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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 31 mai 2018, n° 15-20974

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

TF Inter (SARL)

Défendeur :

Robopolis (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

Avocats :

Mes Nicolas, Potier, Boccon Gibod, Theron, Neumager

T. com. Paris, du 7 avr. 2015

7 avril 2015

FAITS ET PROCÉDURE :

La société Trading French International (ci-après " TF Inter") est revendeur grossiste spécialisé dans le commerce en gros de produits électroniques de consommation.

La société Robopolis est spécialisée dans la commercialisation en France de produits domestiques robotisés vendus sous la marque iRobot qui appartient à la société de droit américain iRobot Corporation, auprès de laquelle elle s'approvisionne et avec laquelle elle a un accord de distribution exclusif pour la France.

La société TF Inter s'est rapprochée de la société Robopolis en juin 2008 et un courant d'affaires a démarré avec un chiffre d'affaires de 569 444 euros TTC pour le dernier semestre 2008, puis de 2 620 117 euros pour l'année 2009.

La société Robopolis n'ayant pas honoré début 2010 les dernières commandes de TF Inter de fin 2009, la société TF Inter a estimé être victime d'une rupture brutale d'une relation commerciale établie et a saisi le Tribunal de commerce d'Orléans d'une demande d'indemnisation.

Par jugement du 7 avril 2015, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL TF Inter de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre la SAS Robopolis pour rupture brutale de relation commerciale établie,

- débouté la société SARL TF Inter de sa demande de dommages-intérêts au titre du service après-vente,

- condamné la SARL TF Inter à payer à la SAS Robopolis la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire d'office,

- condamné l'exécution provisoire d'office,

- condamné la société TF Inter aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 82,44 euros dont 13,52 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté le 21 octobre 2015 par la société TF Inter,

Vu les dernières conclusions signifiées par la société TF Inter le 5 février 2018 par lesquelles il est demandé de :

- dire l'appel interjeté par la société TF Inter à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris en date du 7 avril 2015 recevable et bien fondée ;

- Y faire droit ;

En conséquence,

- infirmer en toutes ses dispositions ledit jugement ;

Et, statuant à nouveau,

- dire que la société Robopolis a rompu brutalement la relation commerciale établie à l'égard de la société TF Inter ;

- condamner la société Robopolis à indemniser intégralement le préjudice subi par la société TF Inter ;

- condamner la société Robopolis à payer à la société TF Inter la somme totale de 414 657 euros à titre de dommages et intérêts :

216 157 euros à titre de dommages et intérêts pour les gains manqués,

96 000 euros à titre de dommages et intérêts pour les investissements spécifiques non amortis,

100 000 euros à titre de préjudice moral,

2 500 euros à titre de préjudice de SAV ;

- condamner la société Robopolis à payer à la société TF Inter la somme de 15 000 euros à titre d'indemnités pour frais irrépétibles ;

- condamner la société Robopolis aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

- débouter la société Robopolis de ses demandes plus amples ou contraires.

Vu les conclusions signifiées par la société Robopolis le 18 mars 2016 par lesquelles il est demandé de :

Vu les dispositions de l'article L. 442-6, 5 du Code de commerce,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 7 avril 2015 ;

- débouter TF Inter de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner TF Inter à payer à Robopolis la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner TF Inter aux entiers dépens.

La société TF Inter soutient que la société Robopolis a rompu brutalement la relation commerciale établie qu'elle entretenait avec cette dernière. Elle rappelle qu'une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour caractériser une relation commerciale établie, que la société TF Inter avait passé plus de 71 commandes à la société Robopolis sur 18 mois, sans aucun problème d'impayé, que la société Robopolis a soudainement refusé d'honorer les commandes passée par TF Inter des 5 et 12 novembre 2009 qui devaient être livrées début 2010, sans aucune notification écrite ni aucun préavis, qu'elle ne peut dès lors exciper d'une exonération de sa responsabilité, au sens de l'article L. 442-6, I, 5, en l'absence de toute faute grave ou force majeure, qu'elle doit l'indemniser des préjudices nés de cette rupture brutale, tant le gain manqué pendant la période de préavis qui aurait dû être respectée, les investissements spécifiques non amortis, le préjudice moral et le préjudice de SAV.

En réponse, la société Robopolis estime qu'elle n'a commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce qu'elle estime inapplicable, la relation commerciale n'étant pas établie, qu'en outre, elle s'est trouvée devant une difficulté constitutive d'une force majeure, qu'en tout état de cause, compte tenu de la nature des commandes, le préavis ne pourrait être supérieur à trois mois, que la société TF Inter ne démontre pas l'existence d'un quelconque préjudice, ni d'une dépendance économique.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'aux termes de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

... 5) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (...) ";

Considérant que le champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5 du Code de commerce s'étend, au-delà des simples relations contractuelles, à des situations très diverses ;

Qu'il est constant que la notion de relation commerciale établie suppose, même en l'absence de convention, l'existence d'une relation d'affaires qui s'inscrit dans la durée, la continuité et dans une certaine intensité ;

Considérant qu'en l'espèce, les premiers juges ont à juste titre, par des motifs que la cour adopte, retenu l'existence d'une relation continue d'une certaine intensité entre la société TF Inter et la société Robopolis qui avait vocation à s'inscrire dans la durée, nonobstant l'absence de tout contrat écrit, qui peut dès lors être qualifiée de relation commerciale établie au sens de l'article susvisé, celle-ci ayant duré un peu plus de seize mois ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que la société Robopolis n'a pas honoré les deux dernières commandes passées fin 2009, mais qu'ainsi que l'a relevé de façon précise et détaillée le tribunal dont la cour adopte les motifs, elle a dû faire face à des difficultés réelles d'approvisionnement en fin d'année, à l'approche de Noël, vu les volumes commandés et en a informé la société TF Inter, qui en a déduit à tort, et sans qu'aucun des échanges versés aux débats ne permette de corroborer sa position, que la société Robopolis ne souhaitait plus poursuivre ses relations contractuelles avec TF Inter, alors même qu'entretemps les problèmes d'encours avaient été réglés à la demande de la société Robopolis et qu'elle avait indiqué qu'elle ferait de son mieux pour assurer les commandes et qu'elle pourrait reprendre les livraisons fin janvier 2010 (échanges de mails du 15 décembre 2010) ;

Que le retard d'exécution des commandes ne peut être interprété comme une rupture des relations commerciales ;

Que la société TF Inter n'a d'ailleurs, par courriel du 5 février 2010, tiré aucune conclusion de ce retard et s'est simplement enquis de la date de livraison ;

Que les problèmes de service après-vente rencontrés pour les produits livrés par TF Inter en Espagne sont indépendants des difficultés d'approvisionnement justifiées de Robopolis, comme cela résulte des échanges de mails entre les parties ;

Qu'il ne peut par conséquent être considéré que les retards de livraisons constituent une volonté de rompre le contrat sans préavis, ou puissent être requalifiés comme tels ;

Que pour l'ensemble de ces motifs et ceux adoptés des premiers juges, il y a lieu de confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions, la rupture brutale n'étant pas établie ;

Considérant qu'il y a lieu de faire droit à la demande d'indemnisation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile dans les termes exposés au dispositif ci-après ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société TF Inter à payer à la société iRobot France (anciennement Robopolis) la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.