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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 9, 6 septembre 2018, n° 15-06005

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Domofinance (SA)

Défendeur :

Jeanne (ès qualités)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. David

Conseillers :

Mmes Mongin, Bou

Avocats :

Mes Gautier, Rouland

TI de Paris, 9e ch., du 16 févr. 2015

16 février 2015

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 23 octobre 2013, dans le cadre d'un démarchage à domicile, M. Jonas V. a signé avec la société Climaciel un bon de commande portant sur une installation solaire photovoltaïque, moyennant un prix de 22 500 euros intégralement financé au moyen d'un prêt consenti à ce dernier par la société Domofinance selon une offre préalable acceptée le même jour.

Le 25 novembre 2013, M. V. a signé une fiche de réception des travaux.

Les 8 juillet et 14 août 2014, M. V. a assigné Maître Jeanne Bertrand, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Climaciel, et la société Domofinance devant le Tribunal d'instance du 9ème arrondissement de Paris aux fins d'obtenir la nullité des contrats de vente et de crédit affecté et d'être dispensé du remboursement du crédit à la société Domofinance.

Celle-ci a conclu au rejet des demandes, à titre subsidiaire, a sollicité la condamnation de M. V. à lui payer la somme de 22 500 euros au titre du capital emprunté et, à titre infiniment subsidiaire, a réclamé la condamnation de Maître Jeanne Bertrand ès qualités au paiement des sommes de 22 500 euros en garantie de remboursement du capital prêté et de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la fixation desdites sommes au passif de la liquidation.

Maître Jeanne Bertrand ès qualités n'a pas comparu.

Par jugement du 16 février 2015, le tribunal a :

- prononcé la nullité du contrat de prestation de services et du contrat de crédit affecté ;

- dit que M. V. était exonéré de son obligation de remboursement du crédit dû à la société Domofinance ;

- autorisé M. V. à disposer des matériels posés par la société Climaciel à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la signification de la décision à Maître Jeanne Bertrand ès qualités ;

- fixé au passif de la société Climaciel la créance de M. V. en application de l'article 700 du Code de procédure civile à la somme de 500 euros et condamné du même chef la société Domofinance au paiement d'une somme de ce montant ;

- rejeté toute autre demande ;

- fait masse des dépens et dit que la moitié serait employée en frais privilégiés de liquidation et condamné la société Domofinance à supporter la moitié restante desdits dépens.

Le tribunal a retenu que le contrat ne comportait pas les conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens et d'exécution de la prestation de services. S'il a estimé qu'il pouvait être opposé à M. V. une connaissance présumée des vices allégués, il a considéré comme non établi le fait que M. V. ait eu l'intention de les réparer. Il a donc prononcé la nullité du contrat principal et, en application de l'article L. 311-32 du Code de la consommation, celle du contrat de crédit. Il a retenu la faute du prêteur dans la remise des fonds au motif qu'ils avaient été débloqués avant exécution intégrale de la prestation, ce que la société Domofinance était en mesure de constater au vu de la fiche de réception qui ne faisait état que de la livraison et de la pose, à l'exclusion des démarches supplémentaires mentionnées dans le bon. Il en a déduit que M. V. devait être exonéré du remboursement du crédit. Il a encore relevé que seule la faute du prêteur était à l'origine de cette exonération.

Par déclaration en date du 18 mars 2015, la société Domofinance a interjeté appel de cette décision.

Dans ses conclusions notifiées le 28 mai 2018, la société Domofinance demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat principal et du contrat de crédit affecté et exonéré l'emprunteur du remboursement. A titre subsidiaire, elle sollicite la condamnation de M. V. à lui payer la somme de 22 500 euros au titre du capital emprunté après déduction des remboursements effectués et, à titre infiniment subsidiaire, de fixer sa créance à la procédure collective de la société Climaciel aux sommes de 22 500 euros à titre chirographaire correspondant à sa créance en garantie de remboursement des capitaux prêtés et de 5 000 euros à titre chirographaire correspondant à sa créance de dommages et intérêts. En toute hypothèse, elle demande la condamnation de M. V. à lui régler la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et le bénéfice de l'exécution provisoire.

M. V., dans ses dernières écritures notifiées le 13 mai 2018, sollicite la confirmation du jugement. Il demande à la cour de dire qu'il devra tenir à la disposition de Maître Jeanne Bertrand ès qualités l'ensemble des matériels posés et que passé un délai de deux mois à compter de la signification du jugement, il sera autorisé à en disposer comme bon lui semblera et pourra notamment les porter dans un centre de tri. Il demande de condamner la société Domofinance à lui restituer l'intégralité des sommes prélevées sur son compte bancaire, soit la somme de 11 330,08 euros arrêtée au 5 mai 2018, et toute autre somme prélevée après cette date jusqu'au prononcé de l'arrêt. Il réclame la condamnation de l'appelante à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Bien que par acte d'huissier délivré le 28 mai 2015 à domicile, la société Domofinance ait fait signifier à Maître Jeanne Bertrand la déclaration d'appel et ses conclusions, Maître Jeanne Bertrand n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 juin 2018.

SUR CE,

Sur la demande de nullité du contrat principal et ses conséquences

La société Domofinance estime pour l'essentiel que toutes les mentions exigées par la loi sont présentes dans le bon de commande et qu'en toute hypothèse, la nullité encourue est relative et qu'il y a eu confirmation, M. V. ayant pris possession sans réserve des panneaux. Elle considère aussi que le bordereau de rétractation est régulier et que même en cas de non-conformité, la nullité n'est pas prévue dans une telle hypothèse et ne saurait dès lors être prononcée.

M. V. conclut à la nullité du contrat principal en raison de la non-conformité du bordereau de rétractation, de l'absence de renseignements sur les éléments essentiels des panneaux et de leurs accessoires, de l'absence de renseignements sur les modalités de livraison et de l'absence de plans techniques. Il conteste toute confirmation de l'acte nul.

Selon l'article L. 121-23 du Code de la consommation dans sa version en vigueur au jour de la conclusion du contrat, les opérations visées à l'article L. 121-21 doivent faire l'objet d'un contrat dont un exemplaire doit être remis au client au moment de la conclusion de ce contrat et comporter, à peine de nullité, les mentions suivantes :

1°) noms du fournisseur et du démarcheur ;

2°) adresse du fournisseur ;

3°) adresse du lieu de conclusion du contrat ;

4°) désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts ou des services proposés ;

5°) conditions d'exécution du contrat, notamment les modalités et le délai de livraison des biens, ou d'exécution de la prestation de services ;

6°) prix global à payer et modalités de paiement ; en cas de vente à tempérament ou de vente à crédit, les formes exigées par la réglementation sur la vente à crédit, ainsi que le taux nominal de l'intérêt et le taux effectif global de l'intérêt déterminé dans les conditions prévues à l'article L. 313-1 ;

7°) faculté de renonciation prévue à l'article L. 121-25, ainsi que les conditions d'exercice de cette faculté et, de façon apparente, le texte intégral des articles L. 121-23, L. 121-24, L. 121-25 et L. 121-26.

En l'espèce, le contrat ne contient pas de désignation précise de la nature et des caractéristiques des biens offerts, en l'absence notamment de toute mention de la marque des matériels et de la surface des panneaux photovoltaïques. De même, le tribunal a justement retenu que les conditions d'exécution du contrat ne sont pas mentionnées faute de toute indication des modalités du délai de livraison des biens vendus à M. V. ainsi que d'exécution des prestations prévues dans le bon de commande signé par celui-ci. Il convient à cet égard de relever que les conditions générales de vente figurant au verso du bon de commande prévoient seulement un délai limite de 200 jours pour la livraison des biens, ce qui ne saurait satisfaire aux exigences de l'article L. 121-23 5°) susvisé, en indiquant que le vendeur fixe une date de livraison/installation mais qui, en l'espèce, n'est précisément pas mentionnée sur le bon de commande.

Ces irrégularités constituent à elles seules des causes de nullité du contrat.

La méconnaissance des dispositions de l'article L. 121-23 du Code de la consommation est sanctionnée par une nullité relative.

Il résulte de l'article 1338 du Code civil dans sa rédaction antérieure à celle résultant de l'ordonnance du 10 février 2016 que la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer.

En l'espèce, si, comme l'a relevé le tribunal, le contrat reproduit sur son verso, dans les conditions générales, l'article L. 121-23 du Code de la consommation, il ne saurait en être déduit pour autant que M. V. a pu se rendre compte des irrégularités du contrat. En effet, force est de constater que l'énoncé de ce texte figure parmi de très nombreux paragraphes, sans faire l'objet de traits distinctifs de nature à attirer l'attention du lecteur, et qu'il est reproduit en caractères de très petite taille, les conditions générales de vente étant quasiment illisibles. La reproduction n'est donc pas faite de façon apparente pour permettre à un consommateur d'avoir conscience des vices affectant le contrat.

Par ailleurs, le fait que M. V. ait pris possession des panneaux le 25 novembre 2013 par la signature de la fiche de réception des travaux ne suffit pas à caractériser sa volonté de réparer les vices affectant le contrat principal, à supposer qu'il ait pu les connaître, et de renoncer à se prévaloir de la nullité de celui-ci alors qu'une telle renonciation doit être certaine et non équivoque.

Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat principal.

L'annulation du contrat principal entraîne la remise des parties dans leur état initial.

En l'espèce, M. V. devra tenir à la disposition de Maître Jeanne Bertrand ès qualités l'ensemble des matériels posés à son domicile pendant un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt et, passé ce délai, il pourra en disposer comme bon lui semblera et pourra notamment les apporter dans un centre de tri.

Sur la demande de nullité du contrat de crédit et ses conséquences

C'est à juste titre qu'en application de l'article L. 311-32 du Code de la consommation dans sa version alors applicable, le tribunal a retenu que l'annulation du contrat principal entraîne de plein droit l'annulation du prêt accessoire.

Du fait de la nullité, le prêteur doit rembourser à l'emprunteur les sommes déjà versées.

M. V. prétend que la somme de 11 330,08 euros a été prélevée sur son compte bancaire au 5 mai 2018 mais n'en justifie nullement, à défaut de fournir la moindre pièce justificative de ce chef. Il est seulement avéré au vu du décompte fourni par la société Domofinance que M. V. a payé la somme de 1 670,04 euros au titre des échéances qui ont été réglées à la date du 2 janvier 2015. Ainsi la société Domofinance sera condamnée à lui restituer ladite somme.

Par suite de la nullité, l'emprunteur est en principe tenu de restituer le capital emprunté au prêteur sauf en cas d'inexécution du contrat principal ou de faute commise par le prêteur dans la remise des fonds, étant rappelé que selon l'article L. 311-31 du Code de la consommation dans sa version alors applicable, les obligations de l'emprunteur ne prennent effet qu'à compter de la livraison du bien ou de la fourniture de la prestation.

La société Domofinance conteste avoir commis une faute dans la libération des fonds dès lors qu'elle l'a fait au vu d'une fiche de réception signée par l'emprunteur attestant que l'installation était conforme au bon de commande. Elle fait également valoir que les fautes du vendeur, telles que la nullité du contrat, ne peuvent lui être reprochées, se référant en particulier à des décisions de justice retenant qu'il n'incombe pas à l'établissement financier de contrôler la régularité des bons de commande.

M. V. fait grief à la société Domofinance d'avoir commis une double faute l'exonérant de son obligation de rembourser le crédit : l'absence de vérifications auprès du vendeur et l'acquéreur que le contrat d'achat était valable ; le déblocage du crédit sans s'être assuré que le vendeur avait achevé ses devoirs.

S'agissant d'une opération de crédit affecté pour laquelle elle donne mandat au vendeur de faire signer à l'acheteur l'offre préalable de crédit, l'établissement prêteur se devait, préalablement au versement des fonds, de procéder, auprès du vendeur et de l'emprunteur, à la vérification de la régularité du contrat principal.

Une telle obligation ne saurait être contestée au prétexte que le prêteur est un tiers au contrat principal et qu'il n'existe pas d'obligation expresse en ce sens. En effet, le contrat principal et le contrat de crédit affecté constituent, en application de l'article L. 311-1 9° dans sa rédaction applicable, une opération commerciale unique et sont, conformément à l'article L. 311-32 du même Code dans sa rédaction alors en vigueur, interdépendants si bien que du fait de l'indivisibilité des contrats, le prêteur doit procéder préalablement aux vérifications nécessaires auprès du vendeur et des consommateurs, en réclamant au besoin le bon de commande. Or, en l'espèce, la désignation des biens et services figurant dans le contrat est particulièrement indigente en ce que ne figure même pas la marque des produits, ce qui est le minimum attendu s'agissant d'une installation particulièrement coûteuse, ni non plus d'indication concernant les conditions d'exécution du contrat conclu par M. V. Il en résulte que les causes de nullité affectant le contrat principal sont manifestes et que le prêteur aurait dû les détecter.

Dès lors, en versant les fonds sans vérifier la conformité du contrat financé aux dispositions du Code de la consommation relatives au démarchage, le prêteur a commis une faute le privant de sa créance de restitution du capital emprunté.

Ainsi, sans qu'il y ait lieu d'examiner si l'autre faute invoquée est fondée ou non, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. V. était exonéré de son obligation de rembourser le crédit.

Sur la demande de fixation de la créance de la société Domofinance au passif de la procédure collective de la société Climaciel

En cas de dispense faite à M. V. de restituer le capital prêté, la société Domofinance invoque que la société Climaciel n'en est pas moins tenue à son obligation de garantie prévue à l'article L. 311-22 devenu L. 311-33 du Code de la consommation. Elle sollicite à ce titre la fixation de sa créance à hauteur de la somme de 22 500 euros pour le capital prêté et de celle de 5 000 euros pour les dommages et intérêts.

L'article L. 311-33 du Code de la consommation dans sa version applicable dispose que si la résolution judiciaire ou l'annulation du contrat principal survient du fait du vendeur, celui-ci peut, à la demande du prêteur, être condamné à garantir l'emprunteur du remboursement du prêt, sans préjudice de dommages et intérêts vis-à-vis du prêteur et de l'emprunteur.

En l'espèce, comme l'a relevé le premier juge, l'emprunteur n'est pas tenu au remboursement du prêt. Le vendeur ne saurait donc garantir l'emprunteur dudit remboursement. En conséquence, la demande de fixation de la créance de la société Domofinance au passif de la société Climaciel à la somme de 22 500 euros au titre de la garantie de remboursement des capitaux prêtés ne peut qu'être rejetée.

Quant à la demande de dommages et intérêts, force est de constater que la société Domofinance ne justifie, ni même ne caractérise la nature et la consistance du préjudice qu'elle a subi en lien avec la faute du vendeur ayant consisté à avoir fait souscrire à M. V. un contrat non conforme, ce qui a conduit à son annulation. C'est de plus à juste titre que le tribunal a relevé que si la nullité du contrat de crédit est la conséquence de la nullité du contrat principal en raison de l'irrégularité imputable au vendeur dans le formalisme dudit contrat, seule la faute du prêteur est à l'origine de la privation pour ce dernier de sa créance de restitution.

Le jugement doit dès lors être confirmé en ce qu'il a rejeté ces demandes.

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Il convient de confirmer le jugement sur les dépens de première instance et de condamner la société Domofinance aux dépens d'appel. Cette dernière sera déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile. En équité, il n'y a pas lieu à la condamner au titre des frais non compris dans les dépens. Le jugement sera confirmé sur la somme fixée au passif de la société Climaciel en application de l'article 700 susvisé.

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, par défaut : - Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en celles relatives aux matériels posés et à la condamnation prononcée à l'encontre de la société Domofinance au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Statuant à nouveau dans cette limite et ajoutant : Dit que M. V. devra tenir à la disposition de Maître Jeanne Bertrand en qualité de mandataire liquidateur de la société Climaciel l'ensemble des matériels posés à son domicile pendant un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt et que, passé ce délai, il pourra en disposer comme bon lui semblera et pourra notamment les apporter dans un centre de tri ; Condamne la société Domofinance à restituer à M. V. la somme de 1 670,04 euros au titre des échéances du prêt réglées à la date du 2 janvier 2015 ; Déboute les parties de toute autre demande ; Condamne la société Domofinance aux dépens d'appel.