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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 10, 11 juin 2018, n° 16-13897

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Biz'Travel (SARL)

Défendeur :

Airways Developpement et Conseils (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loos

Conseillers :

Mmes Castermans, Simon-Rossenthal

T. com. Paris, du 25 mai 2016

25 mai 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Biz'travel est une agence de voyage dirigée par M. O..

La société Airways Developpement et Conseils, dirigée par M. Kaboub R., exerce une activité d'agence de voyage. Elle a perdu le bénéfice de sa licence en 2011 et l'a récupérée en 2013.

La société Take Off, créée en janvier 2011 était animée par Mme N., compagne de M. Kaboub R.. A compter du mois d'avril 2011, la société Biz'Travel est entrée en relation d'affaires avec la société Take Off. Un contrat d'apporteur d'affaires a été rédigé entre les sociétés Biz'Travel et Take Off mais n'a pas été signé.

La société Take Off devait apporter sa clientèle à Biz'travel en attendant de récupérer la licence d'exploitation. La société Take Off a été dissoute au mois de novembre 2011.

Après la dissolution de Take Off, la relation d'affaires s'est poursuivie avec la société Airways Developpement et Conseils, sans modification des modalités contractuelles.

Le 8 juillet 2013, la société Airways Developpement et Conseils a notifié la résiliation du contrat après avoir récupéré le certificat lui permettant d'exploiter son agence.

Par courrier du 15 juillet 2013, la société Biz'Travel a accepté de mettre fin à leur relation d'affaire. Après échange de courriers afin de solder les comptes, une mise en demeure du 9 octobre a été adressée à la société Biz'Travel, en vain.

La société Airways Developpement et Conseils a déposé le 22 novembre 2013 une requête tendant à obtenir le paiement de factures impayées par Biz'Travel pour un montant en principal de 90 227,88 euros.

A la suite de cette requête, une ordonnance d'injonction de payer rendue le 27 novembre 2013 par le Tribunal de commerce de Paris a condamné la société Biz'Travel à payer à la société Airways Developpement et Conseils les sommes de :

- 90 227,88 euros en principal, assortie des intérêts au taux légal ;

- les dépens dont ceux de la présente ordonnance liquides à 38,87 euros.

Par courrier recommandé reçu le 9 janvier 2014, la société Biz'Travel a fait opposition contestant devoir les factures litigieuses.

Par jugement du 25 mai 2016, le Tribunal de commerce de Paris a statué comme suit :

- dit l'opposition formée par la société Biz'Travel recevable ;

- condamne la société Biz'Travel à payer à la société Airways Développement et Conseils la somme de 90 227,88 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 décembre 2013 ;

- débouté la société Biz'Travel de ses demandes autres ou plus amples ;

- condamné la société Biz'Travel à payer à la société Airways Développement et Conseils la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Par déclaration d'appel du 23 juin 2016, la société Biz'Travel a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions en date du 1er mars 2018, la société Biz'Travel, demande :

Vu les articles 1412 et suivants du Code de procédure civile ;

Vu les articles 1134 et 1147, les articles 1316-1 et suivants, l'article 1382 du Code civil ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé l'opposition formée par la société Biz'Travel contre l'injonction de payer de la société Airways Développement et Conseils recevable et fondée ;

Infirmer le jugement entrepris pour le surplus

Statuant à nouveau,

Constater que la dette de la société Biz'Travel sur la société Airways Développement et Conseils se chiffre en réalité à la somme de 8 579,00 euros TTC ;

Prendre acte de ce que la société Biz'Travel propose de traiter l'ensemble des impayés résiduels comme des créances irrécouvrables et de solder, la relation commerciale en réglant à Airways Développement et Conseils la somme complémentaire de 1 216,76 euros TTC correspondant aux encours clients impayés ;

Constater que la société Airways Développement et Conseils a manqué aux obligations contractuelles de résiliation résultant du contrat d'apport d'affaires ;

Condamner la société Airways Développement et Conseils à payer à la société Biz'Travel la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts à ce titre ;

Constater que la société Airways Développement et Conseils a commis des faits sont constitutifs de concurrence déloyale ;

Condamner la société Airways Développement et Conseils à payer à la société Biz'Travel la somme de 44 358,00 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice économique et moral ;

Condamner la société Airways Développement et Conseils à payer à la société Biz'Travel la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par conclusions en date du 21 novembre 2016, la société Airways Developpement et Conseils demande :

Confirmer le jugement dont appel,

Dire et juger mal fondée l'opposition formée par la société Biz'Travel,

Condamner la société Biz'Travel à régler à la société Airways Développement et Conseils la somme de 90 227,68 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance portant injonction de payer,

Dire et juger que la société Airways Développement et Conseils a parfaitement respecté ses obligations,

Constater que la société Biz'Travel ne démontre nullement être victime d'actes de concurrence déloyale,

Constater que l'attestation produite par la société Biz'Travel sous le n° 13 émane d'une salariée sous la dépendance économique et ne relate aucun fait précis,

Dire et juger irrecevable et non conforme l'attestation du salarié de la société Biz'Travel produite par la société Biz'Travel sous le n° 13,

Débouter la société Biz'Travel de l'intégralité de ses prétentions,

Condamner la société Biz'Travel à payer à la société Airways Développement et Conseils la somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, aux entiers dépens.

La société Biz'Travel fait valoir :

Que le tribunal de commerce à modifié les termes du litige, que le jugement doit être infirmé les parties n'ont jamais remis en cause l'application des clauses du contrat d'apporteur d'affaires existant entre elles.

Le tribunal de commerce a fait une interprétation inexacte des modalités d'exécution de ce contrat en considérant que les clauses du projet de contrat entre la société Take Off, auquel succède la société Airways Développement et Conseils, ne devaient pas être appliquées.

Elle conteste le fait que la facture émanant du demandeur suffise à caractériser l'existence de l'obligation de payer ; elle soutient que la société Airways Développement et Conseils a communiqué des montants d'impayés différents entre l'injonction de payer et des courriels du 29 octobre 2014., qu'il y a lieu de faire application des règles de calcul des commissions telle que définies par les parties ; que sur les données de base servant au calcul des commissions il resterait dû une somme de 18 839,41 euros. Il y a encore lieu de retirer les sommes correspondantes aux factures revenues impayées et irrécouvrables.

La société Airways Développement et Conseils a encaissé frauduleusement, pour son propre compte, la facture émise par la société Biz'Travel à destination de la société Rita Prod, sans aucune autorisation de sa part.

Le préjudice économique s'observe à la simple vue de la baisse du chiffre d'affaires qu'elle a subie à partir du mois d'avril 2013 passant de 61 300 euros de marge brute à 18 300 euros de marge brute en juillet 2013. Le préjudice moral est distinct de toute preuve et résulte nécessairement du seul fait de l'agissement fautif.

La société Airways Developpement et Conseils objecte que :

La société Biz'Travel ne conteste nullement être débitrice de sommes à l'égard de la société Airways Developpement et Conseils puisqu'elle s'était engagée par courrier du 26 juillet 2013 à fournir le 29 juillet 2013 l'état des encours aux fins de calculer les sommes. Mais elle n'a pas fourni cet état et s'est abstenue de payer des factures antérieures à la rupture des relations commerciales, lesquelles n'avaient souffert aucune contestation.

L'obligation au paiement n'est donc pas sérieusement contestable.

La créance existe dans son principe. Son montant est calculé selon un mode de calcul convenu entre les parties. Elle reproche un défaut de diligences de Biz'Travel, alors qu'elle obtenu grâce à ses propres diligences une réduction des créances irrecouvrables dont le montant a été ramené à 39 407 euros le 20 mai 2014. L'allégation de concurrence déloyale, est purement de circonstance ; elle rejette la validité de l'attestation émanant d'un de ses salariés et qui ne relate aucun fait précis.

SUR CE,

Sur la relation d'affaires :

Il n'est pas contesté par les parties que le contrat d'apporteur d'affaires prévu entre Biz'Travel et la société Take Off n'a pas été signé, mais que les parties en ont appliqué les termes.

Après dissolution de la société Take Off, la société Biz'Travel et Airways Developpement et Conseils n'ont pas remis en cause l'application des clauses du contrat.

La relation d'affaires initialement engagée s'est poursuivie avec la société Airways Developpement et Conseil, sur les mêmes bases, en appliquant les modalités de règlement qui y étaient prévues.

Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause les clauses du contrat d'apporteur d'affaires qui ont été acceptées et appliquées de part et d'autre. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les demandes en paiement :

Les relations commerciales ont cessé au mois de juillet 2013. La société Airways Developpement et Conseils réclame le paiement de 3 factures représentant la somme de 90 227, 68 euros.

La société Biz'Travel ne conteste pas être débitrice de sommes à l'égard de la société Airways Developpement et Conseils. Elle s'est engagée par courrier du 26 juillet 2013 à fournir l'état des encours aux fins de calculer les sommes restantes dues, mais n'a pas satisfait à cette obligation. Elle conteste le quantum de la dette. Elle admet être débitrice de la somme de 9 795, 76 euros.

La rémunération prévue au contrat était le versement d'une commission de 60 % de la marge brute réalisée par l'intermédiaire des clients apportés par celle-ci après déduction des charges opérationnelles.

Ces données, servant au calcul des commissions, ne sont pas contestées par la société Biz'Travel.

Elle invoque des erreurs de calcul et une imprécision des factures dans le décompte.

A l'appui de sa contestation, elle se prévaut d'un échange de mails en date des 29 octobre et 5 novembre 2014 et soutient que les parties se sont entendues sur les montants réclamés, mais d'une part, les échanges des emails sont intervenus bien postérieurement à l'introduction de l'instance en paiement et contrairement à ce que la société Biz'Travel affirme, elle n'établit pas l'existence d'un accord obtenu entre les parties à la suite de ces échanges.

Au contraire, la demande de la société Airways Developpement et Conseils qui porte sur les dernières commissions est restée identique. De plus, la société Biz'Travel ne produit aucun document comptable probant permettant d'étayer ses allégations sur les erreurs invoquées.

Dans ces conditions, la cour adopte les motifs du tribunal en ce qu'il a condamné la société Biz'Travel au paiement des sommes figurant dans l'ordonnance d'injonction de payer.

Sur la concurrence déloyale :

La société Biz'Travel soutient qu'à partir d'avril 2013, la société Airways Developpement et Conseils a détourné à son profit une partie de la clientèle apportée et verse une attestation émanant d'un de ses salariés pour confirmer ses dires.

Ceci exposé, comme le souligne, la société intimée, compte tenu de la dépendance économique du salarié, cette attestation perd de sa force probante. Toutefois, la société Biz'Travel produit des éléments chiffrés qui montrent que la baisse de sa marge brute est apparue à compter du mois d'avril 2013 et s'est poursuivie aux mois de mai, juin et juillet 2013, de sorte qu'il s'en déduit qu'elle est le corollaire d'une perte de clientèle, en relation avec les instructions données par la société Airways Developpement et Conseils.

Cette perte est donc en relation directe avec un détournement opéré au profit de la société Airways Developpement et Conseils, qui avait récupéré sa licence dès cette date, mais qui n'avait pas dénoncé le contrat d'apport d'affaire.

Sur ce point, les arguments de défense de la société Airways Developpement et Conseils sont dépourvus de caractère probant puisqu'elle ne produit aucune pièce comptable permettant de constituer la preuve de ce qu'elle n'avait retiré aucun gain en lien avec la captation de clientèle opérée. De même, la conjoncture défavorable ne suffit pas à expliquer le montant de la perte subie par la société Biz'Travel.

Il apparaît dès lors que le détournement de clientèle opéré par Airways Developpement et Conseils au préjudice de Biz'Travel est établi.

La société Biz'Travel, qui a appliqué la marge de 40 % telle que prévue au contrat pour évaluer son préjudice économique, justifie ainsi d'une baisse de marge brute de l'ordre de 98 395 euros sur les mois concernés, elle a donc subi un préjudice économique direct de 39 358,00 euros en raison de l'éviction déloyale. Elle invoque également un préjudice moral, mais sans démontrer les éléments d'un préjudice distinct de celui réparé.

Il convient de condamner la société Airways Developpement et Conseils à verser à la société Biz'Travel la somme de 39 358 euros à titre de dommages et intérêts

Le jugement sera donc réformé sur ce point.

Sur les demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive :

Il résulte des développements qui précèdent que la société Biz'Travel est débitrice des sommes réclamées que dès lors le caractère injustifié de la procédure d'injonction de payer n'est pas caractérisé.

Sur les autres demandes :

La société Biz'Travel et la société Airways Développement et Conseils partie perdante, au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, seront tenues de supporter par moitié chacune la charge des dépens

Il paraît équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Biz'Travel à régler à la société Airways Développement et Conseils la somme de 90 227,68 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance portant injonction de payer ; Réforme le jugement pour le surplus, Statuant à nouveau, Condamne la société Airways Développement et Conseils à verser à la société Biz'Travel la somme de 39 358 euros à titre de dommages et intérêts ; Ordonne la compensation entre les deux créances ; Rejette toutes les autres demandes ; Condamne la société Biz'Travel et la société Airways Développement et Conseils au partage par moitié des dépens d'appel.