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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 19 juin 2018, n° 17-05399

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Enedis (SA)

Défendeur :

Auberge du Bon Coin (SARL), Aviva Assurances (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leplat

Conseillers :

M. Ardisson, Mme Muller

T. com. Nanterre, du 22 juin 2017

22 juin 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

La société à responsabilité limitée Auberge du Bon Coin, sise au [...], a pour objet social l'hôtellerie et la restauration, étant, à ce titre, assurée auprès de la société anonyme Aviva Assurances, ci-après la société Aviva.

Elle a souscrit pour les besoins de son activité un contrat de fourniture d'énergie électrique auprès de la société Électricité de France, par l'intermédiaire duquel elle a également contracté avec la société Électricité Réseau Distribution France (ERDF), devenue Enedis.

Le 3 mars 2014, une coupure de courant de plusieurs heures est survenue sur le réseau de la société ERDF alimentant l'Auberge du Bon Coin. Le gérant de la société a alors constaté que la température de la chambre froide augmentait.

La société Dordogne Froid Climatisation est intervenue et a relevé un dysfonctionnement du compresseur et du système de régulation de cette chambre froide, nécessitant leur remplacement. Elle a établi un devis s'élevant à la somme de 2 100 euros HT.

La société Auberge du Bon Coin a déclaré ce sinistre à la société Aviva qui a mandaté un expert d'assurance, le cabinet Eurexo. Celui-ci a proposé à la société Enedis une réunion d'expertise amiable contradictoire sur place le 29 avril 2014. Considérant que sa responsabilité n'était pas engagée, la société Enedis a, par courrier du 1er avril 2014, indiqué au cabinet Eurexo qu'elle ne se rendrait pas à la réunion d'expertise prévue.

Le rapport d'expertise impute la cause du sinistre à des incidents survenus sur le réseau.

Le 19 juin 2014, la société Aviva a indemnisé la société Auberge du Bon Coin à hauteur de 1 872 euros. Elle a alors présenté une réclamation à la société Enedis. Celle-ci maintenant sa position, la société Aviva a saisi le Médiateur National de l'Energie qui a répondu le 15 juin 2015 en considérant que : la preuve du dommage à hauteur de 2 100 euros HT et du lien de causalité avec l'incident du 3 mars 2014 sur le réseau public est suffisamment rapportée et a recommandé à la société ERDF de dédommager la société Aviva.

Par courrier du 21 août 2015, la société Enedis a confirmé la coupure survenue sur le réseau moyenne tension le 3 mars 2014 entre 11 h 28 et 15h 43 à la suite de la chute d'un arbre, mais a contesté l'engagement de sa responsabilité.

Par jugement entrepris du 22 juin 2017 le Tribunal de commerce de Nanterre a :

Débouté la SA Enedis de sa demande d'irrecevabilité ;

Condamné la SA Enedis à payer à la SA Aviva Assurances la somme de 2.178,02 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamné la SA Enedis à payer à la SARL Auberge du Bon Coin la somme de 228 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamné la SA Enedis à payer à la SA Aviva Assurances et à la SARL Auberge du Bon Coin la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Condamné la SA Enedis à payer à la SA Aviva Assurances et à la SARL Auberge du Bon Coin la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement sans constitution de garantie ;

Condamné la SA Enedis aux dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu l'appel interjeté le 13 juillet 2017 par la société Enedis ;

Vu les dernières écritures signifiées le 4 avril 2018 par lesquelles la société Enedis demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1245 et suivants Code civil,

Vu les dispositions des articles 1231-1 et suivants du Code civil,

A titre principal,

Dire & juger irrecevables les demandes formées par les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin à l'encontre de la société Enedis au visa de l'article 1231-1 du Code civil dès lors que la responsabilité de la société Enedis relève de la responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1245 et suivants du Code civil)

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris

Débouter les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin de leurs demandes formées à l'encontre de la société Enedis

A titre subsidiaire,

Dire & juger mal fondées les demandes formées par les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin à l'encontre de la société Enedis sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, à défaut de faute imputable à la société Enedis distincte du défaut du produit

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris

Débouter les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin de leurs demandes formées à l'encontre de la société Enedis

A titre très subsidiaire,

Dire & juger mal fondée l'indemnisation sollicitée au titre des dommages, dès lors que leur chiffrage ne résulte d'aucune évaluation objective et ne prend pas en compte la valeur de remplacement

Dire & juger mal fondée l'indemnisation sollicitée au titre de la note d'honoraires du cabinet Eurexo

Dire et juger mal fondée l'indemnisation sollicitée au titre de la résistance abusive

En conséquence

Infirmer le jugement entrepris

Débouter les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin de leurs demandes formées à l'encontre de la société Enedis

Si par exceptionnel la Cour condamne la société Enedis à indemniser les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin au titre des dommages subis du fait du défaut de qualité de l'électricité distribuée,

Déduire du montant de l'indemnité qui serait alloué aux sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin la franchise applicable aux dommages aux biens dans le cadre de la responsabilité du fait des produits défectueux de 500 euros prévue à l'article 1245-1 du Code civil

En tout état de cause,

Dire & juger mal fondée la condamnation prononcée à l'encontre de la société Enedis au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

En conséquence,

Infirmer le jugement entrepris

Débouter les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin de leur demande de condamnation de la société Enedis au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamner les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin à payer à la société Enedis la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

Condamner les sociétés Aviva Assurances et Auberge du Bon Coin aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Bertrand R., Aarpi-Jrf Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Vu les dernières écritures signifiées le 4 avril 2018 au terme desquelles la société Aviva et la société Auberge du Bon Coin demandent à la cour de :

Vu les articles 1147 et 1382 de l'ancien Code civil (1231-1 et 1240 du nouveau Code civil) ;

Vu l'article L. 121-12 du Code des Assurances.

Recevoir la Compagnie Aviva Assurances en ses écritures.

Y faisant droit.

Confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre du 22 juin 2017 en toutes ses dispositions ;

Condamner la société Enedis à payer à la Compagnie Aviva Assurances la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Débouter la société Enedis de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la Compagnie Aviva Assurances et de la société Auberge du Bon Coin

Condamner la société Enedis aux entiers dépens, dont le montant sera directement recouvré par Maître Anne-L. D., avocat au Barreau de Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées par les parties et au jugement déféré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité des demandes formulées par la société Auberge du Bon Coin et son assureur :

Comme en première instance, la société Enedis entend opposer une fin de non-recevoir aux demandes formulées par la société Auberge du Bon Coin et son assureur à son encontre, en faisant valoir que ce n'est pas la responsabilité contractuelle qui s'applique au litige mais celle du fait des produits défectueux, telle que prévue aux articles 1386-1 et suivants du Code civil (devenus les articles 1245 et suivants depuis le 1er octobre 2016), s'estimant être producteur d'électricité.

Mais c'est bien en sa qualité de distributeur et non de producteur que la société Auberge du Bon Coin et son assureur ont engagé une action contractuelle à l'encontre de la société Enedis, laquelle, comme l'a justement rappelé le premier juge, leur était ouverte par l'article 1386-18 du Code civil (devenu l'article 1245-17), selon lequel : Les dispositions du présent chapitre ne portent pas atteinte aux droits dont la victime d'un dommage peut se prévaloir au titre du droit de la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle ou au titre d'un régime spécial de responsabilité. / Le producteur reste responsable des conséquences de sa faute et de celle des personnes dont il répond.

A cet égard, les conditions générales de vente d'électricité d'EDF, applicables au 1er janvier 2006, antérieurement à la création d'ERDF, devenu la société Enedis, désormais en charge de sa distribution, prévoient en leur article 5-1, relatif à la continuité et la qualité de la fourniture d'électricité, que : EDF s'engage à assurer une fourniture continue et de qualité d'électricité sauf dans les cas qui relèvent de la force majeure ou des contraintes insurmontables liées à des phénomènes atmosphériques ou des limites techniques existantes au moment de l'accident.

Or, c'est bien au titre d'une coupure de la distribution d'électricité, survenue le 3 mars 2014, étrangère à la qualité ou à la sécurité du produit, que la société Auberge du Bon Coin et son assureur agissent, de sorte que, confirmant le jugement de ce chef, la cour déclarera leur action recevable.

Sur la responsabilité de la société Enedis :

Relevant que, selon le médiateur de l'énergie, l'origine du sinistre subi par la société Auberge du Bon Coin serait une surtension, sans révéler de faute de sa part, la société Enedis, qui considère n'être tenue qu'à une obligation de moyens, entend voir sa responsabilité contractuelle écartée.

Elle fait en effet valoir que l'article 5-1 des conditions générales d'EDF, déjà partiellement cité, ajoute que : De manière générale, il appartient au client de prendre les précautions élémentaires pour se prémunir contre les conséquences des interruptions et défauts dans la qualité de la fourniture. EDF se tient à la disposition du client pour le conseiller.

Mais outre que ces stipulations s'appliquent pour des interventions programmées ou à des coupures du fait de tiers, elles ne sauraient, en aucun cas, remettre en cause l'obligation de résultat de distribution d'électricité pesant sur elle.

La société Auberge du Bon Coin et son assureur soutiennent pour leur part que la société Enedis est bien tenue à cette obligation de résultat de fourniture d'électricité, à laquelle elle a failli, sans faire valoir de cause exonératoire de responsabilité.

A cet égard, l'expertise amiable du cabinet Eurexo, à laquelle la société Enedis à été conviée sans s'y faire représenter, conclut à une cause du sinistre imputable à des incidents survenus sur le réseau HTA, ce qui impute la responsabilité du sinistre à une rupture de la fourniture continue d'électricité.

Le médiateur de l'énergie, dans son courrier du 15 juin 2015, se contente d'indiquer que : Selon les données dont je dispose, un réenclenchement en charge peut provoquer une surtension et les appareils avec des circuits électroniques y sont particulièrement sensibles. Ce faisant, il ne peut se déduire de ce courrier, qui n'est pas celui d'un expert, que ce soit la qualité de l'électricité qui soit en cause.

Au regard des conditions générales de vente d'électricité, la société Enedis ne se prévaut ni de la force majeure, ni de contraintes insurmontables ou autres causes exonératoires de responsabilité, de sorte que le tribunal a justement retenu sa responsabilité dans le défaut de distribution de d'électricité, ce que la cour confirme.

Sur le préjudice de la société Auberge du Bon Coin :

La société Enedis fait grief à la société Auberge du Bon Coin d'avoir remplacé le matériel endommagé, un groupe et un évaporateur de chambre froide, sur la base du devis de l'entreprise Dordogne Froid Climatisation, sans avoir recherché sur le marché de l'occasion une pièce en valeur de remplacement.

La société Auberge du Bon Coin et son assureur rappellent que la société Enedis, convoquée à l'expertise amiable ne s'y est pas rendue et font valoir que celle-ci ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un marché organisé et fiable de ce type de pièces détachées.

De fait, outre une pétition de principe quant au développement des marchés de produits de seconde main, la société Enedis ne rapporte pas la preuve de l'existence même d'un marché de pièces d'occasion destiné au fonctionnement des chambres froides, de sorte qu'en l'espèce, seule une valeur de remplacement à neuf est susceptible de réparer intégralement le préjudice subi par la société Auberge du Bon Coin du fait de la coupure de courant survenue, sans qu'il y ait lieu à retirer de cette somme celle de 500 euros de franchise au titre de la responsabilité des produits défectueux.

S'agissant des frais d'expertise amiable du cabinet Eurexo, dont le tribunal a décidé d'indemniser la société Aviva, il y a lieu de décider qu'ils ressortissent des frais irrépétibles, le jugement étant réformé en ce sens.

Pour le surplus, s'agissant de la ventilation de l'indemnisation entre la société Auberge du Bon Coin et son assureur subrogé, il y a lieu de confirmer le jugement, sauf à déduire de celle allouée à la société Aviva les frais d'expertise amiable du cabinet Eurexo.

Sur la résistance abusive :

Le tribunal a considéré que, passant outre l'avis du médiateur de l'énergie, la société Enedis avait contraint la société Aviva à engager une procédure et l'a ainsi condamnée à payer à cet assureur une somme de 500 euros au titre de la résistance abusive.

La société Enedis se défend toutefois justement d'une faute civile, estimant à bon droit avoir contesté sa responsabilité, sans que cela dégénère en abus de droit.

Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile :

Il est équitable d'allouer à la société Aviva une indemnité de procédure de 4 000 euros.

Par ces motifs, LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné la société anonyme Enedis à payer à la société anonyme Aviva Assurances la somme de 2 178,02 euros de dommages et intérêts et celle de 500 euros pour résistance abusive, Et statuant à nouveau, Condamne la société anonyme Enedis à payer à la société anonyme Aviva Assurances la somme de 1 872 euros de dommages et intérêts en subrogation de son assurée, la société à responsabilité limitée Auberge du Bon Coin, Déboute la société anonyme Aviva Assurances de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, Rejette toutes demandes plus amples, Et y ajoutant, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société anonyme Enedis à payer à la société anonyme Aviva Assurances la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société anonyme Enedis aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du Code de procédure civile.