Livv
Décisions

CA Versailles, 3e ch., 14 juin 2018, n° 16-08404

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Atlantique Pierre 1 (Sté)

Défendeur :

Westondale France (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Boisselet

Conseillers :

Mmes Bazet, Derniaux

Avocats :

Mes Debray, Valiere Vialeix, Guttin, Boisgard, Filipowicz

TGI Nanterre, du 6 oct. 2016

6 octobre 2016

FAITS ET PROCEDURE

La société Atlantique Pierre1 (A. Pierre) a vendu un immeuble à usage commercial situé 2-4 rue Gustave Eiffel à Brie Comte Robert pour un montant de 1 910 000 euros à la société Westondale France (Westondale) par acte du 13 octobre 2010.

En raison de travaux de remise en état rendus nécessaires à la suite de l'incendie survenu le 7 avril 2011 ayant ravagé un des locaux commerciaux, donné à bail, Westondale a mis en demeure A. Pierre de payer le coût des travaux de remise en état et de l'indemniser de l'absence de perception des loyers, estimant que l'immeuble vendu n'était pas conforme à la description faite à l'acte de vente.

A. Pierre s'étant opposée à tout règlement, Westondale l'a assignée par acte du 19 février 2014 devant le Tribunal de grande instance de Nanterre.

Par jugement du 6 octobre 2016, le tribunal a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, condamné la société Atlantique Pierre 1 à payer à la société Westondale France la somme de 78 057,99 euros en réparation de son préjudice, outre celle de 5000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par acte du 25 novembre 2016, A. Pierre a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour, par dernières écritures du 22 mars 2018, de :

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a considéré qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance et d'information s'agissant de la présence d'une terrasse dans le local commercial loué à la société New Havana Club,

- confirmer le jugement rendu en ce qu'il a considéré qu'elle n'a pas manqué à son obligation de délivrance et d'information s'agissant de la situation locative de la société New Havana Club, et notamment de l'activité exercée dans les locaux,

- infirmer le jugement rendu en toutes ses autres dispositions,

- juger qu'elle n'a commis aucune faute à l'égard de Westondale,

- juger que la clause d'exonération de garantie stipulée à l'acte de vente doit recevoir application,

- constater que Westondale ne justifie pas d'un lien de causalité direct entre la prétendue faute et le préjudice allégué ni de la réalité de son préjudice,

- débouter Westondale de l'ensemble de ses demandes à son égard,

- condamner Westondale à lui payer la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec recouvrement direct.

Par dernières écritures du 30 mars 2018, Westondale demande à la cour de :

- constater la violation des obligations d'information et de délivrance conforme de l'immeuble par A. Pierre,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant alloué en réparation du préjudice qu'elle a subi,

- débouter A. Pierre de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner A. Pierre au paiement de la somme de 263 280,65 euros en réparation de son préjudice financier décomposé comme suit :

au titre de la perte de loyers : 120 312,47 euros,

au titre des frais de gestion dus aux difficultés pour l'obtention de l'autorisation d'ouverture du local : 20 000 euros,

au titre des travaux de démolition de la terrasse : 43 056 euros,

au titre des travaux de réalisation du flocage : 49 912,18 euros,

au titre de la perte de chance d'avoir pu éviter un investissement à perte : 30 000 euros.

- condamner A. Pierre au paiement de la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions notifiées aux dates mentionnées ci-dessus, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 avril 2018.

SUR QUOI, LA COUR

Le tribunal a observé que du fait des mentions figurant à l'acte de vente, l'acquéreur ne pouvait prétendre avoir découvert l'existence d'une terrasse depuis la signature de l'acte de vente. Le tribunal a ajouté qu'aucune pièce n'était produite concernant la date de construction de cette terrasse, que rien ne permettait de considérer qu'elle avait été construite dans les dix ans précédant la vente, jugeant qu'il ne pouvait être tenu pour certain que le permis de construire délivré en 2003 concernait effectivement le bien vendu.

Les premiers juges ont par ailleurs considéré que Westondale ne démontrait pas que son vendeur aurait eu connaissance de l'activité effectivement exercée par sa locataire, la société New Havana Club, soit une discothèque.

Le tribunal a en revanche considéré que le fait de ne pas avoir porté à la connaissance de Westondale les avis défavorables émis par la Commission de sécurité qui emportaient des restrictions quant à la sécurité et l'accès au public, essentielles eu égard à la destination du bien vendu, constituait un manquement du vendeur à son obligation de délivrance conforme. Il a jugé que la clause de non garantie opposée par le vendeur était sans influence sur l'obligation due par ce dernier au titre de son obligation de délivrance.

Le tribunal en a déduit que si ce manquement d'A. Pierre à son obligation de délivrer un bien conforme était sans lien avec le coût de la démolition de la terrasse, les travaux de flocage de l'immeuble avaient en revanche été rendus nécessaires en vue de la mise en conformité du bien afin de permettre la réouverture du local, à la suite de l'incendie survenu dans les locaux alors loués à la société New Havana Club et étaient ainsi en lien direct avec le manquement du vendeur. Les premiers juges ont déclaré A. Pierre tenue d'indemniser Westondale du préjudice subi, à hauteur du coût de ces travaux, justifié par la production d'une facture pour une somme totale de 49 912,18 euros TTC. Le tribunal a par ailleurs mis à la charge d'A. Pierre la somme de 23 145,81 euros en retenant que Westondale avait perdu une chance d'éviter une perte d'exploitation, évaluée à la moitié des loyers perdus pour la période considérée. Il a également alloué la somme de 5000 euros en indemnisation des tracas occasionnés par la fermeture administrative du site.

L'appelante affirme que l'acquéreur ne peut prétendre avoir découvert l'existence de la terrasse depuis la signature de l'acte de vente alors que cet acte en mentionne l'existence et que le permis de construire délivré en 2003 ne porte pas sur la parcelle litigieuse. En tout état de cause, ce permis a été sollicité par la société New Havana sans l'accord du bailleur, avait pour objet un changement de destination sans création de surface et non la création de la terrasse litigieuse. A. Pierre conclut qu'aucun reproche ne peut lui être fait au titre d'éventuels travaux qui auraient été réalisés par le locataire sans son autorisation et dont la réalité n'est pas rapportée.

A. Pierre maintient ne pas avoir été informée des avis défavorables émis par la commission de sécurité et souligne que le bail met à la charge du locataire l'ensemble des travaux de conformité résultant de l'exercice de son activité ainsi que la sécurité des personnes et des biens du fait des locaux loués. Elle fait observer que les avis défavorables émis en 1995, 1999 et 2003 ont chacun été suivis d'un avis favorable, ce qui révèle que l'exploitant a satisfait aux exigences de la commission.

A. Pierre soutient ensuite que Westondale a eu connaissance du bail commercial conclu avec la société Américan Billards Cocktails le 10 novembre 1994, de la cession de fonds de commerce au bénéfice de la société Le Sulky en janvier 2002, de l'avenant de renouvellement à effet du 1er janvier 2005 ainsi que de la cession du fonds de commerce le 10 septembre 2008 entre la société Le Sulky et la société Bike Club Café, devenue New Havana Club. Elle affirme qu'elle n'a pas pu dissimuler sciemment à Westondale l'activité de discothèque car elle n'en avait pas connaissance et n'a jamais été sollicitée pour l'autoriser.

A. Pierre affirme que Westondale s'est montrée particulièrement négligente alors qu'elle est une professionnelle de l'immobilier, en s'abstenant de procéder aux vérifications usuelles lors de l'acquisition du bien immobilier, de visiter les locaux, de vérifier la situation administrative de l'immeuble et de prendre connaissance des baux transmis par le vendeur.

A. Pierre soutient enfin que la clause élusive de garantie des vices cachés doit recevoir entière application.

S'agissant des préjudices dont il est demandé réparation, l'appelante affirme qu'ils ne sont pas justifiés et sont dépourvus de lien de causalité avec les fautes alléguées.

Westondale réplique que son vendeur a manqué à son obligation de délivrance en ne faisant pas état de l'existence d'une terrasse construite depuis moins de 10 ans, de ce que l'immeuble n'était pas conforme à son usage commercial du fait des avis défavorables donnés par la commission de sécurité et de la situation locative réelle du bien, dans lequel était exploitée une discothèque.

Westondale fait ensuite valoir que la clause Iimitative de garantie dont se prévaut l'appelante ne couvre aucunement I'hypothèse d'une non-conformité de l'immeuble aux stipulations contractuelles et aux informations communiquées par le vendeur, lequel est de surcroît un professionnel de l'immobilier.

L'acte de vente du 13 octobre 2010 précise expressément au chapitre consacré à la surface des locaux que le bien comprend : 'un local commercial d'une surface totale de 535,70 m² en ce non compris une terrasse de 61 m²', de telle sorte que l'acquéreur ne peut valablement soutenir qu'il ignorait l'existence de cette terrasse. Il sera observé de surcroît que s'il n'est pas exigé de l'acquéreur qu'il se livre à des investigations approfondies sur le bien qu'il envisage d'acheter, une simple visite des lieux, éventuellement réalisée par un tiers, aurait permis à Westondale de constater la présence de cette terrasse.

Westondale ne peut sans se contredire aux dépens d'autrui soutenir que la terrasse avait été irrégulièrement construite et que cette terrasse est bien la construction correspondant au permis de construire délivré en 2003. Si, comme elle le développe, ce permis, en dépit d'une erreur portant sur l'adresse qui peut se concevoir du fait d'une confusion possible entre le numéro du lot et le numéro de la rue mais aussi d'une erreur sur l'intitulé de la parcelle cadastrée ce qui est plus fâcheux s'applique bien à la construction litigieuse, elle n'est donc pas irrégulière. Il apparaît que sa démolition correspond à une exigence de la commission de sécurité intervenue après l'incendie, soucieuse des conditions d'évacuation du public, s'agissant d'un établissement recevant du public.

Au vu de ce permis de construire, Westondale soutient qu'A. Pierre a, à l'acte de vente, faussement déclaré qu'aucune construction ou rénovation n'avait été effectuée dans les dix dernières années, ni qu'aucun élément constitutif d'ouvrage ou équipement indissociable de l'ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil n'avait été réalisé sur cet immeuble depuis moins de dix ans. Il sera observé que la déclaration qui s'impose au vendeur quant à l'existence d'ouvrage construit depuis moins de dix ans est à mettre en rapport avec la garantie décennale qui s'attache à un ouvrage et a pour but, en cas de désordres constructifs affectant cet ouvrage, de permettre à l'acquéreur de bénéficier de ladite garantie soit envers un assureur soit à défaut envers le vendeur réputé constructeur. Or, au cas présent, à supposer que la terrasse puisse recevoir la qualification d'ouvrage, il n'est fait état par Westondale d'aucun désordre constructif et il n'existe aucun lien de causalité entre l'éventuelle inexactitude de la déclaration et les préjudices allégués par Westondale tenant à la nécessité de procéder à la démolition de la terrasse et aux travaux de mise en conformité, et ce alors que les locaux avaient été endommagés par un incendie survenu postérieurement à l'acquisition du bien.

Westondale reproche par ailleurs à son vendeur d'avoir décrit l'immeuble comme étant affecté à un usage commercial, ce qui implique des contraintes inhérentes au fait que les lieux sont appelés à recevoir du public, sans mentionner de restriction et sans porter à sa connaissance les avis défavorables donnés par la Commission de sécurité de l'arrondissement de Melun, dont il n'est pas contesté qu'ils ne sont pas mentionnés à l'acte de vente.

Le tribunal a à raison observé que s'il résulte d'une clause du bail que c'est le locataire qui est tenu à l'ensemble des travaux de conformité résultant de l'exercice de son activité ainsi qu'à la sécurité des personnes et des biens du fait des locaux loués, il n'en demeure pas moins que les avis défavorables de la commission de sécurité ont nécessairement été portés à la connaissance du propriétaire des locaux commerciaux, lequel ne saurait en tout état de cause, par l'effet d'une telle clause, échapper à son obligation d'information vis-à- vis de l'acquéreur.

En faisant une déclaration incomplète et en décrivant le bien sans restriction comme étant à usage commercial, le vendeur a vendu un bien qui ne s'avérait pas conforme aux stipulations contractuelles et, à tout le moins, a manqué à son obligation d'information.

A. Pierre ne peut se prévaloir de la clause insérée à l'acte de vente qui dispose que l'acquéreur prendra le bien vendu 'dans l'état où il se trouvera le jour de l'entrée en jouissance sans aucune garantie de la part du vendeur pour raison soit de l'état des constructions, de leurs vices même cachés, sous réserve des dispositions législatives ou réglementaires contraires analysés le cas échéant ci-après soit de l'état du sous-sol (...)'. Cette clause vise en effet à écarter la garantie du vendeur du fait de l'état du bien et de ses vices cachés et non du fait d'un manquement à l'obligation de délivrance et à l'obligation d'information loyale. L'acte de vente mentionne en tout état de cause que le vendeur ne pourra se retrancher derrière les clauses d'exonération s'il venait à être considéré comme un professionnel de l'immobilier, ce qu'il est en l'espèce.

C'est donc par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé que les travaux de flocage de l'immeuble avaient été rendus nécessaires pour assurer la mise en conformité du bien et permettre la réouverture du local, à la suite de l'incendie survenu dans les locaux alors loués à la société New Havana Club, et étaient donc en lien direct avec le manquement d'A. Pierre qui n'avait pas informé l'acquéreur des avis négatifs de la commission de sécurité. Le tribunal a donc à bon droit déclaré A. Pierre tenue d'indemniser Westondale du préjudice subi, à hauteur du coût de ces travaux, justifié par la production d'une facture pour la somme totale de 49 912,18 euros TTC.

Westondale reproche par ailleurs au vendeur de lui avoir dissimulé la réelle activité de sa locataire, qui exploitait une discothèque, activité dont la réalité n'est pas contestée par A. Pierre mais qui affirme avoir été tenue dans l'ignorance de cette situation.

Il est constant que l'acte de vente du 13 octobre 2010 fait état de ce que le bien est loué à la société New Havana Club et que l'avenant au bail commercial du 10 novembre 1994 conclu en 2005 - dont Westondale ne conteste pas avoir eu connaissance - mentionne que les locaux sont désormais loués à usage de : ' Achat - exploitation de tous fonds de commerce principalement bar - restaurant - PMU - location de billards horaires - bar d'ambiance et animation musicale', de telle sorte que l'acquéreur ne peut valablement soutenir qu'il pensait que la locataire exploitait seulement une activité de billards.

Le fait pour le vendeur d'avoir été tenu par sa locataire dans l'ignorance d'un changement d'activité ne peut avoir pour effet de le faire échapper à ses obligations contractuelles et il lui appartenait, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, de vérifier l'activité réellement exploitée par sa locataire, étant toutefois observé que Westondale, également professionnelle de l'immobilier, n'a découvert cette activité que postérieurement à l'incendie alors qu'elle était propriétaire des lieux depuis près de six mois.

Il n'est toutefois nullement démontré que l'incendie survenu le 7 avril 2011 ait un quelconque lien avec l'activité de la locataire, aucune pièce n'étant produite quant aux causes et circonstances de ce sinistre. Il n'est pas davantage démontré que ce sont les violations de la réglementation qui sont à l'origine de la propagation de l'incendie.

Westondale n'est dès lors pas fondée à demander l'indemnisation de la perte de loyers qu'elle a subie du fait de l'indisponibilité du bien, dont elle a d'ailleurs été indemnisée par son assureur, à hauteur de 10 mois de loyers.

Westondale fait justement valoir que si elle avait su que la locataire exploitait une discothèque, elle n'aurait pas acquis le bien ou l'aurait acquis un prix moindre, cette activité exposant un propriétaire à des risques importants. L'ignorance dans laquelle elle a été tenue de l'activité réelle de la locataire l'a privée d'une chance de ne pas avoir procédé à l'acquisition du bien, laquelle perte sera évaluée à la somme de 20 000 euros.

Westondale a été confrontée à des difficultés administratives consécutives à l'incendie mais qui ont été aggravées par le fait que la commission avait par le passé rendu des avis défavorables dont elle n'avait pas été informée et s'est trouvée dans l'obligation de superviser les opérations de flocage des bâtiments. Ce préjudice appelle réparation à hauteur de la somme de 2 000 euros.

Ainsi A. Pierre sera condamnée à payer à Westondale la somme totale de 71 912,18 euros.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure seront confirmées.

A. Pierre sera condamnée à payer à Westondale la somme de 3 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens avec recouvrement direct.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Atlantique Pierre 1 à payer à la société Westondale France la somme de 78 057,99 euros, Statuant à nouveau du chef infirmé, Condamne la société Atlantique Pierre 1 à payer à la société Westondale France la somme de 71 912,18 euros, Le confirme pour le surplus, Y ajoutant, Condamne la société Atlantique Pierre 1 à payer à la société Westondale France la somme de 3 000 euros en remboursement de ses frais irrépétibles d'appel, Condamne la société Atlantique Pierre 1 aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.