CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 3 juillet 2018, n° 16-18091
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
ETSCAF (SAS)
Défendeur :
Electrolab Training Systems, ID'Quation (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
M. Peyron : Conseillers : Mme Douillet, M. Thomas
EXPOSÉ DES FAITS
La société de droit canadien Electrolab Training Systems (ci-après Electrolab), indique avoir été créée en 1975 pour répondre aux besoins de formation technique de l'industrie et des institutions éducatives. Elle présente ses activités comme découlant des recherches menées par le fils de son fondateur Norm W. sur l'erreur humaine non intentionnelle, en relation avec la santé et la sécurité au travail.
Elle déclare qu'à partir d'une étude menée sur plus de 20 000 accidents, il a identifié quatre états principaux - précipitation, frustration, fatigue, excès de confiance - conduisant à commettre une ou plusieurs des quatre erreurs critiques - inattention du regard, distraction, ligne de tir, perte d'équilibre/adhérence/prise - selon la théorie dite " 4X4 ", et que ce principe a été introduit au sein d'une méthode de formation intitulée " Safestart " développée au milieu des années 1990 par la société Electrolab, commercialisée depuis 1998 et traduite en français depuis 1'année 2000.
La société ETSCAF réalise des prestations de conseil et management en entreprise et revendique être, depuis 2007, le distributeur exclusif en France de la méthode de formation " Safestart ", distribuée sous forme de vente de licences " participant Safestart " à ses clients pour les sites ayant pour objectif d'améliorer leur niveau de sécurité.
La société ID'Quation a pour activité de délivrer des formations dans le domaine de la stratégie d'entreprise.
La société Electrolab explique qu'afin de sélectionner le distributeur exclusif de la méthode " Safestart " en France, elle a, en 2006, fait appel à la société ACS Prévention qui à ce titre, aurait été en relation avec la société ID'Quation avant qu'ETSCAF ne soit choisie dans le cadre d'une convention de partenariat signée le 12 mars 2007.
Les sociétés Electrolab et ETSCAF indiquent avoir découvert - dans une vidéo promotionnelle diffusée sur le site Youtube le 26 janvier 2011- que la société ID'Quation aurait développé une méthode intitulée 4E/4D qui reproduirait la technologie 4x4 de Safestart.
Estimant que les principes et enjeux de la méthode " Play safe " que la société ID'Quation présentait dans cette vidéo était une reproduction pure et simple de sa propre méthode de formation Safestart, la société Electrolab a mis celle-ci en demeure de cesser ces agissements au moyen d'une lettre adressée par son conseil canadien le 18 novembre 2013, demeurée sans réponse. Ce courrier a été suivi le 13 janvier 2014 d'une demande similaire du distributeur invoquant des actes de concurrence déloyale et parasitaire, à laquelle la société ID'Quation a répondu en contestant les griefs formulés.
Par acte d'huissier du 9 avril 2014, les sociétés Electrolab et ETSCAF ont assigné la société ID'Quation en contrefaçon de droits d'auteur, actes de concurrence déloyale et parasitisme, aux fins d'obtenir des mesures réparatrices et indemnitaires.
Les sociétés ETSCAF et Electrolab ont interjeté appel du jugement du 13 mai 2016 du tribunal de grande instance de Paris qui a :
déclaré les demandes de la société Electrolab sur le fondement du droit d'auteur irrecevables ;
dit qu'en utilisant dans le cadre de la formalisation de la méthode dite " Play Safe " la définition de " 4 états subis " sous la dénomination " 4E "
- Etats de fatigue
- Empressement
- Etats émotionnels
- Excès de confiance
et de " 4 comportements à risque " sous la dénomination " 4D "
- Déconcentration
- Distraction visuelle
- Déplacements à risque
- Défaut de stabilité ou de prise
le tout ensemble, la société ID'Quation s'est livrée à des actes parasitaires au préjudice de la société ETSCAF,
fait interdiction à la société ID'Quation de poursuivre ces agissements à savoir, l'utilisation des termes précités ensemble sous la dénomination " 4E/4D " dans la formalisation de sa méthode de formation " Play safe ", ce passé un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision et sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant une durée de 4 mois,
débouté les sociétés Electrolab Training Systems et ETSCAF du surplus de leurs demandes d'interdiction, de publication et au titre des dommages et intérêts,
débouté la société ID'Quation de sa demande reconventionnelle,
condamné la société ID'Quation à payer aux sociétés Electrolab Training Systems et ETSCAF ensemble une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
condamné la société ID'Quation aux dépens,
ordonné l'exécution provisoire.
Par conclusions du 9 avril 2018, les sociétés ETSCAF et Electrolab demandent à la Cour de :
recevoir les sociétés Electrolab et ETSCAF en leur appel et les dires bien fondées
confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris du 13 mai 2016 en ce qu'il a :
Dit qu'en utilisant dans le cadre de la formalisation de la méthode dite " Play Safe " la définition de " 4 états subis " sous la dénomination " 4E "
- Etat de fatigue,
- Empressement,
- Etats émotionnels
- Excès de confiance
et de " 4 comportements à risque " sous la dénomination " 4D "
- Déconcentration
- Distraction visuelle
- Déplacements à risque
- Défaut de stabilité ou de prise "
le tout ensemble, la société ID'Quation s'est livrée à des actes parasitaires au préjudice de la société ETSCAF ;
Fait interdiction à la société ID'Quation de poursuivre ces agissements à savoir, l'utilisation des termes précités ensemble sous la dénomination " 4E/4D " dans la formalisation de sa méthode de formation " Play-Safe ", ce passé un délai de 3 mois suivant la signification de la présente décision et sous astreinte de 100euros par jour de retard pendant une durée de 4 mois ;
Débouté la société ID'Quation à payer aux sociétés Electrolab Training Systems et ETSCAF ensemble une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamné la société ID'Quation aux dépens.
Infirmer pour le surplus et statuant à nouveau
Juger la société ID'Quation coupable de violation de droit d'auteur à l'encontre de la société Electrolab
En conséquence
Condamner la société ID'Quation à payer :
à la société Electrolab la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts au titre de la violation à son droit d'auteur,
à la société ETSCAF la somme de 524 600 euros de dommages et intérêts pour pratiques déloyales et parasitaires dont
- 50 000 euros au titre de l'atteinte à son image;
- 474 600 euros au titre du préjudice financier
Ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans les revues " L'usine nouvelle " et " Travail et sécurité " à la charge exclusive de la société ID'Quation et à hauteur de 5 000 euros par insertion ;
Condamner la société ID'Quation au paiement de la somme de 7 500 euros aux sociétés ETSCAF et Electrolab au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions du 12 mars 2018, la société ID'Quation demande à la Cour de :
Confirmer le jugement rendu par la 3ème chambre 3ème section du tribunal de grande instance de Paris le 13 mai 2016 en ce qu'il a jugé que la société Electrolab n'établit pas être titulaire de droits d'auteur sur le contenu et les supports pédagogiques diffusant la méthode " Safestart " dont elle échoue à démontrer l'originalité et, en conséquence, déclaré irrecevables les demandes de la société Electrolab sur le fondement du droit d'auteur ;
Infirmer le jugement rendu par la 3ème chambre 3ème section du tribunal de grande instance de Paris le 13 mai 2016 de tous ses autres chefs ;
Statuant à nouveau,
Sur la demande des sociétés Electrolab ET ETSCAF au titre des actes de parasitisme :
Sur l'irrecevabilité de la société ETSCAF pour défaut d'intérêt à agir :
juger que la société ETSCAF fonde son action sur sa qualité de distributeur exclusif de la méthode SafeStart, qu'elle tirerait de la " Convention de Partenariat Electrolab, ACS Prévention, ETSCAF du 12 mars 2007 "
juger que cette convention n'est pas produite aux débats, que la société ETSCAF ne peut en toute hypothèse pas y être partie, puisqu'à la date de sa signature (12 mars 2007), ETSCAF n'existait pas encore, et que la société ETSCAF ne fait pas la preuve de ce qu'elle serait venue aux droits de la société ETSA CAF signataire de cette convention
En conséquence,
Déclarer la société ETSCAF irrecevable pour défaut de qualité et d'intérêt à agir
Au fond :
juger que les sociétés Electrolab et ETSCAF ne font pas la preuve de la commission d'actes de parasitisme et de pratiques déloyales par la société ID'Quation
juger que les sociétés Electrolab et ETSCAF ne font pas la preuve de leur prétendu préjudice
En conséquence,
Débouter les sociétés Electrolab et ETSCAF de leurs demandes au titre d'une prétendue concurrence déloyale
A titre reconventionnel
Condamner solidairement les sociétés Electrolab et ETSCAF à payer à ID'Quation la somme de 50 000 euros en réparation de l'atteinte à son image causée par la publicité qu'elles donnent à la présente instance
En tout état de cause
Condamner solidairement la société Electrolab et la société ETSCAF à payer à la société ID'Quation la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Condamner solidairement la société Electrolab et la société ETSCAF aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2018.
MOTIVATION
Sur le droit d'auteur
La société Electrolab fait valoir que la société ID'Quation s'est rendue coupable de contrefaçon en reprenant la méthode protégée sur le fondement du droit d'auteur.
Elle rappelle l'antériorité de la méthode SafeStart sur Play-Safe et fait état du caractère original de SafeStart, qui repose sur l'identification et la mise en corrélation d'états spécifiques avec les erreurs critiques identifiées, et propose des solutions concrètes permettant de réduire les risques d'accidents dans le cadre d'une activité professionnelle. Elle précise que l'originalité de l'enseignement, divisé en deux phases de cinq modules, repose sur la formalisation de SafeStart en ce que la technologie 4x4 est décrite et dispensée lors d'une formation en entreprise par le biais de plusieurs supports (" Comité de pilotage ", " Classeur comité de direction ", " Guide de l'instructeur ", " Cahier encadrant ", " Carte encadrant "). Elle en déduit que la méthode présente une forme originale, détaillée et précise, dont la société ID'Quation a eu connaissance lors du processus de sélection du distributeur exclusif en France. Elle constate la reprise pure et simple de la méthode SafeStart, la reproduction de la démarche de SafeStart ainsi que de son champ d'application de Play-Safe, outre d'autres similitudes entre les deux méthodes (notamment au regard de la dénomination des méthodes), et conclut que cette reprise constitue une violation de son droit d'auteur.
La société ID'Quation relève que si une formalisation de la méthode SafeStart semble exister, elle n'est pas versée aux débats, alors que la production de la matérialisation de la méthode est nécessaire pour démontrer son originalité. Elle fait valoir qu'à défaut, la méthode Safestart ne peut être protégée au titre du droit d'auteur, ce qui exclut toute contrefaçon. Elle souligne que le droit d'auteur ne protège que la matérialisation des œuvres de l'esprit originales et que cette protection n'est pas accordée aux méthodes proprement dites qui constituent de simples idées, mais seulement à leur présentation formelle. Elle en déduit qu'il est nécessaire pour la société Electrolab de justifier être l'auteur d'une formalisation d'une méthode SafeStart, que cette formalisation est originale et qu'ID'Quation l'a copiée - preuves qui ne sont pas rapportées en l'espèce.
Elle ajoute que la société Electrolab revendique la protection d'une simple idée, que non seulement aucune formalisation originale de la méthode SafeStart n'est produite, mais que l'idée elle-même qui sous-tend cette méthode n'est pas originale ; enfin, elle conteste toute copie.
Sur ce
L'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que " l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous'.
L'article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle protège par le droit d'auteur toutes les œuvres de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination, pourvu qu'elles soient des créations originales.
Seule est éligible à la protection par le droit d'auteur, non pas l'idée, qui est de libre parcours, mais la mise en forme de l'idée en une création perceptible, dotée d'une physionomie propre portant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Il revient à celui qui invoque la protection au titre du droit d'auteur de caractériser l'originalité de son œuvre.
L'antériorité de la méthode Safestart de la société Electrolab ne peut être utilement évoquée pour revendiquer sa protection au titre du droit d'auteur si son originalité n'est pas démontrée.
La société Electrolab revendique l'originalité du contenu de la méthode Safestart, comme reposant sur l'identification de quatre états -la précipitation, la frustration, la fatigue, l'excès de confiance- susceptibles de provoquer quatre erreurs -l'inattention du regard, la distraction, la ligne de tir, la perte d'équilibre ou de prise ou d'adhérence- augmentant le risque d'accidents, et au vu desquels a été définie la technique 4x4.
Toutefois, il s'agit là d'idées (la définition de quatre états pouvant générer quatre erreurs) qui, si elles ont donné lieu à des publications et des recherches afin de les définir, ne peuvent bénéficier en elles-mêmes d'une protection au titre du droit de la propriété intellectuelle, ce d'autant que les notions en cause ne sont pas précisément définies par la société Electrolab, et que les limites de la méthode revendiquée ne sont pas davantage clairement déterminées.
L'idée sous-jacente, selon laquelle des états humains déterminés sont susceptibles de provoquer des erreurs ou des fautes, pouvant elles-mêmes être à l'origine d'accidents n'est pas originale, des études anciennes ayant identifié la relation de cause à effet entre la fatigue, la surestimation de ses capacités ou le désintérêt pour le travail à effectuer comme des causes potentielles d'accidents.
La formalisation de la méthode Safestart revendiquée par la société Electrolab reposerait sur une organisation en 2 phases (phase initiale et phase de renforcement) de 5 modules, soit un choix de structure et de présentation révélant selon elle un effort créatif.
Pour autant, le choix de consacrer une première partie de la méthode aux erreurs pouvant être commises par les employés et une deuxième partie aux habitudes à acquérir afin de réduire les risques d'accidents n'est pas de nature à caractériser une originalité révélant l'empreinte de la personnalité de son auteur justifiant en elle-même de protéger en soi la méthode revendiquée.
La production de plaquettes de présentation de la méthode, de documents de communication et de publicité destinés à assurer sa promotion, ne permet pas d'appréhender l'originalité revendiquée. Il en est de même du procès-verbal de constat du 24 juin 2015 - qui ne fait que détailler les tables de matières et montrer la présentation formelle des différents chapitres de la méthode Safestart-, mais dont la seule énumération constituant l'architecture de la méthode n'est pas en soi révélatrice d'originalité.
L'examen des pièces versées révèle l'existence d'une méthode, développée depuis des années et qui a fait l'objet d'articles de journaux, de publication et de session de formation, sans pour autant permettre à la cour d'appréhender le contenu même de la méthode comme l'originalité de sa structuration.
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu le défaut de démonstration d'originalité de la méthode, sauf à préciser que s'agissant d'une condition de fond la demande présentée au titre du droit d'auteur ne sera pas déclarée irrecevable, mais la société Electrolab sera déboutée de sa demande à ce titre.
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
Sur la recevabilité de la société ETSCAF
La société ID'Quation soutient que si la société ETSCAF fonde son action sur sa qualité de distributeur exclusif de la méthode SafeStart qu'elle tirerait de la convention du 12 mars 2007, ce contrat est dénué de contenu, puisque composé de pages blanches sur lesquelles n'apparaissent que des titres d'articles, de sorte qu'il n'a pas de valeur.
Elle ajoute que la société ETSCAF n'est pas partie à cette convention, celle-ci étant signée par " la société ETSA CAF département de ETSA propriété de Air Liquide " dont on ignore le lien avec la société ETSCAF, mais qu'il s'agit de deux sociétés différentes puisque la demanderesse ETSCAF n'ayant été immatriculée au RCS de Pontoise qu'en septembre 2009, elle n'a pu signer cette convention au mois de mars 2007.
Sur ce
La convention du 12 mars 2007 a été signée par ETSA CAF département de ETSA propriété et AIR LIQUIDE, Electrolab Limited, ACS Prévention INC et a pour objet " convention formelle de partenariat exclusif à durée déterminée et limitée au territoire de la France, en matière de services conseils et de formation visant à assister les employeurs à l'amélioration continue des comportements en sécurité à l'aide des produits sous les marques de commerce Safestart et SafeTrack ".
La société ETSCAF a été immatriculée le 16 septembre 2009 au registre du commerce et des sociétés du tribunal de commerce de Pontoise, donc postérieurement à la signature de cette convention ; l'activité déclarée de cette société est " la réalisation de prestations de conseil, audit et formations au management de la sécurité. La fourniture de conseil à destination de tout type de société'.
Il ressort de la lecture de son Kbis qu'elle a fait l'acquisition, à compter du 30 septembre 2009, de la partie d'activité concernant " le conseil l'audit et la formation en entreprise pour la sécurité au travail " de la société ETSA.
Aussi, et même si le contenu de la convention produite a été " effacé " sur la version produite aux débats, le jugement a justement estimé que la mention de cette acquisition permettait à la société ETSCAF de fonder son intérêt à agir dans la présente instance, en relevant que les articles de la revue ETS Safe assurant la promotion de la méthode Safestart indiquent que c'est la société ETSCAF qui à travers sa division ETS Safe commercialise le programme Safestart, et que le contact indiqué a une adresse électronique finissant par " @etscaf.com ".
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu que la société ETSCAF était recevable à agir.
Sur les faits de concurrence déloyale et parasitaire
Les sociétés appelantes relèvent que la société ID'Quation a eu connaissance de leur méthode lors du processus de sélection du distributeur en France, ce qu'elle ne conteste pas, avant de développer sa propre méthode de formation. Elles soulignent que le jugement a relevé la captation par la société ID'Quation de la méthode Safestart.
Elles mettent en avant l'utilisation par la société ID'Quation de la langue anglaise pour dénommer sa méthode comme Safestart, la reprise de la structure de cette méthode comme de sa modélisation ou de ses supports de présentation, de sorte que la méthode de cette société est une reproduction de Safestart et présente le même champ d'application.
Elles affirment que la seule constatation d'un acte déloyal et parasitaire conduit automatiquement à indemniser l'opérateur victime de ces actes qui entraînent une perte de clientèle et de chiffre d'affaires d'ETSCAF qui, du fait des investissements et du paiement de redevances, ne peut proposer des tarifs de vente aussi compétitifs qu'ID'Quation.
La société ID'Quation conteste toute reprise servile de la méthode Safestart, et soutient que la méthode établie par les sociétés Electrolab et ETSCAF, notamment l'identification des états et de ces erreurs commises par les travailleurs, sur lesquels le tribunal a caractérisé la reprise, ne nécessitait aucun travail intellectuel ni effort de conception et relevait du " bon sens ".
Elle affirme que les quatre états identifiés par la méthode Safestart ont été identifiés par de nombreux auteurs, de même que la corrélation entre ces états et les erreurs.
Sur ce
La concurrence déloyale, comme le parasitisme, trouve son fondement dans l'article 1240 (anciennement 1382) du Code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Ces deux notions devant être appréciées à l'aune du principe de la liberté du commerce, ne sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale que des comportements fautifs tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, ou ceux, parasitaires, qui consistent à s'immiscer dans le sillage d'autrui afin de profiter, sans bourse délier, de ses efforts, de ses investissements et de son savoir-faire.
En l'occurrence, la méthode Safestart repose notamment sur l'identification de quatre états (précipitation, frustration, fatigue, excès de confiance) pouvant provoquer quatre erreurs (inattention du regard, distraction, ligne de tir, et perte d'équilibre, de prise ou d'adhérence) augmentant le risque d'accidents.
Ces points sont notamment identifiés par la brochure de présentation de monsieur Larry W. en 2004 (pièce 37-1 appelantes), des articles de presse de janvier/février 2001 " plus efficace qu'une approche axée sur le comportement " et de juillet 2001 " le travailleur intelligent... une nouvelle perspective " (pièce 39-1 appelantes), un calendrier Safestart de l'année 2006 (pièce 42 appelantes) ou la brochure ETS Safe présentant la méthode Safestart de mars 2010 (pièce 6 appelantes).
Il est établi que lors de la préparation de la diffusion de la méthode Safestart en France, la société Electrolab a demandé à la société ACS Prévention de recruter une société française afin de dispenser sa méthode, et qu'à cette occasion la société ACS Prévention a rencontré en 2006 la société ID'Quation et lui a remis une pochette explicative et promotionnelle de la méthode (pièces 15 et 16 appelantes).
Ce n'est qu'après cette rencontre et la remise de ces documents que la société ID'Quation a déposé le 9 juillet 2007, en visant les classes 35, 41 et 45, la marque Play-Safe sous laquelle elle propose des formations, comme l'établit le procès-verbal de constat du 23 janvier 2014 (pièce 11 appelantes).
La société ID'Quation a choisi, pour dénommer la marque sous laquelle elle propose ces formations, d'utiliser l'association de deux mots de langue anglaise, comme la méthode Safestart des appelantes ; par ailleurs, cette marque est notamment composée, comme la méthode des appelantes, du terme anglais Safe, de sorte qu'elle évoque la notion " jouer en sécurité " proche de celle induite par la méthode Safestart soit " commencer en sécurité'; pour autant, l'usage de mots anglais pour dénommer un produit ou une méthode est répandue, et le sens des mots utilisés en l'occurrence est connu du grand public.
La méthode dispensée par la société ID'Quation met notamment en exergue l'identification de quatre états subis 4E (états de fatigue, empressement, états émotionnels, excès de confiance) susceptibles d'entraîner quatre comportements à risque 4D (déconcentration, distraction visuelle, déplacements à risque, défaut de stabilité ou de prise), de sorte qu'elle fait également correspondre quatre comportements à quatre états, comme dans l'architecture de la méthode Safestart.
Les notions sont identiques ou très proches, puisque les quatre états sont
- précipitation - empressement
- frustration - états émotionnels
- fatigue - état de fatigue
- excès de confiance - excès de confiance
pour la méthode Safestart Pour la méthode PlaySafe
et les quatre erreurs de Safestart ou comportements à risque de PlaySafe sont
- inattention du regard - distraction visuelle
- distraction - déconcentration
- ligne de tir - déplacement à risque
- perte d'équilibre, de prise ou d'adhérence - défaut de stabilité ou de prise
pour la méthode Safestart pour la méthode PlaySafe
Si ces notions ne sont pas en elles-mêmes originales, il n'en demeure pas moins qu'en sélectionnant et en caractérisant aussi quatre états et quatre comportements à risque, identiques ou aux contenus similaires à ceux de la méthode Safestart, - et en les plaçant en correspondance- la société ID'Quation s'est directement inspirée de cette méthode pour la présentation de la sienne.
La société ID'Quation ne peut utilement relever que certaines de ces notions avaient été définies avant les travaux de la société Electrolab, les études antérieures n'ayant pas expressément présenté ces états et comportements comme pouvant être regroupés en quatre catégories déterminées, ni établi une correspondance entre chacun de ces états et comportements identifiés.
Les appelantes ne peuvent pour autant reprocher à la société ID'Quation la reprise des formes triangulaire ou ovoïde pour les représentations graphiques illustrant sa méthode, ces formes étant d'usage courant dans les outils de communication, au même titre que celui des termes " modules, méthode ou management ", ou le fait de diviser la présentation d'une méthode en deux phases.
L'utilisation commune d'une statistique sur les causes des accidents ne saurait, s'agissant d'une donnée établie, caractériser la volonté de créer un risque de confusion ou de se mettre dans le sillage de la méthode PlaySTART, comme celle d'un slogan de nature à faire naître auprès du public l'idée qu'il est responsable de ses actes et de sa sécurité.
La méthode PlaySafe de la société ID'Quation est une formation en sécurité des individus dans leur vie professionnelle et quotidienne, comme la formation Safestart des appelantes, de sorte que ces dernières ne peuvent lui reprocher de sensibiliser les personnes auprès desquelles sont dispensées ses formations aux mêmes enjeux.
Il ressort par ailleurs des pièces versées par la société ID'Quation que d'autres sociétés intervenaient déjà dans le domaine de la communication interne en entreprises et traitent notamment de la sécurité professionnelle, comme la société " le théâtre à la carte ".
Dès lors, et les appelantes ne démontrent pas que certains clients se seraient trompés en s'adressant à la société ID'Quation alors qu'ils cherchaient à bénéficier de la méthode Safestart, il n'est pas établi que les éléments communs entre les deux méthodes soient de nature à créer un risque de confusion auprès du public, révélant des faits de concurrence déloyale.
Pour autant, l'utilisation par la société ID'Quation, pour une méthode intitulée PlaySafe s'adressant à la même clientèle que celle de la méthode Safestart, d'une modélisation de quatre états générant quatre comportements à risques identiques ou similaires à ceux déterminés et utilisés dans la méthode Safestart, dont ils constituent un élément essentiel, est de nature à caractériser une appropriation par la société ID'Quation des efforts intellectuels engagés par les appelantes pour conceptualiser et présenter la méthode Safestart, la société ID'Quation s'étant ainsi placée dans leur sillage pour profiter de leurs investissements sans bourse délier.
Par conséquent, des actes de parasitisme imputables à la société ID'Quation sont constitués, et le jugement sera confirmé sur ce point, ainsi que sur la mesure d'interdiction conséquente.
Sur les mesures réparatrices
Les appelantes soulignent que le jugement ne leur a accordé aucune réparation du préjudice résultant des pratiques parasitaires de la société ID'Quation, alors qu'elle est en concurrence directe sur le marché français avec la société ETSCAF. Elles font état du coût des formations dispensées par la société ETSCAF, supérieur à celles de la société ID'Quation qui n'a pas eu à réaliser d'investissements pour développer sa méthode, et ne doit pas supporter le paiement de redevances. Elles font état du détournement d'une partie des clients de la société ETSCAF par la société ID'Quation, et dénoncent l'atteinte à l'image de la société ETSCAF, la proposition d'une formation équivalente à un prix inférieur conduisant à penser que celle d'ETSCAF est trop chère.
La société ID'Quation met en avant le fait que les appelantes ne versent pas de nouvelles pièces à l'appui de ces demandes, alors que le jugement les en a déboutées. Elle affirme que les appelantes font état de perte de clients par la société ETSCAF qui ne sont pas identifiés, et que les mails produits révèlent l'existence d'une simple situation de concurrence entre les sociétés, et dénoncent le peu de sérieux de leur méthode de calcul de leur préjudice.
Sur ce
Les pièces versées montrent que la société ETSCAF a mené des efforts de communication pour assurer la promotion de la méthode Safestart en France, ce qui révèle un investissement substantiel, caractérisé notamment par la diffusion d'une revue et de plaquettes de présentation.
Dès lors, en reprenant le concept d'association des quatre états de la méthode Safestart induisant quatre comportements à risques identiques ou semblables à ceux de cette méthode, qui en est un élément fondamental, dans sa méthode PlaySafe, la société ID'Quation a eu un comportement parasitaire au préjudice de la société ETSCAF qui justifie sa condamnation au versement d'une réparation.
Pour autant, les appelantes ne justifient pas, lorsque les deux sociétés ETSCAF et ID'Quation ont été en concurrence sur une prestation de formation et que le client a choisi de conclure avec la société ID'Quation, que celle-ci proposait alors un prix inférieur du fait des économies d'investissement réalisées en parasitant le savoir-faire d'ETSCAF, ni que ce prix inférieur aurait déterminé le choix du client.
Enfin, il n'est pas justifié que la diffusion par la société ID'Quation de sa méthode PlaySafe ait porté atteinte à l'image de la société ETSCAF.
Au vu de ce qui précède, la société ID'Quation sera condamnée à verser à la société ETSCAF, en réparation du préjudice subi par celle-ci du fait de son comportement parasitaire, la somme de 4 000 euros, et le jugement sera réformé sur ce point.
Sur les autres demandes
Il ne sera pas fait droit à la demande de publication sollicitée par les appelantes, dont elles avaient été déboutées par le jugement.
La société ID'Quation succombant au principal, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle.
Le jugement sera également confirmé s'agissant de la condamnation de la société ID'Quation au paiement des dépens et des frais irrépétibles de première instance.
Cette société sera également condamnée au paiement des dépens d'appel, ainsi qu'au versement aux sociétés appelantes d'une somme totale de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs, LA COUR, Par arrêt rendu contradictoirement, Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société ETSCAF de sa demande en réparation au titre du parasitisme, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société ID'Quation à verser la somme de 4 000 euros à la société ETSCAF au titre de la réparation du préjudice résultant du parasitisme, Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions, sauf à préciser que le défaut d'originalité n'étant pas une condition de recevabilité de l'action en contrefaçon de droit d'auteur mais relevant du fond, la société Electrolab doit être déboutée de sa demande fondée sur le droit d'auteur, Y ajoutant, Condamne la société ID'Quation au paiement de la somme totale de 4 000 euros aux sociétés ETSCAF et Electrolab au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.