CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 juin 2018, n° 16-08802
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Chaussures de Chabanais (EURL), Jouve (ès qual.)
Défendeur :
Les Chaussures de la Bièvre (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Birolleau
Conseillers :
Mmes Schaller, Du Besset
Avocats :
Mes Reynaud, Fischer
FAITS ET PROCÉDURE :
La société Les Chaussures de la Bièvre, dont le siège social est à Sillans (Isère) et les gérants sont M. Olivier X et Mme Julie X (qui ont pris la suite de leur père, M. Guy X), a pour objet le commerce d'articles d'habillement, de maroquinerie et principalement de chaussures qu'elle vend en particulier sous la marque Hardrige, soit en direct dans ses établissements secondaires, soit par l'intermédiaire de distributeurs indépendants, parmi lesquels la société Chaussures de Chabanais.
Cette dernière, immatriculée le 30 novembre 2007 et gérée par M. Robert Y, exploite une boutique, sise 3 rue Chabanais, 75002 Paris, sous l'enseigne Hardrige, dédiée à la vente de chaussures et de produits de la marque Hardrige.
Un accord verbal de distribution a été conclu début 2008 entre les parties, et consistait pour la société Chaussures de la Bièvre à confier la commercialisation de ses chaussures à la société Chaussures de Chabanais, les chaussures étant ainsi mises en dépôt dans sa boutique parisienne et la facturation et le paiement du stock déposé s'effectuant en fonction des ventes réalisées chaque mois.
L'accord de distribution existant entre les deux sociétés a été rompu fin août - début septembre 2013 et un différend portant sur des impayés et la restitution d'un stock de chaussures est né entre les parties.
Par acte du 19 septembre 2013, la société Chaussures de la Bièvre a assigné en référé la société Chaussures de Chabanais aux fins d'obtenir la restitution d'un stock de chaussures et le paiement provisionnel de factures pour 32 134 euros ; cette dernière a formé des demandes reconventionnelles en paiement ; par ordonnance du 15 octobre 2013, le président du Tribunal de commerce de Paris a ordonné à la société Chaussures de Chabanais de restituer l'intégralité du stock de 446 chaussures Hardrige, sous le contrôle d'un huissier de justice, chargé d'effectuer un inventaire contradictoire et également de faire les comptes entre les parties.
L'huissier commis, Me Chevrier de Zitter, a dressé son procès-verbal de constat le 17 mars 2014.
Par acte du 9 avril 2014, la société Chaussures de la Bièvre a de nouveau assigné en référé la société Chaussures de Chabanais aux fins d'obtenir le paiement provisionnel de factures lui restant dues pour 38 878,45 euros TTC ; par ordonnance du 2 mai 2014, le président du Tribunal de commerce de Paris a rejeté sa demande.
Par acte du 13 juin 2014, la société Chaussures de la Bièvre a assigné la société Chaussure de Chabanais au fond afin d'obtenir le paiement des factures impayées, laquelle a formé des demandes reconventionnelles en paiement notamment au titre de la rupture brusque de l'accord de distribution.
Par jugement rendu le 23 mars 2016, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Chaussures de Chabanais à payer à la société Chaussures de la Bièvre la somme de 38 878,45 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2013 sur celle de 32 134 euros et à compter du 9 avril 2014 pour celle de 6 744,45 euros, déboutant pour le surplus des intérêts,
- ordonné la capitalisation des intérêts précités,
- débouté la société Chaussures de Chabanais de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Chaussures de Chabanais à payer à la société Chaussures de la Bièvre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire et condamné la société Chaussures de Chabanais aux entiers dépens, en ce compris en référé, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 121,44 euros dont 20,02 euros de TVA.
Vu l'appel interjeté le 14 avril 2016 par la société Chaussures de Chabanais à l'encontre de cette décision ;
Par jugement du 3 mai 2017 du Tribunal de commerce de Paris, la société Chaussures de Chabanais a été placée en redressement judiciaire, la Selafa MJA, prise en la personne de Me Lucile Jouve, étant désignée mandataire judiciaire.
Vu l'ordonnance du 29 juin 2017 du conseiller de la mise en état constatant le désistement de la société Chaussures de la Bièvre de sa demande de radiation sur le fondement de l'article 526 du Code de procédure civile, en raison de cette procédure collective ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2018 par la société Chaussures de Chabanais et la Selafa MJA, en la personne de Me Lucile Jouve, intervenante volontaire ès qualités de mandataire judiciaire désigné à la procédure de redressement judiciaire de la société Chaussures de Chabanais, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- recevoir la société Chaussures de Chabanais en son appel, et l'y dire bien fondée et recevoir en son intervention volontaire la Selafa MJA, en la personne de Maître Jouve, ès qualités de mandataire judiciaire désigné à la procédure de redressement judiciaire de Chaussures de Chabanais, ouverte par jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 3 mai 2017 ;
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles ayant reconnu la rupture brutale par la société les Chaussures de la Bièvre de sa relation commerciale avec la société Chaussures de Chabanais ;
Statuant à nouveau ;
- écarter des débats le constat dressé le 17 mars 2014 par Maître Chevrier de Zitter, huissier ;
- dire que la société les Chaussures de la Bièvre a reconnu devant l'huissier commis en référé ne disposer d'aucune créance commerciale recouvrable à l'encontre de la société Chaussures de Chabanais ;
Subsidiairement,
- dire que la société les Chaussures de la Bièvre ne justifie d'aucune créance commerciale envers la société Chaussures de Chabanais en l'absence de production de comptes sincères et probants ;
- dire que la société Chaussures de Chabanais justifie de créances commerciales envers la société les Chaussures de la Bièvre ;
En toute hypothèse,
- dire que la société Chaussures de Chabanais justifie d'avoir payé par erreur du 23 septembre 2009 à fin 2012 une somme HT de 109 961,46 euros à la société les Chaussures de la Bièvre, ce qui rend cette somme restituable ;
Ajoutant au jugement dont appel,
- dire qu'en rompant brutalement et sans préavis la relation commerciale entretenue avec la société Chaussures de Chabanais, la société les Chaussures de la Bièvre, a occasionné un préjudice dont cette dernière doit réparation ;
- dire que depuis le prononcé du jugement dont appel la société les Chaussures de la Bièvre a commis des fautes préjudiciables à la société Chaussures de Chabanais ;
En conséquence,
- débouter la société les Chaussures de la Bièvre de toutes ses prétentions plus amples ou contraires ;
- condamner la société les Chaussures de la Bièvre à payer à la société Chaussures de Chabanais les sommes suivantes :
- 25 858,71 euros TTC et 40 080,35 euros TTC, avec intérêts de droit capitalisés à compter du 17 septembre 2013, date de mise en demeure ;
- 109 961,46 euros, au titre de la répétition de l'indu, avec intérêts de droit capitalisés à compter du 23 septembre 2014, date à laquelle fut formée cette demande pour la première fois ;
- 200 000 euros, en réparation de la rupture brutale de l'accord de distribution, avec intérêts de droit capitalisés à compter du 17 septembre 2013, date de mise en demeure ;
- 15 000 euros à titre de dommages intérêts, avec intérêts de droit capitalisés à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 5 000 euros sur le fondement de l'article 123 du Code de procédure civile, avec intérêts de droit capitalisés à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- 10 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société les Chaussures de la Bièvre à supporter les entiers dépens de première instance, en ce compris les frais de l'huissier constatant commis en référé, et les entiers dépens d'appel, en ce compris ceux de l'incident auquel a succombé la société les Chaussures de la Bièvre, dépens qui seront recouvrés directement par Maître Pierre Reynaud, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 30 avril 2018 par la société Chaussures de la Bièvre, par lesquelles il est demandé à la cour de :
- écarter des débats les pièces communiquées le 25 avril 2018 sous les numéros 64 à 79 ;
- confirmer en son principe le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a été jugé que la rupture de la relation commerciale a été brutale et que la société Chaussures de la Bièvre ne peut se prévaloir de la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ;
- admettre la société Chaussures de la Bièvre au passif de la société Chaussures de Chabanais à hauteur de la somme de 38 878,45 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter du 19 septembre 2013 applicables à la somme de 32 134 euros et à compter du 9 avril 2014 pour la somme complémentaire de 6744,45 euros, jusqu'au jour du jugement d'ouverture,
- dire et juger prescrite toute demande de répétition de l'indu relative à des factures antérieures au 10 novembre 2011 ;
- débouter la société Chaussures de Chabanais de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société Chaussures de Chabanais et la Selafa MJA ès qualités à payer à la société Chaussures de la Bièvre la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens qui seront recouvrés par la société Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & Associés, conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 3 mai 2018.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs :
- Sur les demandes de rejet de pièces :
Chaussures de la Bièvre ne justifie pas en quoi les pièces n° 64 à 79 communiquées le 25 avril 2018 par Chaussures de Chabanais devraient être écartées des débats, ayant conclu en dernier lieu le 30 avril 2018 et été ainsi mise à même de discuter contradictoirement de leur teneur et de leur valeur probante ; sa demande tendant à voir rejeter ces pièces sera donc rejetée.
Il en sera de même de la demande de Chaussures de Chabanais tendant à voir écarter des débats le constat dressé le 17 mars 2014 après opérations contradictoires par l'huissier commis par le juge des référés, cet élément constituant un des éléments de preuve parmi d'autres dont dispose la cour pour statuer et chaque partie, en fonction de la charge de la preuve qui est la sienne, ayant pu discuter contradictoirement de son contenu et de sa force probante et en tirer toutes conséquences utiles selon elle.
- Sur la demande de Chaussures de la Bièvre au titre de ses factures impayées :
Chaussures de Chabanais ne présente en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué, en ce qu'il a estimé, au vu des pièces du dossier et en particulier du constat du 17 mars 2014 de l'huissier chargé de faire les comptes entre les parties d'après notamment les factures et pièces comptables, la créance de Chaussures de la Bièvre à son encontre à la somme de 38 878,45 euros au 9 décembre 2013 outre intérêts au titre de ses factures impayées, relatives aux marchandises livrées et revendues par Chaussures de Chabanais jusqu'au 5 novembre 2013 inclus et pour une des factures aux paires de chaussures désignées manquantes lors de l'inventaire.
Il résulte de ce constat que le report de solde de 19 438,36 euros au 1er janvier 2013 n'était pas contesté à l'époque par les parties et également de l'échange de courriels des parties des 29 et 30 août 2013 intitulé " ventes de juillet " que la dette de 28 403,45 euros TTC au 28 août 2013 de Chaussures de Chabanais n'était pas contestée, les ventes de juillet et août 2013 n'étant pas encore incluses, ni par définition celles intervenues du 1er septembre au 5 novembre 2013, date de restitution du stock restant à Chaussures de la Bièvre, sous réserve des manquants.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point, sous réserve d'une fixation de créance au lieu d'une condamnation, eu égard à la procédure collective dont la débitrice a fait l'objet depuis son intervention.
- Sur l'action de in rem verso de Chaussures de Chabanais :
Chaussures de Chabanais demande la somme de 109 961,46 euros au titre de la répétition de l'indu correspondant au montant total HT de factures dont elle se serait acquittée par erreur auprès de Chaussures de la Bièvre, du 23 septembre 2009, date avant laquelle elle ne conteste pas l'acquisition de la prescription quinquennale, à 2012, alors que les livraisons de chaussures correspondantes émanaient de sociétés tierces, " Les chaussures de Sillans " et " Sillanaise de chaussures ", qui elles-mêmes lui facturaient directement des livraisons, de sorte qu'elle aurait payé deux fois.
Sa demande ainsi formée est effectivement recevable au regard de la prescription, ayant été formée pour la première fois le 23 septembre 2014 ; en revanche, Chaussures de Chabanais ne justifie pas de son bien-fondé, ainsi que l'ont exactement apprécié les premiers juges.
En effet, s'il n'est pas contesté que Chaussures de Chabanais a effectivement payé les factures litigieuses émises par Chaussures de la Bièvre entre les mains de celle-ci, après avoir reçu les livraisons correspondantes de la part de Chaussures de Sillans, jusqu'au placement de celle-ci en liquidation judiciaire le 15 mars 2011, puis postérieurement, de la part de Sillanaise de Chaussures, il apparaît qu'un accord de distribution du 3 janvier 2007 existait entre Chaussures de Sillans, fabricant des chaussures (d'après son Kbis), et Chaussures de la Bièvre qui était chargée par celle-ci de les commercialiser, de sorte qu'elle pouvait ensuite les revendre à son tour à Chaussures de Chabanais, ainsi qu'en attestent ses factures d'achat. De même, concernant Sillanaise de Chaussures, dont l'objet social est " Holding, prestations de services " et le rôle - sur lequel l'intimée est mutique dans ses conclusions - apparaît plus flou, il apparaît que sa qualité d'expéditeur des marchandises à compter du 15 mars 2011 est insuffisante à lui conférer celle de vendeur. Au surplus, Chaussures de Chabanais ne démontre pas que les factures de Sillanaise de chaussures d'un montant total de 5 021 euros TTC relatives à des fournitures de février à juin 2011 (sa pièce n° 72), qui paraissent avoir été réglées au vu du tampon " comptabilisé ", concernent les mêmes livraisons que les factures de Chaussures de la Bièvre relatives à la même période (sa pièce n° 73), compte tenu de l'imprécision du libellé de l'ensemble de ces factures s'agissant de la teneur exacte des fournitures, et, ainsi qu'elle aurait payé deux fois.
Par suite, Chaussures de Chabanais qui avait nécessairement tacitement connaissance de l'accord précité, puisque elle a reconnu devant les juges consulaires lors de l'audience du 1er mars 2016 que Chaussures de Sillans ne lui avait jamais réclamé de paiement pour les mêmes marchandises et puisque elle a toujours payé toutes les factures de Chaussures de la Bièvre sans aucune contestation durant toute la période concernée, et notamment sans alléguer de double paiement dont elle aurait été pourtant à même de s'apercevoir, invoque vainement l'absence de preuve de sa propriété des marchandises par Chaussures de la Bièvre et ne justifie pas de son erreur dans le paiement. Le jugement sera donc confirmé, par motifs adoptés, en ce qu'il l'a déboutée de sa prétention sur ce point.
- Sur la demande de Chaussures de Chabanais au titre de ses factures impayées :
Chaussures de Chabanais qui excipe d'un accord croisé de distribution entre les parties, réclame à Chaussures de la Bièvre les sommes de 25 858,71 euros TTC et de 40 080,35 euros TTC au titre respectivement de deux factures n° 23.24.02 et 15.19.02 datées du 2 septembre 2013 correspondant à des livraisons de chaussures de fabrication italienne effectuées les 23 et 24 février 2010, ainsi que les 15 et 19 février 2010, restées invendues à sa connaissance. Chaussures de la Bièvre s'y oppose, contestant le principe d'un tel accord réciproque - sans nier pour autant avoir bénéficié d'une fourniture ponctuelle par Chaussures de Chabanais pour 1 060 euros TTC entre mai 2008 et janvier 2009 - faisant valoir que les factures litigieuses ont été émises tardivement et pour les besoins de la cause.
Or, c'est à bon droit que Chaussures de Chabanais a été déboutée de cette demande, faute de justifier à tout le moins que Chaussures de la Bièvre, d'une part, a passé commande des marchandises concernées et, d'autre part, en a reçu livraison, les bons de livraison annexés aux factures faisant apparaître que les destinataires des marchandises étaient des sociétés distinctes, Chaussures de Sillans, en procédure de liquidation judiciaire depuis le 15 mars 2011 auprès de laquelle il n'est d'ailleurs pas justifié d'une déclaration de créance, ou encore Sillanaise de chaussures, d'après l'adresse indiquée qui correspond à son siège social.
A cet égard, si les éléments du dossier révèlent que les trois sociétés du groupe informel Hardrige, Chaussures de la Bièvre, Chaussures de Sillans et Sillanaise de Chaussures, sont gérées de façon familiale, que les relations entre leur gérant historique, M. Guy X, et M. Robert Y, gérant de Chaussures de Chabanais, sont anciennes (plus de 25 ans au vu d'un mail du 6 septembre 2013 de M. Olivier X), et qu'il a pu exister une légère confusion entre les rôles des trois sociétés de ce groupe Hardrige, qui ont toutes leur siège à Sillans et utilisent toutes la marque Hardrige, en particulier en ce que Sillanaise de Chaussures, censée être la holding, a expédié et facturé des livraisons (ainsi que développé au paragraphe précédent), il n'est pas prouvé pour autant par Chaussures de Chabanais, ainsi qu'elle en a la charge, que Chaussures de la Bièvre serait le véritable commanditaire destinataire des marchandises litigieuses dont le paiement est sollicité.
En outre, il est excipé à juste titre par Chaussures de la Bièvre que sur la première série de bons de livraison, l'expéditeur est " Hardrige, 4 Avery R., London ", ce qui correspond à la société de droit anglais Avery Limited, dissoute le 12 octobre 2010, dont M. Robert Y était également le gérant, et qui était la propriétaire des marchandises au vu des factures d'achat produites et dont la position dans les livres de Chaussures de la Bièvre au 30 juin 2010 était débitrice, étant relevé également que Chaussures de Sillans a fait état lors de sa liquidation d'une créance sur Avery Limited. Par ailleurs, l'appelante ne justifie pas que M. Robert Y serait devenu " personnellement propriétaire " des marchandises après la dissolution d'Avery Limited, ses pièces n° 38 et 39 qui sont de simples tableaux ne le prouvant pas, et qu'il en aurait fait apport par compte courant d'associé à Chaussures de Chabanais, l'attestation de l'expert-comptable du 3 décembre 2013 étant trop imprécise pour l'établir d'autant qu'elle fait état d'un apport limité à 45 000 euros, étant observé en outre que les stocks en cause n'apparaissent pas dans les comptes de Chaussures de Chabanais entre 2010 et 2013.
Le jugement entrepris sera donc confirmé par motifs adoptés concernant ce débouté.
- Sur la demande de Chaussures de Chabanais au titre de la rupture brutale :
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose en substance qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ; et, que les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Force est de préciser par ailleurs que le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.
En l'espèce, il résulte des éléments du dossier que les premiers juges ont estimé à bon droit par motifs adoptés que Chaussures de la Bièvre avait rompu brutalement la relation commerciale établie des parties, relation dont la réalité n'est pas contestée, ce, sans justifier d'une faute de Chaussures de Chabanais justifiant une résiliation sans préavis.
En effet, la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis notifié par écrit en ce qu'il ressort des pièces versées que par courriel du 29 août 2013, Chaussures de Chabanais indique à Chaussures de la Bièvre " Tant d'années de collaboration pour en finir de cette façon ... très décevant ", que par courriel du lendemain, celle-ci lui répond : " Tu connais l'issue de notre collaboration depuis deux mois (...) Je ne peux pas continuer à être à la fois ton principal partenaire et ton banquier c'est dommage mais c'est comme ça. (...) Je te demande de faire retirer les logos Hardrige sur la façade ou je le ferai moi-même mardi " ; que le 30 août 2013, Chaussures de la Bièvre faisait adresser des cartons à Chaussures de Chabanais afin qu'elle renvoie les collections ; et, que le 4 septembre 2013, les dits logos ont été enlevés de la boutique parisienne exploitée par Chaussures de Chabanais, qui a en outre reçu à la même date une sommation interpellative d'huissier lui demandant de rendre les stocks à Chaussures de la Bièvre.
Par ailleurs, Chaussures de la Bièvre ne démontre pas de faute de Chaussures de Chabanais justifiant l'absence de préavis, étant observé d'ailleurs qu'elle ne lui a jamais expressément notifié qu'il était mis un terme immédiat et sans préavis à la relation en raison de ces fautes. En effet, Chaussures de la Bièvre ne démontre pas qu'est constitutif d'une faute privative du droit à préavis :
- le retard dans le paiement ou l'importance de l'encours, Chaussures de Chabanais bénéficiant d'un crédit acheteur structurel et jamais Chaussures de la Bièvre ne l'ayant clairement mise en demeure de s'acquitter de son encours, même si l'accroissement progressif de cet encours avait certes contribué à précariser la relation,
- l'opposition pour perte au chèque de 5 000 euros effectuée le 6 septembre 2013 par Chaussures de Chabanais, cette opposition étant postérieure à la rupture,
- ou encore le défaut de relevés des ventes d'août 2013 qui n'est pas établi.
S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, il est rappelé que celui-ci est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période, étant précisé que la dépendance économique du partenaire victime de la rupture à l'égard de l'auteur de la rupture est un critère d'allongement de sa durée.
En l'espèce, compte tenu des éléments précités, ainsi que de l'ancienneté de la relation (environ 5 ans et demi comme indiqué par le tribunal de commerce), et eu égard au fait que Chaussures de Chabanais distribuait majoritairement des chaussures Hardrige et affichait sur sa boutique une enseigne extérieure Hardrige, sans pour autant justifier s'être vue imposer un état de dépendance économique à l'égard de Chaussures de la Bièvre, il apparaît que celle-ci aurait dû bénéficier d'un préavis de 5 mois.
Le chiffre d'affaires annuel moyen de 109 357 euros effectué sur les trois dernières années par Chaussures de Chabanais avec Chaussures de la Bièvre n'étant pas contesté et le taux de marge brute de 43,5 % préconisé par celle-ci et justifié par une attestation INSEE apparaissant raisonnable, contrairement à celui - irréaliste et non détaillé - de 90,66 % de l'appelante, cette dernière se verra allouer une indemnité de ((109 357 euros : 12 mois) x 5 mois) x 43,5 % = 19 820,95 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, date de ses premières conclusions valant mise en demeure, avec capitalisation annuelle des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil, le jugement étant réformé sur ce point.
Chaussures de Chabanais sera déboutée du surplus de sa demande indemnitaire, formée notamment au titre du coût du loyer de son bail commercial, faute de justifier de son bien-fondé et en particulier de son lien causal avec la brutalité de la rupture.
- Sur la demande indemnitaire de Chaussures de Chabanais au titre du dénigrement :
Chaussures de Chabanais sera déboutée de sa demande indemnitaire au titre du dénigrement dont aurait été l'auteur à son endroit Chaussures de la Bièvre courant 2016 et 2017, les allégations prétendument dénigrantes de celle-ci, outre qu'elles sont insuffisamment étayées, ne la concernant pas, mais visant la personne de M. Robert Y, accusé en effet d'avoir créé le 29 mars 2016 une nouvelle société, Leather Design Fashion Accessory, afin de détourner ses actifs.
Le jugement sera infirmé concernant les dépens et l'indemnité accordée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; et, il sera fait masse des dépens d'appel et de première instance qui seront partagés par moitié entre les parties, qui seront déboutées de leur demande au titre de leurs frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Rejette les demandes de rejet de pièces formées par les deux parties ; Confirme le jugement excepté en ce qu'il a condamné la société Chaussures de Chabanais au paiement de la somme de 38 878,45 euros à la société Chaussures de la Bièvre, outre intérêts, en ce qu'il a débouté la société Chaussures de Chabanais de sa demande formée au titre de la rupture brutale et concernant les dépens et l'indemnité accordée sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant de nouveau sur les points réformés, Fixe au passif de la société Chaussures de Chabanais la créance de 38 878,45 euros de la société Chaussures de la Bièvre, outre intérêts conformément au jugement, au titre de ses factures impayées ; Condamne la société Chaussures de la Bièvre à payer à la Selafa MJA, en la personne de Me Lucile Jouve, ès qualités de mandataire judiciaire désigné à la procédure de redressement judiciaire de la société Chaussures de Chabanais, la somme de 19 820,95 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 23 septembre 2014, au titre de la rupture brutale de relation ; Ordonne la capitalisation annuelle des intérêts conformément à l'article 1154 ancien du Code civil ; Rejette toutes autres demandes ; Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront partagés par moitié entre les parties, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.