28 janvier 2010 ayant précédé l'exposition organisée au sein de la galerie parisienne Tools du 29 janvier 2010 au 27 mars 2010 et a été divulguée sous le nom de Ionna V., en qualité de designer ;

Qu'à juste titre les premiers juges ont relevé que tant le communiqué de presse que l'annonce de l'exposition, la liste des prix ou encore les échanges avec le CNAP, y compris ceux émanant de Tools Galerie, créditent madame V. comme l'auteur des dites lampes [ Moaïs par Ionna Vautrin et " famille de luminaires (...) imaginés par Ionna V. ", " Moaïs design Ionna V. ", " l'œuvre de Ionna V. intitulée Moaïs 2010 fabrication Tools ou Moaï(s) design Ionna V. "] et qu'au contraire la galerie Tools est citée dans ces différents documents, en qualité de chargée de la communication et des relations presse ou de galeriste, ce que confirme un de ses mails adressés à madame V. dans lequel elle écrit 'nous avons vendu ton dernier Moaïs pour un montant de (...). Compte tenu de nos accords (...) seuls les coûts liés à l'adaptation doivent être déduits (...) ; que les même pièces révèlent que la société Leolo a été destinataire des factures des fournisseurs ou a passé des commandes de façonnage des ailettes des lampes et a été consultée par madame V. pour différents avis ;

Que par ailleurs madame V. justifie s'être directement inspirée pour la lampe Moaïs d'une de ses créations antérieures de 2008, réalisée en collaboration Guillaume D., constituée d'une collection de vases intitulée Fabbrica del Vapore, et dont la forme générale a été reprise ; qu'elle démontre avoir entre juin 2009 et décembre 2009 adressé par mails à l'appelante les premiers dessins des luminaires, les plans, maquettes des différentes déclinaisons et mises en perspective sans qu'il ne soit justifié de quelconques directives de la galerie Tools pour ce faire;

Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a déclaré la société Tools Galerie irrecevable à invoquer des droits d'auteur sur l'œuvre " Moaïs " et dit que seule Ionna V. bénéficie desdits droits sur cette œuvre ;

Sur la contrefaçon

Considérant que l'appelante n'étant pas investie des droits d'auteur qu'elle revendique, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en contrefaçon ;

Sur la concurrence déloyale

Considérant qu'à titre subsidiaire l'appelante poursuit la société Domestic en concurrence déloyale lui reprochant en ces termes, " par des manœuvres déloyales, de s'être placée dans son sillage et d'avoir cherché à profiter de ses efforts en éditant une collection de luminaires contrefaisante et constituant une reproduction complète de la collection Moaïs qu'elle a éditée ";

Considérant toutefois que l'action en concurrence déloyale fondée sur l'édition d'une collection de luminaires contrefaisante doit être rejetée, madame V. qui est seule investie des droits d'auteur sur les luminaires en cause, étant libre d'en disposer et la société Domestic de les exploiter ;

Que par ailleurs, la société Tools Galerie ne justifie pas, au-delà de ses affirmations, des investissements financiers ou intellectuels qu'elle dit avoir consacrés à ces luminaires ;

Que le jugement doit donc également être confirmé en ce qu'il a rejeté l'action en concurrence déloyale ;

Sur les demandes incidentes

Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol ;

Qu'en l'espèce, c'est par des motifs exacts et pertinents que la cour adopte que le tribunal a considéré que la société Tools Galerie n'a pu se méprendre sur l'exacte portée de ses droits et a engagé avec légèreté la procédure après que Ionna V. lui a indiqué en 2015 vouloir cesser toute collaboration avec elle, et que dès lors son comportement fautif est caractérisé ; que la cour relève par ailleurs que l'appelante a produit dans le cadre de la procédure les plans et les reproductions que madame V. avait elle-même adressés à la société Leolo ; que ce comportement fautif justifie la confirmation de la condamnation de la société Tools Galerie par les premiers juges au paiement de dommages intérêts à hauteur de 1 000 euros pour madame I. et de 500 euros pour la société Domestic sans qu'il y ait lieu de faire droit à la demande de dommages intérêts supplémentaires du fait de l'appel abusif ;

Considérant que c 'est également à juste titre que le tribunal a rejeté la demande de dommages intérêts formée par madame V. au titre de l'atteinte à son image dès lors qu'il n'est démontré aucun préjudice autre que celui qui sera réparé par le remboursement des frais irrépétibles ;

Considérant enfin, sur la demande de la société Domestic relative à un manque à gagner du fait qu'elle a dû renoncer, dans l'attente de l'issue de la procédure à commercialiser les luminaires incriminés, dont la recevabilité n'est pas contestée, qu'il y a lieu de constater, outre le fait qu'il s'agit d'une décision unilatérale de la société intimée, que la demande s'analyse en une perte de chance dont le caractère certain n'est nullement démontré ; que la demande doit donc être rejetée;

Sur les autres demandes

Considérant que la société Tools Galerie, qui succombe sera condamnée aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;

Considérant enfin, que les intimées ont dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à leur charge ; qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dans la mesure qui sera précisée au dispositif du présent arrêt.

Par ces motifs, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties le 21 avril 2007 par le Tribunal de grande instance de Paris. Y ajoutant, Condamne la société Tools Galerie à payer à madame I. et à la société Domestic la somme de 5 000 € chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute madame I. et la société Domestic du surplus de leurs demandes. Condamne la société Tools Galerie aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.