CA Douai, 1re ch. sect. 1, 21 juin 2018, n° 17-01288
DOUAI
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bech
Conseillers :
M. Poupet, Mme Boutié
Le 22 juin 2013, M. Edouard C. a vendu à M. Joffrey P. un véhicule
BMW série 3 320D affichant 95.538 kilomètres au compteur pour le prix de 18 000 euros.
M. Edouard C. avait lui-même acquis ce véhicule le 26 novembre 2011 de M. Sébastien W. pour un prix de 19 600 euros alors que le kilométrage affiché était de 70.742 kilomètres.
Le 14 février 2014, M. P. a subi une panne alors que le véhicule affichait 113.910 kilomètres.
A l'occasion d'une mesure d'expertise amiable, des difficultés liées au kilométrage réel du véhicule sont apparues.
Par ordonnance du 4 décembre 2014, un juge des référés a ordonné une expertise et désigné M. Freddy K. en qualité d'expert. Ce dernier a rendu son rapport le 22 septembre 2015.
Par acte d'huissier du 21 octobre 2015, M. P. a fait assigner M. C. devant le Tribunal de grande instance d'Arras au visa de l'article 1641 du Code civil aux fins de voir :
- prononcer l'annulation de la vente et en conséquence, voir ordonner la restitution du véhicule et en contrepartie, la condamnation de M. C. à lui payer la somme de 18 000 euros ;
- condamner M. C. à lui payer les sommes de :
* 3 054,90 euros au titre d'un préjudice d'immobilisation,
* 453 euros au titre des frais pour le passage du véhicule au banc de contrôle,
* 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
Par acte d'huissier en date du 24 novembre 2015, M. C. a appelé M. W. en garantie.
Les deux procédures ont été jointes.
Par jugement en date du 9 février 2017, le tribunal a :
- débouté M. P. de sa demande en résolution de la vente en ce qu'elle était uniquement fondée sur la garantie des vices cachés,
- débouté M. P. de l'ensemble de ses demandes incidentes en paiement y compris sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. P. à payer à M. C. et à M. W. la somme de 600 euros chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. P. aux dépens, en ce compris le coût de l'expertise judiciaire ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 23 février 2017, M. P. a interjeté appel de cette décision.
Par ses dernières conclusions notifiées le 24 juillet 2017, il en sollicite l'infirmation et demande à la cour, statuant à nouveau, de :
- prononcer l'annulation de la vente,
- condamner solidairement M. C. et M. W. au paiement de la somme de 18 000 euros au titre du prix de vente du véhicule,
- prononcer la restitution du véhicule,
- condamner solidairement M. C. et M. W. au paiement de 3 054,90 euros au titre du préjudice d'immobilisation outre 453 euros au titre des frais de passage au banc de contrôle et au dépôt de culasse,
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise de M. K. pour un montant de 1 800 euros.
Au soutien de ses prétentions, il fait valoir que :
- le compteur kilométrique a été trafiqué avant son achat du véhicule,
- la manipulation du kilométrage constitue un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil,
- il résulte du rapport d'expertise que les désordres affectant le véhicule sont en lien direct avec son kilométrage,
- à titre subsidiaire, la vente doit être annulée pour défaut de conformité, s'agissant d'une inexécution de l'obligation de délivrance conforme,
- la responsabilité de M. W. est engagée en sa qualité de vendeur initial et il lui appartient d'appeler en garantie son propre vendeur.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 14 septembre 2017, M. C. sollicite la confirmation de la décision entreprise et, à titre reconventionnel, la condamnation de M. P. à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
A titre subsidiaire, il sollicite le débouté de M. P. de sa demande d'indemnisation et de remboursement de frais ainsi que de sa demande de condamnation solidaire ainsi que la restitution du prix et du véhicule aux frais de M. W. outre la condamnation de ce dernier à payer à M. P. la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
A titre infiniment subsidiaire, il sollicite la condamnation de M. W. à le garantir et relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre outre sa condamnation au paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens en ce compris les frais d'expertise.
M. C. soutient que :
- il est de jurisprudence constante qu'un kilométrage erroné constitue un défaut de conformité puisqu'il ne s'agit pas d'une avarie mais d'une différence entre la chose promise et la chose livrée,
- M. P. ne démontre pas que la défaillance du pignon du vilebrequin est liée au kilométrage réel du véhicule,
- il appartenait à M. P. d'invoquer le défaut de conformité en première instance,
- le rapport d'expertise établit que la manipulation du moteur est antérieure à l'achat du véhicule par lui-même de sorte qu'il n'a commis aucune faute,
- M. P. ne justifie pas du bien-fondé de la solidarité qu'il entend voir appliquer et dispose d'une action directe à l'encontre de M. W..
Par ses dernières conclusions notifiées le 3 août 2017, M. W. sollicite la confirmation de la décision entreprise et, à titre reconventionnel, la condamnation solidaire de M. P. et de M. C. à lui payer la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il fait valoir que :
- il a acquis le véhicule en août 2011 pour la somme de 22 500 euros et un kilométrage de 65.000 au compteur,
- il n'a rencontré aucune difficulté avec le véhicule et le rapport de contrôle technique ainsi que les factures relatives au véhicule ont été transmis à M. C. lors de la vente,
- il est de bonne foi et a été victime d'une fraude de la part de son propre vendeur.
MOTIVATION
Sur les demandes principales de M. P.
L'article 1603 du Code civil dispose que le vendeur a deux obligations principales : délivrer et garantir la chose qu'il vend.
La délivrance s'entend de la remise d'une chose conforme aux stipulations du contrat, aux caractéristiques convenues.
Par ailleurs, l'article 1641 du Code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on les destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus.
L'article 1644 du même Code précise que dans ce cas, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.
Il ressort des pièces versées aux débats que le 14 février 2014, le véhicule litigieux a subi une panne sur l'autoroute suite à l'allumage du voyant moteur sur le tableau de bord et à l'arrêt du moteur, que les contrôles réalisés par les différents intervenants ont confirmé une rupture de la chaîne de distribution et qu'un devis a été établi pour le remplacement du moteur pour un montant de 7 976,08 euros, que l'expert judiciaire a également découvert et mentionné que le kilométrage réel du véhicule était de l'ordre de 180.000 kilomètres, soit 'largement plus important' que celui qui était affiché au compteur, 113.910 kilomètres.
L'expert ne se positionne pas de manière certaine sur l'antériorité à la vente du désordre résultant de la défaillance du pignon du vilebrequin, de sorte que celui-ci ne peut être tenu pour un vice caché au sens de l'article 1641 précité.
En revanche, il est constant qu'un kilométrage réel supérieur à celui qui figure au compteur et fait donc partie des éléments en considération desquels l'acheteur a contracté caractérise un manquement à l'obligation de délivrance.
Un tel manquement est établi au cas présent et une différence de kilométrage de près de 70 000 unités, ayant nécessairement une influence sur l'usure et l'espérance de vie du véhicule, est un manquement suffisamment grave pour justifier la résolution de la vente.
Il y a donc lieu d'infirmer la décision entreprise, de prononcer la résolution de la vente intervenue entre M. C. et M. P., de condamner M. C. à restituer le prix de vente à M. P. et d'ordonner à ce dernier de restituer le véhicule.
Par contre, en l'absence de lien démontré entre le défaut de conformité aux caractéristiques convenues qui a été retenu et les désordres et préjudices dont M. P., qui a parcouru 24.796 kilomètres en dix-sept mois avec ce véhicule, demande à être indemnisé, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de dommages et intérêts de ce dernier.
Enfin, si, en cas de vice caché, l'acheteur dispose d'une action directe à l'encontre du ou des propriétaires de la chose vendue antérieurs à son vendeur lorsqu'il est établi que le vice existait déjà avant l'achat de la chose par ce dernier, le manquement à l'obligation de délivrance ne peut être reproché par un acheteur qu'à son propre vendeur.
La demande de M. P. tendant à la condamnation de M. W., solidairement avec M. C., à lui rembourser le prix et à l'indemniser de son préjudice ne peut donc prospérer.
Sur les demandes de M. C.
Pour le motif qui vient d'être exposé, la demande de M. C. tendant à voir ordonner le remboursement du prix et la restitution du véhicule directement entre M. P. et M. W. est mal fondée.
Par ailleurs, l'obligation de M. C. de rembourser le prix de vente à M. P. est la conséquence de la résolution de la vente intervenue entre eux et la contrepartie de la restitution qui lui est faite du véhicule.
Il ne s'agit pas de l'indemnisation d'un préjudice dont il puisse demander à être garanti et sa demande de ce chef dirigée contre M. W. ne peut qu'être rejetée, étant observé qu'il lui était loisible d'agir en résolution de la vente intervenue entre lui-même et ce dernier s'il estime que le kilométrage était alors déjà falsifié et qu'il a été lui-même victime d'un manquement à l'obligation de délivrance.
Sur les autres demandes
Vu les articles 695, 696 et 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau, prononce la résolution de la vente du véhicule de marque BMW conclue le 22 juin 2013 entre M. Joffrey P. et M. Edouard C., condamne M. Edouard C. à payer à M. Joffrey P. la somme de dix-huit mille euros (18 000) en remboursement du prix, dit que M. Joffrey P. devra restituer le véhicule susvisé à M. Edouard C. à qui il appartiendra d'aller le reprendre à l'endroit où il sera entreposé, déboute M. Joffrey P. de ses demandes dirigées contre M. Sébastien W., le déboute de ses demandes de dommages et intérêts, déboute M. Edouard C. de toutes ses demandes, le condamne à payer à M. Joffrey P. et à M. Sébastien W. deux mille euros chacun en application de l'article 700 du Code de procédure civile, déboute M. W. de sa demande au même titre dirigée contre M. P., condamne M. C. aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.