Cass. crim., 12 septembre 2018, n° 17-86.621
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soulard
Rapporteur :
Mme Planchon
Avocat général :
Mme Moracchini
Avocats :
SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par Mme X, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux, chambre, en date du 26 octobre 2017, qui, pour pratiques commerciales trompeuses, opposition à fonctions, pratique commerciale agressive et tromperie, l'a condamnée à deux mois d'emprisonnement avec sursis, 5 000 euros d'amende et trois ans d'interdiction de gérer ; - Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 6, § 2, et 7 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 111-4, 130-1, 132-1, 131-27 et 132-20 du Code pénal, L. 121-6, L. 121-4, L. 141-1, L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3, L. 216-8, L. 122-12, L. 122-13 du Code de la consommation, L. 450-8 du Code de commerce, 485, 512, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Mme X à une peine principale d'amende de 5 000 euros, ainsi qu'à la peine d'interdiction de gérer durant trois ans ;
"aux motifs propres que s'agissant de la peine, c'est à juste titre que les premiers juges, ayant relevé les pratiques délictueuses commerciales systématiquement organisées par Mme X, en sa qualité de gérante de la société Y, et la volonté manifestée par celle-ci, au regard de la multiplication des procédures, de poursuivre ces agissements délictueux portant atteinte de manière très organisée aux consommateurs les plus fragiles, a prononcé une peine de deux mois d'emprisonnement assortis du sursis et une interdiction de gérer durant trois années, interdiction qui se trouve bien apparente dans la motivation même si, par erreur matérielle, elle s'est ensuite trouvée omise dans le dispositif du jugement ; qu'en effet, la prévenue, tel que cela ressort de la condamnation prononcée le 22 janvier 2015 à son encontre, avait déjà commis des faits similaires durant la fin de l'année 2012, les présents faits ayant quant à eux été commis durant les années 2013 et 2014 ; que l'interdiction temporaire de gérer se trouve donc particulièrement justifiée, la prévenue ne cessant de procéder à l'ouverture et l'exploitation de commerces très temporaires dans divers départements afin d'y opérer des actes commerciaux délictueux ; que le jugement déféré sera en conséquence confirmé concernant ces deux peines ; que s'agissant de la peine d'amende, il convient, par réformation, de prononcer une peine d'amende de 5 000 euros ; que sur la demande de confusion entre la présente condamnation prononcée le 22 janvier 2015 par le Tribunal correctionnel de Bordeaux, demande à laquelle le tribunal n'a pas répondu, il échet de relever que la condamnation du 22 janvier 2015 concernait une prévention pour des faits commis en novembre-décembre 2010 et octobre-novembre 2013 alors que la présente condamnation concerne une prévention pour des faits commis durant le premier semestre 2013, le deuxième semestre 2013 et le premier semestre 2014 ; que s'agissant dès lors d'un comportement délictueux, répété sur plusieurs périodes, d'assez longue durée, la confusion des peines prononcées n'a pas lieu d'être ordonnée ;
"et aux motifs adoptés que Mme X en qualité de gérante de la société et aujourd'hui en qualité de liquidatrice a engagé personnellement sa responsabilité ; c'est sous son autorité et de manière organisée et systématique que les pratiques délictueuses de Y ont été mises en œuvre ; qu'au regard de la multiplication des procédures, de sa volonté de poursuivre ses comportements délictueux qui portent atteinte aux consommateurs les plus fragiles, il convient de prononcer une peine de deux mois d'emprisonnement assortie du sursis, d'une amende de 8 000 euros dont 4 000 euros avec sursis et une interdiction de gérer pendant trois ans ;
"1°) alors qu'en matière correctionnelle, le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en condamnant Mme X au paiement d'une amende de 5 000 euros sans s'expliquer sur les ressources et charges de ladite prévenue qui dans ses conclusions d'appel faisait état d'un revenu imposable de 13 156 euros et de ce qu'elle élève deux enfants, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
"2°) alors qu'en matière correctionnelle toute peine même complémentaire telle une interdiction de gérer doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'en énonçant, pour prononcer à l'encontre de Mme X une interdiction de gérer pendant trois ans les juges du fond que, dans une procédure distincte de celle qui a donné lieu à l'arrêt attaqué, Mme X avait été condamnée par le tribunal correctionnel le 22 janvier 2015, pour des faits, à une peine d'amende avec sursis ; qu'il résulte des motifs de l'arrêt que Mme X a commis des faits en novembre décembre 2012 et octobre novembre 2013, pour lesquels elle a été condamnée par jugement en date du 22 janvier 2015 dans une procédure distincte et que les faits pour lesquels elle a été jugée dans la présente procédure correctionnelle portent sur le premier semestre 2013, le deuxième semestre 2013 et le premier semestre 2014 ; qu'il en résulte qu'au jour de la commission des faits reprochés à Mme X par la procédure correctionnelle en cause, cette dernière n'avait fait l'objet d'aucune condamnation pénale ; qu'en se fondant sur ces motifs impropres à établir l'obstination de Mme X dans la commission de faits incriminés, pour prononcer cette interdiction de gérer, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision ;
"3°) alors qu'en matière correctionnelle toute peine même complémentaire telle une interdiction de gérer doit être motivée au regard de la gravité des faits, de la personnalité de son auteur et de sa situation personnelle ; qu'en prononçant cette interdiction de gérer sans prendre en compte la situation personnelle de Mme X qui élève seule ses deux enfants nés respectivement en 2009 et 2013, et la nouvelle activité exercée sous le régime d'auto-entrepreneur de commercialisation de vente de vêtements pour enfants constituant le seul revenu dont elle dispose pour subvenir à leurs besoins, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision";
Vu l'article 132-20, alinéa 2, du Code pénal, ensemble l'article 132-1 du même Code et les articles 485, 512 et 593 du Code de procédure pénale ; - Attendu qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle ; que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision en tenant compte des ressources et des charges du prévenu ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour condamner Mme X, notamment, à 5 000 euros d'amende et à trois ans d'interdiction de gérer, l'arrêt énonce que c'est à juste titre que les premiers juges, ayant relevé les pratiques délictueuses commerciales systématiquement organisées par Mme X, en sa qualité de gérante de la société Y, et la volonté manifestée par celle-ci, au regard de la multiplication des procédures, de poursuivre ces agissements délictueux portant atteinte de manière très organisée aux consommateurs les plus fragiles, a prononcé une peine de deux mois d'emprisonnement assortis du sursis et une interdiction de gérer durant trois années ; que les juges ajoutent que la prévenue, qui avait déjà commis des faits similaires durant la fin de l'année 2012, les présents faits ayant quant à eux été commis durant les années 2013 et 2014, ne cessant de procéder à l'ouverture et l'exploitation de commerces très temporaires dans divers départements afin d'y opérer des actes commerciaux délictueux, l'interdiction temporaire de gérer se trouve donc particulièrement justifiée et le jugement déféré sera en conséquence confirmé concernant ces deux peines ; que, s'agissant de la peine d'amende, la cour d'appel retient qu'il convient, par réformation, de prononcer une peine d'amende de 5 000 euros ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans s'expliquer sur la situation personnelle de la prévenue et sur le montant de ses ressources comme de ses charges, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : casse et annule, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la Cour d'appel de Bordeaux, en date du 26 octobre 2017, et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.