Livv
Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 27 juin 2018, n° 17-04118

COLMAR

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Normalu (SAS)

Défendeur :

Meunier (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Panetta

Conseillers :

Mmes Decottignies, Harrivelle

Avocats :

Mes Crovisier, Wetzel

TGI Strasbourg, du 19 sept. 2017

19 septembre 2017

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS DES PARTIES :

Par assignation en date du 29 décembre 2015, la SAS Normalu a fait citer l'EURL Meunier devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg pour des faits de contrefaçon de marque et de concurrence déloyale. La société Meunier a formé une demande reconventionnelle pour rupture brutale des relations commerciales. La SAS Normalu a soulevé une exception d'incompétence du Tribunal de grande instance de Strasbourg au profit du Tribunal de commerce de Nancy.

Par une ordonnance du 19 septembre 2017, le Juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Strasbourg a rejeté l'exception d'incompétence et a déclaré le tribunal saisi compétent pour connaître territorialement et matériellement de l'ensemble du litige.

La décision est assortie de l'exécution provisoire.

Par déclaration faite au greffe en date du 22 septembre 2017, la SAS Normalu a interjeté appel de la décision.

L'EURL Meunier s'est constituée intimée en date du 23 octobre 2017.

Par des dernières conclusions en date du 17 avril 2018, la SAS Normalu demande à la cour d'infirmer l'ordonnance du juge de la mise en état, de déclarer le Tribunal de grande instance de Strasbourg incompétent pour statuer de la demande reconventionnelle de la société Meunier, subsidiairement, de sanctionner par une fin de non-recevoir l'inobservation des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce et condamner la société Meunier à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, la SAS Normalu affirme qu'en application des articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce, seul le Tribunal de commerce de Nancy est investi du pouvoir de statuer sur la demande reconventionnelle de la société Meunier. Elle indique que selon une jurisprudence récente, le tribunal de grande instance saisi d'une question de propriété intellectuelle ne peut connaître d'une question, même connexe, étrangère à la concurrence déloyale. Elle sollicite le débouté de la demande de sursis à statuer de la société Meunier en attendant la décision relative à la rupture abusive des relations commerciales, elle soutient que cette décision n'aurait pas pour effet de décaler la date de la rupture des relations commerciales entre les parties et n'aurait donc pas d'incidence sur le présent litige.

Par des dernières conclusions en date du 12 mars 2018, l'EURL Meunier demande à la cour de confirmer l'ordonnance entreprise, subsidiairement, en cas de déclaration d'incompétence, dire que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent pour connaître du litige, prononcer le sursis à statuer sur les demandes principales jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur la demande relative à la rupture abusive des relations commerciales, condamner la SAS Normalu à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

A l'appui de ses allégations, l'EURL Meunier affirme que le Tribunal de grande instance de Strasbourg est compétent pour connaître de sa demande de rupture abusive des relations commerciales en application de la règle de prorogation de la compétence du tribunal. Elle affirme que cette demande a une influence directe sur le litige car les actes que reproche la SAS Normalu à l'intimée auraient été commis pendant la période où l'usage des marques était autorisé. Elle indique qu'en matière délictuelle, le demandeur dispose d'un choix et peut décider de saisir la juridiction du lieu où le fait dommageable s'est produit ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. Elle soutient que le Tribunal de commerce de Lyon est compétent car le dommage résultant de la cessation brutale des relations a été subi au siège de la société victime, et elle indique avoir son siège social dans le département du Rhône.

La cour se référera à ces dernières écritures pour plus ample exposés des faits de la procédure et des prétentions de la partie.

L'affaire a été appelée à l'audience du 14 mai 2018 à laquelle les parties ont développé leur argumentation et déposé les pièces à l'appui de leurs allégations.

MOTIFS DE LA DECISION :

- Sur l'exception d'incompétence soulevée par la société Normalu

Afin de faire déclarer irrecevable la demande reconventionnelle présentée par la société Meunier à son encontre, la société Normalu excipe de l'incompétence ratione materiae du Tribunal de grande instance de Strasbourg pour en connaître. La partie appelante avance que la compétence dérogatoire du Tribunal de commerce de Nancy, prévue en matière de rupture brutale des relations commerciales par l'article L. 442-6 du Code de commerce, implique que la juridiction alsacienne saisie soit déclarée incompétente, l'ordonnance entreprise devant être infirmée de ce chef.

Pour s'opposer à ce moyen, la société Meunier argue d'une prorogation de compétence du tribunal strasbourgeois, en vertu de l'article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle. Elle considère que, la juridiction ayant été saisie d'une demande en contrefaçon, sa compétence s'étend aux questions connexes relevant de la concurrence déloyale. Elle allègue que la demande en rupture brutale des relations commerciales s'analyse comme relevant du champ de la concurrence déloyale et que donc le Tribunal de grande instance de Strasbourg est compétent, par prorogation de compétence. Elle ajoute que, le lien de connexité entre les deux demandes étant évident, il relève de la logique juridique et de la bonne administration de la justice qu'elles soient jugées conjointement, par la même juridiction.

Il résulte de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce qu'en matière de rupture brutale des relations commerciales, une compétence ratione materiae exclusive de certaines juridictions est imposée par la loi. Pour le ressort de la cour d'appel de Colmar, en vertu de l'article D. 442-3 du Code de commerce, le Tribunal de commerce de Nancy est désigné pour connaître des demandes présentées sur ce chef.

Il est souligné que la prorogation de compétence dont se prévaut la société Meunier, en application de l'article L. 716-3 du Code de la propriété intellectuelle, ne produit effet qu'à l'égard d'une question connexe de concurrence déloyale.

Or l'action en responsabilité pour rupture brutale de relations commerciale est fondée sur l'article L. 442-6 5° du Code de commerce, et non sur le droit commun de l'article 1382 ancien (1240 nouveau) du Code civil, applicable en matière d'actes de concurrence déloyale. Il est indifférent que la société Meunier prétende fonder sa demande reconventionnelle uniquement sur les dispositions de droit commun du Code civil et non sur les dispositions spéciales prévues, en matière de rupture de relation commerciale établie, par le Code de commerce. En effet, l'article L. 442-6 du Code de commerce est une disposition d'ordre public, qui s'impose tant au juge qu'aux parties dans le cadre de son champ d'application. L'argument de la société Meunier relatif à la connexité des demandes est dès lors sans emport. Il s'en déduit que la demande reconventionnelle formée par elle, tendant à voir constater la rupture brutale de relations commerciales l'ayant lié à la société Normalu, ne peut être jugée par le Tribunal de grande instance de Strasbourg, qui n'en a pas le pouvoir juridictionnel.

Il s'ensuit que l'ordonnance querellée devra être infirmée, et que la demande de la société Meunier portant sur la rupture brutale de relations commerciales sera déclarée irrecevable, en ce qu'elle a été introduite devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg.

- Sur la demande de disjonction d'instance et de sursis à statuer formée par la société Meunier

Au visa des articles 46, 96 et 97 du Code de procédure civile, la société Meunier demande, dans l'hypothèse où la cour de céans retiendrait l'incompétence du Tribunal de grande instance de Strasbourg, à ce que cette dernière renvoie la connaissance de la demande en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales au Tribunal de commerce de Lyon. Elle demande en outre que la cour de céans prononce un sursis à statuer sur la demande reconventionnelle en attendant que la cause principale soit tranchée, arguant de leur connexité et de la conséquence directe de l'issue de la seconde sur la première.

La société Normalu s'oppose à cette demande, considérant qu'il n'existe aucun motif pour surseoir à statuer. Elle estime que les deux demandes peuvent parfaitement être jugées séparément et que l'issue du litige portant sur la rupture prétendument brutale des relations commerciales n'aurait aucune incidence sur la date de cette rupture, et partant sur l'issue de la demande principale en contrefaçon.

S'agissant de la disjonction d'instance et du renvoi au Tribunal de commerce de Lyon demandés par la société Meunier, il échet de rappeler que la sanction de l'inobservation des dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du Code de commerce consiste en une irrecevabilité de la demande, en ce qu'elle est présentée devant une juridiction qui n'a pas le pouvoir juridictionnel d'en connaître. Il ne sera donc prononcé aucune déclaration d'incompétence ni, partant, aucun renvoi à une autre juridiction. Il incombe à la partie intimée de saisir la juridiction compétente selon les règles dérogatoires de compétence ratione materiae prévues par le Code de commerce.

S'agissant du sursis à statuer sollicité par la société Meunier, il n'apparaît pas que l'issue du litige portant sur la rupture des relations commerciales aurait une incidence déterminante sur celui portant sur la contrefaçon. En aucun cas, contrairement à ce qu'affirme la partie intimée, le caractère illicite d'éventuels actes de contrefaçon ne pourrait être " couvert " par la rupture prétendument brutale des relations commerciales. Comme l'indique la société Normalu, une telle rupture ne pourrait, si son caractère fautif était retenu par un juge, que résulter en des dommages et intérêts au profit de la société Meunier, en non en un déplacement de la date de rupture des relations commerciales.

Il en résulte que la société Meunier ne démontre pas la nécessité du prononcé d'un sursis à statuer. Elle sera en conséquence déboutée de sa demande à ce titre.

- Sur les demandes accessoires

La société Meunier, succombante, aura la charge des dépens.

L'équité commande l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Normalu, pour la somme de 1 000 euros. En revanche, l'équité ne commande pas l'application de ces dispositions au profit de la société Meunier.

Par ces motifs, LA COUR, Infirme l'ordonnance rendue le 19 septembre 2017, par le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Strasbourg, en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau, Déclare irrecevable la demande formée par la société Meunier sur le fondement d'une rupture brutale des relations commerciales, en ce qu'elle a été introduite devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg, qui n'a pas le pouvoir juridictionnel de statuer sur une telle demande, Renvoie, en conséquence, les parties à mieux se pourvoir sur ce point, Déboute la société Meunier de sa demande de disjonction d'instance et de sursis à statuer, Condamne la société Meunier aux dépens de la procédure, Condamne la société Meunier à payer à la société Normalu la somme de 1 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la société Meunier.