CA Lyon, 1re ch. civ., 29 mai 2018, n° 17-07094
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ermont (SAS)
Défendeur :
Allianz IARD (SA), Entreprise de Travaux Publics Locations et Ventes (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Carrier
Conseillers :
M. Ficagna, Mme Papin
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Suivant contrats des 7 et 20 mars 2007, la SARL ETPL & V (ETPL) a commandé à la société Famaro, devenue ensuite Ermont, la fourniture d'une épandeuse Varioprayer R II AVR pour un montant de 122 000 HT, destinée à répandre sur le réseau routier un enduit bituminé.
Le matériel ainsi acquis consistait en un camion-citerne équipé à l'arrière d'une rampe munie de buses diffuseuses permettant de répandre sur la chaussée un film d'enduit bituminé contenu dans la citerne.
Il était équipé d'un ordinateur de bord dosant automatiquement la quantité des émulsions et des liants, calculant et corrigeant à chaque instant la vitesse de rotation des pompes doseuses en fonction de la vitesse d'avancement du camion et du nombre de jets sélectionnés.
Le pupitre de cabine permettait de visualiser le dosage, la densité, la température, la largeur de la rampe, la distance parcourue, la consigne de vitesse et la vitesse réelle de la pompe à liant, la consigne de la vitesse d'avancement minimum conseillée et la vitesse réelle du camion et de modifier le dosage à tout moment à l'aide de touches + ou -.
L'épandeuse a été livrée le 26 juillet 2007. La société Famaro est intervenue à plusieurs reprises dans le courant du mois d'août 2007 en raison de divers dysfonctionnements.
La société ETPL a réalisé avec ce matériel différents marchés confiés par des communes ou communautés de communes de l'Aveyron et du Lot pour leur réseau routier à la fin de l'année 2007 et au début de l'année 2008.
Entre mars et juillet 2008, les collectivités territoriales concernées ont émis des doléances sur la qualité des travaux tenant à une dégradation précoce du revêtement mis en œuvre.
Il est apparu que les dosages posés par l'épandeuse n'étaient pas conformes à ceux programmés sur sa console dédiée et que la quantité de liant répandue sur les chaussées était insuffisante d'où la dégradation rapide des couches de surface.
Cette anomalie a été dénoncée à la société Famaro. Le 5 mai 2008, le préposé de cette dernière a contrôlé la vitesse de la pompe et la vitesse du camion. Il a procédé à un réglage du capteur et à un ajustement de la cylindrée qui ont remédié au défaut affectant le dosage du liant.
La société ETPL a obtenu le 29 septembre 2009 une ordonnance du juge des référés du Tribunal de commerce de Saint-Etienne instaurant une expertise à l'effet d'examiner les désordres affectant les chantiers réalisés par la société ETPL, d'en rechercher la cause et d'établir les responsabilités.
L'expert désigné, M. de Vesins, a déposé son rapport le 30 septembre 2011.
La SA Allianz IARD, assureur de la société ETPL, a versé à son assurée une indemnité de 76 300 pour une reprise des travaux sur les chantiers défectueux.
Par acte en date des 10 et 17 mai 2013, la société ETPL et la SA Allianz IARD ont fait assigner la société Famaro devant le Tribunal de commerce de SAINT ETIENNE à l'effet d'obtenir l'indemnisation du préjudice subi du fait du dysfonctionnement de l'épandeuse, la SA Allianz IARD agissant sur le fondement de l'action subrogatoire.
Par jugement en date du 24 septembre 2014, le tribunal a :
- débouté la société Famaro de l'ensemble de ses demandes,
- déclaré recevable l''action de la société ETPL & V et de la SA Allianz IARD,
- dit que la société Famaro avait manqué à son obligation de résultat relative à la vente de l'épandeuse à la société ETPL & V,
- condamné la société Famaro à porter et payer à la société ETPL & V la somme de 87 285,16 HT en principal outre intérêts au taux légal et avec indexation sur le coût de la construction au jour du prononcé du présent jugement,
- condamné la société Famaro à porter et payer à la Société Allianz IARD la somme de 76 300 HT en principal outre intérêts au taux légal et avec indexation sur le coût de la construction au jour du prononcé du jugement,
- débouté la société ETPL & V de sa demande à lui verser la somme de 50 000 à titre de dédommagement de ses entiers préjudices,
- condamné la société Famaro à payer à la société ETPL & V la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Famaro à payer à la SA Allianz IARD la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Famaro aux dépens, frais d'expertises et d'analyse,
- débouté la société ETPL & V et la SA Allianz IARD sur surplus de leurs demandes.
La société Ermont a relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 28 janvier 2016, la cour d'appel de LYON a :
- infirmé le jugement entrepris sauf en ce qu'il avait dit l'action de la société ETPL & V et de la SA Allianz IARD recevable, et statuant à nouveau sur le surplus :
- débouté la SARL ETPL & V et la SA Allianz IARD de toutes leurs demandes,
- condamné la SARL ETPL & V et la SA Allianz IARD in solidum à verser à la SAS Ermont une indemnité de 5 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la SARL ETPL & V et la SA Allianz IARD in solidum aux dépens de première instance, comprenant les frais d'expertise judiciaire, et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.
Par arrêt en date du 1er juin 2017, la cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions au motif que la cour n'avait pas recherché comme il le lui était demandé si l'acquéreur n'était pas un professionnel d'une autre spécialité que le vendeur, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 1643 et 1645 du Code civil.
Par acte du 10 octobre 2017, la société Ermont a saisi la présente cour, désignée comme cour de renvoi.
Au terme de conclusions notifiées le 1er décembre 2017, elle demande à la cour :
- d'infirmer le jugement,
- déclarer les sociétés ETPL & V et Allianz irrecevables à agir faute de qualité,
subsidiairement,
- dire que la clause exclusive de garantie prévue au contrat doit trouver application au motif que les parties sont des professionnels de même spécialité,
- débouter les sociétés ETPL & V et Allianz de leurs demandes,
très subsidiairement,
- déclarer les demandes fondées sur l'article 1641 du Code civil irrecevables et non fondées,
- dire qu'aucun manquement de sa part n'est démontré par les sociétés ETPL & V et Allianz,
encore plus subsidiairement,
- dire que l'augmentation du coût des travaux n'est pas justifiée et que l'existence d'un préjudice complémentaire n'est pas démontrée,
- en tout état de cause, condamner les sociétés ETPL & V et Allianz à lui payer la somme de 10 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens y compris les frais d'expertise avec faculté de distraction au profit de la SAS T. & Associés.
Elle fait valoir :
- que la société ETPL n'a pas qualité pour agir faute d'avoir subi elle-même le dommage et qu'elle ne démontre pas soit qu'elle aurait payé le coût des travaux de réfection aux communes et communautés de communes soit que des travaux de réfection précisément indentifiables auraient été effectués et non facturés, qu'elle ne produit sur ce point que 4 attestations extrêmement laconiques et aucun procès-verbal de réception,
- que la société ETPL ne remplit pas les conditions de l'action subrogatoire qui suppose l'indemnisation de la partie subrogeante,
- que la quittance invoquée par la société Allianz IARD ne permet pas de comprendre que la somme versée aurait été affectée précisément aux travaux litigieux,
- que la clause exclusive de garantie s'agissant de dommages subis par les tiers, distincts de l'objet du contrat, a vocation à s'appliquer,
- que cette clause n'a pas pour effet de l'exonérer de son obligation de fournir une machine conforme à la commande ni même de faire obstacle à toute action exercée sur le fondement de la garantie légale de vices cachés du vendeur, qu'elle exclut simplement du champ de la garantie l'indemnisation du préjudice matériel se rapportant à des biens distincts de l'objet du contrat ou encore le manque à gagner ou la perte d'exploitation de sorte qu'elle ne peut être qualifiée d'abusive,
- que la société ETPL et elle étaient, lors de la conclusions du contrat de vente, des entreprises professionnelles de même spécialité et qu'il n'existe aucun obstacle à l'application de la clause exclusive de garantie,
- que les conditions de la garantie légale des vices cachés ou de la responsabilité contractuelle ne sont pas réunies,
- que l'existence d'un vice antérieur à la vente n'est pas démontré, que les résultats du banc d'essai ont conclu à un réglage conforme de la machine avant sa livraison, que l'expert n'a pas été en mesure de déterminer précisément la cause de l'insuffisance de la qualité de liant,
- que les intimées ne rapportent pas la preuve d'une livraison non conforme, que le système de dosage fonctionnait correctement lors de la livraison, le compte rendu d'essais ne mentionnant aucune anomalie, que le dérèglement du système de dosage s'est nécessairement produit après la livraison,
- que ni les interventions des 14 et 15 août 2007 ni celles des 28 et 30 août n'ont porté sur les paramètres de réglage du dosage et que l'intervention du 5 mai 2008 a réglé le problème,
- que l'expert n'a pas déterminé la date à laquelle serait survenu le dérèglement et n'a mis en évidence aucun manquement ni faute de sa part,
- que le fait que l'ordinateur de bord ait fourni des informations erronées ne permet pas d'engager sa responsabilité,
- que la cause probable des désordres était une désorientation accidentelle du radar captant la vitesse instantanée du camion, qu'en tout état de cause, il appartenait à la société utilisatrice d'effectuer correctement les corrections pouvant être rendues nécessaire par les circonstances d'exécution des travaux conformément aux préconisations du manuel du fabricant ce que la société ETPL reconnaît n'avoir pas fait,
- que la société ETPL est défaillante dans la preuve des conditions et du calendrier d'exécution des travaux qu'elle a réalisés et qu'elle aurait dû constater dès le début des travaux que la quantité de liant était insuffisante,
- que les pièces produites ne font pas la preuve du préjudice allégué, subsidiairement que l'application du prix du m² de bitume aux 122 169 m² justifiés par les attestations produites, aboutirait à un coût de reprise de 121 703 dont il convient de déduire les 18 000 d'économie de bitume retenus par l'expert soit un préjudice n'excédant pas 103 703 ,
- que la société ETPL ne rapporte pas la preuve de la perte de marchés ou de l'altération de son image en relation de causalité avec les désordres.
Au terme de conclusions notifiées le 31 janvier 2018, la société ETPL et la société Allianz demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du 24 septembre 2014 en toutes ses dispositions,
- débouter la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro de toutes ses demandes,
- confirmer la responsabilité de la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro tant au titre de sa garantie des vices cachés ayant affecté l'épandeuse, qu'au titre de sa responsabilité civile contractuelle pour ses interventions inefficaces pour réparer l'épandeuse viciée,
- confirmer la condamnation de la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro à payer à la Compagnie Allianz la somme de 76 300 HT en principal, outre intérêts au taux légal, et avec indexation sur le coût de la construction au jour de la décision à intervenir,
- recevoir leur appel incident,
- réformer le jugement du 24 septembre 2014 en ce qu'il n'a pas admis l'actualisation du préjudice subi par les concluantes, ni fait droit à la demande de dédommagement du préjudice subi,
- condamner la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro à porter et payer à la Société ETPL & V la somme de 181 118, 27 HT en principal, outre intérêts au taux légal, et avec indexation sur l'indice INSEE Travaux Publics TP 09 Travaux d'enrobés à compter de la délivrance de l'assignation initiale, avec capitalisation des intérêts,
- dire que la somme allouée à la Compagnie Allianz produira intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation initiale, avec indexation sur l'indice INSEE Travaux Publics TP 09 Travaux d'enrobés à compter de la délivrance de l'assignation initiale, avec capitalisation des intérêts,
- condamner la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro à payer à la Société ETPL & V la somme de 50 000 à titre de dommages et intérêts pour les entiers préjudices subis.
En toute état de cause,
- condamner la Société Ermont venant aux droits de la Société Famaro à payer à la Société ETPL & V et à la Compagnie Allianz la somme de 10 000 chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, y compris les frais d'expertise et d'analyse, avec faculté de distraction au profit de Me L., Lexavoue.
Elles font valoir :
- que la société ETPL & V a intérêt à agir dès lors qu'elle a été contrainte de reprendre l'ensemble des travaux défectueux réalisés pour les communes et communautés de communes et que la société Allianz ne l'a indemnisée que partiellement du coût engendré par ces reprises,
- que le droit d'agir des communes a été transféré par chacune des communes et communautés de communes à la Société ETPL &V dans le cadre d'engagements de reprise des travaux,
- que les attestations produites justifient la reprise et réalisation de l'intégralité des travaux, acceptés par chacune des communes,
- que c'est la seule Société ETP & V qui a subi et continue de subir les dommages consécutifs aux fautes de la Société Famaro,
- que l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l'action, la faculté d'agir en justice consistant à justifier d'un intérêt direct et personnel,
- que l'acquéreur peut en application de l'article 1645 du Code civil, demander réparation de l'ensemble des préjudices qu'il a subis du fait des vices cachés,
- qu'en matière de garantie des vices cachés, l'article 1643 du Code civil admet la validité des clauses limitatives et exclusives de responsabilité mais que ce n'est que lorsque l'acquéreur professionnel est de même spécialité que le vendeur que ce dernier peut valablement opposer la clause limitative ou exclusive de garantie,
- que la clause exclusive de garantie ne peut recevoir application entre deux professionnels n'exerçant pas dans la même spécialité, que la société ETPL n'est pas un professionnel de la même spécialité que le vendeur, qu'en effet, elle a pour activité la réalisation de travaux, notamment des travaux publics de voirie alors que celle de la société Ermont est de vendre du matériel et des engins permettant notamment de répandre sur une chaussée un film d'enduit bituminé, à savoir une épandeuse, que ces activités ne font pas appel aux mêmes compétences,
- que la société Famaro a engagé sa responsabilité pour avoir livré une épandeuse affectée de vice non apparent à la réception et qu'elle a manqué à son obligation de résultat de réparer l'épandeuse au cours de ses différentes interventions,
- que la faute commise par la société Famaro est directement à l'origine de l'épandage insuffisant en sortie d'environ 17%, en dehors des limites prévues par le Setra,
- que si l'expert n'a pas déterminé l'origine des désordres, il n'y a été mis un terme que par une intervention de la Société Famaro sur le final de la pompe en date du 5 mai 2008,
- que l'expert a conclu qu'il n'existait pas de remède économique à un enduit défectueux et que toute la couche finale de toutes les chaussées concernées devait être reprise, qu'il a chiffré le coût des reprises à 181 535, 16 dont il déduisait 18 000 , soit un préjudice global de 163 585, 16 HT avant actualisation,
- que l'expert judiciaire note dans son rapport que dès la première utilisation de la machine sur les voies de la commune de Savignac, des traces de crayonnages attestent du dysfonctionnement, ce qui démontre que le vice caché était existant à la livraison,
- que les interventions de la Société Famaro ont consisté à régler le démarrage de la pompe et non son débit, laissant donc persister les défauts de réglages affectant l'épandeuse et ce jusqu'au 5 mai 2008, ce malgré plusieurs interventions,
- que ce n'est que le 5 mai 2008, après diverses plaintes reçues par la Société ETPL & V, que la Société Famaro a enfin contrôlé la vitesse de la pompe, l'a réglée en fonction de la vitesse du camion et a ajusté la cylindrée,
- que l'expert envisage deux causes possibles aux désordres, le mauvais débit de base provenant soit d'un mauvais réglage initial soit d'une erreur d'estimation de la vitesse du camion due à une désorientation du radar,
- que la faute commise par la Société Famaro est directement à l'origine de l'épandage insuffisant en sortie d'environ 17%, soit un pourcentage supérieur aux limites prévues comme éventuellement tolérables par le guide " technique enduits superficiels d'usure " du SETRA,
- que le simple rappel que la fin des désordres résulte de l'intervention de la Société Famaro sur la cylindrée de la pompe, suffit à caractériser tant le vice caché que la faute commise par l'appelante dans l'identification des causes du dysfonctionnement et sa réparation à l'occasion de ses interventions,
- que rien de sérieux ne permet d'écarter la responsabilité de la Société Famaro, dont la carence à s'exonérer de sa responsabilité est d'autant plus évidente, qu'en l'espèce, celle-ci était tenue d'une obligation de résultat, et qu'elle ne peut s'exonérer que par la démonstration d'une cause étrangère,
- que les reprises réalisées par la Société ETPL & V font suite à des plaintes des différentes communes et communautés de communes, qui ont exigé des reprises rapides des ouvrages, en raison des risques pour la sécurité des personnes, qu'il en est justifié par des attestations des intéressées, par les factures correspondant au bitume acheté pour assurer les travaux de reprise,
- que l'expert a évalué le préjudice subi par les collectivités sur la base d'un revêtement bicouche facturé à 1, 97 le m², que la valeur actuelle dudit revêtement s'élève à 3,10 le m2 et que la réactualisation du préjudice doit se faire sous la forme suivante 163 585, 16 x 3,10 / 1,97 = 257 418, 27 .
- que la mauvaise publicité qui a été faite des désordres litigieux a eu pour conséquence la perte de marchés, récupérés par des concurrents en dépit de l'ancienneté des relations existantes entre diverses communes et que la Société ETPL & V a subi une atteinte 'indéniable' à son image de marque, une perte de chiffre d'affaires et subséquemment 'un risque de péril' ce qui justifie une demande de 50 000 de dommages et intérêts complémentaires.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité
Aux termes des articles 31 et 32 du Code de Procédure Civile "l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé" alors "qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir."
La société ETPL, non indemnisée intégralement par son assureur, excipe de son préjudice direct et personnel consécutif à l'inexécution contractuelle qu'elle reproche à la société Famaro, ce qui suffit à établir tant son intérêt que sa qualité pour agir, l'appréciation du bienfondé de ces prétentions échappant au débat sur la recevabilité.
Il n'y a donc pas lieu de s'intéresser, à ce stade du débat, à la preuve d'une subrogation conventionnelle entre la société ETPL et les collectivités territoriales dont elle a refait la voirie à l'aide de la nouvelle épandeuse.
Selon l'article L. 121-12 du Code des assurances, l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.
En l'espèce, il ressort de la quittance de règlement signée par la société EPTL le 24 mai 2012 que la société Allianz a acquitté l'indemnité de 76 300 au titre de sa garantie responsabilité civile à l'occasion du sinistre consistant en 'une usure prononcée de la couche de roulement' des routes des collectivités sur lesquelles la société ETPV justifie avoir effectué des travaux à l'aide de l'épandeuse litigieuse.
Il en résulte que l'assureur, subrogé dans les droits de son assuré, a qualité et intérêt à agir contre le tiers auquel est imputé la responsabilité du sinistre.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a déclaré l'action recevable.
Sur l'obligation de garantie de la société Ermont
Selon l'article 1641 du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.
En l'espèce, il résulte du rapport de l'expert, dont les conclusions techniques ne sont pas discutées, que les désordres trouvent leur cause dans le dérèglement de la machine qui présentait une différence de dosage du liant de 10% entre l'affichage électronique sur le pupitre de bord et la sortie de rampe.
C'est l'intervention du 5 mai 2008 qui a permis d'établir la concordance entre le dosage affiché sur l'ordinateur de bord et celui projeté en sortie de rampe de l'épandeuse, les chantiers ultérieurs n'ayant donné lieu à aucune réclamation.
Les hypothèses émises par l'expert pour expliquer ce sous-dosage sont soit le mauvais choix des corrections sur le débit de base, soit un mauvais positionnement de la rampe soit un mauvais débit de base pouvant provenir d'un mauvais réglage initial ou d'une erreur d'estimation de la vitesse du camion due à une désorientation du radar.
Il résulte des constatations de l'expert que des phénomènes de crayonnage avaient été observés dès la première mise en service de l'épandeuse sur le chantier de la commune de SAVIGNAC, nécessitant deux interventions de plusieurs heures chacune de la société Famaro ce qui suffit à établir l'insuffisance du contrôle au banc d'essai invoqué par le fournisseur.
La première intervention a notamment eu pour objet de remédier à un problème de démarrage présenté par la pompe à bitume. Il ressort de la fiche d'intervention que la pompe à bitume a fait l'objet les 14 et 15 juillet 2008 d'un réglage, que des clapets ont été inversés et qu'il a été procédé au resserrage de raccords. Le technicien de la société Famaro a attesté auprès de l'expert que lors de cette intervention, il n'avait réglé que le démarrage de la pompe et non son débit.
La seconde intervention a notamment eu pour objet de remédier à un problème de sortie de rampe et donné lieu au remplacement du codeur et d'un connecteur de l'automatisme. Le technicien de la société Famaro a attesté auprès de l'expert ne pas être intervenu sur les réglages de la pompe mais seulement sur les mouvements de la rampe d'épandage.
La société Ermont reconnaît que ni les interventions des 14 et 15 août 2007 ni celles des 28 et 30 août n'ont pas porté sur les paramètres de réglage du dosage et que l'intervention du 5 mai 2008 a réglé le problème.
Il convient de relever que ce réglage s'est limité à une intervention sur la cylindrée de la pompe sans modification du positionnement de la rampe, ni de l'orientation du radar captant la vitesse du camion ce qui exclut que ces éléments soient à l'origine du dysfonctionnement de l'épandeuse.
D'autre part, le caractère généralisé des désordres touchant 100% des voiries concernées exclut que ceux-ci puissent provenir d'un défaut de modulation des dosages selon les caractéristiques des voies (zones ombragées ou très pentues nécessitant un dosage plus important selon les dispositions du guide SETRA relatives à l'adaptation du dosage en émulsion en fonction des caractéristiques et de l'exposition de la chaussée).
Enfin, ce n'est pas avant le 5 mai 2008 que la Société Famaro a contrôlé la vitesse de la pompe, l'a réglée en fonction de la vitesse du camion et a ajusté la cylindrée,
Il est ainsi suffisamment établi que le défaut affectant l'épandeuse était préexistant à la vente de sorte que les sociétés ETPL et Allianz sont fondée à invoquer la garantie des vices cachés.
L'article 1643 du Code civil dispose que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.
En l'espèce, l'article 9.6 des conditions générales du contrat de vente édicte la clause d'exclusion de garantie suivante : "tout préjudice matériel, dommages à des biens distincts de l'objet du contrat, tout manque à gagner ou perte d'exploitation résultant de l'exécution du contrat, d'un retard, d'un sinistre, de la mise hors service du matériel, de vices ou problèmes affectant le matériel, ne pourra donner lieu à aucune indemnisation par le vendeur à quelque titre que ce soit.'
Le vendeur professionnel étant réputé connaître les vices affectant la chose vendue ne peut se prévaloir d'une clause d'exclusion de garantie. Toutefois, la validité de cette clause est admise lorsque l'acheteur est un professionnel de la même spécialité que le vendeur.
La spécialisation de l'acheteur doit être de nature à lui permettre normalement de déceler le vice contre lequel il a accepté de n'être pas garanti ou de ne l'être qu'incomplètement.
En l'espèce, la société ETPL est une entreprise spécialisée dans le BTP et la société Famaro dans la fabrication de matériel BTP. La société ETPL n'a aucune compétence en matière d'électronique à l'origine des dérèglements constatés de sorte qu'elle ne saurait être considérée comme un professionnel de la même spécialité que la venderesse et que la clause d'exclusion de garantie lui est inopposable.
Il ne saurait être reproché à la société ETPL de n'avoir pas constaté dès le début des travaux que la quantité de liant était insuffisante dès lors que l'ordinateur ne lui signalait aucune anomalie de dosage et que celle-ci n'a été révélée qu'à la suite de la dégradation des revêtements mis en œuvre.
L'entreprise n'avait d'autre part aucune raison de douter de la fiabilité de l'épandeuse qui venait de lui être livrée et qui était censée avoir subi tous les tests et réglages requis avant sa mise en service. Il s'agissait en outre de la première épandeuse entièrement automatisée utilisée par l'entreprise. Enfin, le manuel d'entretien de l'épandeuse ne préconise aucunement de réaliser des tests intermédiaires en cours de campagne de revêtement.
La société Ermont doit en conséquence être déclarée entièrement responsable du préjudice de la société ETPL & V et tenue de le réparer intégralement.
Sur le préjudice
L'expert retient qu'il n'existe pas de remède économique pour reprendre de façon satisfaisante un enduit défectueux et que c'est toute la couche finale de toutes les chaussées concernées qui doit être refaite.
L'expert a, à partir des éléments des marchés versés aux débats, évalué le préjudice subi par les collectivités sur la base du prix d'une couche de revêtement fixée entre 0,965 et 0,985 le m² sur la base d'un revêtement bicouche facturé par l'entreprise au prix moyen de 1,97 le m². Il a chiffré à 180 017m² la surface des revêtements et fixé en conséquence le coût total des reprises à 181 535,16 HT, valeur 2007, dont il a déduit l'économie sur l'émulsion non répandue en raison du sous-réglage estimée à 18 000 , d'où un préjudice de 163 585,16.
La société ETPL & V justifie par des attestations des collectivités territoriales concernées qu'elle a assumé à ses frais, en exécution de son obligation de résultat, la reprise des travaux défectueux pour les superficies suivantes :
- communauté de communes Villeneuvois, Diège et Lot : 75 775 m²,
- commune de Vabre Tiziac : 9 502 m²
- commune de Maleville : 9 997 m²
- communauté de communes de plateau de Montbazens : 14 170 m²
- commune de Morlhon le haut : 12 725m²
- communauté de commune du Bas Segala : 53 078 m²
soit une superficie totale de 175 247 m².
Les factures de fournitures qu'elle verse aux débats ne justifient pas de l'augmentation alléguée des prix des travaux d'enrobés entre 2007 et la date de l'assignation de sorte qu'il ne saurait y avoir lieu à calculer le préjudice sur la base d'un prix du m² de 3,10 .
Sur la base de prix retenue par l'expert et au regard de la superficie des reprises de voirie justifiées, il convient de fixer le préjudice de la société ETPL à la somme de [181 535,15 HT x 175 247 / 180 017] - 18 000 = 176 724,92 - 18 000 = 158 724,92 .
Il convient d'ajouter pour chacun des chantiers des frais de préparation d'un montant de 500 porté à 1 000 pour les grandes superficies (Villeneuvois et Bas Segala) soit un total de 4 000 , le préjudice matériel total étant de 158 724,92 + 4 000 = 162 794,92 .
Il revient en conséquence à la société ETPL la somme de 86 494,92 déduction faite de l'indemnité perçue de son assureur et à la société Allianz IARD, au titre de son action subrogatoire, la somme de 76 300 , montant de l'indemnité versée à son assurée.
La société ETPL & V ne produit aucun justificatif justifiant d'une baisse de son chiffre d'affaires en relation de causalité directe et certaine avec le sinistre de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts pour préjudice économique.
L'indemnité allouée à la société ETPL & V sera revalorisée à titre de dommages et intérêts complémentaires en fonction de la variation de l'indice TP 09 (dernier indice connu) entre le 10 mai 2013, date de l'assignation, et la date de la présente décision, ce outre intérêts au taux légal à compter de ce jour.
En application de l'article 1153-1 du Code civil, il convient de faire courir les intérêts au taux légal sur l'indemnité due à la société Allianz IARD à compter du 10 mai 2013, date de l'assignation.
Sur les demandes accessoires
La société Ermont qui succombe supporte les dépens et une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a : Déclaré recevable l'action de la société ETPL & V et de la SA Allianz IARD, Débouté la société ETPL & V de sa demande à lui verser la somme de 50 000 à titre de dédommagement de son préjudice économique, Condamné la société Famaro à payer à la société ETPL & V la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamné la société Famaro à payer à la SA Allianz IARD la somme de 1 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamné la société Famaro aux dépens, frais de greffe taxés à la somme de 94,39 , frais d'expertises et d'analyse ; Le réforme pour le surplus ; Statuant à nouveau, Déclare la société Ermont, venant aux droits de la société Famaro, tenue de réparer l'entier préjudice de la société ETPL & V au titre de la garantie des vices cachés ; La condamne à payer à la société ETPL & V la somme de 162 794,92 en réparation de son préjudice matériel revalorisée en fonction de la variation de l'indice TP 09 (dernier indice connu) entre le 10 mai 2013 et ce jour, ce outre intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; La condamne à payer à la société Allianz IARD la somme de 76 300 outre intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2013 ; Déboute la société ETPL & V et la SA Allianz IARD sur surplus de leurs demandes ; Condamne la société Ermont à payer à la société ETPL & V et à la société Allianz IARD la somme de 5 000 chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; La condamne aux dépens y compris ceux de la première procédure d'appel ; Autorise Me L. à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.