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Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 5 juillet 2018, n° 2018-341

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Eleven (SAS), Selafa MJA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

MM. Fohlen, Prieur

TGI Marseille, du 3 sept. 2015

3 septembre 2015

Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile,

Vu le jugement contradictoire du 3 septembre 2015 rendu par le Tribunal de grande instance de Marseille, première chambre civile,

Vu l'appel interjeté le 14 octobre 2015 par monsieur Gunter B. exerçant sous le nom commercial Ketshoop,

Vu les dernières conclusions de monsieur Gunter B., appelant en date du 3 mai 2018,

Vu les dernières conclusions de la société Eleven, intimée et la SAEL A. et la Selafa MJA en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualités de mandataire liquidateur de la société Eleven, intervenantes volontaires, en date du 19 avril 2018,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 14 mai 2018,

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

La société Eleven est une société française de création, fabrication et vente de vêtements.

Elle commercialise des modèles de tee-shirts représentant des personnalités affublées d'une main dont le majeur est apposé au-dessus de la lèvre supérieure de la personnalité et comporte une moustache tatouée.

Elle a fait procéder le 16 avril 2013 à un constat d'offre à la vente sur internet sur les sites www.ketshooop.com et www.priceminister.com des modèles de tee-shirts de ce type.

Le 30 avril 2013 elle a fait pratiquer, en vertu d'une ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Marseille en date du 25 avril 2013, une mesure de saisie-contrefaçon dans les locaux de l'entreprise KETSHOOP gérée par monsieur Gunter B., concernant des modèles de tee-shirts sur lesquels est reproduite la photographie du visage du comédien Coluche, ce visage étant barré par une main dont le majeur est apposé au -dessus de la lèvre supérieures et qui porte un tatouage noir représentant une moustache.

Estimant que ces tee-shirts reproduisent le modèle qu'elle a précédemment créé et commercialisé, la société Eleven a, selon acte d'huissier du 22 mai 2013 fait assigner selon la procédure à jour fixe, monsieur Gunter B., devant le Tribunal de grande instance de Marseille, en contrefaçon de droit d'auteur, et en concurrence déloyale et en réparation des préjudices en résultant et en mesures d'interdiction.

Suivant jugement contradictoire du 3 septembre 2015 dont appel, le tribunal a :

- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur B.,

- débouté monsieur B. de son action en nullité des droits d'auteur revendiquée par la société Eleven,

- dit que monsieur B. a commis des actes de contrefaçon des droits d'auteur appartenant à la société Eleven en offrant à la vente des modèles de vêtements reproduisant les caractéristiques des modèles Moustache, notamment le modèle Coluche, appartenant à cette dernière,

- condamné monsieur B. à verser à la société Eleven la somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon

- dit que monsieur B. a commis en outre des actes de concurrence déloyale,

- condamné monsieur B. à verser à la société Eleven la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice subi du fait des agissements délictuels,

- interdit à monsieur B. de représenter ou de vendre les modèles contrefaisant sous astreinte de 100 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification du jugement,

- ordonné le dépôt des modèles contrefaisants sous le contrôle d'un huissier de justice aux frais de monsieur B., dans le délai de 8 jours suivant la signification du jugement sous peine, passé ce délai d'une astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard,

- ordonné la publication du jugement dans trois journaux ou revues au choix de la société Eleven et aux frais de monsieur B. à concurrence de 1 500 euros HT par insertion et sur la page d'accueil du site www.elevenparis.com pour une période d'un mois,

- condamné monsieur B. à régler 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- mis l'intégralité des dépens à la charge de monsieur B. dont les frais de constat d'huissier et de procès-verbal de saisie-contrefaçon, avec droit de recouvrement au profit des avocats de la cause.

Par arrêt du 6 mai 2016 le premier président a suspendu l'exécution provisoire ordonnée par le jugement.

Par jugement du 18 janvier 2016 la société Eleven a été placée sous sauvegarde de justice et monsieur B. a déclaré une créance auprès de Maître Lucile J. es qualités de mandataire judiciaire.

Par jugement du 28 mars 2017 le Tribunal de commerce de Paris a placé la société Eleven en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 28 mars 2017, la Selafa MJA en la personne de Maître Lucile J. a été désigné en qualité de liquidateur.

Il convient en conséquence de mettre hors de cause la SEL A., mandataire judiciaire dont le mandat a cessé et de recevoir la société Selafa en son intervention volontaire, es qualités.

En cause d'appel monsieur Gunter B., appelant demande dans ses dernières conclusions en date du 3 mai 2018 de :

- réformer le jugement rendu le 3 septembre 2015 par le Tribunal de Grande instance de Marseille en toutes ses dispositions,

en conséquence,

à titre principal,

vu l'article 31 du Code de Procédure Civile,

- dire et juger que l'action intentée par la société Eleven est irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir ;

en conséquence,

- déclarer l'intégralité de ses demandes fins et conclusions irrecevables,

à titre subsidiaire,

vu les articles 112-1, 113-3 et 113-4 du Code de Propriété Intellectuelle,

- " constater " que la société Eleven ne démontre pas être cessionnaire des droits d'auteur et de dessins et modèles ni sur le modèle Moustache, ni sur le modèle Moustache de Coluche,

- " constater " en tout état de cause, que la société Eleven ne démontre pas l'originalité et l'antériorité des modèles concernés,

en conséquence,

- débouter la société Eleven de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de la prétendue contrefaçon,

en outre,

vu l'article 1382 du Code Civil,

- " constater " que la société Eleven ne démontre aucune faute à l'encontre de monsieur B. constitutive d'un acte de concurrence déloyale,

en conséquence,

- débouter la société Eleven de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions au titre de la concurrence déloyale,

en outre,

- ordonner à la société Eleven de notifier à la société Price Minister le jugement à intervenir dans un délai de 8 jours à compter du prononcé dudit jugement, en requérant la mise en ligne des offres précédemment retirées concernant les modèles commercialisés par le site Ketshoop, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard,

- ordonner à la société Eleven de restituer les six modèles saisis le 30 Avril 2013, dans un délai de 8 jours à compter du prononcé du " jugement " à venir, ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard,

à titre reconventionnel,

vu l'article 32-1 du Code de Procédure Civile,

- " constater " que l'action engagée par la société Eleven est manifestement abusive,

- " constater " que ladite action a entraîné pour monsieur B. un préjudice d'ordre moral et matériel important,

en conséquence,

- fixer la créance de monsieur B. au passif de la société Eleven, placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 27 mars 2017, à la somme de 49 920,00 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive,

en tout état de cause,

- fixer la créance de monsieur B. au passif de la société Eleven, placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 27 mars 2017, à la somme de 5 000 euros, au titre des frais irrépétibles conformément aux dispositions de l'article 700 CPC,

- dire et juger que les dépens seront employés en frais privilégiés de la procédure de liquidation ouverte à l'encontre de la société Eleven par jugement du Tribunal de Commerce de Paris du 27 mars 2017.

La société Eleven, intimée et la SAEL A. et la Selafa MJA en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualités de mandataire liquidateur de la société Eleven, intervenante volontaire, s'opposent aux prétentions de l'appelant, et demandent dans leurs dernières écritures en date du 19 avril 2018 de :

vu les Livres I et III du Code de la Propriété Intellectuelle,

vu l'article 1240 du Code Civil,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du Tribunal de Grande Instance de Marseille du 3 septembre 2015,

- dire que la SEL A. doit être mise hors de cause, son mandat ayant cessé par jugement du Tribunal de commerce de Paris du 27 mars 2017,

- déclarer la demande en intervention volontaire de la Selafa MJA, en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualité de mandataire liquidateur de la société Eleven recevable et bien fondée,

- débouter monsieur B. de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- dire que l'ensemble des condamnations seront versées à la Selafa MJA, en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualité de mandataire liquidateur de la société Eleven,

statuant de nouveau

à titre principal,

- condamner monsieur B. à verser à la Selafa MJA, en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualités de mandataire liquidateur de la société Eleven :

* 50 000 euros supplémentaires en réparation des actes de contrefaçon,

* et 15 000 euros supplémentaires en réparation des actes de concurrence déloyale et parasitaire distincts commis à son encontre.

à titre subsidiaire,

si par extraordinaire, la Cour d'appel considérait que les trois modèles revendiqués n'étaient pas protégeables sur le fondement du droit d'auteur,

- dire et juger qu'en application de l'article 1240 du Code Civil, monsieur B. a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Eleven en offrant à la vente et en commercialisant les caractéristiques des modèles Moustache, notamment Coluche, de la société Eleven,

- condamner monsieur B. à verser à la Selafa MJA, en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualités de mandataire liquidateur de la société Eleven une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi à ce titre.

en tout état de cause,

- débouter monsieur B. de sa demande sur le fondement de la procédure abusive,

- condamner monsieur B. à payer à la Selafa MJA, en la personne de Maître Lucile J., agissant es qualités de mandataire liquidateur de la société Eleven, la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Sur la fin de non-recevoir,

Aux termes de l'article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

Est dite composite l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière.

Est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble à la vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé.

Selon l'article L. 113-4 du même Code l'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante.

Monsieur Gunter B. soutient que la société Eleven ne démontre pas sa qualité à agir en contrefaçon du modèle concerné car les photographies reproduites ont été réalisées à partir d'autres photographies représentant le portrait de personnes célèbres, sur lesquelles ont été montées des photographies de la même main et de l'index tatoué et monsieur David C. dont la société Eleven prétend avoir acquis les droits ne démontre pas être l'auteur de ces photographies que ce soit celles d'origine ou celles du montage de photos.

Il ajoute que l'article L. 113-3 alinéa 2 du CPI dispose que les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord de sorte que l'action en contrefaçon intentée par la société Eleven, cessionnaire des droits d'un seul des coauteurs de l'œuvre sans la mise en cause des autres co-auteurs, doit être déclarée irrecevable.

Il précise que concernant le modèle Moustache de Coluche, l'auteur de la photographie première de Coluche prise dans les années 1980, monsieur Gaston B. a assigné en justice plusieurs exploitants de la photographie, dont la société Eleven, en contrefaçon de ses droits d'auteur.

La société Eleven fait valoir qu'en l'espèce le photographe ayant réalisé la photographie de Coluche, n'a réalisé que la photographie et n'a en aucun cas participé à la création du tee-shirt, qui doit être considérée comme une œuvre seconde, dérivée de la première œuvre.

Que seule la qualification juridique d'œuvre composite s'applique à cette création et qu'étant auteur de cette œuvre elle a qualité à agir en contrefaçon.

Ceci rappelé comme l'indique la société Eleven, elle a incorporé à son œuvre, la photographie préexistante, sans que le photographe ne collabore à la création du tee-shirt, les deux œuvres étant le fruit de deux apports distincts dans le temps.

Il s'agit en conséquence d'une œuvre nouvelle, à laquelle a été incorporée une œuvre préexistante du photographe, sans la collaboration de ce dernier, de sorte qu'étant l'auteur de cette œuvre elle a qualité à agir en contrefaçon, sans l'autorisation de l'œuvre première.

Sur la titularité des droits et la protection au titre du droit d'auteur,

L'article L. 111.1 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que :

" L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.

Selon l'article L. 111-2 du Code de la propriété intellectuelle, l'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur.

L'œuvre de collaboration est définie comme I'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques, conformément aux dispositions de l'article L. 113.2 du Code de la propriété intellectuelle.

Selon l'article L. 113-4 du Code de la propriété intellectuelle :

" L'œuvre composite est la propriété de I'auteur qui l'a réalisée. Sous réserve des droits de I'auteur de I'œuvre préexistante. "

Monsieur Gunter B. expose qu'il a exercé une activité consistant à concevoir des tee-shirts reproduisant des photos depuis 2009 sous différentes formes : auto-entrepreneur, puis, au travers d'une société, puis, a créé en 2012 un site vendant ces articles aux professionnels, puis, en 2013 un site internet destiné aux particuliers et que parmi ses nombreuses collections il a conçu la collection The Artist et la collection Mister Moustache ;

Que reprenant l'idée d'un tatoueur local américain, Elle Wildie, il a fait fabriquer et commercialiser des mugs et des tee-shirts comportant la composition de trois éléments :

- un corps ou visage d'un homme ou d'une femme,

- affublé d'une main repliée et un index tendu placé sous le nez,

- sur lequel était dessiné une moustache ;

Qu'il a choisi et acquis séparément les droits des photographies représentant des portraits grimaçants affublés de certaines parties du corps pour certains, de deux femmes et un homme inconnu et celle représentant une main repliée avec l'index tendu, dessiné des moustaches sur l'index et retouché la main (droit allongé) et réalisé un montage avec les photos de portraits et de la main et ce dès juillet 2009 ;

Qu'en janvier 2010 il offrait à la vente deux autres t-shirts à partir de personnages célèbres dont Coluche et Pokora sur lesquels il effectuait les mêmes montages ;

Il soutient que la société Eleven revendique la protection d'un concept à savoir " une moustache tatouée sur un côté du majeur placé sous le nez d'un visage " ou encore " une série de modèles de tee-shirts désignés sous le nom de modèle tee-shirt Moustache " ;

Il fait valoir que la société Eleven ne démontre pas l'antériorité de son modèle Moustache car le gérant de la société qui prétend avoir créé ce modèle le 18 février 2010 n'apporte aucune indication sur le procédé de création utilisé et la société ne peut se créer une preuve à elle-même, alors que l'attestation de son gérant est contredite par la première commercialisation de celui-ci, un an plus tard au printemps 2011, la seule facture de commercialisation antérieure du 29 novembre 2010 ne portant pas les références du modèle en question ;

Que la seule date certaine est celle résultant du catalogue été-printemps 2011.

Concernant le modèle Coluche il soutient que sa date de création n'est pas étayée par la société Eleven, la seule date certaine étant celle de décembre 2013, date du concert des enfoirés portant le Tee-shirt concerné.

Monsieur B. soutient qu'il verse aux débats des éléments datant ses créations au mois de juillet 2009 démontrant avoir créé dès cette date des photographies présentant les mêmes caractéristiques : copies écrans des dossiers informatiques et montages de Mister Moustache issus de son ancien ordinateur datant de 2007 avec utilisation de logiciels de montage de 2016 datés de juillet 2009, essais photographiques du concept avec dates du tirage au dos des photos, facture du 31 juillet 2009 intitulée copies dépliants mister moustache, factures de première commercialisation du début 2010.

Qu'il justifie d'un début de commercialisation des tee-shirts concernés durant l'année 2009 par la communication de deux factures et de la commercialisation du modèle Coluche par des factures des 28 janvier et 4 février 2010, l'ensemble des factures produites concernant des sociétés dont il justifie, contrairement à ce que soutient l'intimée la réalité des sociétés destinataires.

Il soutient avoir bien commencé en qualité d'artisan la commercialisation de ses produits en 2009 puis les ventes en ligne à compter de 2013.

Qu'il justifie en conséquence de l'antériorité de création et de divulgation de ses modèles.

Subsidiairement, il conteste le caractère original car le montage lui-même de deux photographies un visage et une main tatouée résulte d'un travail purement technique et passif et ce n'est que le résultat de manipulations techniques facilitées par l'emploi de logiciels de retouche photographique numérique ne méritant pas en tant que tel, la protection par le droit d'auteur ;

Que les moustaches tatouées sur le doigt sont toutes identiques, peu important la photographie de la célébrité sur laquelle ce doigt est ajouté et sa physionomie.

Que la combinaison des objets photographiés est banale mais ressort d'une idée connue et reprise par de nombreux créateurs antérieurement à la date à laquelle le cédant de la société Eleven prétend avoir conçu son œuvre ; que la tendance consistant à prendre en photo un visage avec un index où figure une moustache est apparue dès 2003 et ce phénomène a été repris dans le secteur des produits dérivés et du prêt-à-porter dès 2009.

La société Eleven expose que le modèle de tee-shirt Coluche a été expressément conçu pour l'association Les Restos du Cœur dans un but non lucratif et qu'elle s'est engagée auprès de l'association à ne pas commercialiser ce modèle ;

Que ce modèle présente une originalité résidant dans la combinaison de ses caractéristiques essentielles :

- Modèle de tee-shirt à fond uni

- Sur lequel est floquée la photographie de Coluche,

- Au-dessus de la lèvre supérieure de Coluche, apparaît le majeur d'une main sur lequel est représentée une moustache tatouée noire, rebiquant vers le haut,

- Le reste de la main repliée apparaît à la gauche de Coluche,

- La représentation apparaît dans un rectangle,

- En noir et blanc.

Que ces modèles de tee-shirts, qui ont fait l'objet de nombreuses déclinaisons, ont été conçus par le gérant de la société Eleven en début d'année 2010 ;

Que pour chaque déclinaison du modèle, la personnalité de l'auteur s'exprime notamment par le choix de la personnalité, de la photographie et de son cadrage.

Ainsi, l'auteur a pris un parti pris esthétique en créant ces modèles, par le choix de la photographie de chacune de ces personnalités et de son cadrage, combinés aux caractéristiques très particulières moustache volontairement étroite et rebiquée combinées aux éléments sus mentionnés ;

Que la combinaison de ces caractéristiques confère à ces modèles un caractère original, permettant de les distinguer d'autres réalisations appartenant au même genre, et traduit un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de leur créateur. Que ces modèles ont été commercialisés à partir de la collection Automne-Hiver 2010/2011, la première facture datant de novembre 2010 ;

Elle ajoute que lors des opérations de saisie-contrefaçon monsieur Gunter B. a déclaré à l'huissier instrumentaire qu'il développé ces Tee-shirts avec impression sérigraphiée depuis un mois et ce depuis le 17 mars 2013 ; que sur ses flyers il est indiqué Nouvelle Collection de T-Shirts et l'huissier a pu constater la présence de 62 commandes portant sur les modèles Pokora et Coluche dont la première débute début avril 2013 ;

Elle poursuit en exposant que le modèle Moustache et ses déclinaisons ont été créés par son gérant qui en atteste de façon précise et circonstanciée qui est corroborée par les factures de commercialisation remontant à novembre 2010, le dossier de presse, ses éléments de communication qui démontrent que la divulgation et la communication sous son nom du modèle Moustache sont intervenues depuis la collection automne-hiver 2010-2011.

Elle fait valoir qu'elle établit la commercialisation du modèle depuis l'automne/hiver 2010 en versant aux débats :

- Plusieurs factures de commercialisation, la plus ancienne remontant à novembre 2010 et comportant une des références présentes dans les look books,

- Ses look-books depuis la collection printemps-été 2011,

- Ses éléments de communication,

- Son dossier de presse,

- Son dossier de presse relatif au modèle Moustache Coluche,

- Un sondage d'opinion au terme duquel pas moins de 80,8 % des sondés sont capables d'associer le tee-shirt Moustache à la marque Eleven Paris,

Elle conteste tout caractère probant aux documents communiqués par l'appelant pour opposer une antériorité car ni les photographies des modèles, ni les prétendus contrats d'images photothèques, ni les impressions d'écran du site Ketshooop ne comportent de dates et les autres pièces ne comportent pas de date certaine et leur contenu sont dépourvu de valeur probante car il s'agit de simples documents internes ayant été établis à n'importe quel moment.

Elle précise concernant les tirages photos que le montage consistant à apposer sur le tirage une main affublée d'une moustache est nécessairement postérieur aux tirages photos réalisés et démontrent la capacité de monsieur B. à effectuer des montages photos alors que les fichiers informatiques peuvent être modifiés ;

Elle ajoute que la facture du dépliant Mr Moustache du 31 juillet 2009 ne fait que montrer que monsieur B. aurait commandé auprès d'un fournisseur un dépliant sous cette dénomination mais sans établir qu'il représente le modèle litigieux et sans communiquer ce dépliant ;

Que les factures communiquées pour justifier de la commercialisation émanent de sociétés qui n'existent pas ou qui déclare pour l'une n'avoir jamais commercialisé les produits litigieux alors que le nom de domaine dont monsieur B. verse des extraits n'existe que depuis le 30 janvier 2013 sur lequel les produits sont présentés comme étant vendus en exclusivité ;

Ceci rappelé si l'œuvre revendiquée par la société Eleven s'inscrit dans un mouvement artistique utilisant l'adjonction d'un doigt tatoué d'une moustache sur un visage, le photomontage conçu par cette dernière et apposé sur les tee-shirts comportant la composition d'un visage d'une personne célèbre , en l'espèce Coluche en gros plan, visage inséré dans un rectangle, sur lequel a été apposé la photographie d'un majeur tatoué d'une moustache dont la main est repliée dans un agencement particulier, le tout dans un fond uni, démontre l'effort créatif et le parti pris esthétique portant l'empreinte de la personnalité de l'auteur, de sorte que c'est à bon droit que le tribunal a jugé que celle-ci est éligible à la protection du droit d'auteur.

Que d'ailleurs il ressort du sondage qu'a fait établir la société Eleven que 80, 8 % des sondés associent le tee-shirt Moustache à la société Eleven marquant ainsi sa singularité.

En l'absence de tout revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé les tee-shirts dont s'agit, les actes de possession de la société Eleven qui l'exploite sous son nom et qui est reconnue de façon notoire dans la presse pour en être à l'origine, font présumer, que cette personne est titulaire sur l'œuvre, quelle que soit sa qualification, du droit de propriété incorporelle de l'œuvre.

Elle justifie par de nombreux documents probants qui se corroborent entre eux par les factures et les références des modèles, avoir commercialisé le modèle Moustache et son dérivé Coluche depuis la collection automne/hiver 2010, notamment le modèle Kate Moss KM.

Les documents communiqués par l'appelant, sans date ou sans date certaine et établis pour la plupart en interne, ne sont pas de nature à établir une quelconque antériorité alors qu'il ne verse pas la facture d'achat de la photographie Coluche et a déclaré à l'huissier instrumentaire avoir commercialisé les tee-shirts litigieux depuis mars le 17 mars 2013 ce qui correspond aux constatations de l'huissier, de sorte qu'il n'établit ni d'une création ni d'une commercialisation antérieurement à la société Eleven.

Sur l'action en contrefaçon,

L'article L. 122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que:

" Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur [...] est illicite " '

Monsieur Gunter B. conteste la contrefaçon invoquée en faisant valoir qu'il existe des dissemblances majeures entre les modèles qui reprennent un concept connu du public.

Il précise que le modèle Coluche de M. B. se distingue du modèle Coluche de la société Eleven sur les points suivants :

- la création de M. B. met en œuvre une moustache orientée vers le haut alors que celle de la société Eleven fait apparaître une moustache orientée vers le bas ;

- si sur les deux images la main apparaît à droite du visage de Coluche, sur le Tee-shirt de M. B. il s'agit d'une main droite et sur celui de la société Eleven d'une main gauche ;

- le doigt sur lequel est dessinée la moustache est un index sur le Tee-shirt de M. B. et un majeur sur celui de la société Eleven

- sur le Tee-shirt de M. B., la main est repliée de façon à empiéter le moins possible sur le visage de Coluche, alors que sur le modèle " Coluche " de la société Eleven, la partie inférieure de la main empiète sur le menton.

Concernant les modèles Moustache ceux-ci portent également sur des personnes inconnues, la moustache qui y est représentée varie d'un modèle à l'autre, orientée tantôt vers le haut, tantôt vers le bas et présente des courbes différentes d'un tee-shirt à l'autre et ils ne reproduisent pas le slogan distinctif reproduits systématiquement sur les photos de l'intimée " life is a joke ".

L'examen des modèles de tee-shirts de chacune des parties fait apparaître que le modèle commercialisé par l'appelant est la copie quasi servile du modèle de la société Eleven car il reproduit :

- Modèle de tee-shirt à fond uni

- Sur lequel est floquée la photographie d'une personnalité,

- Au-dessus de la lèvre supérieure de laquelle, apparaît le majeur d'une main sur lequel est représentée une moustache tatouée noire, rebiquant vers le haut,

- Le reste de la main repliée apparaît à la gauche de la personnalité,

- La représentation apparaît dans un rectangle,

- En noir et blanc.

De plus, en ce qui concerne le seul modèle Coluche :

- le modèle représente la même photographie, cadrée de la même manière.

Le fait qu'il s'agisse d'une main droite est sans incidence sur la reproduction non autorisée, de sorte que la contrefaçon de droit d'auteur est établie.

Sur l'action en concurrence déloyale,

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard de la liberté du commerce ce qui implique l'existence d'un comportement fautif ayant pour origine la volonté manifeste de créer, un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

Monsieur Gunter B. soutient n'avoir commis aucune faute à l'égard de l'intimée ni souhaité se placer dans son sillage car il s'est placé dans un phénomène de mode et a commercialisé sa nouvelle collection antérieurement à la société Eleven qui ne justifie pas des investissements qu'elle aurait assumés.

La société Eleven expose qu'en reproduisant six modèles de tee-shirts Moustache déclinés en plusieurs coloris blanc et gris au minimum opérant un effet de gamme, monsieur B. a souhaité profiter indûment du succès rencontré par ses modèles dû notamment aux campagnes publicitaires mises en place par elle, appelant d'ailleurs ses modèles Moustache pour renforcer le risque de confusion

Ceci rappelé, les nombreux articles de presse et l'étude de notoriété versés aux débats démontre que les tee-shirts Eleven dont s'agit sont connus d'un grand nombre de consommateurs et apparaissent emblématique de la marque ; qu'ainsi en se plaçant dans son sillage en commercialisant des produits quasi identiques déclinés en gamme sous la même dénomination sont constitutifs d'actes de parasitisme distincts des actes de contrefaçon.

Sur les mesures réparatrices,

Monsieur Gunter B. fait valoir que la société Eleven n'a étayé aucun chef de préjudice prétendument subi au titre de la contrefaçon et que le préjudice invoqué au titre de la concurrence déloyale n'est ni distinct de celui réclamé au titre de la contrefaçon, ni démontré et quantifié.

Les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ont occasionné à la société Eleven une atteinte à ses efforts de création et d'investissements en les banalisant, un manque à gagner et une atteinte à son image dès lors qu'elle s'est engagée à l'égard de l'association Les Restos du Cœur à ne pas commercialiser le tee-shirt Coluche.

Au regard des ventes de monsieur B. à destination des particuliers et des professionnels de ses produits par l'intermédiaire de trois sites internet, qui représentent 60 % de ses ventes, en les déclinant dans une gamme, au fait que 108 tee-shirts ont été découverts dans son atelier, au prix de vente 50 % moins cher que ceux de la société Eleven et à l'absence de tenue d'une comptabilité par l'appelant, il convient de confirmer le jugement ayant alloué d'ores et déjà à la société Eleven la somme de 20 000 euros au titre de la contrefaçon et celle de 15 000 euros au titre de la concurrence déloyale et en ce qu'il a ordonné des mesures d'interdiction et de mesures de destruction du stock sous astreinte pour faire cesser les actes fautifs et autorisé des mesures de publication en réparation complémentaire , et y ajoutant, de condamner l'appelant à verser à la Selafa MJA en la personne de Maître Lucile J. es qualités de liquidateur judiciaire de la société Eleven la somme de 50 000 euros en réparation de préjudice résultant de la contrefaçon et celle de 15 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale.

Sur les autres demandes,

Monsieur Gunter B. demande qu'il soit ordonné à la société Eleven de notifier à la société Price Minister, sous astreinte, la demande de la mise en ligne des offres précédemment retirées concernant les modèles commercialisés par le site Ketshooop qui ne sont plus promus suite à sa demande depuis mi-avril 2013.

Il sollicite également la restitution des deux modèles saisis le 30 avril 2013 et la condamnation de la société intimée à lui verser la somme de 10 000 euros pour procédure abusive.

Au regard des dispositions de la présente décision ces demandes, non fondées doivent être rejetées.

L'équité commande d'allouer à la société intimée en la personne de son liquidateur judiciaire, la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par l'appelant

Les dépens resteront à la charge de l'appelant qui succombe.

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort, Met hors de cause la SEL A., Déclare recevable en la forme l'intervention volontaire de la Selafa MJA en qualité de liquidateur judiciaire de la société Eleven, Rejette l'ensemble des demandes de l'appelant, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne l'appelant à verser à Selafa MJA en la personne de Maître Lucile J. es qualités de liquidateur judiciaire de la société Eleven : - la somme de 50 000 euros en réparation de préjudice résultant de la contrefaçon, - la somme de 15 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale, - la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne l'appelant aux entiers dépens de l'instance.