CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 15 juin 2018, n° 16-19890
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Maxpir (SARL)
Défendeur :
Logitrab (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Lis Schaal
Conseillers :
Mme Bel, M. Picque
Avocats :
Mes Boccon-Gibod, Bouze
FAITS ET PROCEDURE
Les sociétés Logitrab et Maxpir entretiennent des relations d'affaires régulières depuis 2006.
Le 21 novembre 2007, les deux sociétés concluent un contrat de prestations logistiques par lequel la société Logitrab s'est engagée à assurer la mise en stock et la préparation des commandes de pièces textiles de la société Maxpir. La société Maxpir s'est quant à elle engagée à accorder à la société Logitrab l'exclusivité des prestations logistiques pour deux de ses marques.
Par courrier non daté, la société Maxpir a annoncé à la société Logitrab qu'elle mettait fin à leur relation commerciale à compter du 31 décembre 2014.
Par assignation délivrée le 12 mars 2015 à la société Maxpir, la société Logitrab a saisi le Tribunal de commerce de Marseille d'une demande visant à constater la rupture brutale et abusive des relations commerciales établies par la société Maxpir et à faire condamner la société Maxpir au paiement d'une indemnité d'un montant de 289 183,66 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture brutale et abusive.
Par jugement rendu le 12 mai 2016, le Tribunal de commerce de Marseille a :
- jugé que la société Maxpir a rompu brutalement sans préavis écrit la relation commerciale établie qui la liait à la société Logitrab ;
- jugé qu'aucune exonération de cette responsabilité ne peut être retenue de l'exécution de ses obligations contractuelles par la société Logitrab ;
- débouté la société Maxpir de ses demandes reconventionnelles ;
- fixé à 6 mois la durée du délai de préavis qui aurait dû être respecté par la société Maxpir ;
- condamné la société Maxpir à payer à la société Logitrab la somme de 100 374 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale et sans préavis de la relation commerciale qui unissait les parties ;
- condamné la société Maxpir à payer à la somme de 3 500 euros à la société Logitrab au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société Maxpir aux dépens.
Sur l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales,
Le Tribunal de commerce de Marseille a constaté que la société Maxpir ne contestait pas être en relation d'affaires avec la société Logitrab depuis 2006. Les premiers juges ont donc décidé qu'il existait entre les parties une relation établie depuis l'année 2006.
Les premiers juges ont ensuite estimé qu'il n'était pas possible, au vu des pièces du dossier, de déterminer avec précision la date de réception du courrier par lequel la société Maxpir a informé la société Logitrab de sa volonté de mettre fin à leur relation commerciale. Ils ont donc fixé la date de rupture effective des relations commerciales au 31 décembre 2014.
Les premiers juges ont constaté que le courrier de la société Maxpir n'indiquait aucun délai de préavis. Ils ont en effet décidé que la date indiquée du 30 juin 2015 ne pouvait être qualifiée de délai de préavis puisqu'il intervient après la date de rupture effective fixée au 31 décembre 2014. Ils ont donc estimé que la société Maxpir n'avait pas respecté le délai de préavis de 3 mois prévu à l'article 4 du contrat en date du 21 novembre 2007.
Sur l'existence d'inexécutions contractuelles par la société Logitrab,
Le Tribunal de commerce de Marseille a jugé que la société Logitrab n'avait pas manqué à l'obligation qui lui était faite par l'article 6 du contrat conclu le 21 novembre 2007 de s'assurer. Les premiers juges ont en effet estimé que ledit contrat ne mettait à sa charge que l'obligation de souscrire un contrat d'assurance sans qu'il soit nécessaire que les plafonds de garantie correspondent à la valeur réelle des marchandises que lui confiait la société Maxpir. Ils ont en outre rappelé que le montant global garanti par le contrat d'assurance conclu par la société Logitrab s'élevait à la somme de 1 100 000 euros, soit un montant non négligeable. Ils ont ainsi jugé que que le stock de la société Maxpir était valablement couvert par la police d'assurance souscrite par la société Logitrab. Ils ont en outre relevé que le dispositif de sécurité de l'entrepôt de la société Logitrab était suffisant.
Le Tribunal de commerce de Marseille a rejeté le moyen de la société Maxpir tiré de la surfacturation frauduleuse de colis. Les premiers juges ont en effet remarqué que le prix de la prestation de transport n'a pas évolué entre 2008 et 2013, que les factures ont toujours été régulièrement payées par la société Maxpir et que cette dernière n'a jamais contesté les prix pratiqués par la société Logitrab.
Sur le préjudice de la société Logitrab,
Le Tribunal de commerce de Marseille a estimé qu'aucune contrainte contractuelle n'interdisait à la société Logitrab de diversifier son activité avec d'autres clients si bien qu'elle n'était pas dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de de la société Maxpir. Les premiers juges ont donc fixer un délai de préavis de 6 mois.
Le Tribunal de commerce de Marseille a constaté que les parties s'entendaient pour faire dépendre l'assiette du préjudice du taux de marge sur coût variable plutôt que du taux de marge brute. Constatant que le taux de marge sur coût variable était le plus souvent inférieur, les premiers juges ont retenu cette valeur comme assiette du calcul.
La société Maxpir a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration du 5 octobre 2016.
Prétentions des parties
La société Maxpir a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence en date du 14/11/2017.
Par assignation en intervention forcée du 18 janvier 2018, la société Logitrab a assigné la SCP X ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Maxpir.
La SCP n'a pas constitué avocat.
Ses conclusions du 10 mars 2017 et du 9 mai 2018 seront donc déclarées irrecevables.
Par ses conclusions signifiées par RPVA le 14 juillet 2017, auxquelles il est fait référence pour plus amples exposé des motifs, de leurs moyens et de leur argumentation, la société Logitrab sollicite de la cour de :
Vu les articles 1103, 1104, 1193, 1231-1 du Code civil,
Vu les articles L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
constater que la société Maxpir a rompu sans préavis en janvier 2015 le contrat à durée déterminée qui la liait avec la société Logitrab jusqu'au 31 décembre 2015
constater que ce faisant la société Maxpir a encore mis fin sans préavis à la relation commerciale établie qui la liait avec la société Logitrab depuis 2006
confirmer dès lors le jugement dont appel en ce qu'il a décidé que la société Maxpir a rompu brutalement et abusivement la relation commerciale qui la liait avec la société Logitrab et a en conséquence engagé sa responsabilité contractuelle envers ladite société Logitrab
réformer en revanche le jugement dont appel en ce qu'il a limité à 6 mois la durée du préavis qui aurait dû être accordé à la société Logitrab
juger que la société Maxpir aurait dû accorder à la société Logitrab un préavis de 12 mois
juger à titre subsidiaire que la société Maxpir aurait dû en tout état de cause poursuivre le contrat jusqu'au 31 décembre 2015, soit pendant 11 mois au minimum
condamner en conséquence la société Maxpir à payer à la société Logitrab une indemnité de 200 747 euros en réparation du préjudice économique subi par la société Logitrab du fait de la rupture anticipée, abusive et brutale du contrat à durée déterminée et de la relation commerciale établie qui liait les parties
confirmer en revanche le jugement dont appel en ce qu'il a débouté la société Maxpir de sa demande reconventionnelle
condamner la société Maxpir à payer à la société Logitrab une indemnité de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile
condamner la société Maxpir au paiement des entiers dépens
Sur la rupture brutale des relations commerciales,
La société LOGITRAP soutient que la société Maxpir a envoyé son courrier de résiliation le 31 janvier 2015 avec effet rétroactif au 31 décembre 2014. Elle explique que le ledit courrier n'a pas pu être envoyé, comme le prétend la société Maxpir, le 18 décembre 2014 puisque le contrat était toujours en cours au mois de janvier 2015.
Elle affirme que la société Maxpir ne lui a pas laissé de préavis et qu'elle a immédiatement mis un terme à leurs relations contractuelles le 31 janvier 2015. Après cette date, elle explique que la société Maxpir ne lui a plus confié aucune prestation. Elle soutient que les opérations de gestion de stock qu'elle a effectué en janvier ne correspondent pas à l'exécution d'un préavis mais s'inscrivent simplement dans le contrat qui était toujours en cours avant qu'elle ne reçoive la lettre de résiliation de la société Maxpir.
Elle soutient que la clause contractuelle prévoyant un préavis de 3 mois n'est pas applicable en l'espèce car la société Maxpir ne lui a jamais notifié l'existence d'un quelconque manquement.
Sur les prétendues fautes de la société Logitrab,
La société Logitrab rappelle que la société Maxpir n'a jamais mis en œuvre la procédure de dénonciation des fautes contractuelles prévues à l'article 7 du contrat. Elle souligne également l'absence de toute référence à une quelconque faute de sa part dans le courrier de résiliation envoyé par la société Maxpir.
Elle soutient d'abord qu'elle n'a pas mis en danger le stock de la société Maxpir. Elle rappelle que l'article 6 du contrat ne lui faisait pas obligation de respecter un quelconque plafond d'assurance minimal. En outre elle précise que la société Maxpir était-elle même titulaire d'une assurance trajet qui lui aurait permis d'être remboursée en cas de sinistre. Elle ajoute que ses locaux sont parfaitement sécurisés puisqu'ils sont fermés et équipés d'un système d'alarme anti intrusion et incendie ainsi que d'un système de vidéosurveillance avec présence sur site 24/24 et 7/7.
Elle prétend qu'elle n'a en oute procédé à aucune surfacturation frauduleuse. Elle rappelle que depuis plusieurs années, le montant du transport refacturé à la société Maxpir n'a pas fluctué et qu'il n'a jamais été contesté par cette dernière. Elle dément avoir communiqué tout faux document concernant les tarifs EXAPAQ.
Sur le préjudice,
La société Logitrab soutient que la société Maxpir engage sa responsabilité contractuelle pour avoir mis fin au contrat à durée déterminé conclu le 21 novembre 2007 qui, conformément à l'article 4, devait se poursuivre jusqu'au 31 décembre 2015.
Elle explique que la société Maxpir a également rompu une relation commerciale établie sans lui accorder un préavis écrit. Elle affirme que la société Maxpir aurait dû respecter un préavis de 12 mois. Elle rappelle qu'elle se trouvait, de fait, dans une situation de dépendance économique au cours des trois derniers exercices. Elle sollicite une méthode de calcul basée sur la marge sur coûts variables.
A l'audience du 29 mars 2018, l'ordonnance de clôture a été révoquée et les parties ont été invitées à conclure sur le cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.
Dans ses conclusions du 7 avril 2018, la société Logitrab précise ne fonder ses demandes que sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
Elle reprend ses conclusions du 14 juillet 2017 mais demande une fixation de ses créances au passif de la société Maxpir ayant déclaré sa créance pour un montant de 200 747 euros outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile entre les mains de la société BR et Associés es qualité de liquidateur judiciaire ;
La clôture a été ordonnée à l'audience de plaidoirie du 17 mai 2018.
SUR CE ;
Sur la rupture brutale des relations commerciales ;
Considérant que l'article L. 442-6, I du Code de commerce stipule : "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant industriel...
De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels",
que les dispositions sus visées ont vocation à s'appliquer lorsqu'il existe une relation commerciale, qui s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties, revêtant un caractère suivi, stable et habituel, laissant raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux,
qu'il convient donc d'examiner si la rupture de la relation commerciale directe était établie et a été brutale ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que les parties étaient en relations d'affaires depuis 2006 et que par courrier non daté, la société Maxpir a notifié à la société Logitrab qu'elle résiliait le contrat à compter du 31 décembre 2014 dans les termes suivants : "(...) Tu n'as pas été capable de nous faire une contreproposition tarifaire tant sur le coût de la pièce que sur les tarifs de transport. Ainsi nous cesserons et j'en suis désolé notre collaboration en date du 31 décembre 2014. Toutefois, il te restera comme prévu dans nos accords la gestion du stock final et de l'inventaire de la saison AW14, la gestion des retours de nos clients pour la saison AW14, la gestion des expéditions de collections pour la saison SS15 et les stockages de notre marchandise jusqu'à la date du 30 juin 2015 au plus tard.
En effet à cette date nous cesserons toute collaboration et je m'engage à récupérer toute la marchandise qui restera en stock dans tes entrepôts",
que par courrier recommandé du 5 février 2015, la société Logitrab écrit avoir reçu le courrier en main propre le 30 janvier 2015,
que la date du 30 juin 2015, ne peut être qualifiée de délai de préavis car la mission résiduelle confiée à Logitrab ne correspond pas à toutes les prestations contractuelles qui lui avaient été confiées et qu'elle est postérieure à la date de résiliation sans qu'il ne soit indiqué la tarification de ces prestations,
que ce courrier ne fait état d'aucun grief pour expliquer la rupture des relations commerciales si ce n'est l'absence de contreproposition tarifaire par Logitrab,
qu'en conséquence, aucun préavis écrit n'a été donné à la société Logitrab,
que le courrier de résiliation de janvier 2010 constitue donc une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 I-5 du Code de commerce pouvant donner lieu à la réparation du préjudice subi la société Logitrab, sauf si la société Maxpir établit que la rupture était la conséquence de manquements d'une gravité suffisante imputables à la Logitrab ;
Considérant que les griefs qui avaient été soutenus devant les premiers juges par la société Maxpir consistant dans la mise en danger de son stock, expliquant que l'assurance souscrite par la société Logitrab ne couvrait pas la valeur des marchandises de son stock, de la non-protection des entrepôts de la société Logitrab et de la surfacturation des prestations de transport assurées par la société EXAPAQ ne sont pas établis tant sur la garantie insuffisante que sur la surfacturation (attestation de Technopolis selon laquelle l'entrepôt possède 7 ports à quai entièrement fermés et sécurisés avec système d'alarme incendie et intrusion et une caméra devant les quais et que le site est entièrement clôturé, muni d'un portail d'accès fermé avec contrôle d'accès ainsi que le courrier de GAN qui atteste que le montant global du contenu garanti s'élève à 1 100 000 euros avec 500 000 euros complémentaires pour les mois de janvier, février, mars, juillet août et septembre), et n'ont fait l'objet d'aucune mise en garde ni mise en demeure adressés à la société Logitrab et n'apparaissent pas dans la lettre de rupture,
qu'en conséquence, la société Maxpir n'a pas établi l'existence de manquements imputables à la société Logitrab pouvant l'autoriser à rompre la relation commerciale sans préavis;
Sur le préjudice ;
Considérant qu'il résulte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce que seuls sont indemnisables les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même,
qu'en cas de rupture d'une relation commerciale établie, le préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances, notamment de l'état de dépendance économique de l'entreprise évincée au moment de la notification de la rupture et en cas d'insuffisance du préavis, le préjudice en résultant est évalué en fonction de la durée du préavis jugée nécessaire,
que l'état de dépendance économique se définit comme l'impossibilité pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise;
Considérant qu'au vu de la durée des relations commerciales établies (8 ans) et de l'importance du chiffre d'affaire avec la société Maxpir dans le chiffre global de Logitrab (en 2011 : 46 %, en 2012 : 58 %, en 2013 : 70 % et en 2014 : 82 %) tout en relevant que son chiffre d'affaire global était en baisse depuis 2010 et que la société Logitrab aurait pu diversifier son activité avec d'autres clients, la durée du préavis aurait dû être de 8 mois,
qu'en adoptant le mode de calcul légitime des juges du premier degré, le préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales établies s'élève au montant de 133 832 euros (8 X 16 729 euros : marge sur coût variable),
que le jugement entrepris sera confirmé à l'exception du montant du préjudice
qu'il convient donc de fixer la créance de la société Logitrab au passif de la société Maxpir à un montant de 133 832 euros en principal résultant à la réparation du préjudice du fait de la rupture brutale ;
Considérant que l'équité impose de condamner la société Maxpir à payer à la société Logitrab la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
que cette somme sera fixée au passif de la société Maxpir ;
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement entrepris ; Le Reforme sur la durée de préavis qui est fixé à 8 mois, en conséquence ; Statuant à nouveau, Fixe la créance de la société Logitrab au passif de la société Maxpir à un montant de 133 832 euros au titre de son préjudice résultant de la rupture brutale des relations commerciales ; Fixe la créance de la société Logitrab au passif de la société Maxpir à une somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Maxpir aux dépens dont distraction au profit de Me Marie Laure Bouze en application de l'article 699 du Code de procédure civile.