Livv
Décisions

CA Lyon, 6e ch., 28 juin 2018, n° 17-05188

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Coplan (Sasu)

Défendeur :

Djamut (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boisselet

Conseillers :

M. Bardoux, Mme Clerc

TGI Lyon, du 27 févr. 2018

27 février 2018

FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES

La SAS Djamut, qui exerce à l'enseigne Natura-Sense et commercialise notamment des extracteurs de jus de la marque Omega, reproche à la Sasu Coplan d'avoir fait figurer sur son site internet www.nature-vitalite.com des mentions jetant sur elle le discrédit.

La société Coplan est l'importateur exclusif de ces appareils fabriqués par la société américaine Greenfield mais pas le distributeur exclusif. La société Djamut commercialise ainsi des appareils obtenus auprès d'un autre importateur européen.

La société Coplan, se présentant dans son site internet comme un " revendeur agréé " faisait mention " des sites français pratiquant la revente d'extracteurs de jus Omega, sans l'accord de la marque : Natura-Sense.... Ce sont dans la plupart des cas des jeunes sociétés qui ne présentaient pas des garanties de pérennité et qui n'ont pas été agréées par Omega ".

Il était également indiqué sur le site que les clients traitant avec les revendeurs " non agréés par Omega " ne pouvaient pas " profiter du même niveau de garanties ".

Par ordonnance du 29 mars 2017, le président du Tribunal de commerce de Versailles, statuant en référé, a notamment ordonné à la SAS Coplan de retirer de son site internet, dans les 8 jours de la signification de l'ordonnance, toute mention dénigrante à l'encontre de revendeurs d'extracteurs de jus de la marque Omega, et/ou tout propos mensonger quant au réseau de distribution des produits Omega et Tribest, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard.

Par acte d'huissier de justice en date du 7 juin 2017, la SAS Djamut a fait assigner la Sasu Coplan à comparaître devant le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'obtenir la liquidation de cette astreinte.

Par jugement avant dire droit du 31 octobre 2017, le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Lyon a notamment :

- dit que la SAS Djamut ne justifie pas de la signification de l'ordonnance du juge de référés du Tribunal de commerce de Versailles du 29 mars 2017 à la SAS Coplan ;

- ordonné la réouverture des débats ;

- invité les parties à produire la signification de cette ordonnance.

Par jugement en date du 27 février 2018, le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Lyon a :

- écarté des débats le procès-verbal d'huissier établi par Me Pierre L. le 21 juin 2017,

- liquidé le montant de l'astreinte provisoire résultant de l'ordonnance de référé du Tribunal de commerce de Versailles en date du 29 mars 2017, mise à la charge de la Sasu Coplan, pour la période du 7 avril au 26 septembre 2017, à la somme de 34 200 euros,

- condamné la Sasu Coplan à verser à la SAS Djamut la somme de 34 200 euros,

- rejeté le surplus des prétentions,

- condamné la Sasu Coplan au paiement de la somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la Sasu Coplan aux dépens.

La Sasu Coplan a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la cour le 19 mars 2018.

Par ordonnance du 26 mars 2018, le président de la chambre, faisant application des dispositions des articles 905 du Code de procédure civile et R. 121-20 al.2 du Code des procédures civiles d'exécution a fixé l'affaire à l'audience du 5 juin 2018 à 13h30.

En ses conclusions du 1er juin 2018, la Sasu Coplan demande à la cour, vu l'article L. 131-4 du Code des procédures civiles d'exécution, de

- rejeter la demande de radiation d'appel de la société Djamut, dans la mesure où le premier président de la cour d'appel n'a pas été saisi de cette demande et d'autre part que la société Coplan justifie avoir réglé les causes du jugement du juge de l'exécution, alors même que la société Djamut n'a pas justifié à ce jour du montant des dépens par elle exposés en première instance ;

réformant le jugement déféré,

- juger que la société Coplan a respecté les termes de l'ordonnance du juge de référés du Tribunal de commerce de Versailles en date du 29 mars 2017 ;

- juger que le contenu de son site internet ne comporte ni propos dénigrant, ni propos mensonger ;

- juger que l'utilisation du logo contesté n'est pas critiquable dans la mesure où ce logo n'a jamais été débattu devant le juge des référés et qu'il ressort des termes employés par le juge des référés que la société Coplan est bien l'importateur exclusif des extracteurs de jus Omega ;

- juger, s'agissant des garanties offertes, que le juge de référés ne s'est pas prononcé sur le caractère mensonger ou dénigrant des allégations de la société Coplan qui affirmait que les revendeurs n'offraient pas le même niveau de garantie qu'elle et que le pouvoir d'interprétation du juge de l'exécution ne lui permet pas de statuer sur des éléments n'ayant pas été tranchés [par la décision] ayant ordonné l'astreinte ;

- juger qu'en toute hypothèse, les éléments produits aux débats et notamment la propre argumentation de la société Djamut démontrent que la société Coplan pouvait seule sur le territoire français s'approvisionner directement auprès de la société Greenfield pour les produits Omega, et que, pour les autres revendeurs, cela ralentissait nécessairement le processus et complexifiait la garantie ;

- juger que les propos de la société Coplan sur son site internet indiquant la réalité d'un système de distribution mis en place pour les produits Omega et sa perturbation par d'autres revendeurs, tout en soulignant la légalité de ces reventes ne sont pas mensongers dans la mesure où ce système de distribution est bien démontré et qu'il est nécessairement désorganisé par le jeu des importations parallèles ;

- débouter en conséquence la société Djamut de l'ensemble de ses prétentions ;

- juger qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Coplan les frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour faire assurer la défense de ses intérêts ;

- condamner la société Djamut à payer à la société Coplan la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

à titre subsidiaire,

- juger qu'il y a lieu de tenir compte de l'application de l'astreinte, des efforts consentis et de la bonne volonté de celui qui s'emploie à répondre à l'injonction ;

- juger qu'il ressort des éléments de l'espèce que la société Coplan a mis un soin particulièrement sérieux à faire les modifications en essayant de rester dans l'esprit de l'ordonnance du juge des référés alors même que la généralité des termes du dispositif rendait cette tâche particulièrement difficile et l'exposait à un risque d'interprétation dans son exécution ;

- en conséquence, ramener le montant de l'astreinte à une somme qu'elle appréciera mais qui ne saurait être supérieure à 50 euros par jour de retard.

Par conclusions du 23 mai 2018, la SAS Djamut demande à la cour, vu les articles L. 131-3 et L. 131-4 du Code des procédures civiles d'exécution, de bien vouloir :

in limine litis, prononcer la radiation de l'action en appel de Coplan,

sur le fond,

- constater que la société Coplan n'avait pas supprimé toutes les mentions dénigrantes et mensongères de son site internet, au jour de l'audience devant le juge de l'exécution ;

- constater qu'elle a fait preuve d'une particulière mauvaise foi quand elle a modifié son site internet ;

- juger qu'elle n'a pas exécuté |'ordonnance rendue le 29 mars 2017 par le président du Tribunal de commerce de Versailles ;

en conséquence,

- juger recevable l'appel incident formé par la société Djamut ;

- liquider l'astreinte et condamner la société Coplan à verser à la société Djamut la somme de 85 500 euros ;

à titre subsidiaire,

- confirmer les termes de la décision du juge de l'exécution de Lyon en cela que la société Coplan n'a pas respecté les termes de l'ordonnance de référé ;

- condamner la société Coplan à verser à la société Djamut la somme de 34 200 euros ;

- condamner la société Coplan à verser à la société Djamut la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens.

Il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de radiation

En l'absence de désignation d'un conseiller de la mise en état, la demande de radiation fondée sur l'article 526 du Code de procédure civile ressort de la compétence exclusive du premier président de la cour d'appel. Cette demande est irrecevable devant la cour.

Sur la mise en œuvre de l'astreinte

Aux termes de l'article L. 131-4 du Code des procédures civiles d'exécution, le montant de l'astreinte provisoire est liquidé en tenant compte du comportement de celui à qui l'injonction a été adressée et des difficultés qu'il a rencontrées pour l'exécuter.

L'astreinte provisoire ou définitive est supprimée en tout ou partie s'il est établi que l'inexécution ou le retard dans l'exécution de l'injonction du juge provient, en tout ou partie, d'une cause étrangère.

Le premier juge a d'abord retenu que la société Coplan faisait à bon droit usage d'un logo portant les mentions " Importateur unique exclusif pour la France ".

S'il appartient au juge du fond de se prononcer sur ce point, il n'en est pas moins exact que ce logo n'avait pas été critiqué devant le juge de référés du Tribunal de commerce de Versailles et ne saurait donc être inclus dans les mentions dénigrantes et propos mensongers devant être retirés à peine d'astreinte en exécution de l'ordonnance du 29 mars 2017.

Le juge de l'exécution a dit ensuite que le juge de référés ne s'était pas prononcé sur le caractère mensonger ou dénigrant des allégations de la société Coplan affirmant au sujet des autres distributeurs qu'ils n'offraient pas le même niveau de garanties qu'elle.

En revanche, le juge de l'exécution a considéré que c'est en contradiction avec les termes de l'ordonnance de référé que la société Coplan affirme de façon mensongère sur son site internet que, si la pratique des revendeurs qui se fournissent en extracteurs de jus Omega auprès d'autres importateurs européens n'est pas illégale, elle aboutit à détourner un système de distribution mis en place par la société Greenfield.

Le juge, rappelant que l'ordonnance de référé précisait qu'il n'était pas prouvé que des revendeurs agréés peuvent distribuer ces produits, a dit que la société Coplan tirait de son statut d'importateur exclusif des conséquences qui n'ont pas lieu d'être.

Sur ce, l'ordonnance de référé fait obligation à la Sasu Coplan de retirer :

- toute mention dénigrante à l'encontre des revendeurs d'extracteurs de jus de la marque Omega,

et/ou

- tout propos mensonger quant au réseau de distribution des produits Omega et Tribest.

La lecture des motifs de l'ordonnance explicite parfaitement le dispositif de la décision, le juge de référés ayant stigmatisé deux faits précis :

D'une part, le dénigrement de la société Djamut, nommée par son nom commercial Natura-Sense, comme faisant partie de " jeunes sociétés qui ne présentaient pas de garanties de pérennité ".

D'autre part, la référence mensongère faite par la société Coplan à un réseau de distributeurs agréés alors qu'elle ne disposait que de l'exclusivité de l'importation des appareils.

La société Djamut soutient néanmoins que le juge de référés ne s'est pas limité aux deux faits dénoncés puisqu'il a interdit " toute mention dénigrante " et " tout propos mensonger ".

Mais ces notions, en dépit de la formulation générale employée par le juge de référés, doivent nécessairement être appréciées au regard de sa saisine.

L'obligation de retirer les mentions dénigrantes et propos mensongers se comprend comme portant doublement sur la suppression des mentions litigieuses et l'interdiction d'en porter de nouvelles persistant dans les données du litige, à savoir le dénigrement des concurrents comme ne présentant pas, pour le consommateur, les mêmes garanties que la société Coplan à raison d'une prétendue exclusivité de distribution concédée par le fabricant.

Il convient donc de rechercher si les modifications pratiquées sur son site par la société Coplan ont, d'une part, laissé subsister ou ajouté des mentions dénigrantes vis à vis des concurrents, en particulier de la société Djamut, d'autre part, font un lien abusif entre la qualité d'importateur direct de la société Coplan et les garanties pour le consommateur, de nature à dénigrer la concurrence.

Selon le constat d'huissier de justice dressé le 2 mai 2017 à la requête de la société Djamut, le site biomag-nature-vitalite.com de la société Coplan comportait notamment les textes suivants :

1/ Nature et Vitalité insiste sur son statut d'importateur exclusif et conclut :

" Commander chez un importateur, c'est avant tout éviter les aléas d'une multiplication des intervenants entre le fabricant et le clients (sic), c'est le chemin le plus court entre vous et l'appareil que vous voulez acquérir, cela vous garantit le meilleur service. "

2/ Sur une autre page :

" Pourquoi faut-il faire attention où vous achetez votre extracteur de jus Omega,

(...)

Pourquoi il est important de faire attention où acheter son extracteur Omega

Si nature et Vitalité est importateur exclusif de la marque sur le territoire français il est tout de même possible d'acheter des extracteurs de jus Omega auprès de revendeurs en France qui achètent leurs extracteurs auprès de revendeurs étrangers. Cette manière d'opérer n'est pas illégale, mais le processus de garantie est donc plus long et plus complexe. "

3/ Enfin sur une troisième page :

" Il existe des revendeurs qui se fournissent en extracteurs de jus Omega auprès d'autres importateurs. Cette pratique n'est pas illégale, mais elle détourne le système de distribution mis en place par la marque Omega. "

Ce texte étant accompagné d'un symbole constitué par un point d'exclamation entouré d'un triangle.

Le maintien de ces mentions a été constaté par un nouveau procès-verbal d'huissier de justice le 21 juin 2017.

Selon le constat d'huissier de justice dressé le 23 mars 2018 à la requête de la société Coplan, les mentions litigieuses ont été retirées à cette date, donc après le jugement attaqué du 27 février 2018.

- La première mention, en ce qu'elle vente les avantages du lien direct entre le client et l'importateur, relève de l'affirmation publicitaire sans être clairement dénigrante des concurrents passant par un autre importateur.

- La deuxième mention est mensongère en ce qu'elle affirme que le processus de garantie est plus long et plus complexe :

Le vendeur étant tenu à garantie vis-à-vis du client indépendamment de la garantie du constructeur, il importe peu qu'il soit ou non l'interlocuteur direct du constructeur : en cas de défaut de conformité de l'appareil livré ou de défaillance dans le temps de la garantie, les vendeurs ont la même obligation d'échanger ou réparer l'appareil.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que les concurrents comme la société Djamut, en s'adressant à un importateur étranger, imposent à leur clientèle un délai plus long ou des conditions plus complexes pour la mise en œuvre du service après-vente.

Contrairement à l'appréciation du premier juge, le juge de référés s'est implicitement prononcé sur le caractère mensonger ou dénigrant des allégations de la société Coplan affirmant que les autres distributeurs n'offraient pas le même niveau de garanties qu'elle, dès lors que l'un des termes du litige était l'affirmation que les concurrents étaient des jeunes sociétés, présumées moins pérennes, ce qui était de nature à inquiéter le consommateur quant aux modalités d'exercice de la garantie en cas de défaillance de l'appareil.

Le mensonge relevé ci-dessus entre donc bien dans l'interdiction prononcée à peine d'astreinte par le juge des référés qui visait l'affirmation mensongère de l'existence d'un réseau de distributeurs agréés.

- La troisième mention est clairement dénigrante en ce qu'elle opère une confusion entre le réseau d'importateurs agréés par le fabricant et un système de distribution que celui-ci ne peut imposer au regard des règles communautaires et nationales garantissant la libre concurrence.

Elle laisse ainsi entendre que les concurrents, profitant d'une faille ou d'une insuffisance dans les règles légales, opèrent en violation des prescriptions du fabricant, l'emploi du mot " détournent " étant péjoratif.

Qui plus est, la mention précitée est accompagnée d'une icône (point d'exclamation dans un triangle) qui, si elle de couleur verte et non rouge, n'est pas sans rappeler le symbole du danger en matière de signalisation routière. Ce qui présente un caractère dénigrant en attirant l'attention de l'acheteur sur le risque pris en cas de commande sur un site concurrent.

Cette mention est évidemment insécurisante pour le client tenté d'acquérir un appareil Oméga auprès d'un revendeur autre que la société Coplan, d'autant qu'elle est confortée par la mention mensongère précitée, figurant sur une autre page, laissant craindre au client une insuffisance de la garantie offerte par le revendeur.

Sur ce point, le juge de l'exécution a fait une exacte analyse de la portée de l'ordonnance de référé et du manquement de la société Coplan à l'obligation qui lui était faite de supprimer toute mention dénigrante à l'encontre des revendeurs des extracteurs de jus de la marque Oméga.

Sur la liquidation de l'astreinte

La modération de la pénalité par le premier juge est justifiée dès lors que la société Coplan a satisfait partiellement aux obligations sanctionnées par l'astreinte, quant à la suppression des mentions citant directement la marque Natura-Sense de la société Djamut et des mentions relatives à l'existence de distributeurs agréés.

La société Coplan n'étant pas, au regard de ce qui précède, d'une parfaite bonne foi en ce qu'elle a persisté dans une pratique anti-concurrentielle, il convient de ne pas réduire plus amplement la pénalité dont le premier juge a fait la juste appréciation.

Sur les demandes accessoires

L'appelante, partie perdante, supporte les dépens d'appel mais il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, l'indemnité allouée à ce titre par le premier juge étant confirmée.

Par ces motifs, LA COUR, Déclare irrecevable la demande de radiation du rôle de l'affaire présentée par la SAS Djamut, Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 27 février 2018 par le juge de l'exécution du Tribunal de grande instance de Lyon ; Condamne la Sasu Coplan aux dépens d'appel ; Dit n'y avoir pas lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.