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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 5 juin 2018, n° 15-09596

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

M@TEX (SARL)

Défendeur :

Gemu (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourrel

Conseillers :

Mmes Olive, Gonzalez

T. com. de Montpellier, du 2 nov. 2015

2 novembre 2015

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES

La société Gemu GmbH & Co.KG fabrique des systèmes de gestion des fluides, vannes, mesures et régulations utilisés en pharmacie et en biotechnologie. Elle est établie à Ingelfingen en Allemagne et distribue ses produits dans 22 pays.

La SAS Gemu dont le siège social est à Strasbourg, a été créée en 1981 afin de commercialiser en France des produits de la marque Gemu.

En 2006 et en accord avec la société mère, la SAS Gemu a décidé de mettre en place et de développer une cellule intitulée " Projet Afrique du Nord ", après avoir constaté que les résultats du distributeur (société Mecainox) dans les pays du Maghreb étaient faibles.

Il a été décidé que cette nouvelle cellule serait dirigée et coordonnée par le directeur général de la SAS Gemu France, M. Daniel K., et par M. Jean-Marc S., responsable commercial pour la présentation et la vente des produits Gemu dans les régions du Sud de la France, depuis son embauche au mois de janvier 2000.

Dans le cadre du développement de ce nouveau marché, M. S. a fait de nombreux déplacements au Maghreb au cours des années 2006 à 2012 ; la SAS Gemu a loué un appartement meublé à Casablanca servant de base à M. S..

La SAS Gemu a constaté que le chiffre d'affaires réalisé sur le secteur stagnait et n'était pas proportionné aux efforts et frais de déplacement engagés.

M. K. a appris que l'épouse de M. S. avait créé au mois d'octobre 2008 la SARL M@tex, ayant pour objet social l'import-export de fournitures industrielles, les négoces industriels, la rémunération sur commissions de vente par présentation de tiers et les prestations commerciales diverses.

Reprochant à M. S. d'avoir prospecté et démarché des clients de la société Gemu dans les pays du Maghreb pour le compte de la société M@tex au titre de la fourniture de produits complémentaires et concurrentiels, cette société l'a licencié pour faute grave le 29 janvier 2013.

M. S. a contesté ce licenciement devant le conseil des Prud'hommes de Montpellier, par assignation du 4 février 2013.

La SAS Gemo a fait assigner la SARL M@tex (RCS de Montpellier n° 508 598 950) devant le Tribunal de commerce de Montpellier, par acte d'huissier du 31 mars 2014, afin qu'il soit constaté que celle-ci s'était rendue coupable d'actes de concurrence parasitaire à son encontre, par l'intermédiaire de M. S., salarié de la société Gemu et conjoint de la gérante de la société M@tex et qu'elle soit condamnée à l'indemniser selon les règles de la concurrence déloyale à hauteur d'une somme provisionnelle de 100 000 euros, à parfaire après expertise.

Par jugement du 19 janvier 2015, le conseil des Prud'hommes de Montpellier a fait droit à la demande de la société Gemu en ordonnant un sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pendante devant le tribunal de commerce.

Par jugement contradictoire du 2 novembre 2015, la juridiction commerciale a notamment, au visa de l'article 1382 du Code civil :

- jugé que la concurrence déloyale de la société M@tex envers la société Gemu est établie ;

- débouté la société M@tex de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- ordonné une expertise judiciaire aux frais avancés de la société Gemu et désigné M. Guy B. avec mission de se faire communiquer les bilans complets et détaillés de la société M@tex pour les années 2009 à 2014 ainsi que le listing des clients depuis sa création et d'établir le chiffre d'affaires réalisé avec les clients ou fournisseurs de la société Gemu dans les pays du Maghreb ;

- réservé à la société Gemu la possibilité de parfaire sa demande de dommages et intérêts au titre de son préjudice après dépôt du rapport de l'expert ainsi que sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- réservé les dépens.

La société M@tex a relevé appel du jugement par déclaration parvenue au greffe de la cour, le 21 décembre 2015.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 17 mars 2016, elle conclut à l'infirmation du jugement, au rejet des demandes adverses et à titre reconventionnel, elle sollicite la condamnation de la société Gemu à lui payer la somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral pour procédure abusive outre celle de 8 500 euros, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir pour l'essentiel que :

- les actions en concurrence déloyale et en parasitisme sont fondées sur l'article 1382 du Code civil et impliquent la démonstration d'une faute, d'un lien de causalité et d'un dommage ;

- la concurrence déloyale ou le parasitisme ne peut être caractérisé par un faisceau de présomptions, de sorte que le lien de mariage qui unit M. S., ex salarié de la société Gemu, à Mme M.-S., gérante de la société M@tex ne suffit pas à constituer la preuve d'une faute ;

- la baisse de chiffre d'affaires invoquée par l'intimée ne signifie nullement que M. S. a cessé de prospecter pour la société Gemu ;

- Mme M. épouse S. exerce réellement sa fonction de dirigeante de la société M@tex ; elle s'est rendue à de nombreuses reprises dans les pays du Maghreb pour rencontrer des clients qui en attestent, sans qu'il y ait eu une quelconque confusion avec les activités de son époux ;

- le fait que M. S. se serait trouvé en même temps que son épouse dans un pays du Maghreb à trois reprises est sans portée d'autant que les déplacements de Mme S. ont bien été payés par la société M@tex ;

- il n'est justifié d'aucun lien direct entre la baisse du chiffre d'affaires de M. S. dans ses fonctions de salarié de la société Gemu et les faits de parasitisme qui sont reprochés à la société M@tex, étant précisé que l'intéressé n'a jamais été sanctionné pour une insuffisance de résultats et pour la perception de frais de déplacement injustifiés ;

- il apparaît que les chiffres d'affaires rapportés par la société Gemu ont progressé de manière constante de 2006 à 2008 et que la baisse enregistrée en 2009 a été récupérée par une forte hausse en 2010 avant une baisse en 2011 puis de nouveau une forte hausse en 2012 ;

- elle a également connu d'importantes variations dans son résultat net de 2009 à 2012, lesquels ne peuvent pas être le reflet d'une société en plein développement se nourrissant à bon compte des efforts de la société Gemu ; il n'est pas démontré une perte constante de la société Gemu correspondant à une progression constante et linéaire de la société M@tex ;

- de plus et surtout, l'agitation marquée sur la période spécialement à partir de la fin de l'année 2010 dénommée " printemps arabe " (révolution en Tunisie, manifestation réprimée en Algérie, guerre en Lybie, contestations sociales au Maroc) a eu une incidence sur l'activité ; la direction du groupe Gemu a d'ailleurs interdit tous déplacements en Algérie et en Tunisie à cette époque ;

- durant cette période, la société Gemu a confié à M. S. une mission ingénierie en France et un remplacement temporaire dans le Sud-Ouest de la France ;

- il n'est pas justifié, sinon par deux attestations de complaisance, une implication réelle de M. S. dans la société M@tex ou simplement préjudiciable à la société Gemu ;

- en tout état de cause, aucune faute ne peut lui être reprochée à raison du comportement de M. S., époux de la gérante ;

- si les deux sociétés interviennent dans le même secteur professionnel, elles ne sont pas en concurrence directe puisqu'elles ne distribuent pas les mêmes produits ; la société Gemu vend les produits de sa propre marque et la société M@tex vend des produits de divers fournisseurs qui ne sont pas proposés par cette dernière ;

- il n'est pas discuté qu'elle livre des produits qui ne sont pas distribués par la société Gemu à des sociétés, également clientes de celle-ci, ce qui est normal au regard de la zone géographique et du secteur d'activité ;

- il lui est arrivé de livrer des produits substituables à des clients de la société Gemu représentant un chiffre de 3 214,20 euros, ce qui est loin de l'indemnisation sollicitée ;

- elle a livré les propres distributeurs de la société Gemu au Maghreb (ABDL et MEF) car ils ne pouvaient pas répondre à la demande de leurs clients en produits Gemu pour cause de rupture de stocks ;

- les fournisseurs des produits Gemu ne sont pas liés par une clause d'exclusivité et peuvent donc travailler avec la société M@tex ; ils sont aussi concurrents de la société Gemu ;

- cette société continue à commercer avec ces fournisseurs/concurrents depuis le licenciement de M. S. ;

- seuls quatre fournisseurs externes se retrouvent chez M@tex sur la liste de 44 fournisseurs produite aux débats par la société Gemu ;

- aucun acte de concurrence déloyale ne peut être retenu et les actes de parasitisme ne sont pas établis ; l'action engagée devant le tribunal de commerce est un médiocre contre-feu aux justes réclamations de M. S. devant le conseil des Prud'hommes ;

- en fait, la société-mère Gemu n'a pas souhaité poursuivre son implantation au Maghreb et a opté pour un partenariat avec la société MEF qui la représente localement en Tunisie depuis janvier 2013 ;

- la société Gemu a agi à son encontre dans le seul but de retarder l'issue de l'instance prud'homale engagée par M. S., ce qui caractérise un abus de procédure qui devra être indemnisé.

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe le 11 mai 2016, la SAS Gemu, formant appel incident, conclut à la confirmation du jugement sauf en qu'il ne lui a pas alloué la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur la réparation de son préjudice, au rejet de la demande reconventionnelle et au renvoi du dossier à l'expert judiciaire. Elle sollicite l'allocation de la somme de 10 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient en substance que :

- lors de l'entretien préalable à son licenciement M. S. a reconnu qu'il était effectivement à l'initiative de la création de la société M@tex car il avait constaté qu'en présentant les produits Gemu à la clientèle marocaine, celle-ci souhaitait pouvoir commander des produits complémentaires ; il a donc profité indirectement via la société M@tex, créée sous couvert de son épouse, d'un démarchage parallèle au travail qu'il effectuait pour le compte de la société Gemu au Maroc ;

- la société M@tex s'est ainsi placée dans le sillage de la société Gemu afin de tirer profit de sa réputation, alors même que son associée unique et dirigeante, Mme S. n'avait aucun savoir-faire ni expérience dans le secteur d'activité concerné ;

- il ressort du constat d'huissier dressé dans le cadre d'une autorisation judiciaire par Me B., accompagné de M. S., expert judiciaire, qu'entre 2009 et 2013, la société M@tex a réalisé avec une série de clients communs aux deux sociétés un chiffre d'affaires de 90 437 euros dont 66 236 euros avec des produits concurrents de la marque Gemu ; sur ce chiffre d'affaires, elle aurait pu réaliser un montant de 75 312,74 euros en produits Gemu et en produits qu'elle aurait pu obtenir de fournisseurs partenaires ;

- si l'huissier de justice et l'expert n'avaient pas cantonné leur mission à une série limitée de clients, un comparatif des facturations aurait permis d'établir que la quasi-totalité du chiffre d'affaires réalisé par la société M@tex provenait de la clientèle Gemu ; raison pour laquelle elle a sollicité une expertise judiciaire ;

- de toute évidence, la société M@tex, par l'intermédiaire de son agent M. S., a parasité la société Gemu, en profitant du travail de ce dernier pour démarcher la clientèle de celle-ci et proposer des produits complémentaires ou concurrents à son propre employeur ;

- elle pouvait, contrairement à ce qui est prétendu, commercialiser du matériel de concurrents en complément de gamme au travers de son réseau et satisfaire ainsi les besoins de ses clients ; M. S. aurait pu vendre l'ensemble des produits facturés par la société M@tex, sous couvert du réseau Gemu ;

- l'appelante reconnaît qu'il lui est arrivé de livrer des produits substituables à ceux de Gemu à certains clients pourun montant de 3 214 euros, ce qui correspond à une petite partie du chiffre effectivement détourné ;

- il y a également concurrence déloyale puisque la société M@tex s'est servie de son fichier clientèle pour démarcher ses propres clients ; l'intention de nuire n'est pas exigée en cette matière ;

- en s'inscrivant dans son sillage, la société M@tex a de toute évidence détourné de la clientèle, étant précisé que suite au licenciement de M. S., les sociétés marocaines facturées par cette société, ont cessé toute relation commerciale avec elle ; la société M@tex a tiré profit des investissements qu'elle a réalisés pour développer une clientèle sur le territoire marocain et pour obtenir rapidement et à bon compte un chiffre d'affaires conséquent ; elle a pu ainsi faire l'économie de frais importants ;

- le principe de la libre concurrence interdit les pratiques anticoncurrentielles et les agissements déloyaux entraînant une perte ou tout au moins une stagnation de chiffres d'affaires et un détournement de clientèle ;

- trois déplacements de Mme M.-S. au Maroc concordent avec ceux de son époux ; elle s'est donc servie de l'appartement loué à Casablanca pour démarcher la clientèle en même temps que son mari ;

- son préjudice est non seulement financier mais également moral d'autant que du fait du licenciement de M. S., elle n'a plus aucune relation commerciale avec une grande partie de ses clients sur le territoire marocain ;

- les faits de concurrence parasitaire et déloyale ont engendré une stagnation voire une perte de chiffre d'affaires alors qu'en parallèle le chiffre d'affaires de la société M@tex s'est développé ;

- la demande en paiement d'une indemnité provisionnelle est fondée au regard du préjudice, ne serait-ce qu'au titre des frais de déplacement et autres qu'elle a dû régler pour le compte de son ancien salarié, lesquels ont servi en réalité à monter l'opération M@tex, avec ou sans la complicité de Mme S..

La procédure a été clôturée par ordonnance du magistrat de la mise en état du 12 avril 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

Le parasitisme consiste pour un opérateur économique à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise, de ses efforts et de son savoir-faire, sans rien dépenser.

La société Gemu France recherche la responsabilité de la société M@tex en lui reprochant principalement des agissements parasitaires et à tout le moins déloyaux. Elle considère que cette société prétendument créée à l'initiative de son ancien salarié, M. S., s'est placée dans son sillage en tirant profit de sa réputation et des investissements qu'elle avait réalisés pour développer une clientèle dans les pays du Maghreb, afin d'obtenir rapidement et sans frais importants un chiffre d'affaires conséquent.

A l'appui de ses prétentions, la société Gemu France produit deux courriels adressés par M. K., directeur général, à Me Philippe W., avocat représentant cette société dans le cadre du contentieux prud'homal l'opposant à M. S., en date des 21 janvier et 7 mars 2013. Il s'agit de notes dans lesquelles M. K. relate la teneur d'un entretien informel avec M. S., le 15 janvier 2013, qui aurait confirmé que la société M@tex avait été créée en 2008, à son initiative, afin de répondre aux besoins d'un client algérien (Investinox) au titre de divers produits en provenance d'Italie (tôles, tubes et raccords) et qu'à partir de 2010, la société M@tex avait proposé ce type de produits à d'autres clients. M. K. a également procédé à une analyse subjective du comportement de M. S. auprès d'un client potentiel (société Maroc Sealing) pour conclure que son ancien salarié avait exercé une double activité au Maroc et avait privilégié les intérêts stratégiques de la société M@tex.

Ces notes destinées à l'avocat en charge du contentieux prud'homal n'ont à elles seules aucune valeur probante puisqu'elles émanent du représentant de la société Gemu, qui a mis en œuvre la procédure de licenciement de M. S.pour faute grave.

Le rapport du 13 juin 2013 adressé par M. M., salarié de la société Gemu, conforté par une attestation établie par celui-ci le 13 avril 2015, selon lequel M. Z., gérant de la société Investinox, aurait incité M. S. à créer une société au nom de l'épouse de celui-ci, permettant d'importer en Algérie des produits non concurrents à ceux de Gemu, ne saurait davantage établir le parasitisme reproché à la société M@tex voire la concurrence déloyale. M. Z. a d'ailleurs attesté le 1er septembre 2015 que sa société a continué à travailler avec la société Gemu en 2013 et 2014, que le manque de résultats enregistré avec les produits Gemu était lié à l'absence d'efforts de cette société après le départ de M. S. malgré les promesses de développement faites par M. M. et qu'un nouveau distributeur Gemu avait été implanté en Algérie sans l'en informer, alors que sa société avait investi dans les produits Gemu toujours inscrits dans son stock pour une valeur de 20 000 euros. Dans une autre attestation en date du 22 juin 2014, M. Z. a précisé qu'il avait été en relation d'affaires avec la société M@tex par l'intermédiaire de Mme Marlène S. exclusivement au titre de la fourniture de produits complémentaires non concurrents à ceux de Gemu et que M. S. avait toujours représenté loyalement la société Gemu.

M. L., directeur de la société Alpha Inox a attesté que M. S. avait privilégié une filiale de Gemu (la société Intercarat) et non la société M@tex lors de la commande de pièces en silicone, dans le courant de l'année 2009. Il ressort, par ailleurs, de plusieurs attestations émanant de distributeurs et fournisseurs de produits Gemu au Maroc, et notamment celles de M. El O., gérant de la société ABDL Industrie, de M. L., gérant de la société Salema, de M. J., gérant de la société Technipro et de M. B., directeur général de la société Sofimed, qu'ils échangeaient exclusivement avec Mme M.-S. dans le cadre des relations commerciales entretenues avec la société M@tex au titre de la commande de produits ne faisant pas partie de la gamme Gemu et que M. S. intervenait en sa seule qualité de représentant commercial de la société Gemu.

Ces témoignages sont confortés par la facturation des produits vendus par la société M@tex auprès des sociétés marocaines ABDL, Technipro et de la société tunisienne MEF qui ne sont pas des produits de la marque Gemu ou proposés dans le catalogue Gemu mais des produits complémentaires.

Certains des attestants ont précisé que les époux S. ne leur rendaient pas visite au même moment.

Le fait que M. et Mme S. aient séjourné au Maroc durant trois périodes similaires de quelques jours en octobre 2009, juin et octobre 2010 ne saurait établir que Mme M.-S. aurait bénéficié des frais de déplacement de son époux remboursés par la société Gemu, alors que la société M@tex justifie de débours au titre de ces déplacements et que le gérant de la société de location de véhicules, M. A., a précisé dans une attestation du 30 juillet 2015, que chacun des époux S. avait effectivement loué un véhicule de marque identique pour les périodes respectives du 11 au 17 octobre 2010 (Mme S.) et du 14 au 17 octobre 2010 (M. S.), que les locations avaient été réglées en espèces par chacun d'eux et que c'est à la suite d'une erreur de " copier-coller " de son secrétariat que deux factures portant le même numéro avaient été émises.

En tout état de cause et à supposer que la dirigeante de la société M@tex ait utilisé le véhicule loué par son épouxpour le compte de la société Gemu durant quatre jours en octobre 2010, une telle circonstance ne saurait sérieusement démontrer que la société M@tex aurait profité des investissements de la société Gemu à moindres fraispour développer son activité au Maroc.

L'attestation de M. A., prestataire informatique de la société Gemu, en date du 22 novembre 2013, selon laquelle " il avait confirmé, courant décembre 2012 à M. K. que M. S. lui avait parlé d'une société nommée M@tex par l'intermédiaire de laquelle il prospectait et démarchait des clients Gemu au Maghreb " n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité des témoignages précis émanant des clients concernés, en l'état des relations unissant le témoin à l'appelante et de son contenu non circonstancié,

La facturation par la société M@tex en 2009 (FC0007) et en 2012 (FC0114-FC0116) aux sociétés Technipro, ABDL et MEF, distributeurs de produits Gemu au Maroc et en Tunisie, portant sur des produits concurrents, et représentant un montant total de 3 214,20 euros, ne démontre pas que ceux-ci ont été vendus par l'intermédiaire de M. S. ; le lien matrimonial qui l'unit à la dirigeante de la société M@tex étant sans aucune portée sur la caractérisation de la faute alléguée.

Il n'est pas justifié ni invoqué d'ailleurs que les distributeurs des produits commercialisés par la société Gemu étaient liés par une clause d'exclusivité et la fourniture ponctuelle de produits substituables par la société M@tex n'était pas interdite. Les distributeurs et les fournisseurs des produits Gemu étaient totalement libres de s'adresser à n'importe quel fournisseur. Les sociétés M@tex et Gemu intervenant dans le même secteur d'activité avaient nécessairement des clients communs dont les besoins ne pouvaient pas être assurés intégralement par l'une ou par l'autre.

Il y a lieu de relever également que sur les 44 clients (distributeurs et fournisseurs) de produits Gemu en Algérie, au Maroc, en Lybie et en Tunisie, seules quatre sociétés ont effectué des commandes de produits non proposés par la société Gemu dans une proportion de 95 % auprès de la société M@tex entre mars 2009 et janvier 2013. La société Gemu se prévaut de l'insuffisance du constat d'huissier qu'elle produit néanmoins aux débats et prétend que d'autres clients auraient été démarchés par la société M@tex, via M. S., sans étayer par le moindre élément une telle allégation, totalement contredite par les attestations susvisées.

Il ne ressort pas, par ailleurs, des rapports d'activité et feuilles de route de M. S. et des échanges intervenus entre ce dernier et M. K. au cours des années 2008 à 2012 que la société Gemu ait rattaché à un quelconque moment la non-réalisation des objectifs et la mise en œuvre de frais de déplacement trop importants à une double activité exercée par M. S.. Bien au contraire, alors que M. S. mettait en exergue la perte du chiffre d'affaires et l'impossibilité d'atteindre les objectifs fixés du fait notamment du contexte social et politique et de la perte de partenaires, d'une part, et d'autre part la multiplicité des déplacements générant des frais importants, M. K. a reconnu dans un courriel du 19 octobre 2012 que s'il était impossible d'atteindre les objectifs, l'optimisme et le pragmatisme étaient de rigueur même si la cessation des déplacements en Algérie notamment constituait un frein.

A l'instar de l'intimée, la cour relève que les chiffres d'affaires de la société Gemu dans le cadre de son activité dans les pays du Maghreb ont connu une progression constante de 2006 à 2008 (36 018 € en 2006, 74 768 € en 2007 et 140 334 € en 2008) et que la baisse enregistrée en 2010 (112 412 €) a été compensée par une hausse en 2010 (158 457 €) avant une baisse en 2011 (109 145 €), puis de nouveau une forte hausse en 2012 (170 418 €). Parallèlement, la société M@tex a enregistré au 31 décembre 2009 (14 mois après son début d'activité) un chiffre d'affaires de 139 000 euros et un résultat net de 7 000 euros, au 31 décembre 2010 un chiffre d'affaires de 133 600 euros et un résultat net de 19 900 euros, au 31 décembre 2011 un chiffre d'affaires de 122 500 euros et un résultat net de 5 200 euros et au 31 décembre 2012 un chiffre d'affaires de 212 200 euros et un résultat net de 15 700 euros.

La comparaison des chiffres et résultats respectifs des deux sociétés ne permet pas d'imputer à l'activité de la société M@tex les variations enregistrées par la société Gemu et en toute hypothèse, de considérer que la société M@tex a pu développer son activité, à moindre frais, en profitant de la notoriété et des investissements réalisés par la société Gemu depuis l'année 2006. C'est à juste titre que l'intimée fait état des importants mouvements contestataires voire révolutionnaires qui ont eu lieu dans de nombreux pays du monde arabe à partir de l'été 2010 et tout au long de l'année 2011, qui ont nécessairement impacté l'activité des sociétés commerciales distribuant des produits dans ces pays.

En l'état de tous ces éléments, la société Gemu qui n'apporte pas la preuve lui incombant des agissements parasitaires ou déloyaux reprochés à la société M@tex, de l'existence d'un préjudice et d'un lien causal, sera déboutée de l'ensemble de ses demandes et le jugement sera infirmé.

Bien que mal fondée, il n'est pas démontré que la société Gemu a engagé l'action en responsabilité pour parasitisme et concurrence déloyale avec intention de nuire ou légèreté blâmable ou encore à la suite d'une erreur grossière équivalent au dol à seule fin de retarder l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à son ancien salarié M. S..

La demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive de la société M@tex sera rejetée.

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, la société Gemu sera condamnée à payer à la société M@tex la somme de 3 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, verra sa propre demande, de ce chef, rejetée et supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau ; Déboute la SAS Gemu de l'ensemble de ses demandes ; Déboute la SARL M@tex de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne la SAS Gemu à payer à la SARL M@tex la somme de 3 500 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Gemu aux dépens de première instance et d'appel.