CA Bordeaux, 4e ch. civ., 27 juin 2018, n° 16/00427
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Auto Gallery (SARL)
Défendeur :
Chabot Sport Aquitaine (SAS), Porsche France (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chelle
Conseillers :
Mme Fabry, M. Pettoello
Avocats :
Mes Vigné, Boyreau, Vives, Maysounabe, Bou Salman, Pen
FAITS ET PROCÉDURE
La SARL Auto Gallery commercialise des véhicules d'occasion. Le 23 novembre 2012 elle a vendu à Mme Anne Marie T. un véhicule de marque Porsche de type 997 Carrera 4S numéro de série WPOZZZ99Z6S737096 affichant un kilométrage de 62 720.
Suite à une avarie moteur et dans le cadre de la garantie souscrite avec la vente, la société Auto Gallery a fait procéder, dans les ateliers de la SAS Chabot Sport Aquitaine (la société CSA), concessionnaire Porsche à Pessac, au changement du moteur.
La prestation a été facturée 19 328,60 euros et n'a pas été réglée. Sur requête de la société CSA le président du tribunal de commerce a rendu le 23 janvier 2014 une ordonnance faisant injonction à la société Auto Gallery de payer la somme de 19 328,60 euros en principal. Cette ordonnance a été signifiée par acte du 23 avril 2014 à la société Auto Gallery qui a formé opposition le 29 avril 2014.
Parallèlement, la société Auto Gallery qui invoquait une avarie récurrente sur ce modèle, avait sollicité la SA Porsche France aux fins de participation commerciale, mesure refusée au motif d'un non-respect des préconisations constructeur au titre de l'entretien périodique.
Se prévalant d'un rapport d'expertise amiable et sur le fondement de la garantie des vices cachés, la société Auto Gallery a, par acte du 23 juin 2014, fait assigner la société Porsche France devant le Tribunal de commerce de Bordeaux aux fins de garantie des sommes par elle dues au titre de la facture de changement du moteur.
Par jugement contradictoire du 18 décembre 2015, le tribunal de commerce a ainsi statué :
Dit la société Auto Gallery SARL recevable en son opposition,
Joint les instances enrôlées sous les N° 2014F00769 et N°2014F01357,
Condamne la société Auto Gallery SARL à payer à la société Chabot Sport Aquitaine SAS la somme de 19 328,60 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 avril 2014,
Ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 23 avril 2014,
Déboute la société Chabot Sport Aquitaine SAS de sa demande d'indemnité spécifique de recouvrement,
Ordonne l'exécution provisoire,
Déboute la société Porsche France SA de toutes ses demandes d'irrecevabilité de l'action de la société Auto Gallery SARL,
Déboute la société Auto Gallery SARL de l'ensemble de ses demandes à l'égard de la société Porsche France SA,
Condamne la société Auto Gallery SARL à payer à la société Porsche France SA et à la société Chabot Sport Aquitaine SAS la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne la société Auto Gallery SARL aux dépens.
Par déclaration faite au greffe le 21 janvier 2016, la société Auto Gallery a interjeté appel total de la décision.
Le 10 mars 2016, le président de chambre a proposé aux parties une mesure de médiation qui n'a pas été acceptée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures en date du 20 avril 2016 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Auto Gallery demande à la Cour de :
Vu les dispositions de l'article 1641 du Code civil,
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 18 décembre 2015,
Réformer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 18 décembre 2015,
Statuant à nouveau,
Condamner la société Porsche France à relever indemne la société Auto Gallery de toute condamnation susceptible d'être prononcée à son encontre au bénéfice de la société Chabot Sport Aquitaine et supporter le coût de la facture de réparations d'un montant de 19 328,60 TTC, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.
Condamner la société Porsche France à payer à la société Auto Gallery la somme de 3 500 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait valoir que vendeur intermédiaire du véhicule, elle dispose d'un intérêt à agir contre la société Porsche pour que celle-ci prenne en charge le coût de la facture remplacement du moteur. Elle conteste toute prescription faisant valoir que son point de départ ne peut être fixé à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 mais doit l'être au jour de la découverte du vice et en l'espèce au jour du devis de réparation. Sur le fond, elle fait valoir que l'expert avait convoqué toutes les parties à l'expertise de sorte que le rapport est opposable. Elle indique qu'il a écarté tout problème d'entretien et qu'il résulte du rapport que l'avarie procède bien d'un vice caché, peu important que le véhicule ait été mis en circulation pour la première fois en Italie et soit âgé de plus de six ans.
Dans ses dernières écritures en date du 20 juin 2016 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Chabot demande à la Cour de :
- Vu notamment tes articles 1134 et s. et 1779 et 1780 du Code civil,
- Vu les pièces,
Recevoir la société Chabot Sport Aquitaine en ses demandes et les dire bien fondées.
Débouter la société Auto Gallery de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Chabot Sport Aquitaine.
Confirmer le jugement rendu le 23 décembre 2015 par le Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a condamné la société Auto Gallery à payer à la société Chabot Sport Aquitaine la somme de 19 328,60 euros TTC, outre la somme de 1 500,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.
Et réformant le jugement pour le surplus, condamner la société Auto Gallery à payer à la société Chabot Sport Aquitaine les pénalités de retard calculées :
- sur la base de 1,5 fois le taux d'intérêt légal ;
- et à compter du 1er août 2013.
Dire et juger que ces intérêts se capitaliseront par années entières conformément à l'article 1154 du Code civil.
Condamner la société Auto Gallery à payer à. la société Chabot Sport Aquitaine l'indemnité spécifique de recouvrement de 40 euros prévue à l'article L. 441-6 du Code de commerce.
Condamner la société Auto Gallery à payer à la société Chabot Sport Aquitaine la somme de 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Condamner la société Auto Gallery en tous les dépens.
Elle fait valoir qu'elle est exclusivement intervenue pour réaliser une réparation qui a donné satisfaction. Elle ajoute que l'appelant demande la réformation du jugement en toutes ses dispositions sans émettre de critique à l'encontre de la disposition de condamnation. Elle se prévaut de l'intérêt au taux légal majoré et de l'indemnité de recouvrement de l'article L. 441-6 du Code de commerce.
Dans ses dernières écritures en date du 9 janvier 2018 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Porsche France demande à la Cour de :
Vu l'article 122 du Code de procédure civile,
Vu l'article L. 110-4 du Code de commerce,
Vu les articles 1641 à 1648 du Code civil,
Il est demandé à la Cour de céans de :
À titre principal, sur l'appel incident de la société Porsche France,
- Recevoir la société Porsche France en son appel incident et la dire bien fondée ;
- Infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en garantie de la société Auto Gallery ;
Et statuant à nouveau sur ce point,
- Dire et juger que les demandes de la société Auto Gallery sont prescrites et donc irrecevables ;
- Débouter en conséquence la société Auto Gallery de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société Porsche France ;
À titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé qu'aucune preuve de l'existence d'un vice caché présent lors de la mise en circulation du véhicule n'était rapportée par la société Auto Gallery ;
- Rejeter par conséquent l'intégralité des demandes de la société Auto Gallery à l'égard de la société Porsche France ;
À titre subsidiaire, si par exceptionnel la cour reconnaissait l'existence d'un vice caché,
- Dire et juger que la société Auto Gallery est présumée, en tant qu'acheteur et vendeur professionnel, avoir eu connaissance du vice caché affectant le véhicule litigieux lorsqu'il l'a acquis et revendu au propriétaire actuel ;
- Débouter en conséquence la société Auto Gallery de l'intégralité de ses demandes à l'égard de la société Porsche France ;
En tout état de cause,
- Condamner la société Auto Gallery à verser à la société Porsche France une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- Condamner la société Auto Gallery aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de maître Maysounabe.
Elle fait valoir que c'est à tort que les premiers juges ont écarté la prescription alors que le délai de deux ans courant à compter de la découverte du vice est enfermé dans le délai de prescription de droit commun ramené à cinq ans par la loi du 17 juin 2008. Elle se prévaut d'une vente initiale au 4 mai 2006 faisant courir le délai de droit commun. Subsidiairement sur le fond, elle estime que l'appelante ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un vice préexistant à la vente initiale du véhicule. Elle considère que le rapport d'expertise lui est inopposable et n'est corroboré par aucun autre élément alors en outre qu'il n'établit pas précisément un vice caché. Plus subsidiairement, elle considère que le sous acquéreur professionnel est présumé connaître les vices de la chose.
Par ordonnance en date du 2 mai 2018, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 23 mai 2018.
EXPOSE DES MOTIFS
La société Auto Gallery a interjeté un appel total intimant tant la société Porsche que la société CSA. Toutefois à l'encontre de cette dernière elle ne développe aucun moyen de réformation à l'encontre des dispositions du jugement l'ayant condamnée au paiement de la somme de 19 328,60 euros correspondant à la facture émise suite au changement du moteur et selon ordre de réparation et devis signés par l'appelante.
Dans les rapports entre les sociétés Auto Gallery et CSA, la cour n'est saisie que dans les termes de l'appel incident, la société CSA reprenant sa demande de cours de l'intérêt à un taux de 1,5 fois le taux légal et d'indemnité de recouvrement.
S'agissant de l'indemnité de recouvrement, le tribunal n'a pas expressément motivé le rejet. Toutefois, c'est à bon droit qu'il n'a pas fait droit à cette prétention. En effet, si les dispositions de l'article L. 441-6 du Code de commerce prévoient une indemnité de recouvrement, dont le montant a été fixé à 40 euros, il s'agit d'une indemnité due de plein droit alors que le créancier peut demander une indemnisation complémentaire sur justification de frais supplémentaires. Implicitement mais nécessairement, le créancier s'est bien placé sur le terrain de frais supplémentaires puisqu'il réclame une indemnité au titre des frais exposés devant les juridictions. La somme allouée de ce chef inclut donc l'indemnité de recouvrement qui n'est plus celle due de plein droit pour retard mais celle correspondant à l'ensemble des frais invoqués par le créancier.
En revanche, l'appelante ne s'explique pas sur le point de départ des intérêts et le taux à appliquer alors que les conditions générales de vente rappelaient un taux de 1,5 fois le taux légal dû à compter de l'échéance, laquelle était fixée au 31 juillet 2013. C'est donc à juste titre que la société CSA sollicite le cours des intérêts à compter du 1er août 2013 à un taux de 1,5 fois le taux légal.
Le jugement sera ainsi confirmé en ce qu'il a condamné la société Auto Gallery au paiement de la somme de 19 328,60 euros et réformé sur le point de départ des intérêts et le taux. Le jugement sera confirmé sur les dispositions ayant ordonné la capitalisation des intérêts, la cour n'étant saisie de ce chef d'aucun moyen de réformation quant au point de départ retenu par le tribunal.
Ce n'est qu'à l'encontre de la société Porsche que l'appelante développe des moyens de réformation du jugement, moyens tendant à la garantie par la société Porsche de la facture de remplacement du moteur.
Devant la cour, la société Porsche, formant appel incident reprend la seule fin de non-recevoir tenant à la prescription de l'action à son endroit.
Elle soutient que le délai de deux ans de l'article 1648 du Code civil est enfermé dans le délai de prescription de droit commun de l'article L. 110-4 du Code de commerce, s'agissant d'une action entre commerçants et que de ce chef le point de départ est la mise en circulation du véhicule au 4 mai 2006.
Il est manifeste que l'action de la société Auto Gallery a bien été introduite dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice allégué procédant de l'avarie moteur du 15 mars 2013 pour avoir été introduite le 23 juin 2014. Il s'agit bien d'une action entre commerçants enfermée dans le délai de l'article L. 110-4 du Code de commerce. Toutefois, si ces dispositions emportent l'existence d'une prescription de droit commun de cinq ans, elles ne précisent en rien le point de départ, lequel par application du droit commun de l'article 2224 du Code civil est bien celui où le titulaire du droit a été en mesure de le connaître.
Il n'y a donc pas lieu en l'espèce de retenir la prescription.
Sur le fond, il convient de rappeler qu'il incombe à l'appelante de rapporter la preuve de ce vice caché et de son existence préexistante à la vente par la société Porsche à l'encontre de laquelle elle formule ses demandes.
L'appelante se prévaut des conclusions d'un rapport amiable d'expertise pour considérer que l'avarie procéderait d'un vice caché. Si ce rapport a été communiqué dans le cadre de la procédure, il ne peut être considéré qu'il est totalement contradictoire. En effet, il apparaît certes que les parties avaient été convoquées à la première réunion d'expertise en date du 25 avril 2013. La société Porsche avait fait le choix de ne pas s'y rendre ce qui ne porte pas atteinte au caractère contradictoire de cette première réunion. Cependant, aucune constatation n'a été faite à cette occasion. C'est lors d'une seconde réunion en date du 30 mai 2013 qu'il a été procédé à la dépose du moteur et aux constatations techniques. Or, aucun élément ne permet de dire que la société Porsche avait été convoquée pour cette date. En effet, elle avait indiqué qu'elle ne se déplacerait pas pour la première réunion à raison d'une carence dans l'entretien du véhicule au regard des préconisations du constructeur. Si l'expert a noté que l'entretien avait été réalisé conformément à ces préconisations, il n'apparaît pas qu'il l'ait signalé à la société Porsche et qu'il l'ait convoquée à la seconde réunion.
Alors que l'expertise amiable est le seul élément technique produit par l'appelante, ceci constitue une première difficulté au regard du principe du contradictoire. En outre, les constatations de l'expert sont particulièrement sommaires. Il constate une avarie localisée sur un seul cylindre et ajoute qu'aucun élément ne justifie le défaut de lubrification. Il note que l'entretien ou l'utilisation ne sont pas en cause sans s'expliquer sur cette utilisation et ajoute ne pas comprendre pourquoi Porsche n'intervient pas ce qui demeure très insuffisant pour caractériser un vice préexistant à la mise en circulation. Il s'agit en effet d'un véhicule qui avait certes un faible kilométrage mais mis en circulation depuis près de 7 ans de sorte que les affirmations très sommaires du rapport d'expertise ne peuvent dans de telles conditions être suffisantes pour caractériser un vice caché au jour de la vente initiale.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes à l'encontre de la société Porsche et en toutes ses autres dispositions au titre des frais et dépens en première instance.
L'appel principal est mal fondé de sorte que l'appelante sera condamnée à payer à chacune des intimées la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement du Tribunal de commerce de Bordeaux du 18 décembre 2015 uniquement en ce qu'il a fait courir les intérêts sur la somme de 19 328,60 euros à compter du 23 avril 2014 et au seul taux légal, Statuant à nouveau de ces chefs, Dit que la somme de 19 328,60 euros portera intérêts à compter du 1er août 2013 au taux de 1,5 fois le taux légal, Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, Y ajoutant, Condamne la SARL Auto Gallery à payer à la SAS Chabot Sport Aquitaine et à la SA Porsche France la somme de 2 000 euros chacune en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SARL Auto Gallery aux dépens et dit qu'il pourra être fait application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile par maître Maysounabe, avocat qui le demande.