Livv
Décisions

CA Douai, 3e ch., 12 mai 2010, n° 09-00811

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurofil (SA)

Défendeur :

Boulanger (SAS), Indesit Company France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dagneaux

Conseillers :

Mmes Berthier, Barbot

Avocats :

SCP Levasseur Castille Levasseur, Me Masson, SCP Carlier Regnier, Me Desurmont, SCP Deleforge Franchi, Me Detre

TGI Lille, du 23 oct. 2008

23 octobre 2008

Le 2 avril 1999, Monsieur Michel D. et son épouse Madame Virginie B. ont acquis un lave-vaisselle de marque Ariston auprès du magasin Boulanger de Lesquin et souscrit une extension de garantie durant cinq ans.

Le 7 décembre 2002, ce lave-vaisselle a été installé dans leur nouveau logement, sis à RONCQ, 277, rue de Lille, à la suite de leur déménagement.

Une fuite ayant été constatée, la SA Boulanger est intervenue le 10 décembre 2002 pour changer une pièce défectueuse.

Le 23 décembre 2002 vers 15 heures 40, un incendie s'est déclaré dans la cuisine de l'habitation qui semblait avoir pris naissance au droit du lave-vaisselle.

Par ordonnance de référé du 23 janvier 2003, le Président du tribunal de commerce de Lille désignait Monsieur Pierre V. en qualité d'expert. Les opérations d'expertise ont été étendues à la société Merloni, fabricant du lave-vaisselle.

L'expert a déposé son rapport le 7 mai 2003.

Sur assignations délivrées le 8 juin 2004 par Monsieur et Madame D. et la SA Eurofil, leur assureur, à l'encontre de la SA Boulanger et le 4 janvier 2005 par la SA Boulanger à l'encontre de la société Merloni Electroménager, le Tribunal de grande instance de Lille a débouté Monsieur et Madame D. et la SA Eurofil de leurs demandes et les a condamnés à payer à la société Merloni Electroménager la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné Monsieur et Madame D. et la SA Eurofil aux dépens.

Monsieur et Madame D. et la SA Eurofil ont interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe déposée le 3 février 2009.

Par conclusions signifiées le 16 décembre 2009, ils demandent à la Cour de réformer le jugement, de dire que l'entière responsabilité du sinistre survenu le 23 décembre 2002 incombe aux sociétés Boulanger et Merloni Electroménager, de condamner in solidum la SA Boulanger et la société Merloni Electroménager à verser à la SA Eurofil la somme de 49 503 euros et à Monsieur et Madame D. celle de 3.684,65 euros, de dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal, de condamner solidairement la SA Boulanger et la société Merloni Electroménager à payer en outre la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance et d'appel en ce compris les frais et honoraires d'expertise.

La SA Eurofil fait valoir en premier lieu que sa demande est recevable puisqu'elle produit une quittance qui démontre sa qualité de subrogée dans les droits de ses assurés Monsieur et Madame D..

Les appelants soutiennent que la responsabilité de la SA Boulanger et de la société Merloni Electroménager est engagée en application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux (articles 1386-1 et suivants du Code civil) dans la mesure où l'expert a conclu à un échauffement du lave-vaisselle au niveau des cosses d'alimentation, qu'aucune circonstance extérieure ne venant expliquer l'incendie, l'origine du sinistre se trouve dans le produit lui-même qui doit être considéré comme défectueux. Ils précisent qu'aucune utilisation anormale de l'appareil n'a été relevée par l'expert, que le déplacement du lave-vaisselle dans le cadre d'un déménagement ou d'une intervention aux fins de réparation est une circonstance normale d'utilisation et ne saurait constituer une faute de la victime.

Ils indiquent que le chiffrage du dommage a été effectué en accord entre les parties dans le cadre d'une expertise amiable contradictoire, que la SA Eurofil a versé la somme de 49 503 euros à Monsieur et Madame D. et que ces derniers ont subi en outre un trouble dans les conditions d'existence évalué à 3 000 euros ainsi que la perte d'un lecteur DVD évaluée à 684,65 euros, révélée après l'évaluation amiable des dommages.

Par conclusions signifiées le 18 septembre 2009, la SA Boulanger demande à la Cour de confirmer le jugement et subsidiairement, de condamner la société Merloni Electroménager à la garantir de toutes condamnations qui pourraient intervenir et plus subsidiairement, de débouter Monsieur et Madame D. de leur demande de dommages et intérêts et de déclarer la SA Eurofil irrecevable en l'absence de justification de son intérêt à agir et de limiter en tout état de cause l'intervention de la SA Eurofil à hauteur de la somme de 27 827,42 euros.

Elle sollicite en outre la condamnation solidaire de Monsieur et Madame D., de la SA Eurofil et de la société Merloni Electroménager ou de l'un à défaut de l'autre à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir que l'expert judiciaire n'a pu déterminer avec certitude la cause du sinistre, en particulier quant à la cause de l'échauffement initial, que le vissage défectueux des cosses est à ce titre exclu et que l'intervention de la SA Boulanger en date du 10 décembre 2002 pour changer une pièce défectueuse (bras de lavage inférieur) ne peut être à l'origine du sinistre.

La preuve d'un lien de causalité entre le desserrage des cosses et l'incendie n'est pas apportée et, si la cour retenait l'hypothèse de ce desserrage comme origine du sinistre, celui-ci ne pourrait être que la conséquence du déménagement ou d'une intervention ultérieure des époux D. sur le lave-vaisselle.

Elle prétend à titre subsidiaire que la société Merloni Electroménager, fabricant, lui doit sa garantie en application de l'article 1386-7 alinéa 2 du Code Civil. Elle conteste par ailleurs l'évaluation des dommages invoqués par Monsieur et Madame D.. Elle considère que la SA Eurofil ne démontre pas être subrogée dans les droits de Monsieur et Madame D. pour la somme de 59.540 euros mais uniquement pour la somme de 27 827,42 euros.

Elle considère donc que la cause du sinistre étant indéterminée, la preuve du caractère défectueux du produit n'est pas rapportée sur le fondement de l'article 1386-1 et suivants du Code civil.

Par conclusions signifiées le 13 octobre 2009, la société Indesit Company France anciennement dénommée Merloni Electroménager formant appel incident demande à la Cour de dire que la SA Eurofil ne justifie pas de sa qualité à agir, de déclarer sa demande irrecevable et de réformer le jugement de ce chef.

En tout état de cause, elle sollicite sa mise hors de cause, le rejet des demandes de Monsieur et Madame D., de la SA Eurofil et de la SA Boulanger et de confirmer le jugement de ce chef.

Subsidiairement, elle demande que la SA Boulanger soit condamnée à la relever et garantir de toutes condamnations prononcées à son encontre au bénéfice de Monsieur et Madame D. et de la SA Eurofil, plus subsidiairement, de dire que Monsieur et Madame D. et la SA Eurofil ne justifient pas de leurs prétentions et de les en débouter, et encore plus subsidiairement, de les ramener à de plus justes proportions.

Elle sollicite en toute hypothèse la condamnation solidaire de Monsieur et Madame D., de la SA Eurofil et de la SA Boulanger à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle soutient que la SA Eurofil ne justifie pas être subrogée dans les droits des époux D. au-delà de la somme de 27 827,42 euros et que toute demande supérieure est irrecevable.

Elle rappelle que Monsieur et Madame D. ont déménagé le lave-vaisselle et que le service après-vente de la SA Boulanger est intervenu pour procéder à une réparation sur l'appareil, et que ces seules circonstances, extérieures au produit, sont l'une ou l'autre à l'origine du desserrage des cosses cause du sinistre.

SUR CE

Attendu qu'aux termes de l'article 1386-1 du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ;

Que l'article 1386-4 du même Code précise qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation ;

Que l'article 1386-9 ajoute que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage ;

Attendu que l'expert judiciaire dont les conclusions ne sont pas critiquées par les parties, indique dans son rapport qu'un échauffement s'est produit au niveau des cosses d'alimentation du lave-vaisselle, sans qu'il y ait court-circuit et donc disjonction électrique (...). La cause de cet échauffement est inconnue. (...) Il ne peut s'agir d'un vissage d'origine défectueux, l'incident ayant eu lieu près de 40 mois après l'achat. Il peut s'agir du desserrage des cosses au niveau du sol, lié à des efforts de traction lors du déménagement ou de la réparation en sortant partiellement le lave-vaisselle de son emplacement. Ce desserrage lié, peut-être à une forte intensité électrique (chauffage de l'eau ou séchage) a introduit un mauvais contact et un échauffement ponctuel des cosses d'amenée du courant, de petites étincelles électriques ont pu conduire le plastique jusqu'à son embrasement après ramollissement. Ceci peut se produire sans augmentation de l'intensité électrique et donc sans disjonction ;

Que la seule hypothèse retenue par l'expert est que l'échauffement qui a causé l'incendie résulte d'un desserrage des cosses du lave-vaisselle dont l'origine serait le déplacement de cet appareil lors du déménagement ou de l'intervention du service après-vente de la SA Boulanger, tous deux antérieurs de quelques jours au sinistre ;

Que l'incendie trouve son origine selon l'expert dans l'échauffement des cosses d'amenée du courant électrique ;

Qu'aucune utilisation anormale du lave-vaisselle ne peut être retenue dès lors qu'il est usuel de déplacer un lave-vaisselle, soit pour le déménager, soit même simplement afin de nettoyer à l'arrière et qu'un effort de traction est indispensable pour y procéder ;

Qu'en conséquence, le fait que les cosses d'un tel appareil ne puissent supporter un banal déplacement par traction, se desserrent et provoquent un incendie, est contraire à l'usage qui peut en être raisonnablement attendu ;

Que le lave-vaisselle doit donc être considéré comme présentant un défaut de sécurité et la responsabilité de la société Indesit Company France anciennement dénommée Merloni Electroménager, fabricant est engagée ;

Attendu que la SA Eurofil réclame la condamnation in solidum de la SA Boulanger et de la société Indesit Company France anciennement dénommée Merloni Electroménager à lui verser la somme de 49 503 euros ;

Attendu que le vendeur est responsable du défaut de sécurité du produit dans les mêmes conditions que le producteur si ce dernier ne peut être identifié, conformément aux dispositions de l'article 1386-7 du Code civil ; que tel n'est pas le cas en l'espèce, le fabricant étant identifié et se trouvant dans la cause ;

que la responsabilité de la SA Boulanger n'étant recherchée que sur le fondement des articles 1386-1 et suivants, elle doit donc être mise hors de cause ;

Attendu qu'il ressort de la lecture du rapport d'expertise amiable que l'évaluation des dommages causés par le sinistre a été établie contradictoirement en présence de Monsieur D., expert de la société SARETEC, intervenant pour la société Merloni (que ce même expert est intervenu dans le cadre de l'expertise judiciaire) ; que la société Merloni Electroménager ne peut donc invoquer le caractère non contradictoire du chiffrage; que le rapport est au demeurant soumis à la libre discussion et à la contradiction des parties ;

Que le montant des dommages a été évalué contradictoirement à la somme de 49 503 euros TTC comprenant notamment : les mesures conservatoires, la démolition, le bâtiment, le mobilier (10 321 €), la privation de jouissance (3 587 €) ;

Attendu que l'assureur est subrogé jusqu'à concurrence de l'indemnité d'assurance, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers ;

Que le 15 mars 2003, Monsieur et Madame D. ont donné quittance à la SA Eurofil à hauteur de la somme de 59 540 euros; que celle-ci correspond au vu des pièces produites, à la somme de 27 827,42 euros reçue immédiatement, ce qui n'est pas contesté par la société Indesit Company France, à la somme de 13 000 euros reçue par virements bancaires des 30 janvier et 26 février 2003 (pièces 27 et 28) et aux sommes dont les assurés avaient délégué le paiement par l'assureur, à hauteur de 2 995,58 euros le 26 décembre 2002 au titre des travaux de nettoyage (à la société Munters) et de 3 038 euros le 18 février 2003 (frais d'expertise CROAIN) ;

Que le 30 avril 2003, Monsieur et Madame D. ont donné en outre quittance de la somme de 4 434 euros au titre de la privation de jouissance ;

Qu'au total, il est donc justifié d'un paiement par la SA Eurofil de la somme de 51 295 euros à hauteur de laquelle les époux D. ont bien donné quittance ; que la SA Eurofil limite sa demande à hauteur de la somme retenue par l'expert soit 49 503 euros ;

Que la demande de la société Eurofil est recevable et il y sera fait droit ;

Que la somme de 49 503 euros portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Attendu que Monsieur et Madame D. réclament une somme de 3 000 euros au titre de la privation de jouissance ;

Qu'il a toutefois été indiqué ci-dessus que ceux-ci ont perçu de leur assureur l'indemnisation du trouble dans les conditions d'existence (trouble de jouissance) qui ne saurait leur être allouée une seconde fois ;

Qu'ils réclament en outre la somme de 684,65 euros au titre de la dégradation de leur lecteur DVD qui n'aurait été révélée qu'après l'évaluation amiable des dommages ; que ce dommage est contesté et n'a pas été évalué contradictoirement lors de l'expertise amiable ou judiciaire ; qu'il ne résulte que des seules allégations de Monsieur et Madame D. et dans ces conditions, il ne peut pas être fait droit à la demande ;

Attendu que la société Indesit Company France anciennement dénommée Merloni Electroménager qui succombe sera condamnée à verser en outre la somme de 2 000 euros à la SA Eurofil et celle de 1 000 euros au bénéfice de la SA Boulanger, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Par ces motifs, LA COUR, Infirme le jugement. Et statuant à nouveau, Met hors de cause la SA Boulanger. Condamne la société Indesit Company France anciennement dénommée Merloni Electroménager à payer à la SA Eurofil la somme de 49 503 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt. La condamne à payer, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel : - la somme de 2 000 euros à la SA Eurofil - la somme de 1 000 euros à la SA Boulanger. Déboute Monsieur et Madame D. de leurs demandes de dommages et intérêts. Condamne la société Indesit Company France aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct pour ceux d'appel au profit de la SCP Levasseur Castille Levasseur et de la SCP Carlier Regnier, avoués.