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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 septembre 2018, n° 17-23306

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

APL Services (SARL)

Défendeur :

Colis Privé (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Birolleau

Conseillers :

Mmes Schaller, du Besset

T. com. Paris, du 19 déc. 2017

19 décembre 2017

Faits et procédure :

Le 20 août 2014, la société de transport Colis Privé a conclu avec la société APL Services un contrat de sous-traitance par lequel elle confiait à APL la livraison de colis et de correspondances, ce contrat " aménageant les stipulations du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants ".

Reprochant à la société APL Services ses inexécutions contractuelles relatives aux délais et à la qualité du service attendus, la société Colis Privé a résilié le contrat par courrier recommandé du 8 janvier 2016, en prévoyant un préavis de trois mois devant dû s'achever le 9 avril 2016.

La relation entre les parties a perduré jusqu'au 2 février 2016, date à laquelle la société APL Services a invoqué à l'encontre de la société Colis Privé l'inexécution du préavis de résiliation par son donneur d'ordre et a constaté la résiliation de plein droit du contrat de sous-traitance.

Par une assignation délivrée le 29 avril 2016, la société APL Services a assigné la société Colis Privé devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement, notamment, de la rupture brutale de la relation commerciale établie. La société Colis Privé a soulevé in limine litis l'incompétence du Tribunal de commerce de Paris en se référant à la clause stipulée au contrat du 20 août 2014 attribuant compétence au Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence.

La société APL Services a été placée en liquidation judiciaire par jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en date du 8 juin 2016, Maître X étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire. Par conclusions d'intervention volontaire du 30 septembre 2016, Maître X est intervenu volontairement à la procédure en qualité de mandataire judiciaire liquidateur de la société APL Services.

Par jugement rendu le 19 décembre 2017, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit l'exception d'incompétence soulevée par la société Colis Privé recevable et bien fondée ;

- renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ;

- dit qu'à défaut d'appel dans les délais légaux, le dossier sera transmis à la juridiction susvisée dans les conditions prévues par l'article 82 du Code de procédure civile ;

- condamné Maître X ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société APL Services à payer à la société Colis Privé la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

- ordonné d'office l'exécution provisoire ;

- condamné Monsieur X ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société APL Services à supporter les dépens, lesquels seront employés en frais privilégiés de la liquidation judiciaire dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 90 euros dont 14,79 euros de TVA.

Vu l'appel interjeté le 28 décembre 2017 par Maître X ès qualités de mandataire judiciaire liquidateur de la société APL Services, à l'encontre de cette décision ;

Prétentions des parties :

Maître X ès qualités, par requête au premier président de la Cour d'appel de Paris afin d'être autorisé à assigner à jour fixe déposée le 2 janvier 2018, signifiée à la société Colis Privé le 17 janvier 2018, demande à la cour de :

- infirmer en toutes ses dispositions la décision frappée d'appel ;

- rejeter l'exception d'incompétence territoriale ;

- renvoyer le dossier devant le Tribunal de commerce de Paris ;

- condamner la société Colis Privé à payer à Maître X ès qualités la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il rappelle que la société APL Services a saisi le Tribunal de commerce de Paris d'une action en responsabilité, sur le fondement des dispositions des articles L. 442-6 I 5° et L. 442-6 I 8° du Code de commerce, exercée à l'encontre de la société Colis Privé, par suite d'une rupture brutale des relations commerciales établies et d'une demande de remboursement des pénalités injustement facturées par la société Colis Privé à la société APL Services. Il fait valoir que les dispositions d'ordre public des articles L. 442-6 I 5° et D. 442-3 du Code de commerce excluent la mise en œuvre d'une clause attributive de compétence. Il souligne que tant la livraison effective de la chose, le lieu de l'exécution de la prestation de service, que le lieu du fait dommageable ont eu lieu en région parisienne, soit dans le ressort de la Cour d'appel de Paris, ce qui attribue compétence au Tribunal de commerce de Paris.

La société Colis Privé, par dernières conclusions signifiées le 30 avril 2018, demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 19 décembre 2017 en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire,

- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 19 décembre 2017 en ce qu'il a dit et jugé l'exception d'incompétence soulevée par la société Colis Privé recevable et bien fondée ;

- renvoyer les parties devant le Tribunal de commerce de Marseille ;

En tout état de cause,

- condamner Maître J. ès qualités à payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que le Tribunal de commerce de Paris n'est pas compétent pour traiter du fond de l'affaire, dès lors d'une part, que les parties ont stipulé une clause attribuant tout différend à la compétence du Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, d'autre part, que l'article L. 442-6 I 8° du Code de commerce, qui fonderait, selon l'appelante, la compétence du Tribunal de commerce de Paris, n'est pas applicable en l'espèce, son invocation étant apparue tardivement et ne soutenant qu'une demande accessoire.

Elle expose également que, comme le rappelle la jurisprudence, l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ne peut pas être applicable en l'espèce puisque les parties étaient tenues d'organiser leur relation sous l'égide du contrat-type de sous-traitance en matière de transports publics, notamment en ce qui concerne la durée des préavis de rupture, situation exclue du champ d'application de l'article L. 442-6 I 5°.

Il est expressément référé aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits, de leur argumentation et de leurs moyens.

MOTIFS :

Considérant que l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce dispose qu' "engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels" ; que l'article D. 442-3, alinéa 1er, du même Code prévoit que " Pour l'application de l'article L. 442-6, le siège et le ressort des juridictions commerciales compétentes en métropole et dans les départements d'outre-mer sont fixés conformément au tableau de l'annexe 4-2-1 du présent livre " ; que l'annexe 4-2-1 prévoit la compétence, au premier degré, des juridictions de Marseille, Bordeaux, Tourcoing (Lille Métropole), Fort-de-France, Lyon, Nancy, Paris et Rennes ;

Considérant que Maître X ès qualités de liquidateur judiciaire de la société APL invoque la rupture de la relation commerciale par la société Colis Privé ; que, devant le tribunal, il a fondé ses demandes sur la rupture brutale de la relation commerciale établie et les articles L. 442-6 I 5° et L. 442-6 I 8° du Code de commerce, ainsi que cela ressort des dernières conclusions déposées le 13 octobre 2017 par Maître X ès qualités devant le Tribunal de commerce de Paris (pièce de l'appelant n° 26 - pages 6 et 7) et que le reprend le jugement entrepris ;

Considérant que le législateur a entendu conférer une compétence exclusive aux tribunaux spécialisés dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles ; qu'au regard de l'article L. 442-6 précité, la détermination du tribunal compétent n'est pas subordonnée à l'examen du bien-fondé des demandes ; que c'est donc à tort que les premiers juges ont, pour se prononcer sur l'exception d'incompétence, statué sur le fond du droit en recherchant si l'article L. 442-6 du Code de commerce était applicable au litige ;

Considérant que le litige relève d'une juridiction spécialisée au sens de l'article D. 442-3 ; que, si le contrat en date du 20 août 2014 stipule, en son article 11, que "tout litige qui n'aura pas trouvé de solution amiable sera porté devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, auquel il est fait attribution de compétence", cette clause ne peut recevoir application dès lors qu'elle désigne une juridiction non spécialement désignée par les articles L. 442-6 et D. 442-3 du Code de commerce ; que la décision déférée sera infirmée en ce qu'elle a renvoyé les parties devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence ;

Considérant que la juridiction compétente pour connaître d'une action née d'une rupture brutale de relation commerciale établie est celle du lieu du fait dommageable ; que ce lieu s'entend du siège de la société qui se prétend victime de la rupture brutale de la relation commerciale établie, en l'espèce la société APL Services ; que, cette dernière ayant son siège [...], le litige relève de la compétence du Tribunal de commerce de Paris, juridiction spécialisée pour connaître de l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, en vertu de l'article D. 442-3 du même code ; que le jugement entrepris sera infirmé en ce sens ;

Considérant que l'équité commande de condamner à payer à Maître X ès qualités la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déclare compétent le Tribunal de commerce de Paris, Ordonne le renvoi de l'affaire à cette juridiction, Condamne la SAS Colis Privé à payer à Maître X ès qualités la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Colis Privé aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.