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Décisions

CA Aix-en-Provence, 10e ch., 14 juin 2018, n° 17-04920

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Oniam, MGEN de Vaucluse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Goursaud

Conseillers :

Mmes Gilly Escoffier, Vella

Avocats :

Mes Sider, Maury, Maury, Penarroya Latil, Esteve, Jourdan, De La Grange

TGI Paris, du 23 janv. 2017

23 janvier 2017

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Se plaignant depuis 2002 de douleurs périnéales avec sensation de pression interne et de corps étranger intra rectal la gênant pour s'asseoir, ainsi que de symptômes urinaires invalidants avec mictions fréquentes, Mme Martine P. a consulté son médecin traitant et un urologue avant d'être orientée vers M. Éric B., gynécologue.

Compte tenu des symptômes décrits par Mme P. évocateurs de lésions du nerf pudendal, une électromyographie a été réalisée le 27 janvier 2005 et a mis en évidence des ralentissements des conductions nerveuses des nerfs pudendaux, évoquant une compression tronculaire bilatérale des nerfs pudendaux. Mme P. a bénéficié de deux infiltrations du nerf pudendal.

En raison de la réapparition des douleurs, elle a finalement bénéficié d'une décompression pudendale bilatérale par voie rétropéritonéale trans ischio rectale directe, opération chirurgicale réalisée par M. B., le 20 juin 2005 au sein de la Clinique Axium.

Dans les suites de l'intervention les douleurs pudendales ont été remplacées par des douleurs fessières et pelviennes avec irradiation au niveau de la hanche droite, évoquant un syndrome du muscle piriforme.

Devant la persistance des symptômes, Mme P. a bénéficié le 9 août 2006 d'une infiltration de la hanche droite puis le 19 janvier 2007 d'une section du tendon du muscle piriforme droit et d'une cure de prolapsus génital avec neurolyse pudendale réalisée par le docteur M. le 17 août 2008.

Cette dernière intervention a apporté une amélioration de la symptomatologie urinaire, mais les douleurs de Mme P. au niveau la hanche droite ont persisté, nécessitant un suivi en centre anti douleur et la poursuite d'une rééducation.

Mme P. a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) d'une demande d'indemnisation amiable. Par décision du 9 novembre 2012, la CRCI a désigné le docteur Philippe M. en qualité d'expert.

Le 2 janvier 2013, l'expert a déposé son rapport par lequel il conclut à la survenue d'un accident médical non fautif et précise que le préjudice de Mme P. n'est imputable à cet accident médical qu'à hauteur de 50%, le surplus de son dommage résultant de son état antérieur.

Par avis du 2 avril 2013, la CRCI a rejeté la demande d'indemnisation présentée par Mme P. après avoir considéré qu'aucun manquement au devoir d'information au sens de l'article L. 1111-2 du Code de santé publique ne pouvait être retenu à l'encontre de M. B., que la complication survenue ne pouvait être qualifiée d'accident médical non fautif dès lors qu'elle n'a pas eu des conséquences anormales au regard de son état de santé initial comme de l'évolution prévisible de celui-ci puisque le syndrome du muscle piriforme survient dans 16 à 20 % des cas après une intervention de décompression du nerf pudendal et qu'en outre l'expert a précisé qu'avant son opération Mme P. présentait des douleurs périnéales et des symptômes urinaires.

Par actes d'huissiers délivrés le 16 juillet 2015 et le 23 juillet 2015, Mme P. a fait assigner M. B., l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (Oniam) et la Mutuelle générale de l'éducation nationale du Vaucluse (MGEN) devant le tribunal de grande instance d'Aix en Provence pour obtenir la réparation de ses préjudices.

Par jugement du 23 janvier 2017 cette juridiction a :

- déclaré le jugement commun à la MGEN,

- dit que M. B. a manqué à son devoir d'information,

- condamné en conséquence M. B. à verser à Mme P. la somme de 3 000 € à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral spécifique tiré du défaut d'information avec les intérêts au taux légal à compter du jugement,

- dit que M. B. doit indemniser Mme P. de sa perte de chance d'avoir pu refuser l'intervention et éviter ainsi les conséquences dommageables de celle-ci,

- fixé à 20 % cette perte de chance,

- dit que Mme P. a été victime d'un accident médical non fautif au sens de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique mais qu'elle ne remplit pas les conditions pour être indemnisée par l'Oniam,

- rejeté en conséquence, la demande d'indemnisation formulée à l'encontre de l'Oniam,

- dit que les préjudices de Mme P. sont imputables à hauteur de 50 % à un accident médical non fautif et à hauteur de 50 % à son état antérieur,

- fixé le préjudice hormis les dépenses de santé actuelles de Mme P. à la somme totale de 48 855,55 €.

- dit que compte tenu de ce qui précède, la réparation du préjudice corporel de Mme P. s'élève à :

- dépenses de santé actuelles : sursis à statuer

- perte de gains professionnels actuels : 13 854,75 €

- frais divers : 1 212,80 €

- déficit fonctionnel temporaire : 7 288 €

- souffrances endurées : 3 500 €

- déficit fonctionnel permanent : 15 000 €

- préjudice d'agrément : rejet

- préjudice sexuel : 8 000 €,

- condamné M. B. à payer à Mme P. les somme de :

- 4 885,55 € avec les intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement correspondant à 20 % de la perte de chance du préjudice subi en raison du défaut d'information

- 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- sursis à statuer sur les dépenses de santé actuelles dans l'attente de la production des relevés de la MGEN du Vaucluse,

- débouté l'Oniam de sa demande formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- renvoyé l'affaire à la mise en état,

- réservé les dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Pour statuer ainsi le tribunal a considéré que :

- M. B. ne démontrait pas avoir informé Mme P. par la documentation qu'il lui avait remise ou oralement du risque d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme,

- le risque d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme était élevé soit de 16 à 20 % des cas opérés, il existait une alternative chirurgicale à la décompression du nerf pudendal par la cure de prolapsus génital avec neurolyse pudendale qui vise sensiblement au même résultat mais par un procédé chirurgical différent, dès lors dûment informée du risque d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme Mme P. aurait pu refuser l'opération pratiquée le 27 janvier 2005 ; toutefois dans la mesure où elle souffrait depuis trois ans d'importantes douleurs périnéales l'empêchant de s'asseoir avec des symptômes urinaires invalidants sous la forme de mictions fréquentes et où le traitement médical de première intention, soit deux infiltrations, avait échoué Mme P. n'avait pas d'autre choix pour essayer de réduire ses douleurs que de se faire opérer, mais aurait pu opter pour la cure de prolapsus génital avec neurolyse pudendale, de sorte que la perte de chance devait être fixée à 20 %,

- la patiente présentait avant l'intervention une symptomatologie qui avait fait poser le diagnostic de syndrome pudendal et de symptômes urinaires invalidants de sorte que l'expert a pu valablement considérer que le préjudice n'était imputable à l'accident médical non fautif qu'à hauteur de 50 %,

- l'expertise établit le lien direct entre l'évolution vers un syndrome du muscle piriforme et l'acte chirurgical de M. B. mais également l'absence de faute médicale, de soins, d'organisation ou de fonctionnement du service imputable à ce praticien, de sorte qu'il y a lieu de retenir que Mme P. a été victime d'un accident médical non fautif,

- les conditions d'ouverture de l'indemnisation par l'Oniam ne sont pas remplies car le taux de complication vers un syndrome du muscle piriforme est élevé, soit 16 à 20 % des cas et Mme P. présentait avant l'intervention et depuis 2002 des douleurs périnéales et des symptômes urinaires invalidants de sorte que les conséquences de l'accident médical litigieux ne peuvent être jugées anormales ; en tout état de cause le déficit fonctionnel permanent a été fixé à 10 %.

Par déclaration du 15 mars 2017 Mme P. a interjeté appel général de ce jugement sauf en ce que la responsabilité de M. B. a été retenue.

PRÉTENTIONS ET MOYENS

Mme P. demande à la cour dans ses conclusions du 20 février, en application des articles L. 1111-2, L. 1142-1 et suivants et D. 1142-1 du Code de la santé publique, 568, 696,699 et 700 du Code de procédure civile, de :

accueillir son appel, rejeter le recours incident de M. B. et réformer le jugement entrepris

dire que :

- le taux de la perte de chance qu'elle a subie et qui est imputable à M. B. doit être fixé à 50 %,

- l'accident médical dont elle a été victime ouvre droit à la réparation au titre de la solidarité nationale de telle sorte qu'il incombe à l'Oniam de supporter l'indemnisation de ses conséquences dommageables dans la proportion non portée à la charge de M. B.,

condamner M. B. et l'Oniam à indemniser son dommage corporel en lien avec l'accident médical à hauteur de 50 % chacun ou tout autre dichotomie qu'il plaira la cour d'arbitrer,

juger que l'indemnisation de son préjudice corporel s'élève à la somme de 51 372,05 € dont seule la moitié est imputable à l'accident médical soit 25 686,03 €,

condamner solidairement M. B. et l'Oniam à lui verser la somme de 4 500 € au titre des frais irrépétibles,

les condamner aux dépens avec distraction.

Elle fait valoir que :

- l'expert note en page 20 de son rapport que l'intervention pratiquée par M. B. apporte à un an une amélioration des symptômes dans 60 % des cas, ce qui signifie que le risque d'échec s'élève à 40 %, que le risque d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme est fixé entre 16 et 20 %, que l'alternative interventionnelle usitée par le docteur M. a été évoquée mais a été présentée comme ne comportant pas une réelle différence de résultat, induisant en outre une cicatrice disgracieuse, enfin l'expert n'a pas retrouvé d'éléments bibliographiques décrivant la technique de M. B. ce qui objective le caractère expérimental de cette intervention ; ainsi elle n'a pas été confrontée à un véritable rapport bénéfices/risques de chacune des techniques opératoires possibles et le caractère expérimental de l'intervention pratiquée par M. B. lui a été caché,

- le défaut d'information est réel car la réaction myo fasciale du muscle piriforme a été évoquée non pas au titre des risques (hémorragiques et infectieux) mais dans la partie traitant des suites opératoires où la complication n'est en rien décrite et est présentée comme transitoire, la rééducation ayant pour finalité d'en éviter la survenance d'ailleurs non quantifiée,

- la circonstance que la survenance de l'accident médical non fautif soit statistiquement évaluée comme importante ne prive pas la victime d'obtenir une indemnisation au titre de la solidarité nationale dès lors que l'expert a caractérisé que le syndrome du muscle piriforme dont elle est atteinte constitue une conséquence anormale par rapport à l'évolution prévisible de son état de santé ; en effet les conséquences de ce syndrome n'ont aucun rapport avec les troubles qu'elle présentait avant l'acte litigieux et la circonstance que son déficit fonctionnel permanent n'atteigne pas 25 % est indifférente puisque la durée de son incapacité temporaire de travail a été d'au moins six mois consécutifs,

- elle réitère sa demande indemnitaire d'un préjudice d'agrément à hauteur de 1 500 € et demande à la cour de faire usage de sa faculté d'évocation en fixant l'indemnisation des dépenses de santé actuelles à la somme de 1 016,50 € puisque la MGEN n'est pas une mutuelle complémentaire mais sa caisse de sécurité sociale et que les montants des débours de celle-ci figurent sur les factures acquittées.

M. B. demande à la cour dans ses conclusions du 16 juin 2017, de :

le recevoir en son appel incident et l'y dire bien fondé,

réformer le jugement en ce qu'il a retenu un défaut d'information qui lui était imputable

- juger qu'aucun manquement ne saurait lui être reproché s'agissant de la conformité de la délivrance de l'information préopératoire,

- juger au surplus qu'aucune perte de chance ne peut être retenue à son encontre au regard de l'état antérieur de la patiente, de l'échec du traitement médical et de l'identité des complications qu'elle que soit la technique chirurgicale retenue,

- juger de la même façon que Mme P. ne justifie pas d'un préjudice d'impréparation psychologique,

en conséquence

- débouter Mme P. de l'ensemble de ses demandes à son encontre,

à titre subsidiaire

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance limité à 20 %,

- dire n'y avoir lieu à évocation de l'affaire sur l'indemnisation des dépenses de santé actuelles,

- débouter Mme P. de sa demande au titre d'un prétendu préjudice d'agrément,

- débouter Mme P. de sa demande formée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- statuer ce que de droit sur les dépens.

Il soutient que :

- aucun manquement au devoir d'information n'a été relevé à son encontre par l'expert le docteur M. ni par la CRCI et Mme P. a été correctement informée ; en effet elle n'a formulé aucun grief sur la question de l'information préopératoire au cours des opérations d'expertise et son conseil a adressé un dire à l'expert sans remettre en cause la validité de l'information préopératoire ; en outre un faisceau d'indices permet de rapporter la preuve que Mme P. a été correctement informée ; ainsi elle avait tenté un traitement médical conservateur en première intention (deux infiltrations), a bénéficié de plusieurs consultations spécialisées auprès d'un urologue, d'un électromyographe et de lui-même, de la réalisation d'un bilan complet ayant permis de poser le diagnostic de compression des nerfs pudendaux, d'un entretien au cours duquel il a exposé oralement les alternatives chirurgicales ainsi que l'a reconnu Mme P. dans ses conclusions de première instance et ses conclusions d'appel, elle a bénéficié de la remise d'une fiche d'information exhaustive présentant les risques de complications post opératoires de la décompression du nerf pudendal dont l'éventualité d'une réaction myo fasciale du muscle piriforme, a signé un document de consentement éclairé en confirmation de l'information orale donnée et a bénéficié d'un délai de réflexion supérieur à 1 mois,

- la technique qu'il a utilisée n'est pas expérimentale mais éprouvée tant sur le plan pratique que théorique, dans plusieurs cliniques en France ; d'ailleurs l'expert a écarté cette hypothèse et a présenté une liste non exhaustive de la littérature médicale en la matière, en citant notamment un article que lui-même a rédigé en indiquant que son équipe constitue une des équipes chirurgicales de référence pour ce traitement ; en outre la fiche d'information remise à Mme P. mentionne l'expérience en la matière de son équipe établie sur plus de 10 ans d'activité avec plus de 600 patients ; en toute hypothèse cette pathologie est décrite depuis les années 1980 et a fait l'objet de plusieurs articles,

- Mme P. ne pouvait se soustraire à l'acte chirurgical envisagé car elle souffrait depuis près de trois ans de douleurs périnéales l'empêchant de s'asseoir avec troubles et douleurs urinaires très invalidants, face à l'aggravation de cette symptomatologie elle s'est tournée vers des spécialistes et a bénéficié dans un premier temps d'un traitement médical par infiltrations mais qui n'a pas permis de l'améliorer ; l'intervention chirurgicale qu'il lui a proposée n'était pas une chirurgie de confort mais une solution adaptée à sa symptomatologie invalidante et Mme P. y a consenti en toute connaissance de cause après s'être accordé un délai de réflexion ; en outre le fait qu'elle ait consenti à une nouvelle intervention chirurgicale de neurolyse pudendale par le docteur M. démontre sa volonté réelle de trouver une solution chirurgicale définitive à sa pathologie,

- le premier juge s'est contredit en retenant une perte de chance au motif que la patiente n'aurait pas été avisée de l'autre technique chirurgicale alors que Mme P. a admis dans ses écritures de première instance et d'appel qu'il avait évoqué cette alternative,

- l'analyse du premier juge est erronée lorsqu'il retient une perte de chance d'opter pour la cure de prolapsus génital dont elle a bénéficié secondairement car ce type de chirurgie présente également le risque d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme de sorte que même en privilégiant cette option elle aurait pu présenter la même complication,

- Mme P. n'est pas recevable à demander à la cour d'évoquer la question des dépenses de santé actuelles dans la mesure où les premiers juges ont sursis à statuer sur ce point et ce conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation,

- il n'y a pas lieu de remettre en cause l'évaluation du préjudice d'agrément car aucun élément n'est présenté par Mme P. pour justifier d'un tel préjudice.

L'Oniam demande à la cour dans ses conclusions du 14 juin 2017, en application des articles L. 1142-1 et suivants du Code de la santé publique, de :

le recevoir en ses écritures et les dire bien fondées,

à titre liminaire

- constater qu'il s'en rapporte à la sagesse de la cour sur la fixation du taux de perte de chance découlant du défaut d'information,

en tout état de cause

- dire que le dommage présenté par Mme 'Broux' n'est pas anormal au regard de l'état de santé antérieur du patient comme de l'évolution prévisible de celui-ci et ne saurait être indemnisé par lui au titre de la solidarité nationale,

- constater que les conditions d'intervention de la solidarité nationale ne sont pas réunies,

en conséquence

- confirmer le jugement et débouter Mme P. de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,

- condamner tout succombant à lui verser une somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner tout succombant aux dépens avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.

Il indique que :

- son intervention au titre de la solidarité nationale est subsidiaire,

- si la cour devait retenir l'existence d'une perte de chance à hauteur de 50 % seule la part résiduelle du dommage soit 50 % serait susceptible d'être indemnisée par lui en vertu du principe de subsidiarité,

- en tout état de cause cette part résiduelle ne peut être prise en charge par la solidarité nationale en raison de l'absence d'anormalité du dommage ; en effet le dommage indemnisable par la solidarité nationale ne peut être celui qui résulte de l'état antérieur du patient ou d'un risque particulièrement élevé et la solidarité nationale ne peut prendre en charge l'indemnisation d'un accident médical que sous quatre conditions cumulatives soit :

- un accident médical non fautif

- un accident médical directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins

- un accident médical ayant pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui ci

- un accident médical ayant occasionné des séquelles d'une certaine gravité,

- selon la jurisprudence de la Cour de cassation 'la condition d'anormalité du dommage doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement et dans le cas contraire les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible ainsi elles ne peuvent être regardées comme anormales au regard de l'état de santé du patient lorsque la gravité de cet état a conduit à pratiquer un acte comportant des risques élevés dans la réalisation et à l'origine du dommage',

- en l'espèce il ressort du rapport d'expertise que l'état de santé de Mme P. en l'absence de traitement aurait été le même voire d'une gravité supérieure à celui constaté après l'intervention litigieuse ; en effet Mme P. présentait un important état antérieur qui avait fait poser le diagnostic de syndrome pudendal, soit des douleurs pudendales importantes et un symptôme urinaire invalidant or il ressort de l'analyse de l'expert et des doléances de la patiente en page 21 du rapport d'expertise que l'état actuel est constitué par des douleurs pudendales sensiblement équivalentes à celles présentées avant l'intervention et des douleurs à la hanche mais que le symptôme urinaire invalidant a presque totalement disparu, le premier critère d'anormalité n'est donc pas rempli,

- l'expertise établit que l'évolution vers un syndrome du muscle piriforme survient dans 16 à 20 % des suites d'intervention de décompression du nerf pudendal, c'est-à- dire qu'il s'agit d'un risque élevé et il convient d'associer à ce risque de complication un taux d'échec de 40 %, ainsi le dommage ne peut être considéré comme anormal.

La MGEN assignée par acte d'huissier du 28 avril 2017 délivré à personne habilitée et contenant dénonce de l'appel n'a pas constitué avocat.

Par courrier du 21 juin 2017 la CPAM a indiqué que si elle gère l'activité de 'recours contre tiers' (régime général) concernant les personnes affiliées à la MGEN et qu'elle ne répertorie les prestations versées qu'à compter de l'année 2012.

L'arrêt sera réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes dirigées contre M. B.

Aucune partie ne remet en cause les conclusions de l'expert le docteur M. sur le fait que l'atteinte du muscle piriforme subie par Mme P. à la suite de l'intervention pratiquée par M. B. ne résulte pas d'une faute technique de ce chirurgien ; seuls sont discutés le respect par M.

B. de son obligation d'information et la prise en charge de cet accident médical par l'Oniam au titre de la solidarité nationale.

Selon l'article L. 111-2 du Code de la santé publique 'Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle est également informée de la possibilité de recevoir, lorsque son état de santé le permet, notamment lorsqu'elle relève de soins palliatifs au sens de l'article L. 1110-10, les soins sous forme ambulatoire ou à domicile. Il est tenu compte de la volonté de la personne de bénéficier de l'une de ces formes de prise en charge. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver.

Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser.

Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel.

La volonté d'une personne d'être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic doit être respectée, sauf lorsque des tiers sont exposés à un risque de transmission.'

Le manquement à l'obligation d'information prévue par ces dispositions ne peut donner lieu qu'à l'indemnisation d'une perte de chance d'échapper au risque qui s'est réalisé.

Par ailleurs il résulte des articles 16, 16-3, alinéa 2, et 1240 du Code civil que toute personne a le droit d'être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci et que son consentement doit être recueilli par le praticien, hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle elle n'est pas à même de consentir, que le non-respect du devoir d'information qui en découle, cause à celui auquel l'information était légalement due, un préjudice moral, détaché des atteintes corporelles, résultant d'un défaut de préparation psychologique aux risques encourus et du ressentiment éprouvé à l'idée de ne pas avoir consenti à une atteinte à son intégrité corporelle.

Il incombe à M. B. de rapporter la preuve qu'il a correctement informé Mme P. du risque d'atteinte du muscle piriforme.

L'expert a précisé que depuis 2002 Mme P. se plaignait de douleurs périnéales avec sensation de pression interne et de corps étranger intra rectal gênant la position assise et de symptômes urinaires invalidants avec mictions toutes les heures, douleurs mictionnelles à type de brûlures et qu'après divers examens confirmant l'existence d'une lésion du nerf pudendal (compression tronculaire serrée à gauche et au niveau du canal d'Alcock à droite) et échec de deux infiltrations du nerf pudendal M. B. a pratiqué le 20 juin 2005 une intervention de décompression pudendale bilatérale par voie rétro périnéale trans ischio rectale directe.

Il a indiqué qu'à la suite de l'intervention de décompression du nerf pudendal pratiquée par M. B. les douleurs pudendales que subissait Mme P. ont été remplacées par des douleurs fessières et des sciatalgies évoquant un syndrome du muscle piriforme, et qu'elle a conservé les symptômes urinaires invalidants qu'elle présentait avant l'intervention.

Il a ajouté que Mme P. a eu un entretien avec M. B. avant l'intervention au cours duquel il lui a remis un document expliquant de façon complète la pathologie dont elle était atteinte, les modalités de l'opération qu'il lui proposait, les risques et complications connus de cette intervention et renvoyant à l'une de ses publications mais ne comportant aucune indication sur les risques d'échec ni d'évolution vers un syndrome du muscle piriforme.

La 'Fiche d'information et consentement en vue de l'intervention de décompression du nerf pudendal' qui correspond au document écrit d'information remis à Mme P. qui a été communiquée ne fait aucune référence au taux d'échec pourtant élevé de l'intervention puisque fixé à 40 % par l'expert, ce taux n'étant pas discuté par M. B., ni n'évoque clairement le risque d'atteinte perenne du muscle piriforme puisqu'il ne mentionne sous le titre 'Risques opératoires et complications répertoriées à ce jour' que des risques hémorragiques ou infectieux et la réaction myo fasciale du muscle piriforme n'est évoquée que dans les 'Suites opératoires' avec les seules indications que la rééducation externe par massages et sources de chaleur doit être effectuée deux mois après l'opération afin d'éviter cette réaction et que 'le plus souvent seule la fesse correspondant à la zone opérée sera endolorie et sensible pendant environ 8 jours'.

M. B. ne rapporte pas la preuve qu'il a fourni à Mme P. une information orale sur le taux d'échec et sur l'atteinte possible du muscle piriforme avec ses conséquences quant aux douleurs fessières et aux sciatalgies.

En revanche Mme P. reconnaît dans ses écritures déposées devant la cour qu'elle a été informée de l'existence d'une autre technique chirurgicale possible, celle qui a été finalement pratiquée par le docteur M. mais M. B. n'établit pas avoir correctement donné à Mme P. toutes les indications sur les bénéfices et les risques de chaque intervention.

Il est donc établi que M. B. n'a pas respecté son devoir d'information à l'égard de Mme P..

En revanche compte tenu de la nature et de l'importance des douleurs dans la région vulvaire 'à hurler' et dans la hanche droite et des symptomes urinaires invalidants qu'elle présentait, gênant la position assise, des multiples examens et des deux tentatives infructueuses d'infiltrations auxquels elle a recouru avant l'intervention de M. B., du fait que cette opération a permis, au moins pour un temps, la disparition des douleurs pudendales et alors qu'il n'est pas démontré par les pièces communiquées que la technique de cure de prolapsus génital utilisée par le docteur M. a un meilleur taux de réussite et permet d'éviter l'atteinte du muscle piriforme, d'autant que l'expert a relevé que si cette nouvelle intervention a apporté une amélioration très importante des symptômes urinaires les doléances actuelles de cette patiente restent des fuites urinaires post mictionnelles et un syndrome douloureux pelvi périnéal, il s'avère que même correctement informée, Mme P. n'aurait pas renoncé à l'intervention de sorte que la perte de chance invoquée d'échapper au risque qui s'est réalisé n'est pas établie ; la demande d'indemnisation formulée de ce chef doit donc être rejetée.

Le préjudice moral d'impréparation qui est constitué a été justement indemnisé par le premier juge par l'allocation d'une somme de 3 000 €.

Sur les demandes dirigées contre l'Oniam

En application des articles L. 1142-1 et 1142-1-1 du Code de la santé publique lorsque la responsabilité d'un professionnel, n'est pas engagée, un accident médical ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par l'article D. 1142-1 du même code à 24%.

L'indemnisation d'un accident médical, au titre de la solidarité nationale est ainsi subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives que sont :

- un accident médical non fautif,

- directement imputable à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins,

- qui a pour le patient des conséquences anormales au regard de son état comme de l'évolution prévisible de celui-ci,

- occasionnant des séquelles d'une certaine gravité.

En l'espèce seule est discutée la condition d'anormalité du dommage.

La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions légales précitées doit être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Dans le cas contraire les conséquences de l'acte médical ne peuvent être considérées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible.

En l'espèce les douleurs fessières et les sciatalgies présentées après l'intervention par Mme P. ne sont pas plus importantes ni invalidantes que les douleurs qu'elle subissait auparavant.

En outre l'expert a précisé que le risque d'évolution des interventions de décompression du nerf pudendal vers un syndrome du muscle piriforme survient dans 16 à 20 % des cas, ce qui ne peut être considéré comme une faible probabilité.

La condition d'anormalité du dommage n'étant pas remplie les demandes dirigées contre l'Oniam doivent être rejetées.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

M. B. qui succombe partiellement supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel au profit de l'une ou l'autre des parties.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement, Sauf en ce qu'il a dit que M. Eric B. doit indemniser Mme P. d'une perte de chance d'éviter une atteinte du muscle piriforme et sur l'indemnisation de cette perte de chance, Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant, Déboute Mme Martine P. de sa demande d'indemnisation d'une perte de chance d'éviter une atteinte du muscle piriforme, Déboute les parties l'ayant sollicitée de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile devant la cour, Condamne M. Eric B. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.