Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 juin 2018, n° 15-09464

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Baerlocher France (Sasu)

Défendeur :

Chauvin (Sasu)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Luc

Conseillers :

Mmes Mouthon Vidilles, Comte

Avocats :

Mes Lesénéchal, Braunstein, Etevenard, Dechelette Roy

T. com. Marseille, du 13 avr. 2015

13 avril 2015

FAITS ET PROCÉDURE

La société Baerlocher France (la société Baerlocher) a notamment pour activité la fabrication de cires à greffer généralement destinées à la viticulture.

La société Chauvin, active dans le secteur de l'agro distribution, commercialise des produits utilisés par les pépiniéristes viticoles.

Le 1er septembre 1985, la société Baerlocher, alors dénommée Cérésine, a conclu avec la société Chauvin un contrat de distribution exclusive, pour une durée d'une année, renouvelable annuellement par tacite reconduction, portant sur les produits " Ciragref 80 " fabriqués par la société Baerlocher.

Le 29 avril 2002, un second contrat a été conclu entre la société Baerlocher et la société Chauvin pour une durée d'un an, également renouvelable annuellement par tacite reconduction, aux termes duquel était octroyé à la société Chauvin la distribution exclusive des " produits existants au catalogue [de la société Baerlocher] à la date du contrat, destinés à la culture de la vigne et de la pépinière ".

En 2006, Monsieur Chauvin ayant quitté ses fonctions de direction au sein de la société Chauvin, le contrat du 29 avril 2002 a pris fin, en application de l'article 7 dudit contrat qui conditionnait sa validité à l'exercice, par Monsieur Chauvin, de son activité de dirigeant au sein de la société éponyme.

Au terme de la relation contractuelle formelle, un courant d'affaires a toutefois été maintenu entre les deux sociétés pour chaque saison de commercialisation des cires à greffer et à plants de vigne.

Au cours de la saison 2012-2013, la société Baerlocher aurait constaté une diminution significative des commandes passées par la société Chauvin de l'ordre de 70 %, en comparaison avec la saison précédente.

A compter du 1er janvier 2013, la société Chauvin a cessé toute commande auprès de la société Baerlocher.

Parallèlement à l'arrêt des commandes, la société Baerlocher aurait constaté d'une part que la société Chauvin distribuait désormais des produits concurrents, à savoir les cires à greffer " Staehler CG 80 " et " Staeahler CPT R. " et d'autre part que l'un de ses commerciaux démissionnaires, Monsieur X, avait été recruté en qualité de représentant commercial de la société Chauvin.

Dans ce contexte, par courrier d'avocat du 26 avril 2013, la société Baerlocher a rappelé à la société Chauvin qu'elle ne pouvait mettre un terme à la relation commerciale établie entre les deux sociétés sans avoir au préalable respecté un préavis raisonnable et a sollicité dès lors l'indemnisation de son préjudice subi à ce titre. Elle a mis en demeure la société Chauvin de cesser tous agissements de nature à entraîner une confusion entre les produits Staehler et ceux fabriqués par la société Baerlocher.

En réponse, la société Chauvin, par courrier d'avocat du 31 mai 2013, a fait valoir qu'elle n'avait pas rompu la relation commerciale nouée avec la société Baerlocher, a justifié la baisse de ses achats pour la saison 2013 notamment par la politique tarifaire mise en œuvre par la société Baerlocher, et a rejeté, par ailleurs, tout risque de confusion entre les produits Staehler nouvellement commercialisés et ceux fabriqués par la société Baerlocher.

Dans ces conditions, par exploit du 18 décembre 2013, la société Baerlocher a assigné la société Chauvin devant le Tribunal de commerce de Marseille en indemnisation aux motifs qu'elle serait l'auteur d'une rupture brutale des relations commerciales établies entre les deux sociétés et se serait rendue également coupable d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Par jugement du 13 avril 2015, le Tribunal de commerce de Marseille, sous le régime de l'exécution provisoire, a :

- débouté la société Baerlocher de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Baerlocher à payer à la société Chauvin la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Baerlocher aux entiers dépens,

- rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.

La société Baerlocher a relevé appel de ce jugement par déclaration remise au greffe le 12 mai 2015.

La procédure devant la cour a été clôturée le 2 mai 2018.

LA COUR

Vu l'appel et les dernières conclusions de la société Baerlocher, appelante, notifiées le 27 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1240 du Code civil, de :

- infirmer le jugement du tribunal de commerce du 13 avril 2015 en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a reconnu le caractère établi des relations commerciales des sociétés Baerlocher et Chauvin,

en conséquence,

sur les relations commerciales établies :

- confirmer les dispositions du jugement déféré en ce qu'il a reconnu le caractère établi des relations commerciales des sociétés Baerlocher et Chauvin,

- débouter la société Chauvin de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

sur la rupture brutale des relations commerciales établies :

- infirmer les dispositions du jugement du tribunal de commerce du 13 avril 2015,

- constater que les relations commerciales entre la société Chauvin et la société Baerlocher ont bien été rompues,

- constater l'absence de responsabilité de la société Baerlocher dans la rupture des relations commerciales établies avec la société Chauvin,

- confirmer que la société Chauvin a rompu de manière brutale les relations commerciales établies avec la société Baerlocher,

- dire que sa responsabilité doit être engagée à ce titre,

- de même suite, condamner la société Chauvin à payer à la société Baerlocher la somme de 94 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales,

sur la concurrence déloyale :

- constater que la société Chauvin s'est rendue coupable de concurrence déloyale et de parasitisme,

- dire que sa responsabilité doit également être engagée à ce titre,

- condamner la société Chauvin à payer à la société Baerlocher la somme de 100 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,

- ordonner à la société Chauvin de modifier le nom, le conditionnement et le descriptif de ses produits Staehler CG 80 et Staehler CPT R. dans un délai maximum de huit jours à compter de la signification de la décision à intervenir, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard,

- ordonner la publication du jugement à intervenir, en ce qu'il constate l'existence d'actes de concurrence déloyale, dans trois journaux ou périodiques du choix de la requérante, à la charge de la société Chauvin, sans que le coût global de ces insertions puisse excéder 10 000 euros HT et sur la première page de son site internet exploité à l'adresse : http://www.chauvinagro.fr/ pour une durée d'un mois,

- condamner la société Chauvin à payer à la société Baerlocher la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Chauvin aux entiers dépens de l'instance ;

Vu les dernières conclusions de la société Chauvin, intimée, notifiées le 3 avril 2018 par lesquelles il est demandé à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et 1382 ancien du Code civil, de :

à titre principal,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'existence de relations commerciales établies,

statuant à nouveau,

- constater l'absence de relation commerciale établie,

- dire la société Baerlocher France responsable de l'absence de commande en 2013,

- constater l'absence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme de la part de la société Chauvin,

en conséquence, en tout état de cause,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté toutes les demandes d'indemnisation de la société Baerlocher au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté toutes les demandes d'indemnisation au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de la société Baerlocher,

pour le surplus,

- condamner la société Baerlocher à verser à la société Chauvin la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Baerlocher aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

Sur ce

LA COUR se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

En application de l'article 954 alinéa 2 du Code de procédure civile, la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Les parties s'accordent sur le point de départ de leur relation commerciale, qu'elles fixent au 1er septembre 1985 à la date de la signature d'un premier contrat-cadre, et sur la date de la rupture, plus aucune commande n'étant intervenue au 1er janvier 2013, mais s'opposent sur le caractère établi de cette relation, sur l'imputabilité de la rupture, sur le préavis suffisant, ainsi que sur l'évaluation du préjudice prétendument subi par la société Baerlocher.

Sur l'existence de relations commerciales établies

Sollicitant la confirmation du jugement entrepris, la société Baerlocher soutient que la relation commerciale entre les parties était établie de façon continue depuis 1985, date de la signature du premier contrat de distribution exclusive portant sur le produit " Ciragref 80 ". L'appelante conteste ainsi toute précarité de la relation supposément caractérisée par la renégociation annuelle des prix et argue au contraire de la régularité et de la stabilité des commandes durant les 30 ans de relations commerciales alléguées.

En réplique, la société Chauvin fait valoir que les relations commerciales entre les deux sociétés étaient précaires, compte tenu d'une part de l'absence de contrat écrit depuis 2006 et d'autre part de l'existence entre les parties d'un usage de renégociation tarifaire annuelle dont la société Baerlocher ne pouvait anticiper ni le résultat ni le volume des éventuelles commandes. L'intimée conclut dès lors à l'absence de relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6, I, 5° du Code commerce et sollicite l'infirmation du jugement sur ce point.

Si, aux termes de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, " Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers' 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ", la société qui se prétend victime de cette rupture doit établir au préalable le caractère suffisamment prolongé, régulier, significatif et stable d'un courant d'affaires ayant existé entre elle et l'auteur de la rupture, qui pouvait lui laisser raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, il n'est pas contesté qu'un premier contrat de distribution exclusive a été conclu entre les parties le 1er septembre 1985 qui a été renouvelé annuellement jusqu'à la conclusion d'un second contrat le 29 avril 2002. Si les parties s'accordent sur la fin de leurs relations contractuelles formelles en 2006, la seule circonstance qu'à compter de cette date, aucun contrat-cadre n'ait été conclu entre les parties ne peut suffire en soi à exclure l'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. En effet, il résulte des faits de la cause que la relation commerciale entre les parties est marquée par une grande stabilité, les chiffres d'affaires annuels ayant très peu varié depuis 2007, ainsi qu'en attestent les pièce n° 3 et 5 produites par la société Chauvin. Par ailleurs, le seul fait qu'il ait existé une renégociation systématique des tarifs annuellement, au surplus non prouvée, est insuffisant à caractériser des relations précaires.

Il en ressort, comme l'ont justement relevé les premiers juges, que la société Baerlocher pouvait légitimement espérer une continuité du flux d'affaires avec la société Chauvin. Par suite, elle justifie d'une relation commerciale établie au sens du texte précité d'une durée de 27 ans et 4 mois au jour de la rupture.

Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.

Sur l'imputabilité de la rupture

La société Baerlocher soutient d'une part que le chiffre d'affaires réalisé avec la société Chauvin a diminué de 70 % pour la saison 2012-2013, si on le compare au chiffre d'affaires moyen réalisé durant les deux précédentes saisons, et fait valoir d'autre part que les commandes de la société Chauvin ont définitivement cessé au 1er janvier 2013, sans que cette dernière ne lui octroie un quelconque préavis. Sollicitant l'infirmation du jugement entrepris de ce chef, la société Baerlocher conclut que la société Chauvin a rompu brutalement la relation commerciale établie entre les parties.

En réplique, la société Chauvin conteste être l'auteur de la rupture et estime que l'absence de commandes en 2013 s'explique tant par le fait que la société Baerlocher ne lui a pas communiqué ses tarifs en temps utile, en dépit de la demande qui lui avait été faite en ce sens en juillet 2012, que par le caractère non compétitif de la tarification appliquée par l'appelante. La société Chauvin conclut dès lors que la rupture des relations commerciales entre les parties doit être imputée à la société Baerlocher.

Il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.

Il ressort de l'instruction du dossier que :

- les parties ne contestent pas l'existence d'un cycle de commercialisation particulier tenant à la saisonnalité de l'activité sur le marché des cires, soit des ventes habituellement concentrées entre les mois de septembre et mai,

- en prenant comme période de référence une année civile, le montant réel des commandes pour l'année 2012 s'élevait à 603 808,39 euros TTC, soit relativement proche de celui réalisé entre les parties en 2011, à savoir 537 556,38 euros TTC,

- par courriel du 22 juin 2012, la société Chauvin indiquait à la société Baerlocher qu'elle lui communiquerait ses prévisions de commandes pour la seconde partie de l'année à compter de la mi-juillet, courriel auquel répondait la société Baerlocher en formant une proposition tarifaire pour le Ciraplant New Vert (pièce appelante n° 20),

- par courriel du 9 juillet 2012, la société Chauvin adressait comme convenu à la société Baerlocher les quantités prévisionnelles de Ciragref 80 et de Ciraplant New rouge commandées pour le second semestre 2012 (pièce appelante n° 21),

- par courriel en réponse du 9 juillet 2012, la société Baerlocher indiquait à la société Chauvin ne pas être mesure de formuler de proposition tarifaire pour les produits commandés avant la fin juillet et précisait qu'elle la contacterait dès qu'elle aurait une indication des prix pour septembre (pièce appelante n° 22),

- par courriels du 6 septembre, du 24 septembre, du 8 octobre et du 9 octobre septembre 2012, la société Chauvin formalisait de nouvelles commandes auprès de la société Baerlocher (pièces appelantes n° 23 à 26),

- par courriel du 11 février 2013, la société Baerlocher communiquait les prix du Ciragref 80 applicables durant la campagne 2013 (pièce intimée n° 15).

Ces éléments factuels démontrent que les griefs invoqués par la société Chauvin pour imputer la responsabilité de la rupture des relations commerciales à la société Baerlocher ne sont pas fondés. Il convient en effet au préalable de rappeler, qu'à compter de 2006, aucun contrat définissant les obligations respectives des parties dans le cadre de leurs relations commerciales n'a été signé entre la société Baerlocher et la société Chauvin. Or s'il ressort des différents échanges de courriels soumis à la cour que la société Baerlocher a d'abord indiqué au mois de juillet 2012 à la société Chauvin qu'elle ne serait pas en mesure de lui formuler de nouvelles propositions tarifaires pour les produits Ciragref 80 et Ciraplant New rouge, il apparaît à l'analyse des pièces produites par les parties qu'en l'absence de communication de la tarification applicable dans le délai escompté, la société Chauvin a toutefois été mesure de passer plusieurs commandes durant le second semestre 2012.

Il convient dès lors de dire que l'intimée est donc bien l'auteur d'une rupture unilatérale des relations commerciales à effet immédiat, en ayant cessé de passer commandes auprès de la société Baerlocher, à compter du 1er janvier 2013.

A cet égard, si l'article L. 442-6, I, 5° prévoit in fine que ses dispositions ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations contractuelles, ce dernier alinéa ne précise ni la nature ni le degré de l'inexécution contractuelle autorisant la dispense de préavis. Toutefois, dès lors qu'il instaure une dérogation à l'exigence d'un préavis prévu au premier alinéa, son application nécessite que l'inexécution des obligations contractuelles qu'il vise, présente un caractère de gravité suffisant pour justifier une rupture immédiate eu égard à l'ancienneté des relations des relations commerciales.

Or il n'est pas relevé dans le cadre de ces échanges entre les deux sociétés que la communication des prix était impérative pour la société Chauvin. En effet, il ressort des faits de la cause que l'intimée n'a pas prévenu préalablement la société Baerlocher que le défaut de communication de la tarification applicable induirait la cessation des relations commerciales entre les deux sociétés, ni n'a réagi auprès d'elle quant à la formalisation tardive d'une offre définitive de prix pour le Ciragref 80, actée dans le courriel du 11 février 2013. Ce grief ne peut donc être considéré comme étant d'une gravité suffisante pouvant justifier une rupture sans préavis des relations commerciales de la part de la société Chauvin à l'égard de la société Baerlocher. Il n'est au surplus pas établi que la société Baerlocher ait augmenté ses prix ni dans quelles proportions ni, à supposer cette augmentation avérée, que les prix pratiqués par la société Baerlocher n'étaient plus compétitifs.

La société Chauvin ne justifie donc pas de fautes d'une gravité suffisante imputables à la société Baerlocher pouvant justifier la rupture immédiate des relations commerciales au 1er janvier 2013, de sorte qu'en rompant sans préavis les relations commerciales établies, la société Chauvin a engagé sa responsabilité au sens de l'article L. 442-6, I, 5° précité et doit réparation.

Sur le préavis suffisant

La société Baerlocher fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 2 ans compte tenu d'une part de l'ancienneté des relations commerciales entre les parties, établies depuis le 1er septembre 1985, soit d'une durée de quasiment 30 ans, et d'autre part en considération du fait que la société Chauvin était le seul et unique distributeur sur le territoire français des produits Ciragref 80 et Ciraplant New Rouge fabriqués par la société Baerlocher.

En réplique, la société Chauvin soutient que l'octroi d'un préavis de 2 ans, allégué par la société Baerlocher, n'est justifié ni par les spécificités du marché en cause, ni par les circonstances d'espèce et fait notamment valoir :

- que le chiffre d'affaires réalisé par la société Baerlocher avec la société Chauvin représentait moins de 5 % du chiffre d'affaires global de l'appelante,

- qu'aucune exclusivité n'était consentie par la société Chauvin à la société Baerlocher depuis l'expiration du contrat du 29 avril 2002, et

- que l'application d'un préavis de 3 mois, tel que stipulé audit contrat en cas de résiliation, aurait été suffisant pour permettre à la société Baerlocher de réorienter son activité.

L'évaluation de la durée du préavis à accorder est de toutes les circonstances de nature à influer son appréciation au moment de la notification de la rupture, notamment de l'ancienneté des relations, du volume d'affaires réalisé, du secteur concerné, de l'état de dépendance économique de la victime, des dépenses non récupérables engagées par elle et du temps nécessaire pour retrouver un partenaire.

Il ressort des développements précédents que les relations commerciales sont établies depuis le mois de septembre 1985, et duraient donc depuis 27 années et 4 mois lorsque la société Chauvin a cessé de passer commande à la société Baerlocher en janvier 2013.

Par ailleurs, les relations entre la société Baerlocher et la société Chauvin ne reposaient plus sur aucune exclusivité depuis le terme de leurs relations contractuelles formelles en 2006, et si l'appelante soutient que la société Chauvin était le seul et unique distributeur sur le territoire français de ses produits Ciragref 80 et Ciraplant New Rouge, elle n'en justifie pas.

En outre, l'attestation de l'expert-comptable de la société Chauvin, non contredite par la société Baerlocher qui la reprend pour la commenter, révèle que le chiffre d'affaires de la société Baerlocher réalisé avec l'intimée était de 433 318 euros TTC en 2010, de 547 556,58 euros TTC en 2011 et de 603 808,39 euros TTC, soit en constante augmentation en volume au cours des trois dernières années civiles, sans que la cour puisse toutefois être en mesure d'apprécier l'existence d'un état de dépendance économique de l'appelante vis-à-vis de l'intimée, aucun élément n'étant produit par les parties en ce sens.

Dans ces conditions, eu égard à l'ancienneté des relations, au volume d'affaires, à la progression du chiffre d'affaires, à la nature particulière de l'activité mais en l'absence d'accord d'exclusivité entre les parties et à défaut de la justification d'un état de dépendance économique de la société Baerlocher vis a vis de la société Chauvin, le délai de préavis qui aurait dû être consenti à la société Baerlocher doit être estimé à 12 mois.

Sur l'indemnisation du préjudice de la société Baerlocher au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies

La société Baerlocher sollicite la condamnation de la société Chauvin à lui verser la somme de 94 000 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies, arguant à cet égard d'un chiffre d'affaires moyen réalisé avec la société Chauvin, pour les saisons 2010-2011 et 2011-2012, d'un montant de 582 093,37 euros et d'une marge brute annuelle moyenne réalisée par saison sur la même période de 45 143,92 euros.

La société Chauvin réplique en substance qu'il convient d'une part de calculer le chiffre d'affaires réalisé entre les parties en prenant comme période référence une année civile et non une saison des ventes et d'autre part que la société Baerlocher ne communique aucun document ni aucune information permettant d'apprécier la perte de marge dont cette dernière réclame l'indemnisation.

Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé. La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

En l'espèce, si on se réfère à l'attestation de l'expert-comptable de la société Chauvin, non contestée par la société Baerlocher, la moyenne mensuelle de chiffre d'affaires entre les deux sociétés sur les trois dernières années est de 44 018,98 euros (528 227,76/12).

La société Baerlocher soutient par ailleurs avoir un taux de marge brute de 8 %. L'attestation de l'expert-comptable de l'appelante n'est cependant pas probante sur ce point, en ce que les coûts variables, qui n'ont pas à être pris en compte dans le calcul du préjudice, n'ont pas été déduits. Par ailleurs, aucun autre élément probant n'est apporté par elle pour établir sa marge.

Aussi, le taux retenu doit nécessairement être inférieur et il convient dès lors d'évaluer le taux de marge sur coûts variables à 4 %, eu égard aux seuls éléments dont dispose la cour et compte tenu des charges d'exploitation d'une société industrielle.

En conséquence, le préjudice de la société Baerlocher lié à la rupture des relations commerciales établies avec la société Chauvin doit être fixé à la somme de 21 129,11 ([44 018,98 x12] x 4 %).

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Baerlocher de sa demande indemnitaire tenant à la réparation du préjudice subi au titre de la brutalité de la rupture.

Statuant à nouveau, il y a lieu de condamner la société Chauvin à payer à la société Baerlocher la somme de 21 129,11 à titre de dommages et intérêts en réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies.

Sur les actes de concurrence déloyale et de parasitisme

La société Baerlocher soutient que la société Chauvin a commercialisé des produits concurrents des siens en utilisant des dénominations qui imitent le nom des produits Baerlocher Ciragref 80 et Ciraplant rouge, commercialisés auparavant par l'intimée, et fait valoir que la société Chauvin a également reproduit un descriptif très similaire ainsi que des photographies desdits produits Baerlocher pour illustrer les produits Staehler CG 80 et Staehler CPT, désormais commercialisés sur le site internet de l'intimée. L'appelante ajoute que ces produits litigieux sont commercialisés en ayant recours au même type de conditionnement, aux mêmes couleurs et en utilisant les mêmes slogans promotionnels que ceux de la société Baerlocher. Dès lors, l'appelante en conclut que la société Chauvin a commis un acte de concurrence déloyale et de parasitisme sanctionnable.

Par ailleurs, l'appelante soutient que la société Chauvin s'est également rendue coupable de concurrence déloyale en recrutant en qualité de représentant commercial de la société Chauvin, l'un de ses commerciaux démissionnaire, M. X.

En réplique, la société Chauvin soutient que la dénomination des produits Chauvin ne constitue pas une imitation et ne crée aucune confusion dans l'esprit de la clientèle professionnelle qui les achète. Elle fait notamment valoir que la couleur rouge n'est pas un élément distinctif de la cire Ciraplant Rouge commercialisée par la société Baerlocher, mais un emballage banal résultant des usages professionnels sur le marché.

Concernant le débauchage fautif de M. X, la société Chauvin affirme cette allégation de la société Baerlocher est infondée et mensongère et fait valoir que M. X n'était pas lié par une clause de non concurrence dans le cadre de son contrat de travail avec la société Baerlocher qui, au demeurant, l'avait dispensé d'un délai de préavis suite à sa démission.

Le demandeur à l'action en concurrence déloyale par imitation doit rapporter la preuve, d'une part, de la similitude existante entre ses produits et ceux de l'imitateur prétendu et, d'autre part, que cette similitude a eu pour objet ou pour effet de créer dans le public une confusion dommageable entre les produits.

Par ailleurs, le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

Or, il n'est pas contesté, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que la distribution des cires de marque Staehler était expressément prévue à l'article 3 du contrat de distribution du 29 avril 2002. Par ailleurs, la société Baerlocher échoue à rapporter la preuve que les cires Ciragref 80 et Ciraplant rouge d'une notoriété et d'une originalité certaines sur le marché des cires destinées à la culture de la vigne et que les cires Staehler constitueraient une imitation des cires Ciragref et Ciraplant, les caractéristiques de celles-ci résultant des usages professionnels communs à toutes les cires et ne constituant pas des signes distinctifs de ces cires.

Il n'est pas davantage démontré que la société Chauvin s'est placée, sans bourse délier, dans le sillage de la société Baerlocher.

A titre surabondant, si la caractérisation d'une pratique de concurrence déloyale présuppose la caractérisation d'une faute en lien direct avec le préjudice, la société Baerlocher ne fait pas en l'espèce la démonstration du lien de causalité entre les actes de concurrence déloyales allégués et le préjudice prétendument subi de ce chef.

Concernant le débauchage fautif de M. X, c'est par de justes motifs que la cour adopte, aucun élément de nature à remettre en cause l'appréciation faite par le tribunal n'étant produit en appel, que les premiers juges ont débouté la société Baerlocher de sa demande en dommages et intérêts formée de ce chef, compte tenu de l'absence de clause de non-concurrence et d'éléments qui auraient permis de conclure à la désorganisation de la fonction commerciale de la société Baerlocher, induite par les nouvelles fonctions de Monsieur X au sein de la société Chauvin. Au surplus, il sera ajouté qu'une seule attestation d'un client de la société Baerlocher (appelante pièce n° 13) ne peut suffire à établir des actes positifs de démarchage de la société Chauvin. Ce grief n'est donc plus démontré.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Baerlocher de sa demande en dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme dont se serait rendue coupable la société Chauvin.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile

Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Chauvin qui succombe essentiellement, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et doit être condamnée au paiement à la société Baerlocher de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf sur l'existence de relations commerciales établies et en ce qu'il a débouté la société Baerlocher de sa demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme ; Le Confirme sur ce point ; statuant à nouveau, Condamne la société Chauvin à verser à la société Baerlocher la somme de 21 129,11 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale ; Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ; Condamne la société Chauvin aux dépens de première instance ; et y ajoutant, Condamne la société Chauvin aux dépens d'appel ; Condamne la société Chauvin à payer à la société Baerlocher la somme de 10 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.