CA Toulouse, 1re ch., 13 août 2018, n° 16-01008
TOULOUSE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Enedis (Sa)
Défendeur :
Axa France Iard (Sa)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Belières
Conseiller :
M. Rouger
EXPOSÉ DU LITIGE
M. Gérard F. et son épouse Mme Geneviève C., propriétaires de leur maison d'habitation située [...], ont souscrit auprès de la SA AXA France Iard un contrat d'assurance multirisque habitation à effet du 1er janvier 2008, comportant une garantie 'dommages électriques'.
Suite à une panne de la climatisation survenue le 13 juillet 2010, ils ont fait appel à l'EURL QUERCY FROID qui a constaté une rupture du neutre sur le réseau ERDF et leur assureur a mandaté un expert qui, hors la présence de la SA ERDF convoquée à la réunion organisée le 23 novembre 2010, a relevé que "le réparateur de la société QUERCY FROID a constaté une rupture du neutre et qu'un agent ERDF sur place avait indiqué qu'il n'aurait pas dû y avoir de courant car le secteur avait été coupé, a alors disjoncté l'installation de l'habitation F., des dommages ayant été constatés sur le système de climatisation, un moteur de volet roulant et une cave à vin", a conclu à "une rupture du neutre sur le réseau ERDF engageant la responsabilité de cet organisme" et a évalué les dommages à la somme de 10 541,43 euros qui a été prise en charge par l'assureur, sous déduction de la franchise contractuelle de 187 euros.
Le rapport technique des services d'ERDF a, pour sa part, attribué le sinistre à une rupture de conducteur de phase ayant provoqué une surtension.
Par acte d'huissier en date du 21 octobre 2013, les époux F. C. et la SA AXA France Iard ont fait assigner la SA ERDF devant le Tribunal de grande instance de TOULOUSE en responsabilité et indemnisation du préjudice subi du fait d'une fourniture défectueuse d'électricité sur le fondement des articles 1134, 1135, 1146 et 1147 du Code civil et L. 121-12 du Code des assurances.
Par jugement en date du 15 février 2016, le tribunal a déclaré l'action recevable et condamné la SA ERDF à payer aux époux F. C. les sommes, respectivement, de 187 euros et 10 354,43 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation dont capitalisation et celle de 1 500 euros pour leurs frais de conseil, ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la SCP F. S. S.-G..
Pour statuer ainsi, il a considéré que, en présence de deux rapports techniques non contradictoires et dans l'impossibilité de recourir à une mesure d'instruction complémentaire cinq ans après les faits, la prescription de l'article 1386-17 du Code civil n'est pas acquise puisque rien ne démontre que le produit ait été défectueux au sens de l'article 1386-4 du même code, mais que l'anomalie de rupture de conducteur de phase ayant entraîné une surtension et des dégâts matériels selon le rapport technique de la SA ERDF constitue, en l'absence d'élément de nature à étayer ses affirmations selon lesquelles l'incident ne devait pas avoir de conséquences et l'installation des usagers était défectueuse ou mal protégée, comme de précision sur le motif de la rupture de phase, une faute engageant la responsabilité contractuelle de celle-ci envers son client M. Gérard F..
Suivant déclaration en date du 25 février 2016, la SA ERDF a relevé appel général de ce jugement, avant de conclure les 24 et 25 mai 2016 dans le délai de trois mois imparti par l'article 908 du Code de procédure civile.
Elle demande à la cour, réformant le jugement entrepris en toutes ses dispositions, au visa des articles 1386-1 et suivants, 1134 et suivants du Code civil, de :
- à titre principal, dire et juger que l'action des consorts F. et d'AXA France Iard fondée sur l'article 1147 du Code civil est irrecevable et que celle susceptible d'être fondée sur les articles 1386-1 et suivants du même code est prescrite
- à titre subsidiaire, dire et juger que les consorts F. et AXA France Iard sont défaillants dans l'administration de la preuve de l'origine du dommage et d'un lien de causalité avec une prétendue faute contractuelle commise par elle, que la cause directe et certaine du dommage réside dans le défaut de protection du matériel électrique endommagé et que ce défaut de protection constitue un manquement aux obligations réglementaires imposées aux consorts F. et, en conséquence, débouter ceux-ci et leur assureur de leurs demandes contre elle
- à titre infiniment subsidiaire, dire et juger que les consorts F. et AXA France Iard ne prouvent pas les caractéristiques et performances des biens endommagés et qu'il est impossible de déterminer la valeur de remplacement de ces biens et donc de chiffrer le préjudice subi par les consorts F. et, en conséquence, débouter ceux-ci de leurs demandes indemnitaires contre elle ou, à tout le moins, ramener ces demandes à de plus justes proportions
- en tout état de cause, les condamner au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Autorisée sur l'audience de plaidoirie du 23 janvier 2018 à déposer une note en délibéré sur son changement de dénomination sociale en ENEDIS, accompagnée d'un extrait Kbis, elle y a procédé le jour même, en adaptant en conséquence le dispositif de ses conclusions.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 juillet 2016, la SA AXA France Iard et les époux F. C. demandent à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel et de condamner ERDF à payer à la SA AXA France Iard une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de leur conseil.
Ils font valoir que :
- leur action engagée sur le fondement de la responsabilité contractuelle de l'article 1147 du Code civil est recevable dans la mesure où il est reproché à ERDF un manquement (défaut) de qualité, et non de sécurité, de l'électricité
- subsidiairement, le délai de prescription de trois ans prévu par l'article 1386-17 du Code civil a été interrompu par la lettre recommandée de convocation à l'expertise amiable, dont ERDF a émargé l'accusé de réception le 4 novembre 2010, et n'a couru qu'à compter du 23 novembre 2010, date de la réunion d'expertise et du procès-verbal de constatations par lesquels ils ont eu, ou auraient dû, avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur
- l'existence d'un lien contractuel est établie par le rapport d'incident des services d'ERDF du 13 juillet 2010 présentant M. Gérard F. comme 'client'
- l'existence d'un manquement d'ERDF et de son lien de causalité avec les dommages est établie par l'expertise amiable, contradictoire à l'égard de cette société dûment convoquée, et sa responsabilité est engagée à ce titre ou, subsidiairement, en qualité de gardien du réseau sur lequel s'est produit la surtension en application de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil
- ERDF ne peut se prévaloir d'aucune exonération de responsabilité tirée d'une faute des usagers
- l'évaluation des dommages par l'expert amiable est opposable à ERDF et n'excède pas la valeur de remplacement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En droit, l'article 1386-1 ancien (devenu 1245) du Code civil dispose que le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
En outre, l'article 1386-3 ancien (devenu 1245-2) du même code précise in fine que l'électricité est considérée comme un produit et l'article 1386-4 ancien (devenu 1245-3) précise en son alinéa 1er qu'un produit est défectueux au sens de ces textes lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
Selon l'article 1386-17 ancien (devenu 1245-16), l'action en réparation fondée sur ces dispositions se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur.
Ce régime de responsabilité du fait des produits défectueux, issu de la transposition en droit français par la loi 98-389 du 19 mai 1998 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 ne laissant pas aux Etats membres la possibilité de maintenir un régime de responsabilité du fait des produits défectueux différent de celui prévu par la directive, n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ou la faute, conformément à l'article 1386-18 ancien (devenu 1245-17) du Code civil.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la SA ERDF devenue ENEDIS doit être considérée comme producteur de l'électricité incriminée ni que les dommages matériels constatés le 13 juillet 2010 au domicile des époux F. C. résultent d'une surtension électrique, que celle-ci provienne d'une rupture du neutre sur le réseau ERDF avant compteur privatif comme indiqué par l'EURL QUERCY FROID intervenue pour dépanner la climatisation 'grillée', dont les propos ont été repris ensuite par l'expert mandaté par la SA AXA France Iard, ou d'une rupture de conducteur de phase sur le réseau comme noté au rapport technique suite à incident électrique établi par ERDF.
Il s'en déduit que les dommages sont susceptibles de trouver leur cause dans un défaut de sécurité, et non pas seulement de qualité, du produit qu'est l'électricité.
Dès lors, les époux F. C. et leur assureur multirisque habitation, qui n'allèguent aucune faute distincte de ce défaut de sécurité, ne peuvent fonder leur action en responsabilité à l'encontre de la SA ENEDIS que sur les dispositions des articles 1386-1 et suivants anciens du Code civil relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux, et non sur celles de l'article 1147 ancien (devenu 1231-1) du même code relatives à la responsabilité contractuelle pour faute ni sur celles de l'alinéa 1er de l'article 1384 ancien (devenu 1242) relatives à la responsabilité du fait des choses.
Or dès avant l'organisation de l'expertise amiable, ils ont eu connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur, ce à l'occasion de l'intervention de l'EURL QUERCY FROID courant juillet 2010, comme le confirme la convocation adressée par cet expert à la SA ERDF le 28 octobre 2010, qui mentionne que sa " responsabilité peut être engagée en raison de : surtension suite à panne sur réseau ERDF ".
La prescription triennale de l'article 1386-17 ancien, qui a commencé à courir dès cette intervention et n'a pas été interrompue au sens des articles 2240 et suivants du Code civil par le courrier recommandé de convocation à expertise dont la SA ERDF a émargé l'accusé de réception le 4 novembre 2010, était donc acquise au jour de la délivrance de l'assignation introductive d'instance du 21 octobre 2013.
Par conséquent, l'action engagée doit être déclarée irrecevable, le jugement dont appel étant infirmé.
Partie principalement perdante, la SA AXA France Iard supportera seule les entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'une somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA ENEDIS en application de l'article 700 1° du Code de procédure civile, et sera déboutée de sa demande au même titre formée conjointement avec les époux F. C..
Par ces motifs, LA COUR, infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions. Statuant à nouveau et y ajoutant, DÉCLARE les époux Gérard F. et Geneviève C. et la SA AXA France Iard irrecevables en leur action. Condamne la SA AXA France Iard aux entiers dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'à payer à la SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF la somme de 2 000 (deux mille) euros en application de l'article 700 1° du Code de procédure civile. DÉBOUTE les époux Gérard F. et Geneviève C. et la SA AXA France Iard de leur demande au même titre.