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Décisions

CA Nancy, 5e ch. com., 30 mai 2018, n° 18-00163

NANCY

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Biomasa Ecoforestal de Villacanas SLU (Sté), Vapormatra SAU (Sté)

Défendeur :

Alphatrade (SA), Alpha Distribution (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Diepenbroek

Conseillers :

MM. Soin, Brisquet

T. com. Val de Briey, du 24 oct. 2017

24 octobre 2017

FAITS, PROCÉDURE et PRÉTENTIONS des PARTIES :

Selon assignation du 18 avril 2016, la société de droit luxembourgeois Alphatrade se prévalant d'un contrat de distribution exclusive des poêles à pellets fabriqués par les sociétés de droit espagnol Biomasa Ecoforestal de Villacanas SAU et Vapormatra SAU sous la marque Ecoforest, les a fait citer devant le Tribunal de commerce de Val de Briey aux fins de les voir condamner au paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations contractuelles.

La société Alphatrade a fait l'objet d'un jugement de faillite en date du 25 mai 2016. Me X, ayant été désignée comme curateur à la faillite, est intervenue à la procédure.

Me Y, ès qualités de liquidateur de la société Alpha distribution, société d'exploitation créée par la société Alphatrade pour développer son activité de distribution en France, est également intervenu à la procédure aux fins de voir déclarer les défenderesses responsables de la faillite de la société et condamnées à l'indemniser de son préjudice.

La société de droit espagnol Biomasa Ecoforestal de Villacanas SLU (ci-après Biomasa) est intervenue volontairement à la procédure comme venant aux droits de la société Biomasa Ecoforestal de Villacanas SAU.

Par jugement en date du 24 octobre 2017, le Tribunal de commerce de Val de Briey a rejeté l'exception d'incompétence territoriale soulevée par les défenderesses mais a soulevé d'office son incompétence matérielle au profit du Tribunal de commerce de Nancy, en application de l'article D. 442-3 du Code de commerce, s'agissant d'un litige relatif à la rupture d'une relation commerciale établie.

Les sociétés Biomasa Ecoforestal de Villacanas SLU et Vapormatra SAU ont interjeté appel de ce jugement le 17 janvier 2018 et ont été autorisées à assigner à jour fixe.

Aux termes des conclusions de leurs assignations, les appelantes demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire et juger que le Tribunal de commerce de Val de Briey et plus généralement les juridictions commerciales françaises, sont incompétentes pour statuer sur le litige qui relève des juridictions luxembourgeoises en application du règlement (UE) n° 1215/12 du 12 décembre 2012 et de renvoyer les intimés à mieux se pourvoir. Elles sollicitent, chacune, le versement d'une indemnité de procédure de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de leur appel, elles font valoir que la société Alphatrade a son siège au Luxembourg, elles-même en Espagne et que seule l'intervenant volontaire a son siège en France. Elles considèrent que c'est à tort que le tribunal a retenu la compétence des juridictions commerciales françaises en considérant que le contrat s'était exécuté en France, s'agissant du lieu de distribution des produits.

Elles font valoir que le secteur de distribution de la société Alphatrade était non seulement la France mais aussi la Belgique et le Luxembourg, que le contrat liant les parties n'était pas un contrat de vente mais un contrat de concession s'analysant en un contrat de fourniture de services entraînant l'application des règles de compétence de l'article 7 § 1 b) du règlement (UE) n° 1215/12, en vertu duquel, il faut prendre en considération le lieu où les services auraient dûs être fournis. Elles estiment que les critères retenus à cet égard par les premiers juges relatifs à la langue dans laquelle sont rédigés les documents publicitaires ou au lieu de stockage des produits sont inopérants.

Les appelantes considèrent, qu'en l'absence de mention spécifique du contrat, les échanges sont réputés se faire entre les parties à leurs sièges respectifs, de sorte que le lieu de fourniture des services est donc au siège de la société Alphatrade situé au Luxembourg.

MOTIFS

Me Y, assigné ès qualités de liquidateur de la société Alpha distribution, par exploit du 16 février 2018, signifié à domicile, a fait connaître à la cour qu'il n'interviendrait pas à l'instance, la procédure étant impécunieuse.

Me X, assignée ès qualités de curateur à la faillite de la société Alphatrade, par exploit du 2 février 2018, remis à personne le 7 février 2018, n'a pas davantage constitué avocat.

Il sera donc statué par arrêt de défaut.

S'agissant d'un litige opposant des parties domiciliées dans plusieurs Etats membres de l'Union européenne, la juridiction compétente pour connaître de ce litige doit être déterminée au regard des règles de compétence édictées par le règlement (UE) n° 1215/12 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 entré en vigueur le 10 janvier 2015.

L'action engagée par la société de droit luxembourgeois Alphatrade, qui tend à obtenir indemnisation du préjudice résultant de la résiliation par les sociétés défenderesses du contrat conclu entre les parties le 1er juin 2015, a un fondement contractuel.

Il convient d'observer à ce stade que la compétence de la juridiction doit être déterminée au regard de l'action engagée par la société Alphatrade, l'intervention volontaire de la société Alpha Distribution étant sans effet sur la compétence de la juridiction saisie.

L'article 5 du règlement (UE) n° 1215/12 dispose que : " Les personnes domiciliées sur le territoire d'un Etat membre ne peuvent être attraites devant les juridictions d'un autre Etat membre qu'en vertu des règles énoncées aux sections 2 et 7 du présent chapitre ". L'article 7 figurant à la section 2 prévoit des compétences spéciales et dispose que : " une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite, dans un autre État membre :

1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;

b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :

- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;

c) le point a) s'applique si le point b) ne s'applique pas (...) ".

Il n'est pas discuté que le contrat liant les parties est un contrat de distribution exclusive. Aux termes de ce contrat conclu pour une durée de dix ans renouvelable, les sociétés de droit espagnol Biomasa et Vapormatra ont concédé à la société Alphatrade le droit exclusif de commercialiser sur les territoires de la France, la Belgique et le Luxembourg, les poêles, inserts et chaudières qu'elles fabriquent, les mandantes s'interdisant de commercialiser sous leur nom ou sous celui d'une société apparentée existante ou à créer les produits objets du contrat et la mandataire s'interdisant de commercialiser ou de fabriquer sous son nom ou sous celui d'une société apparentée existante ou à créer des produits concurrents à ceux du mandant. Le contrat prévoit également des commissions en fonction d'un volume annuel de vente à réaliser dans chacun des pays visés, principalement en France, et l'engagement des mandantes de fournir gratuitement les catalogues dans la langue des pays de commercialisation, panneaux et objets publicitaires nécessaires à la bonne distribution de leurs produits.

Les appelantes invoquent à juste titre un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Cormans Collins, C-9/12, du 19 décembre 2013, dans lequel la Cour a dit pour droit, s'agissant de l'application du règlement Bruxelles I, que : " l'article 5, point 1, sous b), du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que la règle de compétence édictée au second tiret de cette disposition pour les litiges relatifs aux contrats de fourniture de services trouve à s'appliquer dans le cas d'une action judiciaire par laquelle un demandeur établi dans un État membre fait valoir, à l'encontre d'un défendeur établi dans un autre État membre, des droits tirés d'un contrat de concession, ce qui requiert que le contrat liant les parties comporte des stipulations particulières concernant la distribution par le concessionnaire des marchandises vendues par le concédant ".

Cette jurisprudence, bien que relative à l'application des règles de compétences prévues par le règlement Bruxelles I bis, est néanmoins applicable en l'espèce, dès lors que les règles de compétence prévues par l'article 7 § 1 a) et b) reprennent celles prévues par l'article 5 § 1 a) et b) du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

Le contrat de distribution exclusive conclu entre les parties le 1er juin 2015 est assimilable au contrat de concession en ce qu'il comporte de telles stipulations particulières, s'agissant d'un accord-cadre ayant pour objet d'une part, un engagement pour les mandantes de fournir au mandataire, qu'elles ont sélectionné à cet effet, les marchandises dont il passera commande pour satisfaire la demande de sa clientèle et d'autre part, pour le distributeur, un engagement de s'approvisionner auprès des mandantes.

La notion de "services" au sens de l'article 7 § 1 b) du règlement Bruxelles I bis, qui doit être interprétée de manière autonome en se référant principalement au système et aux objectifs du règlement implique, en application de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, que la partie qui les fournit effectue une activité déterminée en contrepartie d'une rémunération.

Ces deux critères sont bien réunis en l'espèce. L'activité déterminée correspond en effet à la prestation caractéristique du contrat de distribution exclusive, puisque le mandataire, en assurant la distribution des produits du mandant participe au développement de leur diffusion et grâce à la garantie d'approvisionnement dont il bénéficie, est en mesure d'offrir aux clients des services et des avantages que ne peut offrir un simple revendeur et, ainsi, de conquérir, au profit des produits du mandant, une plus grande part du marché local.

Quant au critère de la rémunération accordée en contrepartie de cette activité, la Cour de justice considère (point 39 de l'arrêt susvisé) que : "la sélection par le concessionnaire du concédant, élément caractéristique de ce type de contrat, confère au concessionnaire un avantage concurrentiel en ce que celui-ci aura seul le droit de vendre les produits du concédant sur un territoire déterminé ou, à tout le moins, en ce qu'un nombre limité de concessionnaires bénéficieront de ce droit", ce qui est le cas en l'espèce, le contrat de distribution exclusive prévoyant en outre la fourniture par les mandantes des supports publicitaires ainsi qu'une aide en matière de formation et des facilités de paiements, tous avantages qui représentent, pour le distributeur, une valeur économique qui peut être considérée comme étant constitutive d'une rémunération.

Le contrat liant les parties s'analysant en un contrat de fourniture de services, la juridiction compétente, en application de l'article 7 §1 b) du règlement (UE) n° 1215/12 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, est celle d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis.

En l'espèce, le contrat vise une distribution non seulement sur le territoire français, métropole et territoires d'Outre-Mer, mais aussi en Belgique et au Luxembourg, de sorte qu'en l'absence de tout autre élément permettant à la cour de considérer que la prestation caractéristique du contrat serait fournie en France, le lieu de fourniture des services doit être considéré comme étant celui du siège du distributeur, le seul fait que soit prévue une commission liée au volume des ventes visant un volume de vente en France supérieur à celui des autres marchés additionnés, n'étant pas en lui-même suffisant pour retenir la compétence des juridictions françaises, en l'absence de tout élément quant au volume des ventes réalisés sur chacun des marchés concernés.

Le jugement entrepris sera donc infirmé et il sera constaté l'incompétence des juridictions françaises pour connaître de la demande, les parties étant renvoyées à mieux se pourvoir.

Les intimés, qui succombent, supporteront la charge des dépens de première instance et d'appel. Il sera alloué aux appelantes, ensemble, celles-ci ayant assuré une défense commune, une indemnité de procédure de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant par défaut, par arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Val de Briey en date du 24 octobre 2017 en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Déclare les sociétés Biomasa Ecoforestal de Villacanas SLU et Vapormatra SAU bien fondées en leur exception d'incompétence ; Constate l'incompétence des juridictions françaises pour connaître de la demande ; Renvoie les parties à mieux se pourvoir ; Condamne Me Y, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SASU Alpha distribution, et Me X, ès qualités de curateur à la faillite de la société de droit luxembourgeois Alphatrade SA, aux entiers dépens d'appel ainsi qu'à payer aux sociétés de droit espagnol Biomasa Ecoforestal de Villacanas SLU et Vapormatra SAU, ensemble, une indemnité de procédure d'un montant de 2 000 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du Code de procédure civile.