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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 mai 2018, n° 17-01034

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Viti Primault (SARL)

Défendeur :

Tecnoma Technologies (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mmes Maussire, Bousquel

TGI Reims, du 10 mars 2017

10 mars 2017

Suivant facture du 20 avril 2011, la SARL Viti Primault a vendu à M. X un tracteur enjambeur de marque Tecnoma d'une valeur de 48 438 euros TTC garanti contractuellement jusqu'au 19 août 2011.

Ce tracteur enjambeur a été livré à M. X le 1er juin 2011 mais a pris feu le 3 juin 2011 pendant qu'il l'utilisait dans sa parcelle de vignes.

Suite à une expertise amiable organisée à l'initiative de la MMA, assureur de M. X, aucun accord amiable n'a pu être trouvé sur la prise en charge du sinistre.

MMA a indemnisé son assuré.

Faisant valoir sa subrogation dans les droits et actions de celui-ci, MMA Assurances IARD a assigné la SARL Viti Primault devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Reims aux fins de voir ordonner une expertise judiciaire.

La SARL Viti Primault a demandé que les opérations d'expertise soient déclarées communes à la société Tecnoma.

Une expertise judiciaire a été ordonnée qui a été confiée à M. Z.

Celui-ci a déposé son rapport le 24 septembre 2013.

Il en est ressorti que l'incendie résultait, aux dires d'expert, d'un court-circuit électrique franc par mise à la masse du câble électrique reliant la borne positive de la batterie au démarreur, au point de contact entre le câble électrique et le flexible d'orbitol.

Par actes d'huissier du 23 juillet 2014, MMA Assurances IARD et M. X ont fait assigner la SARL Viti Primault devant le Tribunal de grande instance de Reims aux fins d'obtenir la résolution de la vente.

La société Tecnoma a été appelée en garantie par la SARL Viti Primault en sa qualité de constructeur de l'engin au motif que le vice affectant le tracteur enjambeur était originel et qu'il existait dès sa construction.

Par jugement du 10 mars 2017, le tribunal a notamment :

- ordonné la résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés,

- condamné la SARL Viti Primault à payer à MMA IARD la somme de 40 500 euros,

- condamné la SARL Viti Primault à payer à M. X la somme de 5 456,78 euros en réparation de la dégradation de la voûte de traitement,

- débouté la SARL Viti Primault de ses demandes en garantie formées à l'encontre de la société Tecnoma au motif qu'il n'était pas démontré que le vice caché trouvait son origine dans la conception ou la construction initiale du tracteur enjambeur.

Par déclaration reçue le 21 avril 2017, la SARL Viti Primault a formé appel de la décision.

Par conclusions du 8 février 2018, la SAS Primault, venant aux droits de la SARL Viti Primault, demande à la cour :

Vu les dispositions de l'article 1641 du Code civil,

Vu les pièces versées aux débats,

- de dire et juger qu'il résulte des investigations techniques de l'expert judiciaire que l'origine du sinistre se trouve dans un câblage électrique mal positionné et usé par frottement, lequel se trouve dans un endroit inaccessible sans un démontage lourd et incompatible avec un simple contrôle, visite d'entretien et vérification de l'engin,

- de dire et constater que la présence de ce câblage électrique à cet endroit de l'engin est établie, et que la SAS Tecnoma s'est refusée à justifier, fut-ce à titre confidentiel à l'expert, les documents se rapportant à la mise sur le marché de cet engin (plans, conception), susceptibles de démontrer que ce positionnement ne serait pas de son fait,

- de dire et juger que le vice étant indécelable sans un démontage lourd constituait un vice caché aux yeux de la SARL Viti Primault,

En conséquence,

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté la SARL Viti Primault de sa demande en garantie formée à l'encontre de la SAS Tecnoma Technologies,

- de condamner la SAS Tecnoma Technologies à garantir la société Primault SAS, venant aux droits de la SARL Viti Primault, des condamnations prononcées le 10 mars 2017 par le Tribunal de grande instance de Reims à son encontre au bénéfice de MMA IARD et de M. X.

Subsidiairement;

Vu les dispositions des articles 776 et suivants du Code de procédure civile,

- d'ordonner un complément d'expertise et, pour y procéder, désigner Monsieur Z ou tel expert qu'il plaira à la cour, avec pour mission de :

- Recueillir les explications des parties et de tout sachant dont l'audition lui paraît utile,

- Recueillir les explications de Monsieur A, demeurant <adresse> et, le cas échéant, de son assureur,

- Recueillir les explications de Monsieur B, demeurant <adresse> et, le cas échéant, de son assureur,

- Se faire communiquer toutes les pièces et documents nécessaires et notamment les rapports d'expertises réalisés par les compagnies d'assurance respectives de Messieurs A et B,

- Vérifier si d'autres engins du même type ont été sinistrés dans les mêmes conditions,

- Se faire communiquer par le constructeur, Tecnoma Technologies, au besoin en la forme confidentielle, les documents se rapportant à la conception et à la construction initiale de l'enjambeur modèle U65 et de son évolution,

- Dire si le passage du faisceau litigieux était d'ores et déjà, et à l'origine, conçu par le constructeur à l'emplacement où il se trouvait lors de son usure anormale,

- Condamner la SAS Tecnoma Technologies à payer à la société Primault SAS la somme de 3 000 € à titre de frais irrépétibles sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- La condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise, et en autoriser le recouvrement par Maître C, avocat, dans le cadre et les limites des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Elle soutient que le vice affectant le tracteur enjambeur était inhérent à la conception de l'engin et en toute hypothèse indécelable par un professionnel effectuant des révisions normales et classiques.

Par conclusions du 28 février 2018, la société Tecnoma Technologies demande à la cour :

- de voir déclarer l'appel de la société Primault recevable mais mal fondé,

- de l'en débouter,

Faisant droit à l'appel reconventionnel de la société Tecnoma Technologies,

- de condamner la société Primault à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée au regard des conclusions du rapport d'expertise,

- de condamner la société Primault à lui payer la somme de 12 300 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,

- de condamner la société Primault à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en appel,

- de condamner la société Primault aux dépens avec distraction.

Elle soutient :

- que contrairement à ce que prétend l'appelante, M. X a parfaitement tiré les conséquences de ses constatations en concluant ainsi :

* que seul l'accès au démarreur lors d'une intervention a pu occasionner la modification de la position du câble

* que plusieurs éléments amènent à privilégier l'hypothèse d'une modification lors d'une intervention en après-vente

* qu'aucun entretien périodique n'a été réalisé par la société Primault dans le cadre de la préparation à la vente, enfreignant en cela les préconisations du constructeur

- qu'il en ressort que l'imputabilité des désordres résulte d'une intervention après-vente et non d'un défaut de conception du tracteur enjambeur, l'expert insistant sur les erreurs et fautes professionnelles commises par la société Primault dans la mesure où il s'est écoulé plus d'un an et 150 heures de fonctionnement depuis la dernière intervention de maintenance.

Motifs

L'article 9 du Code de procédure civile dispose qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

L'appelante soutient à titre principal qu'elle est en droit d'obtenir la garantie de la société Tecnoma dans la mesure où le vice affectant le tracteur enjambeur qu'elle a vendu à M. X était indétectable sans un démontage lourd et, à tout le moins, qu'elle est légitime à solliciter un complément d'expertise.

Si l'expert judiciaire, M. Z, a pu relever au fil de son expertise qu'il était favorable à la consultation de tout document, même comportant des secrets de fabrication, susceptible de le renseigner sur la configuration d'origine de l'enjambeur, informations que la société Tecnoma Technologies s'est effectivement refusée à lui donner, il n'en a pas moins tiré ses conclusions à partir des investigations qu'il a menées pour déterminer si le vice était ou non caché pour la société Viti Primault.

Il s'en déduit que la configuration d'origine de l'engin lui était en définitive indifférente pour mener à bien sa mission qu'il a remplie en toute connaissance de cause et au vu des éléments qui lui paraissaient suffisants pour répondre aux questions qui lui avaient été posées par la juridiction l'ayant désigné.

Il ressort des conclusions de M. Z (page 34 de son rapport) que l'imputabilité des désordres résulte d'une intervention après-vente, la position angulaire du câble litigieux à l'origine du court-circuit et de l'incendie du tracteur enjambeur ayant été modifiée.

L'expert rappelle à ce propos que M. A, propriétaire du tracteur enjambeur ayant servi à l'examen comparatif avec celui de M. X, a démenti formellement les propos qui lui étaient attribués par la SARL Viti Primault, soit une intervention sur le démarreur de son tracteur à l'initiative de la société Tecnoma Technologies dans le courant de l'année 2012.

M. Z retient :

- que ses opérations ont révélé qu'aucun entretien périodique n'avait été réalisé par la SARL Viti Primault dans le cadre de la préparation à la vente alors qu'il s'était écoulé plus d'un an et 150 heures de fonctionnement depuis la dernière intervention de maintenance, laquelle avait été effectuée du temps de l'ancien propriétaire,

- que le manuel d'utilisation et d'entretien préconisait une liste d'opérations à effectuer par un concessionnaire toutes les 80 heures, notamment les connections électriques,

- que la SARL Viti Primault n'avait par conséquent pas respecté les préconisations du constructeur, lesquelles devaient d'autant plus s'appliquer qu'il s'agissait d'un matériel ancien (près de 10 ans), que son historique était ignoré et qu'il changeait de propriétaire,

- qu'en procédant de la sorte, la SARL Viti Primault n'avait pas pu détecter l'altération en formation et éviter le sinistre,

- que dans ce contexte, l'argument sur la difficulté d'accès et le temps nécessaire au contrôle n'apparaissait pas recevable, d'autant que l'examen du câble litigieux par le dessus nécessitait moins d'une demi-journée de démontage/remontage.

Il en ressort sans aucune ambigüité possible que l'expert a exclu toute imputabilité du sinistre à un défaut de conception ou de fabrication du tracteur enjambeur, seul susceptible de légitimer l'action en garantie de la SARL Viti Primault, devenue SAS Primault, et qu'il a en réalité pointé la défaillance de celle-ci à l'occasion de la vente de l'engin à M. X.

L'appelante sollicite à titre subsidiaire un complément d'expertise dont la teneur indique qu'elle entend en réalité contester l'appréciation portée par M. Z sur l'imputabilité des désordres.

Elle produit au soutien de sa demande deux attestations de Messieurs A et B, qui, outre le fait qu'elles n'obéissent pas aux exigences contenues à l'article 202 du Code de procédure civile, concernent des tracteurs qui sont d'un modèle (U 70) différent de celui objet du litige (U 65), de sorte que leur absence de pertinence rend particulièrement mal fondée l'organisation d'une nouvelle mesure d'instruction, demande dont l'appelante sera déboutée.

La décision sera par conséquent confirmée en ce qu'elle débouté la SARL Viti Primault, aux droits de laquelle intervient maintenant la SAS Primault, de son action en garantie à l'encontre de la société Tecnoma Technologies.

Les dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée :

C'est à juste titre et par motifs adoptés que le premier juge a considéré que le seul fait de succomber en ses prétentions ne suffisait pas à établir la mauvaise foi de la SAS Primault.

Le même raisonnement doit être tenu à hauteur d'appel lorsque l'appelant est déclaré mal fondé en son recours.

La décision sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a débouté la société Tecnoma Technologies de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.

L'article 700 du Code de procédure civile :

La décision sera confirmée.

Succombant en son appel, la SAS Primault ne peut prétendre à aucune indemnité.

L'équité justifie qu'il soit alloué à la société Tecnoma Technologies la somme de 4 000 euros à ce titre.

Les dépens :

La décision sera confirmée.

La SAS Primault sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel avec recouvrement direct par application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire ; déboute la SAS Primault de sa demande de complément d'expertise. Confirme en toutes ses dispositions attaquées le jugement rendu le 10 mars 2017 par le tribunal de grande instance de Reims. Y ajoutant ; condamne la SAS Primault à payer à la société Tecnoma Technologies la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute la SAS Primault de sa demande à ce titre. Condamne la SAS Primault aux dépens de la procédure d'appel avec recouvrement direct par application de l'article 699 du Code de procédure civile.