CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 19 septembre 2018, n° 16-05695
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pimur (SARL)
Défendeur :
Devred (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Luc
Conseillers :
Mmes Mouthon Vidilles, Comte
Avocats :
Mes Regnier, Thréard, Vignes, de Balmann
Faits et procédure
Vu le jugement rendu le 15 février 2016 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- débouté la société Pimur de toutes ses demandes et l'a condamnée à payer la somme de 2 500 euros à la société Devred par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné la société Pimur aux dépens ;
Vu l'appel relevé par la société Pimur et ses dernières conclusions notifiées le 6 juin 2016 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles 1134, 1149, 1150, 1184, 1382, 1999 et 2000 du Code civil ainsi que des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce d'infirmer le jugement et de :
- débouter la société Devred de ses entières demandes,
- dire que la société Devred doit l'indemniser du montant de ses pertes et lui rembourser les avances et frais qu'elle a engagés pour l'exécution du contrat de commissionnaire sur le fondement des articles 1999 et 2000 du Code civil,
- prononcer la résiliation du contrat aux torts et griefs exclusifs de la société Devred,
- en conséquence, condamner la société Devred à lui payer :
* au titre du manque à gagner sur le montant des commissions non perçues, la somme provisionnelle de 319 996 euros arrêtée au 31 décembre 2014, qui sera à parfaire par le manque à gagner qui sera subi sur la période du 1er janvier 2015 jusqu'au terme des relations,
* au titre de l'article 2000 du Code civil, la somme de 109 212 euros si Pimur perçoit les 319 996 euros d'indemnisation de son manque à gagner ou la somme de 429 208 euros dans l'hypothèse où elle ne la percevrait pas, étant précisé que ces sommes sont arrêtées au 31 décembre 2014 et seront à parfaire par les pertes de Pimur sur la période du 1er janvier 2015 jusqu'au terme des relations qui devront aussi être indemnisées,
* au titre de l'article 1999 du Code civil, la somme de 163 860 euros,
* au titre de la rupture fautive du contrat, la somme de 100 251 euros,
- dire que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du jour de l'assignation valant mise en demeure, avec capitalisation des intérêts échus en application de l'article 1154 du Code civil,
- condamner la société Devred à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 28 juillet 2016 par la société Devred qui demande à la cour de :
- dire la société Pimur mal fondée en son appel,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- y ajoutant, condamner la société Pimur à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens ;
Sur ce
Au début de l'année 2011, M. Murezi est entré en relation avec la société Devred ayant pour activité la vente de prêt-à-porter pour hommes, dans le but d'ouvrir un magasin au Blanc Mesnil ; le 11 mars 2011, cette société lui a fait parvenir "un seuil de rentabilité" et un document d'information pré-contractuel provisoire.
M. Murezi a constitué avec M. Piral la société Pimur, immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 5 avril 2011.
Par lettre du 17 mai 2011, la société Devred a confirmé à M. Murezi qu'elle souhaitait s'implanter en commission-affiliation dans la ville de Blanc Mesnil et que son choix s'était porté sur sa candidature dans le local situé centre commercial Plein air.
Le 30 mai 2011, M. Murezi a accusé réception du document d'information pré-contractuel.
Le 27 septembre 2011, un contrat de commission-affiliation a été signé pour une durée de 4 ans et 10 mois à compter de la date d'ouverture du magasin ; son article 1er intitulé "objet du contrat" stipule :
- que la société Devred confie, en dépôt, à la société Pimur les articles de prêt-à-porter masculin lui appartenant,
- que la société Pimur procède en son nom mais pour le compte de la société Devred, dans les conditions prévues au contrat, régi notamment par l'article L. 132-1 du Code de commerce, à la vente au détail des articles dans un magasin lui appartenant au centre commercial Plein air de Blanc Mesnil.
A l'article 7.2, il est précisé que l'affilié encaissera le produit de l'ensemble des ventes au détail faites à la clientèle sur un compte à son nom, spécialement affecté, que la société Devred prélèvera sur ce compte le chiffre d'affaires TTC diminué de la commission revenant à l'affilié et qu'elle pourra, en cas d'incident de paiement, suspendre l'approvisionnement en marchandises et éventuellement résilier le contrat.
Par la suite, dans différents courriels, dont un en particulier daté du 5 octobre 2012 consécutif à une visite sur les lieux de la société Devred, la société Pimur s'est inquiétée de l'ouverture prochaine d'un magasin Devred dans la commune voisine d'Aulnay sous Bois avec lequel elle devrait partager les clients potentiels en raison de son implantation dans la même zone de chalandise. Par lettre du 29 octobre 2011, se référant à une réunion tenue le 17 octobre précédent, la société Devred a confirmé à la société Pimur l'échéancier qui lui était accordé pour apurer son arriéré de 19 294,36 euros, en attirant son attention sur le fait que tout nouvel impayé entraînerait la résiliation du contrat.
Par lettre du 5 novembre 2011, la société Devred a informé la société Pimur qu'elle suspendait les livraisons en raison de deux nouveaux impayés d'un montant de 14 858,07 euros, s'ajoutant à la dette antérieure.
Dans un courriel du 8 novembre 2011, la société Pimur a protesté contre cette décision, considérant qu'elle entraînait la disparition du magasin.
Les échanges intervenus ensuite entre les parties montrent que la société Devred a consenti de nouveaux délais de paiement dont le respect conditionnait la reprise des livraisons.
Le 19 décembre 2012, la société Pimur a formulé divers griefs à l'encontre de la société Devred et l'a mise en demeure de faire des propositions pour réparer son préjudice, reprendre les livraisons ainsi que le fonds de commerce à un prix permettant de couvrir les dettes, ce dans le délai de quinze jours à peine de se voir attraire en justice.
Dans sa réponse du 4 janvier 2013, la société Devred a contesté tous les fautes qui lui étaient imputées, soulignant que les difficultés rencontrées par la société Pimur provenaient du fonctionnement du centre commercial dans lequel 5 cellules commerciales sur les 15 demeuraient vides et dont le parking souterrain n'était pas desservi par l'escalier roulant pourtant prévu près de son magasin.
La société Pimur a poursuivi l'exploitation de son magasin jusqu'au 3 juin 2015, mais dès le 3 janvier 2014, elle avait fait assigner la société Devred devant le Tribunal de commerce de Paris pour voir prononcer la résiliation du contrat aux torts de celle-ci et obtenir diverses indemnités ; le tribunal, par le jugement déféré, l'a déboutée de toutes ses demandes.
La société Pimur, appelante, demande la résiliation du contrat aux torts de la société Devred en lui reprochant les fautes suivantes :
- avoir choisi un lieu d'implantation et une zone de chalandise pour le magasin franchisé insuffisamment adaptés à la vente de ses produits et à son concept pour permettre au franchisé d'avoir une exploitation rentable,
- ne pas avoir remis un document d'information pré-contractuel conforme aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce puisque vierge de toute étude sur l'état général et local des produits Devred sur la ville de Blanc Mesnil avec ses perspectives de développement,
- avoir communiqué un compte d'exploitation prévisionnel dépourvu de tout sérieux, comme majorant de 50 % celui effectivement réalisé par elle,
- avoir ouvert une succursale à Aulnay sous Bois, dans la zone de chalandise de son conmissionnaire, ce qui a accru ses difficultés, se rendant ainsi responsable de concurrence déloyale,
- ne pas avoir exécuté loyalement et de bonne foi le contrat de commission-affiliation,
- être à l'origine de la ruine de la société Pimur.
La société Devred conteste toutes les fautes qui lui sont imputées ; elle réplique pour l'essentiel :
- que le défaut d'information pré-contractuel n'emporte pas de plein droit la nullité et qu'il appartient à la partie qui l'invoque de démonter en quoi son comportement s'en serait trouvé vicié,
- que le franchisé est un entrepreneur et qu'il a le devoir de s'informer et de valider les renseignements reçus,
- que M. Murezi et M. Piral étaient aptes à mûrir un projet d'ouverture de magasin à l'enseigne Devred, le premier diplômé d'une école de commerce ayant exercé les fonctions de gestionnaire comptable au sein du groupe textile Infinitif puis des missions comptables et de commissaire aux comptes dans une société de mandats fiduciaires, le second diplômé de génie civil occupant des fonctions d'ingénieur,
- que la loi ne met pas à la charge du franchiseur une étude du marché local et qu'il incombe au franchisé de procéder lui-même à une analyse d'implantation,
- qu'un état du marché local a bien été fourni à la société Pimur,
- que loin de s'engager sur un chiffre d'affaires prévisionnel, elle n'a communiqué qu'un " seuil de rentabilité " sur la base des éléments fournis par M. Murezi,
- que les difficultés rencontrées par la société Pimur proviennent des problèmes de commercialité du centre commercial Plein air du Blanc Mesnil dont actuellement 11 des 49 cellules commerciales sont inoccupées,
- que dans un contexte de morosité commerciale, la société Pimur a aggravé la situation par son manque de capacité à capter et séduire la clientèle.
Il convient de rappeler en préambule que le contrat, objet du litige n'est pas un contrat de franchise, mais un contrat de commission-affiliation dont la nullité n'est pas demandée. Il ressort des pièces versées aux débats que dans le document d'information pré-contractuel du 30 mai 2011, la société Devred a présenté :
- d'une part, en pages 18 à 23 un état du marché national et spécialement de celui de l'habillement masculin avec son comportement et positionnement sur ce marché,
- d'autre part, en annexe 3, pages 108 à 119, un état du marché local de la future implantation reprenant des indicateurs généraux et spécifiques, tels la population, la répartition de la population masculine par âge, le revenu médian annuel, le marché théorique pour le secteur du prêt-à-porter, ainsi que l'environnement commercial avec une liste des concurrents ; ces états étaient suffisamment explicites et il appartenait à la société Pimur de procéder à une analyse d'implantation précise ; dès lors, le moyen tiré du non-respect des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce doit être écarté.
Le 11 mars 2011, la société Devred a transmis à M. Murezi un document intitulé " Affiliation-compte de résultat non contractuel et ROI " mentionnant en particulier un chiffre d'affaires net de 523 053 euros ; cette prévision n'était pas dépourvue de sérieux, la société Devred montrant par un tableau en pièce 25, dont la teneur n'est pas discutée, que différents magasins affiliés ouverts en province en 2010, 2011 ou 2012 avaient réalisé des chiffres équivalents ; de surcroît, le contrat mentionne en page 7 que la validation par la société Devred du projet d'affiliation et du budget prévisionnel ne constitue pas une garantie de résultat et il n'est pas contesté qu'un grave défaut d'attractivité a affecté le centre commercial Plein air dans lequel la boutique de la société Pimur a été ouverte. Le contrat n'interdit en aucune façon à la société Devred d'ouvrir un autre magasin en dehors de la zone territoriale qui était concédée à la société Pimur, à savoir la ville de Blanc Mesnil ; l'appelante ne peut donc valablement lui reprocher l'ouverture d'un magasin à Aulnay sous Bois, même si celui-ci est situé à quelques minutes en voiture du sien ; la société Devred objecte d'ailleurs à juste raison, en produisant un tableau en pièce 47, non contesté, que des magasins affiliés bien que voisins de ses succursales réalisent des chiffres d'affaires satisfaisants, proches voir supérieurs aux prévisions d'ouverture ; la société Pimur ne démontre pas que c'est l'ouverture d'un magasin à Aulnay sous Bois qui serait la cause de la déperdition de sa clientèle ; il n'est ainsi pas établi que la société Devred aurait manqué à ses obligations de loyauté et de bonne foi, étant souligné qu'elle a accordé des délais de paiement à sa cocontractante qui était confrontée à des difficultés.
Par ailleurs, l'article 7-2 du contrat stipule : " Les ventes sont faites au nom de l'affilié et pour le compte de Devred. L'affilié aura droit à une commission calculée en fonction du chiffre d'affaires mensuel réalisé dans le cadre du magasin et, le cas échéant, du site internet de vente en ligne de l'affilié, et relatif à la vente des articles mis en dépôt par Devred et livrés franco de port. Le montant de cette commission sera égal à trente-neuf pour cent (39 %) hors taxe (HT) du chiffre d'affaires net HT tel que défini supra ; cette commission couvre l'intégralité du profit de l'affilié y compris ses pertes éventuelles. En conséquence, l'affilié se déclare expressément informé du fait que la commission indiquée ci-avant le rémunère de manière intégrale et forfaitaire, tant pour ses peines et soins que pour ses frais, sans aucune exception ni réserve. L'affilié ne pourra d'aucune façon revendiquer l'application des articles 1999 et 2000 du Code civil, inapplicables au présent contrat.
La présente stipulation est une condition déterminante de l'engagement de Devred, ce que reconnaît expressément l'affilié ".
Cette clause claire et précise, qui fait la loi des parties, prive la société Pimur de son droit d'invoquer les dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil ; c'est en vain que la société Pimur allègue que la clause de renonciation ne lui serait pas opposable parce que la société Devred aurait conservé la maîtrise de l'exploitation ; en effet l'article 8 du contrat précise que l'affilié est et demeurera un commerçant indépendant, propriétaire de sa clientèle, qu'il sera libre de fixer le prix de ses marchandises, le prix conseillé par la société Devred ne servant que de base au calcul de la commission, que dans l'hypothèse où il souhaiterait modifier les prix de vente, il pourra s'approvisionner en étiquettes vierges auprès de la société Devred, qu'il ne pourra pas pratiquer un prix supérieur à celui indiqué sur les étiquettes mais sera libre de consentir toute réduction qu'il jugera nécessaire ; les tableaux pièces 29 et 30 de l'intimée, non contestés par l'appelante, montrent en fait qu'en février 2014, la société Pimur a pratiqué un prix inférieur de 10 % pour une parka et qu'en février 2015, d'autres affiliés pratiquaient des prix supérieurs aux prix théoriques sur certains articles.
En conséquence la société Pimur sera déboutée de sa demande de résiliation du contrat aux torts de la société Devred ainsi que de toutes ses demandes en paiement. Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, il y a lieu d'allouer la somme supplémentaire de 3 000 euros à la société Devred et de rejeter la demande de la société Pimur de ce chef.
Par ces motifs, LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Pimur à payer à la société Devred la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Deboute la société Pimur de toutes ses demandes ; Condamne la société Pimur aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.