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Décisions

CA Bourges, ch. civ., 6 septembre 2018, n° 17-00994

BOURGES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arkeos (SARL)

Défendeur :

Montserrat (Mme)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulquier

Conseillers :

M. Guiraud, M. Perinetti

TGI de Bourges, du 15 juin 2017

15 juin 2017

Le 25 octobre 2013, Mme M.-A. a passé commande auprès de la Sarl Arkeos de l'acquisition et l'installation de 12 panneaux solaires d'une puissance de 3000 watts et d'une éolienne pour le prix de 23 500 euros financé au moyen d'un prêt du même montant souscrit le même jour auprès de Sygma Banque, au taux effectif global de 5,87 %, remboursable en 180 mensualités de 241,82 euros, après une première phase de report d'amortissement de douze mois.

Par acte d'huissier du 8 mars 2016, Mme M.-A. a fait assigner la Sarl Arkeos devant le Tribunal de grande instance de Bourges aux fins de voir, à titre principal, annuler ce contrat et condamner la Sarl Arkeos à lui rembourser la somme de 23 500 euros augmentée d'intérêts au taux de 5,87 % à compter du mois de février 2014, date de versement des fonds, subsidiairement, constater la non-conformité du bien vendu et condamner la Sarl Arkeos à lui payer la somme de 11 750 euros outre 4 722,15 euros à titre de dommages-intérêts et, en tout état de cause, condamner la Sarl Arkeos à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Invoquant principalement le dol dont elle se disait victime de la part de son cocontractant, Mme M.-A. a soutenu qu'elle n'avait contracté avec la Sarl Arkeos qu'en raison de promesses de rentabilité qui s'étaient révélées ne correspondre en rien avec la réalité puisqu'il existait une différence de 50 % au niveau de la rentabilité du matériel et qu'au lieu de bénéficier d'un crédit d'impôt de 5 120 euros, elle n'avait pu percevoir que 899,85 euros.

La Sarl Arkeos a d'abord prétendu que le document intitulé "protocole photovoltaïque région centre", sur la base duquel la demande de nullité pour dol était fondée, ne comportait aucune référence à elle-même ni au matériel vendu, ne mentionnait pas exactement la même surface de panneaux solaires et émanait d'une autre société intervenue chez Mme M.-A. à la même époque pour établir un devis pour une installation de même nature. Elle a également fait valoir qu'elle ne s'était jamais engagée sur le prix de rachat de l'électricité par EDF ni sur le rendement des installations, ce qu'elle avait rappelé à sa cliente dans un courrier du 30 novembre 2015.

Par jugement rendu le 15 juin 2017, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de grande instance de Bourges a annulé le bon de commande pour cause de dol, condamné la Sarl Arkeos à rembourser à Mme M.-A. la somme de 23 500 euros majorée des intérêts au taux de 5,87 % l'an à compter du mois de février 2014, dit que la Sarl Arkeos devra reprendre son matériel tenu à sa disposition par Mme M.-A. et remettre les lieux en l'état et condamner la Sarl Arkeos à payer à Mme M.-A. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Après avoir relevé que le protocole photovoltaïque comportait des données compatibles avec le bon de commande de la Sarl Arkeos et la référence à un financement par Sygma Banque et que ce document avait donc servi de base à l'engagement de Mme M.-A., le premier juge retient que le rendement réel de l'installation est de la moitié du rendement avancé par l'opérateur, que le crédit d'impôt est inférieur à un cinquième de celui mentionné et qu'en présentant des chiffres très incitatifs, sans commune mesure avec la réalité, sous une forme qui leur donnait un caractère officiel et donc fiable, la Sarl Arkeos a cherché, par des manœuvres dolosives, à tromper la cliente pour l'inciter à contracter en lui faisant espérer des avantages inaccessibles.

La Sarl Arkeos a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue le 30 juin 2017.

Par conclusions notifiées le14 mai 2018 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, la Sarl Arkeos demande à la cour de réformer le jugement entrepris, de débouter Mme M.-A. de l'intégralité de ses prétentions et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Après avoir rappelé les arguments déjà soulevés devant le premier juge pour contester la paternité du document invoqué à l'appui de la demande de nullité pour cause de dol, la Sarl Arkeos fait observer que ce document peut d'autant moins être considéré comme compatible avec son bon de commande que ce dernier ne mentionne pas le nombre de panneaux solaires contrairement au protocole, que la puissance similaire de 3 000 watts correspond à la puissance habituelle des panneaux vendus sur le marché, que Sygma Banque est l'une des trois sociétés de crédit qui se partagent le financement du matériel de production d'énergie solaire et que les prix pratiqués, notamment par la Sarl Sunbox, sont identiques et que les correspondances de l'association de consommateurs CLCV, intervenue fin 2015 au soutien des intérêts de Mme M.-A., ne font aucunement état de l'engagement contractuel de rendement ni de la remise de ce protocole.

La Sarl Arkeos soutient, sur la demande formée à titre subsidiaire par Mme M.-A. et tendant à la réduction du prix en fonction de l'insuffisance du rendement annoncé et de la différence de crédit d'impôt, qu'elle n'a garanti contractuellement ni le rachat de l'électricité produite pour la somme de 24 511 euros, ni le montant du crédit d'impôt de 5 120 euros mentionné dans un protocole qui ne peut lui être attribué, étant précisé qu'elle n'était pas en mesure de prédire le prix qui serait payé par EDF pour les quinze prochaines années,

Soulignant que la nullité du contrat principal entraîne de plein droit celle du contrat de crédit affecté, la Sarl Arkeos prétend que Mme M.-A. devra restituer la somme prêtée dans la limite du capital restant dû, que le premier juge, en ordonnant la restitution de la somme de 23 500 euros, aurait méconnu cette règle, que Mme M.-A. n'est pas créancière de la Sarl Arkeos à laquelle elle n'a rien versé et que son seul créancier est le prêteur (sic).

Par conclusions notifiées le 22 février 2018 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, Mme M.-A. demande à la cour, à titre principal, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, à titre subsidiaire, de constater la non-conformité du bien vendu et de condamner la Sarl Arkeos à lui payer les sommes de 11 750 euros et 4 722,15 euros à titre de dommages-intérêts et, en tout état de cause, de condamner la Sarl Arkeos à lui payer la somme complémentaire de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Mme M.-A. soutient, au visa des articles L. 121-1 du Code de la consommation et 1116 ancien du Code civil, qu'elle n'a contracté qu'en raison de l'estimation de production d'électricité figurant dans l'étude remise par la Sarl Arkeos (4 170 kWh la première année, générant un revenu de 1418 euros) et de la possibilité de bénéficier d'un crédit d'impôt de 5 120 euros, qu'en réalité l'installation a produit 2169 kWh et généré un revenu de 694,30 euros, que le crédit d'impôt a été supprimé à partir du 1er janvier 2014 pour le photovoltaïque et n'a subsisté qu'à hauteur de 899,85 euros pour l'éolien, étant précisé que la livraison est intervenue en février 2014, et que la Sarl Arkeos, en présentant cette fausse estimation, l'a volontairement induite en erreur et a vicié son consentement. Contestant avoir été démarchée par une autre société dénommée Sun Box, elle fait observer que l'estimation est datée du 25 octobre 2013, date de régularisation du contrat, que l'objet de ce dernier est identique (pose de panneaux photovoltaïques et d'une éolienne), que le prix (23 500 euros), le nombre de panneaux (12) et la puissance installée sont les mêmes, que la surface à couvrir est similaire à 0,80 m² près et que l'établissement chargé de financer l'opération est dans les deux cas Sygma Banque.

À titre subsidiaire, elle fait valoir, au visa de l'article L. 121-23 4° du Code de la consommation, en sa rédaction alors applicable, que si la Sarl Arkeos n'est pas l'auteur de l'estimation de rentabilité, elle a alors manqué à son obligation d'information précontractuelle, que le bon de commande ne décrit que très succinctement les panneaux photovoltaïques et l'éolienne, que les quelques mentions figurant au document ne permettent pas de connaître les caractéristiques techniques des biens livrés, qu'ainsi le nombre de panneaux photovoltaïques n'est pas précisé ni leurs performances énergétiques, qu'aucune information n'est fournie à propos de l'éolienne et que le prix global n'est pas réparti entre le coût du matériel et celui de l'installation

À titre également subsidiaire, Mme M.-A. prétend, sur le fondement de la non-conformité du bien livré au regard des dispositions des articles L. 211-4 et L. 211-5 du Code de la consommation, que l'étude de rentabilité étant entrée dans le champ contractuel, la Sarl Arkeos n'a pas fourni un matériel produisant environ 4170 kWh, générant un revenu de 1418 euros la première année et ouvrant droit à un crédit d'impôt de 5220 euros, que la production d'énergie a été en réalité inférieure de moitié à celle contractuellement convenue et le crédit d'impôt a été réduit de 5120 euros à 899,85 euros, qu'elle est donc en droit de solliciter la restitution d'une première somme de 11 750 euros correspondant à la moitié du prix, ainsi qu'une seconde somme de 4220,15 euros représentant la différence entre le crédit d'impôt avancé et le crédit d'impôt obtenu, augmentée des sommes de 196 et 306 euros au titre des intérêts de retard et majorations appliquées par l'administration fiscale dans sa proposition de rectification.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 mai 2018.

SUR QUOI,

Selon l'article 1116 du Code civil, en sa rédaction alors applicable, " Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé ".

Il résulte par ailleurs de l'article L. 121-1 du Code de la consommation qu'une pratique commerciale est trompeuse si elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant, notamment, sur les résultats attendus de son utilisation.

À l'appui de sa demande de nullité de la convention, Mme M.-A. soutient, au visa de ces articles, qu'elle n'a contracté qu'en raison de l'estimation de production d'électricité et de la possibilité de bénéficier d'un crédit d'impôt, informations figurant dans une étude remise par la Sarl Arkeos, qui se sont ensuite révélées totalement inexactes et donc fallacieuses.

Elle produit un document intitulé " Protocole photovoltaïque-Région-Centre " édité le 25 octobre 2013 et faisant état, d'une part, d'une production annuelle d'électricité de 4 170 kWh la première année, générant un revenu de 1418 euros, avec une diminution du rendement de 0,5 % par an très largement compensée par une augmentation du tarif d'acquisition de l'électricité par EDF et, d'autre part, de la possibilité de bénéficier d'un crédit d'impôt de 5 120 euros. En conclusion, l'étude mettait en évidence un gain de 24 511 euros sur 20 ans, auquel il convenait d'ajouter la valeur de l'installation d'un montant de 23 500 euros, soit un gain total de 48 011 euros.

Les factures établies par EDF révèlent qu'en réalité l'installation a produit seulement 2 169 kWh pour un revenu de 694,30 euros la première année et 6 444 kWh pour un revenu de 2 065,59 euros les trois premières années, soit une production moyenne annuelle de 2 148 kWh et un revenu moyen annuel de 688,53 euros.

Les documents fiscaux remis par Mme M.-A. font par ailleurs ressortir que celle-ci n'a pu bénéficier du crédit d'impôt sur l'installation photovoltaïque, supprimé à compter du 1er janvier 2014, mais seulement sur la fourniture de l'éolienne, à hauteur de 899,85 euros. Cependant, la modification de la législation fiscale étant consécutive à la loi de finances pour 2014 du 29 décembre 2013, il ne saurait être considéré que l'auteur de cette étude, réalisée le 25 octobre 2013, ait voulu tromper Mme M.-A. en omettant de lui indiquer qu'elle ne pourrait bénéficier du crédit d'impôt sur l'installation photovoltaïque ni au titre de l'année 2013, faute d'avoir engagé la dépense au cours de cette année au sens de la loi fiscale, ni au titre de l'année 2014, en raison de la suppression intervenue entre-temps.

Quoi qu'il en soit, la seule différence de l'ordre de moitié entre la production d'électricité annoncée dans cette étude et celle effectivement atteinte par l'installation vendue, mesurée non pas sur une seule année mais sur une période de trois ans, ne peut procéder du caractère plus ou moins approximatif de toute estimation de production d'électricité, liée notamment aux aléas climatiques, mais procède d'une présentation délibérément exagérée et donc fallacieuse qui n'avait pas d'autre objet que d'inciter Mme M.-A. à contracter en lui faisant espérer des avantages inaccessibles, d'autant que la fiabilité de ce document était renforcée par son caractère en apparence officiel résultant de la référence à un protocole impliquant EDF.

La société Arkeos ne formule au demeurant aucun grief à l'encontre de la motivation par laquelle le jugement a retenu l'existence de manœuvres frauduleuses constitutives d'un dol justifiant l'annulation du contrat, mais conteste essentiellement être l'auteur du protocole photovoltaïque sur la foi duquel Mme M.-A. a contracté.

Cependant, par des motifs parfaitement pertinents que la cour adopte, le jugement a pu considérer que ce document, s'il ne comporte aucune référence directe à la société Arkeos et à la marque du matériel proposé, ne peut qu'émaner de cette société dès lors que les données de l'installation qui y sont décrites sont parfaitement compatibles avec celles du bon de commande, que le coût du matériel est exactement le même (23 500 euros) et qu'il y est fait référence tant à l'identité de l'établissement ayant financé l'opération (Sygma) qu'au différé d'amortissement de douze mois figurant dans le contrat de prêt consenti par cet établissement.

Pour répondre plus complètement à l'argumentation de la société Arkeos, la cour relève que si le nombre de douze panneaux photovoltaïques mentionné dans le protocole n'est pas repris dans le bon de commande, la facturation de ladite société ne laisse aucun doute sur le fait que ce sont bien douze panneaux photovoltaïques qui lui ont été commandés par Mme M.-A. et que ces panneaux ont la même puissance unitaire que celle figurant dans le protocole.

Il est par ailleurs constant que cette étude est datée du 25 octobre 2013, date de régularisation du contrat, et que l'installation envisagée porte, comme la convention signée entre les parties, sur l'installation à la fois de panneaux photovoltaïques et d'une éolienne.

Dès lors, ainsi que le soutient l'intimée, il n'est pas crédible d'affirmer que, le même jour, une seconde société serait venue démarcher Mme M.-A. pour lui proposer exactement la même prestation, au même prix et avec le même partenaire financier, la cour ne considérant pas comme déterminant le fait que la CLCV n'ait pas fait état de cette étude dans ces courriers adressés à la société Arkeos, dont l'objet était bien la remise en cause du contrat pour tromperie sur l'autofinancement de cette installation grâce au rachat de l'électricité produite.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la convention conclue avec la société Arkeos, cette nullité n'ayant pu être couverte par l'exécution du contrat dès lors que l'importance des revenus produits par l'installation n'a été connue qu'en septembre 2015, date de la première facturation d'EDF, et que Mme M.-A. a protesté, par l'intermédiaire de la CLCV, dès le 6 novembre 2015.

C'est à juste titre que le premier juge, après avoir constaté que le prix de l'installation avait été financé au moyen d'un emprunt de 23 500 euros souscrit par Mme M.-A. et qu'il importait peu que ce capital eût été versé directement au vendeur par le prêteur, a ordonné, en conséquence de l'annulation prononcée, la restitution de ce prix par la société Arkeos entre les mains de Mme M.-A., et son corollaire, à savoir la reprise du matériel qui devra être tenu à la disposition du vendeur par l'acquéreur.

En revanche, c'est à tort qu'après avoir constaté que le crédit était affecté à la vente et que la nullité de cette dernière entraîne de plein droit la nullité du premier, a condamné la société Arkeos à rembourser à Mme M.-A., en outre, les intérêts versés au titre du remboursement du crédit. En effet, dès lors que l'action en nullité du contrat de prêt n'est pas prescrite et que cette nullité est encourue de plein droit du fait de la nullité du contrat principal, Mme M.-A. dispose d'une voie de droit effective pour obtenir de l'organisme prêteur le remboursement des intérêts versés et ne peut donc se prévaloir d'un quelconque préjudice dont elle serait en droit de solliciter l'indemnisation auprès de la société Arkeos. Au demeurant, la société Sygma Banque serait fondée à réclamer à la société Arkeos, responsable de l'annulation des conventions, le remboursement des intérêts qu'elle pourrait être amenée à restituer à Mme M.-A. et la société Arkeos se trouverait alors exposée au risque de devoir payer à ce titre la même somme entre les mains à la fois de l'acquéreur et du prêteur.

L'équité commande d'allouer à Mme M.-A., sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 2 000 euros en compensation de ses frais non compris dans les dépens de première instance et la même somme en compensation de ses frais non compris dans les dépens d'appel.

La société Arkeos succombant en ses prétentions supportera les dépens de première instance et d'appel.

Par ces motifs : Confirme le jugement rendu le 15 juin 2017 par le Tribunal de grande instance de Bourges, sauf en ce qu'il a condamné la Sarl Arkeos au remboursement des intérêts du crédit et au paiement d'une indemnité de procédure de 3000 euros ; Statuant à nouveau de ces chefs réformés et y ajoutant, Déboute Mme M.-A. de sa demande de remboursement des intérêts du crédit ; Condamne la Sarl Arkeos à payer à Mme M.-A., sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 2 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens de première instance et la même somme au titre des frais non compris dans les dépens d'appel ; Condamne la Sarl Arkeos aux dépens d'appel et accorde à Maître V. le droit prévu à l'article 699 du Code de procédure civile.