Livv
Décisions

ADLC, 5 juin 2018, n° 18-DCC-92

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle exclusif du groupe Serma par le fonds d'investissement Chequers Partenaires

ADLC n° 18-DCC-92

5 juin 2018

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 30 avril 2018, relatif à l'acquisition du contrôle exclusif du groupe Serma par le fonds d'investissement Chequers Partenaires, formalisée par un contrat de cession en date du 27 avril 2018 et un projet de pacte d'associés ; Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ; Vu les éléments complémentaires transmis par la partie notifiante au cours de l'instruction ; Vu les autres pièces du dossier ; Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. Chequers Capital [confidentiel] (ci-après, " Chequers Capital ") est un fonds professionnel de capital-investissement géré par la société Chequers Partenaires SA. La société Chequers Partenaires SA (ci-après, " Chequers Partenaires ") est exclusivement contrôlée par la société [confidentiel]. Chequers Partenaires est active dans le domaine du capital-investissement, notamment dans les opérations de financement d'acquisition par emprunt. Parmi les sociétés qu'elle contrôle, la société Fime (ci-après, " Fime ") est active, au niveau mondial, dans le secteur du test et de la certification fonctionnelle des moyens et appareils de paiement électronique.

2. Le groupe Serma est contrôlé par la société Serma Group SA (ci-après, " Serma "), détenue à 99,21% par la société Financière Ampère Galilée SAS, elle-même détenue majoritairement par [confidentiel] et le fonds professionnel de capital-investissement Axa Expansion Fund [confidentiel]. Le groupe Serma est actif dans les secteurs de l'ingénierie des systèmes électroniques embarqués et industriels, de la production de composants électroniques destinés aux environnements à fortes contraintes et des services d'évaluation et de certification de la sécurité des composants électroniques et des logiciels embarqués, principalement en France.

3. L'opération notifiée, formalisée par un contrat de cession du 27 avril 2018 et un projet de pacte d'associés, consiste en le transfert de 100% des actions de la société Financière Ampère Galilée vers la société Financière Watt et en l'acquisition par Chequers Capital de [<50]% du capital de celle-ci. [Confidentiel]1.

4. Le projet de pacte d'actionnaires prévoit la mise en place d'un comité de surveillance composé de six membres, dont deux seront désignés sur proposition de Chequers Partenaires. Ce projet de pacte d'actionnaires prévoit également que les décisions relatives à l'approbation du budget annuel de Serma, à son plan de financement et à la nomination des dirigeants de la société Financière Watt doivent requérir le vote favorable d'au moins un des membres du comité de surveillance désigné par Chequers Partenaires. Cette dernière dispose par conséquent d'un droit de veto sur l'adoption de ces décisions, contrairement aux autres actionnaires de la société Financière Watt. Or, conformément au point 32 des lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relative au contrôle des concentrations, " [...] Une entreprise peut détenir un contrôle exclusif sur une autre entreprise [...] lorsqu'elle est la seule en mesure de bloquer les décisions stratégiques de l'autre entreprise, sans être toutefois en mesure d'imposer, à elle seule, ces décisions (on parle alors de contrôle exclusif " négatif ") ". En l'espèce, même si elle ne détient pas la majorité des actions et des droits de vote de la société Financière Watt, Chequers Partenaires sera en mesure de bloquer seule les principales décisions stratégiques du groupe Serma.

5. En ce qu'elle entraîne l'acquisition du contrôle exclusif du groupe Serma par Chequers Partenaires, l'opération constitue une opération de concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires hors taxes total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Chequers Partenaires : [>150 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Serma : [>50 millions] d'euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé en France un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Chequers Partenaires : [>150 millions] d'euros pour l'exercice clos le 31 décembre 2017 ; Serma : [>50 millions] d'euros pour le même exercice). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne relève pas de la compétence de l'Union européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. Cette opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.

II. Délimitation des marchés pertinents

7. Les parties sont actives sur des marchés de services différents, de sorte que l'opération n'entraîne aucun chevauchement d'activité entre elles. Elles sont toutefois présentes sur des marchés connexes au sein du secteur des services de certification qu'il convient donc de délimiter avant d'examiner les effets congloméraux de l'opération.

8. Chequers Partenaires est active, via Fime, sur le marché des services d'inspection, de contrôle et de certification des services bancaires et moyens et appareils de paiement (A), alors que le groupe Serma est actif sur le marché des services d'évaluation, d'authentification et de certification de la sécurité des systèmes d'information (B).

A. MARCHÉ DES SERVICES D'INSPECTION, DE CONTRÔLE ET DE CERTIFICATION

1.MARCHÉ DE SERVICES

9. Les services d'inspection, de contrôle et de certification (ou "TIC")2 visent à assurer aux consommateurs, clients et utilisateurs finaux que le producteur a suivi les règlementations nationales et internationales, ainsi que les normes industrielles relatives à la qualité des produits ou des services, à la protection de l'environnement et de la santé, et à la sécurité. Généralement, les services d'inspection, de contrôle et de certification se chevauchent en raison de leur interdépendance. Ces services peuvent être fournis pour tout produit, tout type de service ou toute entreprise, indépendamment de leur secteur économique3.

10. La Commission européenne a toutefois relevé que si un même opérateur de TIC peut fournir ces services dans des secteurs économiques différents, chaque secteur peut être distingué en raison du niveau de connaissance et de capacité technique qu'il requiert4.

11. Au cas d'espèce, Fime fournit des services d'inspection, de contrôle et de certification des services bancaires et des moyens et appareils de paiement.

12. Par ailleurs, la partie notifiante a proposé une sous-segmentation de ce secteur, en distinguant les TIC des services bancaires, d'une part, et les TIC des moyens et appareils de paiement électronique, d'autre part.

13. Toutefois, la question de la définition exacte de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la segmentation retenue.

2.MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

14. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence a pu envisager des dimensions géographiques différentes, selon le secteur concerné : nationale5, européenne6 ou mondiale7.

15. En l'espèce, s'agissant des services bancaires et des moyens et appareils de paiement, la majorité des répondants au test de marché, réalisé auprès de concurrents et de clients des parties pour les besoins de l'instruction, ont indiqué que le marché des services d'inspection, de contrôle et de certification est de dimension européenne, voire mondiale. Ils mettent en avant l'existence de référentiels de certification au niveau européen ou mondial et la portée internationale des certifications délivrées par les opérateurs fournissant ces services.

16. Fime opère par ailleurs principalement en Amérique du Nord, en Asie, et, s'agissant de l'Europe, en France, en Allemagne et en Belgique.

17. Au cas d'espèce, la définition géographique exacte de ces marchés peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées, que le marché soit défini au niveau européen ou mondial.

B. MARCHÉ DES SERVICES D'AUTHENTIFICATION, D'ÉVALUATION ET DE

CERTIFICATION DE LA SÉCURITÉ DES SYSTÈMES D'INFORMATION

1.MARCHÉ DE SERVICES

18. La pratique décisionnelle a identifié, dans le secteur de l'informatique, un marché des services d'authentification, d'évaluation et de certification couvrant notamment le domaine de la sécurité des systèmes d'information, des cartes à puce, de la monétique et des technologies sans contact8. Ces services sont fournis par un centre d'évaluation de la sécurité des technologies de l'information (CESTI), agréé par l'Autorité nationale en matière de sécurité et de défense des systèmes d'information (ANSSI)9.

19. Le groupe Serma, via la société Serma Safety and Security, héberge un CESTI fournissant des services d'évaluation et de certification de la sécurité des systèmes et composants électroniques et des logiciels embarqués.

20. Au cas d'espèce, la question de la définition exacte de ce marché peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

2.MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

21. La pratique décisionnelle a estimé que la dimension géographique du marché des services d'authentification, d'évaluation et de certification de la sécurité des systèmes d'information était au moins européenne, en raison, notamment, de l'existence de conventions multilatérales de reconnaissance mutuelle conclues entre la France et la plupart des pays européens et nord-américains, permettant l'introduction valable en France de produits certifiés dans ces pays10. Les répondants au test de marché ont également, dans leur majorité, considéré que ce marché géographique revêt une dimension au moins européenne.

22. Le groupe Serma est toutefois principalement actif en France, où il réalise la quasi-totalité de son chiffre d'affaires.

23. En l'espèce, la question de la définition géographique exacte de ce marché peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelle que soit la délimitation retenue.

III. Analyse concurrentielle

24. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroître son pouvoir de marché. En règle générale, de tels effets sont analysés lorsqu'une opération de concentration étend ou renforce la présence d'une nouvelle entité sur plusieurs marchés distincts mais qui sont considérés comme connexes. Ces effets peuvent également être analysés lorsque le renforcement de la position d'une nouvelle entité prend place sur un même marché, mais qu'il s'agit d'un marché de produits suffisamment différenciés pour que d'une part, un effet de levier puisse être exercé à partir de l'un d'entre eux et que, d'autre part, les mêmes clients achètent régulièrement plus d'un produit au sein de cette gamme de produits. Si les concentrations conglomérales peuvent généralement susciter des synergies pro-concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu'elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents.

25. À l'issue de l'opération, la nouvelle entité pourrait décider de lier, au sein d'une même offre commerciale, la fourniture de services d'inspection, de contrôle et de certification fonctionnelle des moyens et appareils de paiement électroniques, prestés par Fime, et la fourniture de services d'évaluation et de certification de systèmes et composants électroniques et de logiciels embarqués, prestés par le groupe Serma, afin de verrouiller le marché aux concurrents des parties.

26. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence considère en principe qu'un risque d'effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de l'entité issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30%.

27. En l'espèce, selon les estimations de la partie notifiante, la position de Fime sur le marché des services d'inspection, de contrôle et de certification des services bancaires et des moyens et appareils de paiement n'excède pas [0-5]%, tant au niveau européen que mondial.

28. Toutefois, sur un éventuel sous-segment limité aux moyens et appareils de paiement électronique, la position de Fime serait comprise entre 40% et 50% aux niveaux européen et mondial.

29. S'agissant du groupe Serma, sa position sur le marché de l'évaluation, de l'authentification et de la certification de la sécurité des composants électroniques et des logiciels embarqués n'excède pas 20% au niveau européen11 et [30-40]% au niveau français.

30. Ces niveaux de parts de marché requièrent d'analyser plus en détail la capacité et l'incitation de la nouvelle entité à mettre en œuvre la stratégie d'offre commerciale globale entre les deux types de services prestés par Fime et le groupe Serma.

31. Selon les éléments du dossier, la nouvelle entité sera capable et incitée à mettre en œuvre une telle stratégie. Premièrement, aucun obstacle réglementaire ne s'opposerait à la mise en place d'une offre commerciale globale. Deuxièmement, ce type d'offres globales est déjà proposé sur le marché, soit par un même opérateur actif sur ces deux marchés connexes ("one-stop-shopping "), soit par le biais d'accords de sous-traitance entre opérateurs actifs sur l'un ou l'autre de ces marchés. [Confidentiel].

32. Il convient donc d'examiner les effets d'une telle stratégie. En effet, seules des offres couplées ou liées susceptibles de verrouiller les marchés concernés et d'en évincer les concurrents sont considérées par l'Autorité de la concurrence comme problématiques.

33. En l'espèce, les effets d'un tel scénario seront limités, en particulier parce qu'il subsistera, à l'issue de l'opération, des alternatives crédibles sur les marchés concernées constituées, le cas échéant, par des offres globales réplicables.

34. En effet, s'agissant des services de certification fonctionnelle des moyens et appareils de paiement électronique, Fime fait face à la concurrence de plusieurs opérateurs de dimensions européenne ou internationale, tels UL, Cetecom, Applus, disposant des mêmes accréditions EMVco, MasterCard ou Visa12. À cet égard, le couplage mis en œuvre produirait ses effets principalement en France où l'essentiel de l'activité du groupe Serma est réalisé (79,7% de son chiffre d'affaires est réalisé avec des clients français). Dans la mesure où les concurrents de Fime sont actifs aux niveaux européen et mondial, l'impact d'une perte potentielle de clients liée au couplage des offres commerciales des parties serait donc limité.

35. De même, le groupe Serma fait face à la concurrence de plusieurs opérateurs offrant des services de certification de sécurité des composants électroniques et des logiciels embarqués identiques à ceux du CESTI du groupe Serma, comme CEA-LETI ([40-50]% au niveau français) et Thales ([20-30]% au niveau français), qui constituent des alternatives crédibles à la disposition des clients de la nouvelle entité. Ces deux acteurs, qui disposent de positions importantes en France, ne pourront pas être évincés du marché français du fait du couplage des offres commerciales des parties. Premièrement, le CEA-LETI est une émanation du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cet organisme public de recherche détient des milliers de brevets et travaille pour et avec 350 entreprises dont 40% sont des multinationales, telles que Soitec ou Renault. Par ailleurs, le CEA-LET Ia réalisé environ 20% de ses 20 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'export en 201613. Deuxièmement, Thales est un groupe multinational avec des activités conglomérales ayant réalisé un chiffre d'affaires de 15,8milliards d'euros en 201714.

36. Par ailleurs, tous les concurrents des parties ayant répondu au test de marché considèrent qu'une stratégie de couplage des offres des parties ne serait pas de nature à conduire à leur éviction des marchés concernés.

37. Enfin, tous les clients des parties ayant répondu au test de marché considèrent que les services fournis par les parties ne sont pas incontournables aux niveaux européen et mondial, estimant que les parties détiennent à ces niveaux une position " intermédiaire ", voire " faible " de leur point de vue. Ainsi, à l'issue de l'opération, les clients de la nouvelle entité disposeront d'alternatives crédibles aux offres couplées de la nouvelle entité sur les deux marchés concernés.

38. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 18-089 est autorisée.

NOTES

1 [Confidentiel].

2 Marchés dits des " TIC", acronyme de Testing, Inspection and Certification.

3 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.6885 du 15 juillet 2013, SNDV/Germanischer Lloyd.

4 Voir la décision COMP/M.6885 précitée.

5 Lettre du ministre de l'économie C2008-107 du 12 novembre 2008, aux conseils de la société CDC Capital Investissement, relative à une concentration dans le secteur des contrôles techniques de construction. Il s'agissait des secteurs de la construction de bâtiments et d'équipements industriels.

6 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.6885 précitée. Il s'agissait, notamment, du secteur des énergies renouvelables.

7 Ibid. Il s'agissait, notamment, du secteur maritime.

8 Lettre du ministre de l'économie C2006-132 du 19 décembre 2006, au conseil de la société France Télécom, relative à une concentration dans le secteur de la réalisation de logiciels.

9 http://www.ssi.gouv.fr/entreprise/produits-certifies/certification-faq/

10 Voir la lettre du ministre de l'économie C2006-132 précitée.

11 La partie notifiante a estimé les parts de marché du groupe Serma et de ses concurrents en volume sur la base du nombre total de certificats délivrés en 2017.

12 Au niveau français, Fime fait également face à la concurrence de la société Elitt, qui dispose également de l'accréditation Carte Bancaire.

13 https://www.lopinion.fr/edition/economie/cea-leti-recherche-fait-petits-dans-monde-l-entreprise-125444

14 https://www.thalesgroup.com/fr/monde/press-release/resultats-annuels-2017